Chine-France, accords bilatéraux et gouvernance mondiale

jeudi 28 mars 2019, par Christine Bierre

Par Christine Bierre

La visite du président Xi Jinping en France a révélé de grandes surprises. Qui l’eût cru ? Avec des médias pratiquant un « China bashing » dépassant la propagande de la guerre froide, doublé de rapports haineux de think-tanks inféodés à Washington et à Londres ; avec l’arrogance calculée d’Emmanuel Macron qui dès son arrivée au pouvoir, a saisi toutes les occasions pour traiter la Chine de haut, tantôt la qualifiant de système « hégémonique », tantôt participant à la formation d’un front Indo-Pacifique pour la contrer, le moins que l’on puisse dire est que l’on ne s’attendait pas à de grandes percées lors de la visite du Président Xi Jinping.

D’où notre agréable surprise devant l’importance des contrats signés. [1] Si les grands contrats bilatéraux font parti désormais de l’ADN des relations franco-chinoises, de petits progrès sont aussi à signaler au niveau de la Nouvelle Route de la soie, face à laquelle la France était restée jusqu’ici très critique : trois listes des projets auraient été retenues par les deux parties. Il faut aller plus loin !

Chine-UE pour une relance du multilatéralisme

La véritable surprise fut cependant l’organisation par Emmanuel Macron et par Xi Jinping d’un « forum pour la gouvernance mondiale », à Paris, à la fin des rencontres bilatérales. La chancelière allemande Angela Merkel et le président de la Commission Européenne Jean Paul Junker y ont été conviés pour définir, à quatre, de nouvelles règles dans la relation UE-Chine, et pour relancer le multilatéralisme comme méthode de résolution des crises face aux poussées « unilatéralistes » et « protectionnistes » qui surgissent à travers le monde. Le nom de Trump n’a jamais été prononcé, mais ses oreilles ont dû beaucoup siffler !

Les Européens étaient particulièrement soucieux d’obtenir de la Chine qu’elle « respecte l’unité de l’UE », en ne négociant pas des accords économiques avec chaque Etat membre individuellement, mais en acceptant que la concertation s’organise depuis le sommet. La Chine, quant à elle, s’est montrée surtout préoccupée par un état du monde particulièrement dégradé et par les mesures à adopter pour qu’il ressemble à la « communauté de destin partagé pour toute l’humanité » que Xi Jinping appelle de ses vœux.

Le président chinois a ainsi appelé à remédier aux quatre grands déficits dans les affaires mondiales : déficit de gouvernance, de confiance, de paix et de développement. Il a défendu l’autorité de l’ONU et l’avènement d’un système commercial multilatéral rénové. Il a appelé à rejeter les mentalités du « jeu à somme nulle », de la guerre froide, de la loi de la jungle, et a régler les conflits de façon pacifique. En matière de développement, il a défendu une approche fondée sur l’innovation pour faire face aux problèmes de la pauvreté. Dans ce contexte, il a une fois de plus invité les autres pays à participer activement à son Initiative une Ceinture, une Route (ICR, nom donné par la Chine à son projet de « Nouvelle Route de la Soie »).

La France, l’Allemagne et l’UE s’ouvrent à l’ICR

Est-ce cette discussion au plus haut niveau sur les graves problèmes du monde, qui a créée, chez les Européens, une certaine ouverture d’esprit à l’approche chinoise du développement ? Ou la décision italienne de passer outre les consignes de Washington et de l’UE, et de signer le protocole d’accord pour la Nouvelle Route de la Soie ? Toujours est-il qu’à Paris, M. Macron a placé « l’ICR » parmi les 4 grandes questions qu’une approche multilatérale doit traiter, avec les questions internationales de sécurité (respect de l’accord nucléaire iranien, dénucléarisation de la péninsule coréenne, et développement et sécurité en Afrique).

Un multilatéralisme rénové, plus juste, pourrait, selon lui, résoudre les déséquilibres provoqués dans nos pays par une mondialisation qui a donné naissance à un besoin légitime de protection. « L’ICR est une proposition très structurante qui peut contribuer à la stabilité, au développement et à la coexistence entre les peuples », a-t-il dit, avant de proposer un agenda commun de connectivité Chine-UE, pour construire des infrastructures et des équipements. « Nous pouvons sortir beaucoup des pays de la pauvreté », a-t-il osé avancer.

Angela Merkel a aussi qualifié l’ICR « de projet très important, dans lequel nous, Européens, voulons jouer un rôle » et qui permet de « visualiser de façon excellente l’interdépendance entre l’UE et la Chine ». « La Chine a montré qu’il est possible de sortir des millions des gens de la misère très rapidement. Je pense qu’il y a des choses à apprendre de cet exemple et que nous en devons tirer des conclusions pour notre coopération avec l’Afrique ».

Même Junker y a été de sa propre musique, notant que « concernant » l’ICR, nous, Européens, devons expliquer à nos citoyens qu’il ne s’agit pas d’un projet chinois dirigé contre les intérêts de l’Europe. (...) Je voudrais trouver notre intérêt dans l’application de ce grand projet et savoir que les investissements ne sont pas exclusivement Chinois mais qu’ils bénéficieront aux Européens et à tous les pays par lesquels il transite. »

Le sommet UE-Chine du 8-9 avril

Après ces discours d’ouverture cependant, l’UE devra rapidement passer des mots aux actes, notamment lors du prochain sommet UE-Chine les 8-9 avril prochains.

C’est là que nous verrons si elle voudra réellement faire de l’ICR un « point d’appui archimédien » - pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron - pour transformer le monde vers une sortie de crise, ou si, au contraire, elle tentera de le dévoyer en le réorientant vers la bulle verte ou la finance spéculative.

C’est là que nous verrons si l’UE est prête à adopter les reformes qui s’imposent pour s’engager dans cette aventure.

Car, depuis la crise financière de 2008, l’UE est une région terriblement endettée et en déclin industriel, alors que la Chine, grâce à son approche d’économie dirigée orientant ses capitaux vers les infrastructures, la connectivité, l’innovation, et la création d’emplois qualifiés, connaît toujours une forte croissance industrielle qui génère des surplus pouvant être investis. Une véritable évaluation de l’utilisation et de l’utilité du Plan Junker, qui prétend déjà avoir investi 315 milliards dans les entreprises européennes, devrait être faite avant de s’engager dans la même approche.

Faute de faire une réforme financière de grande envergure, nettoyant la BCE et les principales banques de leurs créances douteuses, via une séparation stricte entre les banques spéculatives et les banques commerciales ; faute de rétablir les Banques Nationales dans leur souveraineté et de faire des émissions de crédit public orientées vers ces projets « structurants » capables de tirer les économies de l’avant, l’UE n’aura pas l’argent pour investir dans la construction des infrastructures aux côtés de la Chine.

Plus grave, la tentative d’interdire aux Etats membres de signer des accords commerciaux directs avec la Chine dans le cadre de ses projets - ce qui est totalement légitime de leur part - pourrait se traduire par le blocage pur et simple du projet en Europe, alors que pour de nombreux pays, il représente la seule source de capitaux pour investir dans la modernisation des infrastructures.

Face à ces menaces, nous disons : « multilatéralisme oui, mais attention à l’affairisme bien connu de l’UE ! »


[1L’achat de 300 Airbus pour près de 30 milliards d’euros ; un accord pouvant atteindre 6 milliards d’euros entre Schneider Electric, très implanté en Chine et Power Construction Corporation (PCC) pour la modernisation des usines PCC en Chine et dans des pays tiers ; un accord entre CMA-CGM, leader français du transport maritime et la China State Shipbuilding corporation pour la construction de 10 navires équivalent à 15 000 conteneurs chacun, pour 1,2 milliards d’euros ; un contrat de 1 milliard d’euros signé par EDF pour la construction des phases 4 et 5 du parc d’éoliennes de Dongtai, dans la province de Jingsu ; et un protocole d’accord pour la création d’un Fonds commun franco-chinois de 1 milliard d’euros, entre BNP Paribas, Eurazeo et China Investment Corporation, pour soutenir l’implantation des petites et moyennes entreprises françaises en Chine ; accord signé entre le CNES et l’agence spatiale chinoise, pour envoyer une quinzaine d’expériences françaises dans la mission lunaire Chang’e 6. Enfin, la levée de l’embargo sur la volaille de 2015, adopté suite à la grippe aviaire, permettra à nos agriculteurs d’exporter toutes les parties de la volaille aux Chinois qui en sont friands, un marché de près de 7 milliards d’euros par an.