Biden, BlackRock & « The Big Three »

mercredi 17 février 2021, par Karel Vereycken

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C’est il y a quatre ans que j’ai commencé à m’intéresser à l’oligopole financier newyorkais BlackRock. Le Canard Enchaîné avait révélé comment Emmanuel Macron, assisté de plusieurs ministres, avait déroulé le tapis rouge pour accueillir à l’Elysée le PDG de la firme, Larry Fink, non pas dans un petit salon, mais dans la « salle Murat », le sanctuaire où se tient le Conseil des ministres. Je me suis dit : « là, il y a un truc ! »

Mes recherches m’ont permis de comprendre pourquoi Larry Fink, un petit trader toxique de série B de la banque First Boston, qui a empoisonné la planète en nous vendant des titres pourris jusqu’à l’explosion en 2008, a été reçu comme l’aurait été le banquier de la Papauté au Moyen-Âge.

En effet, la nébuleuse dont BlackRock forme le cœur, est bien plus dangereuse que le proverbial « éléphant dans le salon ». Il s’agit plutôt du gorille dans votre salle de bain. Et il vous adore !

L’ère des portes tournantes et du pantouflage

A partir de 1999, date de l’abrogation officielle aux Etats-Unis de la fameuse loi Glass-Steagall de 1933 séparant de façon stricte, d’une part les banques commerciales et de crédit et de l’autre, les banques d’investissement, ces dernières s’étaient taillé la part du lion et du pouvoir mondial. A tel point que l’on parla de « Government Sachs » pour désigner l’influence assez inquiétante d’une oligarchie financière, obsédée par ses profits immédiats, sur des Etats de plus en plus dépouillés de leurs prérogatives et donc de leurs capacités à défendre l’intérêt général dans la durée.

Alors que par le passé il était rare qu’un grand commis de l’État aille « pantoufler » dans le privé, c’est désormais la règle. Mario Draghi, avant de prendre la tête de la BCE, avait œuvré, chez Goldman Sachs Londres, au maquillage des comptes de l’Italie et de la Grèce pour qu’elles puissent entrer dans l’euro. Aujourd’hui, il revient comme Premier ministre italien. Goldman Sachs, en y mettant la somme, avait également embauché Manuel Barroso dès qu’il eut quitté sa fonction de président de la Commission européenne.

Gestion active et gestion passive

Parts de marchés des principaux émetteurs d’ETF en 2017.

Cependant, suite à la faillite retentissante de la banque Lehman Brothers en septembre 2008, un cadre rudimentaire de règles prudentielles fut édicté. Il ne s’agissait nullement d’enrayer la spéculation folle, mais de la rendre plus contraignante dans l’espoir d’écarter ainsi tout risque systémique. Très vite, il fallait s’en douter, les boursicoteurs les plus fanatiques de Wall Street et de la City mirent alors au point des stratagèmes pour contourner les obstacles juridiques à leur fonds de commerce. C’est cette dynamique qui a donné naissance à trois firmes financières géantes surnommées The Big Three (Les Trois Gros) : BlackRock, Vanguard et State Street. Voici comment.

Depuis 2008, des nouvelles technologies ont complètement révolutionné les pratiques boursières. Tout d’abord, l’amélioration spectaculaire des technologies informatiques, notamment le High Frequency Trading (HFT), a conduit de nombreux investisseurs privés et institutionnels à abandonner la « gestion active » (par des traders), au profit de la « gestion passive » (par des ordinateurs). Adieu les Kerviel et autres baleines de Londres !

Alors que la gestion « active » exige des traders et des gestionnaires de fonds qu’ils montent des coups en achetant des titres à des moments qu’ils jugent propices pour obtenir des gains futurs, la gestion « passive » s’intéresse surtout à des ETF (pour Exchange-Traded Funds) ou fonds indiciels cotés, aussi appelés trackers qui répliquent les performances d’un indice boursier.

Par exemple, un ETF ayant pour indice de référence le CAC 40 permettra d’investir dans toutes les entreprises du CAC 40 instantanément et simultanément. Sa performance, sans surprise, sera équivalente à celle du CAC 40. Alors que la gestion active est onéreuse, la gestion passive est bon marché et plusieurs études affirment qu’en matière de bénéfices, elles se valent.

Ainsi, entre 2008 et 2015, les grands investisseurs mondiaux se sont débarrassés de pas moins de 800 milliards de dollars sous gestion active tout en investissant 1 000 milliards de dollars dans des ETF, c’est-à-dire sous gestion passive : un changement inédit dans l’histoire de la finance.

La montée en puissance de « The Big Three »

Or, dans les ETF, trois grandes firmes s’érigent au sommet : BlackRock, Vanguard et State Street.

  • Fondé en 1988, BlackRock basé à New York, avec 8 670 milliards de dollars d’actifs sous gestion (dont 5000 milliards de dollars en ETF) en janvier 2021, est aujourd’hui le plus grand gestionnaire d’actifs du monde.
  • Juste derrière se trouve le Vanguard Group, basé à Philadelphie, avec environ 6 200 milliards de dollars d’actifs sous gestion, au 31 janvier 2020.
  • Enfin, la société State Street Global Advisors (SSGA), basée à Boston, avec 3 100 milliards de dollars sous gestion. La SSGA est une division de State Street, la deuxième banque consignataire [1] du monde, avec 36,64 milliards de dollars consignés.

Bien sûr, comparé à la plus grande banque américaine, JP Morgan Chase, et ses 3 100 milliards de dollars à son bilan, BlackRock, avec seulement 165 milliards de dollars, paraît modeste. En réalité, la puissance des Big Three ne dépend pas tellement de ce qu’ils possèdent, mais de ce qu’ils gèrent. La principale source des actifs sous gestion est constituée par les fonds de pension, principalement ceux des employés des gouvernements de la Californie et de l’État de New York. Tous ont des retraites par capitalisation et espèrent voir leur propre épargne fleurir sur les marchés financiers.

Aujourd’hui, pris ensemble, les trois grands gèrent environ 18 000 milliards de dollars, soit près de 3 000 milliards de plus que le PIB du pays qui est sur le point de devenir la première puissance économique mondiale, la Chine !

« Nous assistons à une concentration de l’actionnariat inédite depuis l’époque de John P. Morgan et John D. Rockefeller », écrivent les auteurs d’une étude de Cambridge de 2017 sur le sujet.

Avec leurs profits, les Big three ont enchaîné les achats et les prises de participations dans plus de 17 000 entreprises dans le monde, y compris les grands groupes financiers.

Le site CNN Business vous permet de connaître les noms des principaux actionnaires des grandes banques. Deux choses sautent aux yeux lorsqu’on les examine de près :

Les Big Three se « possèdent » les uns les autres :

Chacun des Trois Gros détient des actions des deux autres. Crédit : K. Vereycken.

Ce qui caractérise le mammouth financier que nous essayons de décrire, c’est une interpénétration incestueuse d’investissements croisés digne d’un roman de science-fiction aussi délirant que redoutable. Par exemple, plusieurs filiales des Big Three sont actionnaires de leur maison-mère...

Les actions de (la maison-mère) BlackRock Inc. sont détenues par :

  • Vanguard (7,75 %) ;
  • BlackRock Fund Advisors, la division gestion d’actifs de BlackRock Inc. (4,55 %) ;
  • Capital R&M (4,55 %) ;
  • State Street Global Advisors, la division gestion d’actifs de State Street (3,99 %).

On pourrait donc dire que BlackRock est aux mains des Big Three !

A son tour, les actions de l’American Vanguard Corp sont détenues par :

  • BlackRock Fund Advisors (12,67 %) premier actionnaire ;
  • Vanguard Group, Inc (9,17 %), deuxième actionnaire ;
  • State Street Global Advisors (2,90 %).

On pourrait donc dire que Vanguard est aux mains de BlackRock qui est aux mains des Big Three ...

Enfin, les actions de State Street Corporation, la maison-mère qui possède la banque consignataire, sont détenues par :

  • Vanguard (8,79 %) ;
  • BlackRock Fund Advisors (4,77 %) (sixième) ;
  • State Street Global Advisors (4,74 %) (septième).

On pourrait donc dire que State Street Corporation est aux mains de Vanguard qui est aux mains de BlackRock qui est au mains des deux premiers… On voit que l’amour est fusionnel.

Comment les Big Three contrôlent :

A. Les 10 plus grandes banques américaines...

BlackRock, bien que ne possédant que quelques pourcentages des actions des 10 grandes banques américaines, peut, à l’aide des autres Big Three, imposer sa politique.

Voici les pourcentages d’actions détenus par les Big Three dans les 10 plus grandes banques américaines, présentées dans leur ordre d’importance en commençant par la plus grande :

  1. Chez JP Morgan Chase, au 26 janvier 2021, Vanguard, avec 7,51 %, est l’actionnaire principal, suivi de State Street (4,43 %), World Investors (2,45 %) et BlackRock Fund Advisors (2,36 %). Ensemble, les Big Three détiennent donc 14,3 % des actions de la plus grande banque du monde ;
  2. Chez Bank of America, les positions sont semblables. Bien que Berkshire Hathaway (Warren Buffett), soit avec 11,68 % le premier actionnaire, le deuxième est Vanguard (6,69 %), le troisième BlackRock Fund Advisors (3,77 %) et le quatrième State Street (3,70 %). Big Three = 13,66 % ;
  3. Chez Wells Fargo, Vanguard détient 7,31 %, BlackRock Fund Advisors 4,43 % et State Street 4,01 %. Big Three = 15,75 % ;
  4. La situation n’est guère différente chez Citigroup. Vanguard, avec 7,7 % des actions, est l’actionnaire principal, suivi de BlackRock avec 4,54 % et State Street avec 4,28 %. Big Three = 16,52 % ;
  5. Chez Morgan Stanley, State Street détient 6,66 % des actions, Vanguard 6,34 % et BlackRock Fund Advisors 3,50 %. Big Three = 16,5 % ;
  6. Chez US Bancorp, les trois premiers actionnaires sont Vanguard (6,85 %), BlackRock Fund Advisors (4,46 %) et State Street (3,86 %) ; Big Three = 15,14 % ;
  7. Chez Goldman Sachs, Vanguard détient 5,83 % des actions, State Street 5,83 % et BlackRock 4,29 %. Big Three = 15,95 % ;
  8. Chez Truist Financial Corp, Vanguard détient 7,52 %, BlackRock Fund Advisors 4,66 % et State Street 4,27 % ; Big Three = 16,45 % ;
  9. Chez PNC Financial Services, Vanguard est premier actionnaire avec 7,60 %, State Street troisième avec 4,38 % et BlackRock Fund Advisors quatrième avec 4,33 %. Big Three = 16,31 % ;
  10. Enfin, chez Charles Schwab, Vanguard est deuxième avec 5,70 % des actions, BlackRock Fund Advisors cinquième avec 3,78 % et State Street sixième avec 2,99 %. Big Three = 12,47 %.
Oligopole. La part d’actions détenues par les Trois Gros (BlackRock, Vanguard et State Street) dans les dix plus grandes banques américaines.

Quant à celui qu’on présente parfois comme « le concurrent » des Big Three, c’est-à-dire le gestionnaire d’actifs Fidelity, son premier actionnaire s’appelle Vanguard (8,55 %), son quatrième Blackrock (4,24 %) et son cinquième State Street (2,58 %) !

B. Les 5 GAFAM...

Le profil des principaux actionnaires des entreprises formant le GAFAM n’est guère différent :

  • Chez Google, Vanguard est l’actionnaire principal, avec 7,15 % ; BlackRock deuxième avec 4,43 % suivi de State Street, avec 3,90 % ;
  • Chez Apple, toujours Vanguard en premier avec 7,07 %, BlackRock deuxième avec 4,55 % et State Street troisième avec 4,10 % ;
  • Chez Facebook, Vanguard détient 7,16 % comme actionnaire principal. BlackRock est en troisième position avec 4,35 % et State Street cinquième, avec 3,97 % ;
  • Chez Amazon, Vanguard détient 6,09 %, BlackRock 3,62 % et State Street 3,26 % ;
  • Enfin chez Microsoft, Vanguard premier avec 8,55 % ; BlackRock quatrième avec 4,24 % et State Street cinquième avec 2,58 %.

C. Les 5 plus grands producteurs d’armement du monde...

Pacifistes exigeant que BlackRock cesse d’investir dans les armes de guerre.
  • Chez Lockheed Martin, State Street est le premier actionnaire avec 15,08 %, Vanguard deuxième avec 7,35% et BlackRock quatrième avec 4,37 % ;
  • Chez Boeing (dont 85 % des activités sont des équipements militaires), Vanguard est deuxième actionnaire avec 6,88 %, State Street troisième avec 4,68 % et BlackRock quatrième avec 4,13 % ;
  • Chez Northrop Grumman, State Street est premier avec 9,79 %, Vanguard deuxième avec 7,13 et BlackRock troisième avec 4,25 % ;
  • Chez Raytheon Technologies, c’est également State Street qui vient en premier avec 8,13 % des actions, suivi de Vanguard avec 8 % et en troisième BlackRock avec 4,60 % ;
  • Chez General Dynamics, c’est Vanguard qui vient en premier, avec 6,84 %, State Street en sixième position avec 3,92 % et BlackRock en septième position avec 3,71 %.

D. Les 5 principales compagnies pétrolières américaines...

  • Chez Exxon Mobil, Vanguard est le premier actionnaire avec 7,73 %, State Street deuxième avec 5,71 % et BlackRock troisième avec 4,80 % ;
  • Chez Chevron Corporation, Vanguard est premier avec 7,78 %, State Street deuxième avec 6,65 % et BlackRock troisème avec 4,47 % ;
  • Chez Marathon Petroleum, c’est Vanguard qui vient en premier, avec 9,12 %, State Street deuxième avec 5,96 % et BlackRock en troisième position avec 5,83% ;
  • Chez Valero Energy, Vanguard est premier avec 10,76 %, State Street deuxième avec 6,23 % et BlackRock troisième avec 5,36 % ;
  • Chez Phillips 66, c’est encore Vanguard qui vient en premier avec 9,35 % des actions, suivi de State Street avec 6,11 % et en troisième BlackRock avec 4,90 % ;

E. Les 5 géants américains de la grande distribution...

Etats-Unis : Avec 1,5 millions d’employés, Walmart, est le premier employeur dans 22 des Etats (en bleu).
  • Chez Walmart, Vanguard est le premier actionnaire avec 4,47 %, State Street deuxième avec 2,27 % et BlackRock troisième avec 2,12 % ;
  • Chez Amazon, on l’a déjà dit, Vanguard détient 6,09 %, BlackRock 3,62 % et State Street 3,26 % ;
  • Chez Costco, c’est Vanguard qui vient en premier, avec 7,90 %, BlackRock deuxième avec 4,37 % et State Street en troisième position avec 3,87 % ;
  • Chez Walgreens Boots Alliance, Vanguard est premier avec 6,33 %, State Street deuxième avec 5,41 % et BlackRock troisième avec 3,75 % ;
  • Chez The Kroger Co., c’est encore Vanguard qui vient en premier avec 9 % des actions, suivi de BlackRock avec 6,89 % et enfin, en troisième BlackRock avec 5,41 % ;

F. Les 3 principales agences de notation

Les trois agences de notation (également appelées les Big Three) qui font la pluie et le beau temps dans le monde de la finance.

Dernier exemple de cet inceste financier : le contrôle des trois uniques agences de notation :

  • Standards & Poor’s : premier actionnaire Vanguard avec 8,09 %, deuxième BlackRock avec 4,32 % troisième State Street avec 4,47 % ;
  • Fitch Rating : BlackRock premier actionnaire avec 14,28 % ; Vanguard deuxième avec 10,06 % et State Street troisième avec 3,96 % ;
  • Moody’s : Vanguard deuxième actionnaire avec 6,90 % ; BlackRock troisème avec 3,90 % et State Street cinquième avec 3,68 %.

Si en Chine l’Etat garde la haute main sur les grandes banques et les grandes entreprises stratégiques et militaires, aux Etats-Unis, c’est l’inverse. Pas besoin d’être conspirationniste pour constater que BlackRock, c’est-à-dire un oligopole financier privé échappant à la régulation bancaire et agissant comme primus inter pares (le premier parmi ses pairs), s’érige en gouvernement de fait, non seulement des Etats-Unis, mais par extension, du monde.

De Blackstone à BlackRock, un peu d’histoire

Les patrons des Trois Gros. A droite, Larry Fink, le PDG de BlackRock. En bas le PDG de State Street, Ronald P. O’Hanley. A gauche, le PDG de Vanguard, Tim Buckley.

Après cet état des lieux, un petit historique. A l’origine, BlackRock est une émanation de The Blackstone Group (TBG), une société de gestion « d’investissements alternatifs » fondée en 1985 par Peter G. Peterson, ancien PDG de Lehman Brothers, et Stephen A. Schwarzman. Ancien secrétaire américain au Commerce, Peterson, érigeant son empire sur les retraites par capitalisation, a toujours été à l’avant-garde des campagnes visant à détricoter ou à tout simplement supprimer toute forme de sécurité sociale.

En 1987, deux ans après sa fondation, TBG veut créer une nouvelle société, et accorde une ligne de crédit de 5 millions de dollars à Larry Fink et Ralph Schlosstein en échange d’une participation de 50 % dans ses opérations obligataires. A First Boston, Fink et ses comparses ont été les pionniers du marché des très douteux titres adossés à des créances hypothécaires (Mortgage Backed Securities), produits financiers dérivés à haut risque que Warren Buffett avait si bien qualifié d’ « armes financières de destruction massive ».

La vente de ces titres pourris et les subprimes qui allaient avec, emballés dans un paquet de titres supposés moins risqués sous la forme de Collateralized Mortgage Obligations (CMO), resteront dans l’histoire comme la contribution de Fink au dévoiement de la finance moderne et surtout au krach financier mondial de 2008.

En 1987, Peterson croit à la vision de Fink d’une entreprise consacrée à la gestion des risques. Avant d’adopter le nom de BlackRock en 1992, la société que Peterson a contribué à créer, s’appelait Blackstone Financial Management. En quelques mois, les opérations explosent.

Ensuite, comme nous l’avons d’emblée exposé, c’est le basculement de la gestion active vers la gestion passive qui va doper la croissance fulgurante de BlackRock, à ce jour le plus grand émetteur d’ETF du monde. Avec le profit qu’elle tire de ses conseils financiers aux fonds de pension et aux investisseurs institutionnels, BlackRock a acheté des actions de 17 000 sociétés et entreprises, non seulement aux États-Unis mais dans le monde entier.

Le contrôle des Trois Gros sur les entreprises américaines.

Et comme le précise le journaliste économique français, Grégoire Favet sur le site Investigate Europe : « Dès que BlackRock apparaît comme l’un de vos actionnaires, votre entreprise se démarque et gagne un énorme prestige. Lorsque vous êtes Larry Fink, vous pouvez parler d’égal à égal avec le directeur du FMI ou un chef d’État. M. Fink a déjà été reçu deux fois à l’Elysée depuis l’élection d’Emmanuel Macron ».

Avant tout, le « shopping » de BlackRock se concentre sur l’acquisition des divisions de gestion d’actifs des grandes banques, telle que Merrill Lynch Investment Management en 2006, et Barclays Global Investors, qui comprend son activité ETF iShares, en 2009.

Position oligopolistique des Trois Gros. Dans la colonne de gauche, la capitalisation boursière de l’ensemble des entreprise américaines cotées en bourse : en noir le pourcentage (près des 80 %) de celles où les Trois Gros représentent l’actionnaire principal avec une capitalisation boursière totale de 17260 milliards de dollars, soit quasiment l’équivalent du PIB américain de 2015, de 17950 milliards de dollars. A droite, le nombre d’entreprises ou les Trois Gros sont les principaux actionnaires : 1662 entreprises. Ensuite, des nuances de gris indiquent leur présence en tant que deuxième et troisième actionnaire.
Source : étude de Cambridge.

Cela n’empêche pas BlackRock de devenir l’actionnaire principal de grandes banques internationales. A la date du 31 décembre 2020, BlackRock, avec 5,23 % des actions, est le principal actionnaire de Deutsche Bank, une banque techniquement en faillite à cause de ses mauvais paris sur les produits dérivés.

Aux Etats-Unis, les Big Three constituent ensemble le plus grand actionnaire de 40 % des entreprises cotées, et même le plus grand actionnaire de 88 % des 500 entreprises de l’index Standard & Poor’s 500.

Rien qu’en France, ces mêmes fonds sont actionnaires de 5 à 10 %, via une série de filiales, d’Eiffage, de Danone, de Vinci et de Lagardère, mais aussi de Renault, de PSA-Citroën, de la Société Générale, d’Axa, de Vivendi, de Total, de Sanofi, de Legrand, de Schneider Electric, de Veolia, de Publicis, etc. BlackRock est actionnaire, souvent le principal, d’au moins 172 des 525 sociétés françaises cotées à la bourse française, le CAC.

Laurent Izard, dans La France vendue à la découpe (L’Artilleur, 2019) indique les participations de BlackRock dans les sociétés de notre pays et se pose à juste titre la question « Les entreprises françaises du CAC 40 sont-elles encore françaises ? »

La lampe magique d’Aladdin

Pour comprendre l’autre et peut-être la principale raison de l’essor spectaculaire de BlackRock, il faut regarder du côté des équipements informatiques ultra-performants dont s’est dotée la firme, dans le but d’évaluer les risques en temps réel.

Dès sa fondation, Fink a voulu faire de la gestion des risques le fondement et la pierre angulaire de son entreprise.

Pour y parvenir, BlackRock a lancé en 2000, BlackRock Solutions (BRS), sa propre division de gestion des risques. BRS s’est dotée d’un système électronique appelé Aladdin (Asset, LiAbility, Debt and Derivative Investment Network), surnommé le « Prince des données ».

Cette application électronique – un cluster de 6 000 serveurs informatiques à haute performance basé à Wenatchee, une ville située dans l’état de Washington - réalise 200 millions de calculs par an en suivant en temps réel le moindre mouvement de près de 18 000 milliards de dollars, soit 8 % des actifs financiers mondiaux. Il s’agit de quelque 30 000 portefeuilles d’investissement, dont celui de BlackRock, ainsi que ceux de ses concurrents, des banques, des fonds de pension et des assureurs.

Grâce à ce système informatique sophistiqué, BlackRock, a su faire basculer une grande partie de sa gestion active vers la gestion passive, à coups de magie algorithmique de sa plateforme d’intelligence artificielle aux mains d’une armée de 2 000 mathématiciens et informaticiens en joint-venture avec Google.

Doté de cet outil d’analyse très puissant, et ayant accès, en tant qu’actionnaire de référence, aux bilans d’une grande partie des économies occidentales, BlackRock est de plus en plus souvent appelé à conseiller les gouvernements en situation de crise.

En mai 2009, alors que les crises financières semblaient encore ingérables, les équipes de BlackRock, ainsi que les avocats d’affaires de Wall Street, dont ceux du cabinet Sullivan & Cromwell, qui avaient été les architectes de la plupart des montages financiers et juridiques de Londres et New York, ont été engagés par le département du Trésor américain, non pas pour liquider, mais pour sauver les banques tombées dans le coma suite à la surconsommation des titres toxiques dont on les avait gavées.

Seul le programme Aladdin de BlackRock, disait le Financial Times, avait été

capable d’analyser les risques liés à l’investissement dans n’importe quelle action, de mettre en évidence où vendre des obligations pour attirer le meilleur prix, de suivre toutes les transactions, de rassembler toutes les données et d’avoir à portée de main des informations vitales pour les investisseurs.

Profitant de la panique, et bien sûr par intérêt, BlackRock a mis son système Aladdin à la disposition d’autres financiers, d’institutions et, de plus en plus, de gouvernements. Ainsi, BlackRock a rapidement décroché un contrat pour auditer Fannie Mae et Freddie Mac, les établissements publics de crédit hypothécaire que le gouvernement fédéral US venait de sauver.

Soulignons également qu’aussi bien Vanguard que State Street Global Advisors, les deux autres sociétés des Big Three, sont toutes deux utilisatrices d’Aladdin, tout comme la moitié des dix premiers assureurs mondiaux, ainsi que le fonds de pension gouvernemental japonais, le plus important au monde avec 1 500 milliards de dollars. Apple, Microsoft et la société mère de Google, Alphabet, les trois plus grandes entreprises privées américaines, ont toutes recours à Aladdin pour gérer des centaines de milliards de dollars dans leurs portefeuilles.

Cependant, une question mineure subsiste : que se passerait-il en cas de bug informatique ou de piratage d’une des plateformes qui gère autant de ressources financières ?

Conflit d’intérêt ?

Conduire des audits pour le secteur public, conseiller les investisseurs du secteur privé, cela ne pose-t-il pas un problème de « conflit d’intérêt » ? Dès 2009, les élus ont commencé à s’interroger. Par exemple, le sénateur républicain Charles Grassley s’est posé la question :

Comment se fait-il qu’une seule entreprise soit qualifiée pour gérer ces actifs récupérés par le gouvernement ? Elles ont accès à des informations permettant de savoir à quel moment précis la Fed essaiera de vendre des titres et à quel prix. Et elles entretiennent des relations financières très développées avec des personnes du monde entier. Le risque de conflits d’intérêts est grand et il est compliqué à réglementer.

BlackRock a toujours répondu qu’il gère soigneusement les conflits d’intérêts potentiels à travers une « muraille de Chine » qui, en théorie, sépare ses activités de conseil de ses activités de gestion d’actifs. Une promesse qui, bien sûr, n’engage que ceux qui sont assez stupides pour y croire.

A cela BlackRock ajoute qu’elle ne fait qu’acheter et vendre. Et puisqu’elle n’opère pas avec des effets de levier, elle n’agit pas comme une banque. Par conséquent, elle n’a pas besoin d’être réglementée comme une institution systémique.

Lobbying et politique

Manifestation contre BlackRock à Paris.
Bastamag.net

Dans un article précédent, nous avions fait le point sur l’influence qu’exerce la firme sur la vie politique européenne. Après la Fed, la BCE a fait appel à BlackRock et Aladdin pour soumettre les banques européennes, y compris celles dont BlackRock est actionnaire, à des tests de robustesse, les fameux stress tests. La BCE a payé 8,2 millions d’euros pour ce travail, une broutille financière pour un géant comme BlackRock mais une porte d’entrée politique essentielle pour BlackRock.

Comme le souligne le site Wolf Street :

Travailler pour les banques centrales des Pays-Bas, d’Espagne, d’Irlande, de Chypre ou de Grèce apporte quelque chose de beaucoup plus passionnant que de l’argent : de l’information.

En France, à l’automne 2017, BlackRock a été invité par le gouvernement français à siéger au Comité d’Action Publique 2022 (CAP 2022), une sorte de seconde Commission Attali, destinée à esquisser les contours futurs de l’État français.

En coulisse, BlackRock craint avant tout le retour d’une régulation plus stricte des grandes firmes financières. Pour préempter ce danger, tout comme « Government Sachs », BlackRock investit de plus en plus dans des hommes politiques influents au carnet d’adresses bien fourni.

Le 9 janvier 2019, dans notre dossier « Scandale BlackRock : lorsque la BCE fait appel à des gangsters », nous écrivions :

Tout comme la banque d’affaires new-yorkaise Goldman Sachs qui s’est offert les services de l’Irlandais Peter Sutherland, du Belge Karel Van Miert, du Portugais Manuel Barroso, des Italiens Mario Monti et Mario Draghi et des Grecs Lucas Papademos et Petros Christodoufou, BlackRock a jeté son dévolu sur l’Europe et dépense sans compter pour recruter des figures politiques de haut niveau et bien connectées :

  • En Allemagne, c’est Friedrich Merz, l’ancien chef du CDU au Parlement, le parti d’Angela Merkel et un des candidats à sa succession, qui gère actuellement la filiale allemande.
  • En Suisse, c’est Philippe Hildebrand, l’ancien patron de la Banque Nationale Suisse, qui a été recruté.
  • Au Royaume-Uni, l’ancien patron du Trésor britannique George Osborne a rejoint la firme, tout comme Rupert Harrison, le chef de cabinet du ministre anglais en charge des retraites. « Compte tenu de son expérience dans la mise en place de la récente réforme des retraites au Royaume-Uni, il jouit d’une position unique pour nous aider à développer notre offre aux retraités », a déclaré sans ambages la firme dans un communiqué.
  • En Italie, Larry Fink s’est entretenu avec Mattéo Renzi en 2014.
  • Aux Pays-Bas, Fink fréquente le Premier ministre Mark Rutte.
  • En Grèce, BlackRock a opté pour Paschalis Bouchoris, l’ex-responsable d’un programme gouvernemental de privatisation.
  • En France, son président s’appelle Jean-François Cirelli, ancien conseiller économique de Jacques Chirac, puis directeur de cabinet adjoint de Jean-Pierre Raffarin. Cet énarque a dirigé GDF à partir de 2004, menant le groupe vers la privatisation. Puis, lors des dernières élections présidentielles, il a rejoint le comité de campagne d’Alain Juppé, tout comme [l’ancien] Premier ministre Edouard Philippe. Après l’annonce de BlackRock de vouloir transférer son siège européen de Londres vers Paris pour cause de Brexit, notre Premier ministre se félicitait vivement du fait que « la France attire. Les investisseurs reviennent. Paris est devenue, pour la première fois depuis très longtemps, la ville européenne la plus attractive ». Et en avril 2017 à la télévision suisse, l’ancien président de la banque nationale suisse, Philippe Hildebrand, aujourd’hui vice-président de BlackRock, une entreprise privée qui en principe ne se mêle jamais de politique, avait affiché sa nette préférence pour le candidat Emmanuel Macron. Larry Fink, pour sa part, avait répondu présent pour participer en 2019 au One Planet Summit organisé par le Président français.

Clairvoyance ?

Lorsque l’avion de Larry Fink pénètre dans l’espace aérien européen, il obtient, en moins de cinq heures, rendez-vous avec des présidents de l’UE, des premiers ministres ou des PDG de grandes entreprises. Pourtant, l’on peut s’interroger sur son sens de responsabilité et sur ses capacités réelles d’anticipation.

Selon la revue Fortune du 28 octobre 2008, le 13 septembre 2008, c’est-à-dire deux jours avant la faillite retentissante de Lehman Brothers, Fink prend l’avion pour un voyage d’affaires, direction Singapour.

Pourtant, deux des clients de BlackRock sont aux abois : AIG, le plus gros assureur du monde et la banque d’affaires Lehman Brothers, empêtrée dans la crise des subprimes que Fink a contribué à leur fourguer. Merrill Lynch, le plus grand actionnaire de BlackRock de l’époque, est également dans la tourmente.

Fink, aussi aveugle que les clusters d’ordinateurs qui font le succès de sa boîte, est alors incapable de voir le krach sous son nez. La Fed le rassure que tout va s’arranger. Fink est confiant que Barclays rachètera Merrill Lynch, l’actionnaire principal de BlackRock. Une fois arrivé à Singapour, Fink tombe des nues en découvrant ce qu’il se passe en survolant les titres des journaux.

Le 15 septembre, Lehman est sacrifiée pour épargner AIG dont la faillite aurait provoqué un tsunami cataclysmique de faillites au niveau planétaire. Et Barclays a refuse d’acheter Merrill. Le gouvernement américain somme Fink de revenir aussi vite que possible à Washington. Car Fink est un des rares mécanos qui sait où sont les boulons de cette énorme usine à gaz qu’est devenu le système bancaire américain. Alors, toujours envie de lui confier les clés de votre coffre-fort ?

Verdir la finance

Conscient que les bulles financières s’effondrent les unes après les autres, Fink et BlackRock excellent dans l’art de surfer sur les vagues. Aujourd’hui, ils savent qu’on est en fin de cycle et que la nouvelle bulle verte sera leur bouée de sauvetage. BlackRock s’associe de plus en plus avec l’oligarchie britannique, la plus malthusienne, et sa campagne pour « verdir » la finance. Historiquement, la plupart des Américains n’aiment pas trop l’idée d’une dépopulation, mais bon, s’il le faut pour faire des profits…

En attendant que monte cette bulle verte, BlackRock joue sur les deux tableaux à la fois, aussi bien les énergies fossiles que les renouvelables, tout comme le font les cartels européens du pétrole que sont Shell, BP et Total.

Puisque les combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole, etc.) continuent à représenter 84 % de la consommation mondiale d’énergie primaire, il serait vraiment trop bête de ne pas en tirer des profits, non ? BlackRock détient donc des milliers d’actions dans des sociétés industrielles de premier plan et gère une grande quantité d’actifs « bruns » (charbon, gaz, pétrole, etc.), notamment de British Petroleum et d’autres.

JPMorgan Chase, Wells Fargo, Citigroup et Bank of America, c’est-à-dire quatre des grandes banques américaines dont BlackRock est un actionnaire majeur, représentent toujours 30 % de tous les investissements effectués dans les hydrocarbures par les 35 plus grandes banques mondiales depuis la signature des accords de Paris sur le climat en 2015.

Dans le secteur de la chimie, BlackRock domine des deux côtés de l’Atlantique avec des participations importantes – entre 5 et 10 % – dans tous les grands groupes chimiques mondiaux : Bayer, BASF, DuPont, Monsanto, Linde et les sociétés françaises Arkema et Air Liquide.

Eviter les chocs

La crainte des Big Three ainsi que de certains « milliardaires verts » tels que Mike Bloomberg, Jeremy Grantham et d’autres, très généreux par ailleurs dans le financement des mouvements écologistes les plus radicaux, notamment via la Fondation européenne du climat, c’est que cela n’aille trop vite !

Si, du jour au lendemain, dans ce qui a été théorisé comme « un moment Minsky du climat », leurs investissements dans les actifs « bruns » deviennent des « actifs échoués » (stranded assets) dont la valeur s’effondre au bénéfice des actifs « verts », tout le système pourrait brutalement s’effondrer.

C’est pourquoi l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, de mèche avec les Big Three et BlackRock en particulier, cherche d’abord à créer un cadre institutionnel. Il sera constitué de banques centrales (Fed, BCE, Banque de France, etc.), de grandes fondations et d’institutions financières multilatérales (FMI, BEI, etc.) capable d’ accompagner une « transition en douceur ».

C’est également le but de ceux qui, à Davos ou dans l’entourage du pape François, se saisissent de la crise du Covid, de la pauvreté extrême des peuples, ou de l’explosion de la dette des Etats, pour réclamer au plus vite une « grande réinitialisation » du système au profit d’une finance verte et malthusienne.

Dans un premier temps, la Banque européenne d’investissement (BEI) et la BCE seront appelées à devenir des « bad banks » vertes, c’est-à-dire qu’elles seront poussées à échanger ou à acheter massivement des actifs « bruns », censés devenir invendables et non rentables. En échange, elles offriront des taux avantageux spécifiques pour toute forme d’investissement « vert ».

Et grâce aux efforts et aux garanties offertes par les institutions publiques et étatiques, le risque final pris par les « investisseurs » (spéculateurs) privés, espèrent-ils, sera proche de zéro.

Le 26 septembre 2018, dans un communiqué de presse publié sur le site de la Fondation européenne pour le climat (ECF), le porte-avion de la mafia climatique, on peut lire :

La France, l’Allemagne, les fondations Hewlett, Grantham et IKEA, ainsi que le gestionnaire d’actifs BlackRock ont annoncé aujourd’hui la création du Climate Finance Partnership lors du sommet One Planet à New York. Il s’agit d’une coopération sans précédent entre philanthropes, gouvernements et investisseurs privés, qui se sont engagés à développer conjointement un véhicule d’investissement qui visera à investir dans les infrastructures climatiques des marchés émergents. Le partenariat cherchera à réaliser des investissements dans un ensemble de secteurs cibles, notamment les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, le stockage de l’énergie et les transports électriques et à faible émission de carbone, dans trois régions, à savoir l’Amérique latine, l’Asie et l’Afrique. BlackRock travaillera avec les membres du Partenariat pour concevoir une structure qui utilise l’élan catalyseur fourni par les membres du partenariat – l’Agence française de développement (AfD) et le ministère allemand de l’environnement, ainsi que la Fondation William et Flora Hewlett, le Jeremy and Hannelore Grantham Environmental Trust et la Fondation IKEA – pour mobiliser et déployer une multitude de capitaux institutionnels pour compléter les investissements dans ce domaine.

Deux ans plus tard, en janvier 2020, BlackRock a officiellement annoncé qu’il entame une politique de « désinvestissement » de l’industrie houillère et qu’elle prend d’autres mesures pour rendre ses actifs plus « durables », un engagement immédiatement salué par des militants écologistes comme une victoire.

Bruns ou verts, les profits d’abord

Cependant, le 13 janvier 2021, le quotidien britannique The Guardian, se rangeant du côté de l’oligarchie financière et promouvant massivement la finance verte, dénonce :

BlackRock détient toujours des investissements d’une valeur de 85 milliards de dollars dans des compagnies minières de charbon, un an après avoir promis de vendre la plupart de ses actions dans l’énergie fossile (…) Une faille dans la politique du gestionnaire d’actifs signifie qu’il est toujours autorisé à détenir des actions dans des sociétés qui tirent moins d’un quart de leurs revenus du charbon, ce qui signifie qu’il a conservé des actions ou des obligations de certains des plus grands mineurs de charbon et pollueurs du monde. Parmi ces sociétés, on trouve le conglomérat indien Adani, les sociétés de matières premières cotées en bourse au Royaume-Uni BHP et Glencore, et le producteur allemand d’énergie RWE, d’après les recherches de Reclaim Finance et Urgewald, deux associations militantes.

Les militants verts ont maintenant demandé au PDG de BlackRock, Larry Fink, de se désengager totalement du charbon, y compris de ses 24 milliards de dollars d’actifs dans des entreprises qui prévoient d’étendre leur production de charbon, comme le japonais Sumitomo et le coréen Kepco.

« Un an plus tard, il est difficile de voir l’engagement de Larry Fink en matière de durabilité comme autre chose qu’un greenwashing », s’est lamentée Lara Cuvelier, une militante de Reclaim Finance. « S’il veut vraiment que BlackRock soit un leader en matière de climat au lieu d’être un paria du climat, il doit commencer à aligner les mots verts sur les actes verts, et diriger l’impressionnant pouvoir financier de BlackRock vers un avenir durable. Après l’année la plus chaude jamais enregistrée, le strict minimum pour BlackRock est de sortir du charbon une fois pour toutes ».

Bien entendu, BlackRock ne peut que conseiller les investisseurs et non décider à leur place. Par conséquent, lorsque les clients ne choisissent pas explicitement d’exclure le charbon, BlackRock affirme qu’elle ne peut pas s’en défaire. Un porte-parole de BlackRock a déclaré : « Notre conviction est que le risque climatique est un risque d’investissement. Nous demandons à toutes les entreprises de divulguer comment leur modèle d’entreprise sera compatible avec la transition vers une économie à faible émission de carbone. Lorsque nous ne constatons pas de progrès suffisants, nous ferons valoir notre vote ».

En clair, la firme votera contre le patron de l’entreprise lors du prochain conseil d’administration, là où la question se pose.

La terreur verte

Au niveau du verdissement de la finance, Larry Fink a mis du temps pour entrer dans la danse. Etant donné que les hydrocarbures fournissent 84 % de l’énergie primaire du monde, BlackRock ne pouvait qu’en tirer profit. Cependant, BlackRock a fini par monter dans le train en marche. Fink assiste désormais à toutes les grandes messes de la finance verte, que ce soit le One Planet Summit, le forum de Davos ou le « Conseil pour le capitalisme inclusif » du Vatican.

En 2018, lors du sommet One Planet à New York, les gouvernements français et allemand ont conclu un « partenariat financier du climat » avec de grandes fondations caritatives et BlackRock pour accélérer la dynamique. En mai 2020, la firme a annoncé qu’elle se désengage du secteur du charbon. Terrorisant les grands groupes industriels, BlackRock, désormais « actionnaire militant », passe du dialogue au vote sanction dans les conseils d’administrations.

En mai 2020, sans proposer la moindre solution de rechange, la firme a menacé de sanctions financières l’entreprise géante KEPCO, l’équivalent d’EDF en Corée, si elle n’abandonne pas du jour au lendemain l’ensemble de ses projets de centrales thermiques dans 27 pays, dont des centrales au charbon en Afrique du Sud, au Vietnam, aux Philippines et en Indonésie ! La missive de BlackRock à KEPCO a été cosignée par d’autres institutions financières mais également par l’Eglise d’Angleterre ! Comme quoi l’écologie dévoyée, la spéculation boursière et le malthusianisme s’érigent en nouvelle « religion ».

De son côté, l’économiste jésuite vert Gaël Giraud, a suggéré à ses élèves de réécrire les règles de la comptabilité des entreprises. Selon lui, la Banque des règlements internationaux (BRI) devrait modifier les règles prudentielles (Bâle III) afin de bonifier les crédits verts et de pénaliser tout investissement brun.

Avec Biden, c’est BlackRock président !

Joe Biden et Larry Fink.

Début 2021, avec la réunion de Davos sur la « Grande réinitialisation » et l’élection de Joe Biden à la tête des Etats-Unis, la transition verte va s’accélérer. Que le président américain Joe Biden, qui a fait du New Green Deal son programme électoral, ait choisi plusieurs hauts responsables de BlackRock pour faire partie de son administration ne devrait surprendre personne.

Joe Biden, il faut le rappeler, est originaire de l’État du Delaware, un petit Etat créé de toute pièce par la famille Dupont, le cartel de la chimie. Or, si le siège social de BlackRock est bien à New York, son adresse juridique, tout comme environ 50 grandes entreprises cotées à la bourse de New York, est à Wilmington, capitale du Delaware. BlackRock y fait travailler plusieurs centaines de personnes, contrairement à d’autres qui n’y ont qu’une boîte aux lettres. Comme le précisent Les Echos, « il s’agit d’un Etat qui a fait de l’évasion fiscale et de l’opacité son principal fonds de commerce. Fait incroyable, il compte désormais plus de sociétés (1,2 million) que d’habitants (950 000) ».

Mais revenons à Biden et BlackRock. Un article très documenté dans The Intercept rapporte que Larry Fink, en 2016, pariait sur la victoire d’Hillary Clinton.

Pour cette éventualité,

Fink a réuni dans son entreprise un véritable gouvernement de l’ombre composé d’anciens fonctionnaires du ministère du Trésor. Fink a clairement exprimé son désir de devenir un jour secrétaire au Trésor. L’administration Obama l’avait inscrit sur la liste des candidats prioritaires pour remplacer Timothy Geithner. Lorsque cela ne s’est pas concrétisé, Fink a attiré plusieurs membres des anciens départements du Trésor à des postes de haut niveau au sein de son entreprise, une tentative pour améliorer les perspectives de réalisation de son rêve dans une future administration Clinton.

Pour sa part, Hillary Clinton ne s’est jamais offusquée à l’idée de nommer un banquier de Wall Street comme secrétaire au Trésor.

De son coté, BlackRock avait déjà embauché dès 2013 comme « directeur indépendant » Cheryl Mills, une intime d’Hillary Clinton et de 2009 à 2013 sa cheffe de cabinet lorsqu’elle était secrétaire d’Etat sous Obama. Fink n’était pas peu fier de sa prise de guerre :

Pendant près de deux décennies, Cheryl a été une conseillère extraordinaire auprès des plus hauts responsables gouvernementaux. Elle apporte une vision unique de la politique publique, de la diplomatie internationale et du développement économique qui ajoutera une dimension et une dimension supplémentaires à notre conseil d’administration déjà très respecté. Tout au long de sa carrière, elle a occupé des postes importants dans le monde des affaires et a prouvé ses capacités sur un marché en pleine expansion et en pleine évolution. Elle apportera une contribution exceptionnelle à notre conseil d’administration.

Parmi le cabinet de l’ombre de Fink voici ceux qui se préparaient à intégrer en 2016 une éventuelle administration Clinton :

  • Christopher Meade, ancien avocat général au département du Trésor, qui occupe désormais une fonction similaire chez BlackRock ;
  • Katheryn Rosen, passée, après 14 ans à la direction de JPMorgan Chase, directrice générale de BlackRock. Rosen a été la conseillère politique principale de Barney Frank, le président de la commission des affaires financières de la Chambre des représentants. A ce titre, elle a contribué à la rédaction de la loi Dodd-Frank, une stratégie perverse pour contrer tout retour à une véritable loi Glass-Steagall ;
  • Kendrick Wilson, vice-président de BlackRock depuis 2010, qui a des liens avec Goldman Sachs, Lazard et le département du Trésor. Il a conseillé le Trésor pendant qu’il gérait la crise financière et ses retombées en 2008 et 2009, avant de rejoindre BlackRock ;
  • Coryann Stefansson. Elle a été en charge de la supervision bancaire au sein du Conseil de la Réserve fédérale. Elle a été directrice générale de BlackRock avant d’intégrer la Securities Industry and Financial Markets Association, le principal lobby professionnel des traders ;
  • Gary Reeder : Ancien haut fonctionnaire du Trésor et du Consumer Financial Protection Bureau (CFPB) qui a quitté BlackRock en septembre 2016 pour rejoindre Chain Bridge Partners, un cabinet de conseil en réglementation financière. En 2018, il a rejoint le Financial Health Network, un lobby et laboratoire d’idées de l’industrie financière ;
  • Michael Pyle, qui a travaillé comme directeur chez BlackRock jusqu’en octobre 2015 au moins, et qui a été conseiller principal de Lael Brainard lorsqu’elle était sous-secrétaire au Trésor pour les affaires internationales ; Pyle a également travaillé à la Maison Blanche pour le Conseil économique national et l’Office of Management and Budget (OMB).

The Intercept, dans le même article, précise :

Les gestionnaires d’actifs ne conditionnent pas et ne vendent pas de produits financiers douteux comme les banques d’investissement, et ne négocient pas avec de l’argent emprunté comme les fonds spéculatifs, de sorte qu’ils sont généralement considérés comme plus modérés et moins réticents à la réglementation que leurs collègues de ces secteurs connexes. Mais ils sont intégrés dans le système financier plus large en tant qu’acheteurs voraces de titres.... Ils ne créent peut-être pas le risque, mais ils en possèdent une grande partie.... La question de savoir si les sociétés comme BlackRock représentent un risque systémique pour le système financier fait l’objet d’un certain débat. Certains pensent que les gestionnaires d’actifs pourraient déclencher des problèmes en ne remboursant pas leurs contreparties ou en étant contraints de vendre leurs actifs au rabais.

L’article souligne que Fink et BlackRock ont fait tout leur possible pour résister à la désignation des gestionnaires d’actifs comme des « institutions financières d’importance systémique » (ou SIFI), qui seraient soumises à une réglementation supplémentaire, notamment à des exigences de fonds propres plus élevées.

L’article révèle également que, directement aux antipodes de tout ce qu’ont défendu Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade en tant que régulation bancaire,

Fink s’oppose également aux efforts visant à rétablir le pare-feu Glass-Steagall entre les banques d’investissement et les banques commerciales, de même qu’[Hillary] Clinton.

Or, en réalité, le rétablissement de la loi Glass-Steagall ouvrirait la voie à une renaissance économique et industrielle, non seulement aux Etats-Unis mais également à l’étranger.

Le « moment Biden »

Joe Biden a choisi deux cadres de BlackRock pour son administration : Wally Adeyemo (à gauche) et Brian Deese.

Ce que BlackRock n’a pas réussi à imposer sous Trump, il espère maintenant le mettre en œuvre sous Biden.

  • Pour commencer, Biden a nommé l’avocat Adewale « Wally » Adeyemo, l’ancien chef de cabinet de Larry Fink, au poste de secrétaire adjoint au Trésor, c’est-à-dire en tant que numéro deux de Janet Yellen, l’ancienne présidente de la Réserve fédérale sous Obama.

    Dès le début, les donateurs de Biden avaient suggéré qu’il nomme Larry Fink au poste de secrétaire au Trésor ! Lourde en symboles, cette proposition était probablement un peu trop controversée pour une investiture. A cela s’ajoute que Biden veut caresser les écologistes dans le sens du poil et que ces derniers, comme nous l’avons vu, sont en guerre, pour l’instant, contre BlackRock, soupçonné de pratiquer le greenwashing, c’est-à-dire jugé toujours pas assez vert !

    Adeyemo, qui est né au Nigeria mais a grandi en Californie, a d’abord travaillé comme rédacteur en chef du « Projet Hamilton », un groupe de réflexion économique relevant de la Brookings Institution mis en place par Peter Orszag, confident d’Obama et cadre de la banque d’investissement Lazard Frères.

    Adeyemo est également membre du cercle des fossoyeurs du Glass-Steagall Act, dont font partie Larry Summers, Timothy Geithner, Robert Rubin et Eric Schmidt du groupe Alphabet (Google). Adeyemo a été le négociateur en chef pour le grand accord de libre-échange ultra-libéral appelé le partenariat transpacifique. Sous Obama, en 2015, il a été nommé conseiller adjoint à la sécurité nationale pour l’économie internationale avant de prendre la présidence de la Fondation Obama.

  • Ensuite, Joe Biden a nommé Brian Deese au poste de directeur du Conseil économique national, directement en charge de conseiller la présidence. Sur le site internet de BlackRock, on trouve encore le CV de Deese :

    Brian Deese, directeur général [de BlackRock], est le responsable mondial de l’investissement durable chez BlackRock. L’équipe chargée des investissements durables s’attache à identifier les facteurs de rendement à long terme associés aux questions environnementales, sociales et de gouvernance, à les intégrer dans l’ensemble des processus d’investissement de BlackRock et à créer des solutions permettant à nos clients d’obtenir un rendement durable de leurs investissements. Auparavant, Brian a travaillé à la Maison-Blanche sous le président Obama où il était le conseiller principal du président pour la politique climatique et énergétique, aidant à négocier l’accord de Paris sur le climat et d’autres initiatives nationales et internationales.

  • Enfin, toujours en provenance de BlackRock, Michael Pyle, un ancien de l’administration Obama qui a également travaillé sur la politique économique lors de la campagne présidentielle d’Hillary Clinton et que nous avons déjà mentionné, a été nommé économiste en chef de la vice-présidente Kamala Harris.
  • Joe Biden avait initialement envisagé de nommer Tom Donilon, le président du BlackRock Investment Institute (BII), à la tête de la CIA, mais cela ne s’est pas concrétisé. Tom Donilon, à part d’être le frère du principal conseiller média de Biden, Mike Donilon, est membre de la Commission Trilatérale, du Conseil des relations étrangères (CFR) et du conseil exécutif de la secrète Bilderberg Society.
La salle de guerre de la Maison-Blanche, le 1er mai 2011, c’est-à-dire le jour de la capture et l’exécution de Ben Laden. Déjà, on y retrouve le vice-président de l’époque Joe Biden et son Conseiller Tony Blinken, aujourd’hui Secrétaire d’Etat. A noter, la présence de Tom Donylon, le Conseiller national à la Sécurité d’Obama. Il est le Président du BlackRock Investment Institute (BII). On y voit également la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton, dont la chef de cabinet, Cheryl Mills (pas sur la photo), sera embauchée par BlackRock en 2013.

Conclusion

Les citoyens américains et ceux du monde entier doivent prendre conscience que The Big Three contrôlent leurs ordinateurs, leur nourriture, leurs magasins, leur industrie, leurs moyens de communication, leur énergie, leur santé, leurs banques et maintenant leur gouvernement. En bref, les conditions mêmes de leur existence et celle de leurs proches.

Le fait que les Big Three détiennent ensemble entre 12 à 20 % des actions des 10 plus grandes banques américaines en dit long sur le supposé « libre marché ».

Si l’on y ajoute le quatrième gestionnaire d’actifs, Fidelity, on se rend compte que les « Big Four » détiennent, à eux seuls, non seulement 80 % du capital des 500 plus grands groupes américains de l’indice S&P 500, mais l’essentiel des grands groupes bancaires américains avec 19 % du capital de la première banque américaine, JP Morgan Chase, 17 % de Bank of America et 22 % de Citigroup.

Les « Big Four » sont également les quatre premiers actionnaires d’Apple avec 18 % au total tout en figurant parmi les six principaux actionnaires de son concurrent, Microsoft (17 %).

En économie, on parle « d’actionnariat horizontal » lorsque plusieurs investisseurs détiennent de fortes participations dans des entreprises de la même branche. Ce phénomène est accusé de réduire la concurrence dans les branches à fort degré de concentration et de pénaliser le consommateur. Si dans une ville, tous les restaurants appartiennent au même restaurateur, à quoi bon lancer une guerre des prix ?

Même Jack Bogle, le fondateur de Vanguard, et considéré comme le « père » des ETF, estime qu’il y a trop d’argent dans trop peu de mains. En novembre 2018, lors d’une réunion du très influent Conseil des relations étrangères de New York, Bogle a souligné qu’il s’agit de « 20 % aux mains d’un oligopole de trois ». C’est dommage qu’il n’y ait pas plus d’acteurs dans le secteur, a-t-il regretté. La position oligopolistique de BlackRock et ses faux-nez n’a cessé d’inquiéter.

Au point qu’en 2016, le Conseil économique de la Présidence américaine avait commandé une étude sur le sujet. Dans un article qui faisait le tour du problème, publié le 30 septembre 2016, le site financier The Street titrait : « Pourquoi Larry Fink peut devenir la prochaine cible des régulateurs ».

Reste donc à créer la volonté politique pour prendre le taureau ou plutôt le « veau d’or » de Wall Street par les cornes. Historiquement, depuis le Sherman Anti-Trust Act du 2 juillet 1890, complété par le Clayton Antitrust Act de 1914, différentes législations sont censées interdire toute entente de marchés et garantir le droit à la concurrence.

Ici le trou dans la raquette est plus grand que le court de tennis.

Un procureur courageux s’intéressant à l’affaire, vu l’ensemble des éléments esquissés dans cet article, devrait démontrer la réalité, ou non, des délits suivants :

Faute de cela, il est évident que The Big Three sont de facto une Institution financière d’importance systémique. Ils devraient donc légalement assumer les devoirs en termes réglementaires que cela implique.

Il est clair qu’actuellement BlackRock fait des heures supplémentaires pour profiter du « moment Biden » pour verdir la finance mondiale, peu importe les dégâts qui en résulteront.

Car il s’agit bien, non pas de « sauver le climat », mais de sauver un empire financier mondial dont la faillite est aussi élégante, comme dirait la fable, que les Habits neufs (invisibles) de l’Empereur.

Le moment est venu, chère lectrice, cher lecteur, pour en savoir plus, de vous procurer notre indispensable dossier « Le New Deal vert : Sortir du piège de la finance verte ».


[1Une banque consignataire (en anglais custodian bank) est une une institution financière chargée de protéger les actifs financiers d’une entreprise ou d’un particulier en dehors des pratiques bancaires traditionnelles.