Une ambition nécessaire pour la France et Le Havre à l’heure des Nouvelles Routes de la soie

samedi 23 mars 2019

Le port du Havre
Le port du Havre

Alors que l’Italie, dans la cadre des Nouvelles Routes de la soie, s’apprête à signer un protocole d’entente avec la Chine pour co-investir dans des nouvelles infrastructures de transport, notamment portuaires, la France se montre bien timide et cadenassée par les règles européennes qu’elle s’est imposée à elle-même.

Le texte ci-dessous est une note rédigée par Solidarité & Progrès qui a été transmise dès juin 2017 au gouvernement français. Y sont explorées différentes pistes pour permettre une coopération renforcée et gagnant-gagnant entre la France et la Chine, partant, car il y a urgence, de la nécessaire modernisation d’Haropa, le grand axe portuaire unissant Le Havre, Rouen et Paris. Il serait faux d’affirmer que rien n’a été fait depuis mais il est incontestable que l’essentiel reste devant nous.

A l’occasion de la visite de Xi Jinping dans notre pays, il est indispensable de remettre le sujet sur la table.

Note à l’attention de l’exécutif
Juin 2017.

Sujet : Une ambition nécessaire pour la France et Le Havre à l’heure des Nouvelles Routes de la soie.

Sommaire exécutif

Bien que d’autres projets possèdent un caractère tout aussi « stratégique » — nous pensons notamment à la réalisation des canaux de jonction reliant la Marne, la Meuse et le Rhin avec le bassin rhodanien, projet dit de « la patte d’oie » — nous avons ici choisi le cas du Havre, non pas parce que le Premier ministre en fut maire, mais parce que les années de désinvestissement qui ont causé le déclin de son port, alors qu’il s’agit de l’artère économique la plus importante de notre économie nationale, révèle de façon caricaturale l’insouciance économique suicidaire avec laquelle il s’agit de rompre. Car le sous-investissement dans les équipements portuaires et surtout les infrastructures fluviales et ferroviaires, qui assurent dans l’arrière-pays (le « hinterland ») l’arrivée des marchandises chez les consommateurs et, dans le sens opposé, l’exportation rapide de nos productions, atteint un niveau tragique.

En partant du succès retentissant de la nouvelle politique chinoise des « Nouvelles Routes de la soie » terrestre et maritime, nous proposons ici d’explorer les possibilités nouvelles de financement et d’investissement que celle-ci offre à la France, à condition de s’inscrire dans une stratégie correspondant à nos intérêts à long terme.

Depuis dix ans, la Chine a construit 20 000 km de voies de chemin de fer rapide. En confondant les causes et les effets, les économistes nous disent que cela a pu se faire grâce au taux de croissance de son économie. Par déduction, il faut comprendre que tant qu’on n’a pas cette croissance, on n’aura pas de quoi investir dans les infrastructures !

Nous affirmons le contraire : c’est en investissant massivement dans la connectivité intermodale de son économie que la Chine a pu atteindre des taux de croissance qui continuent à nous impressionner et sortir des millions de citoyens de la précarité. L’Inde et la Chine fabriquent à grande échelle des classes moyennes qui, chez nous, risque de disparaître si nous ne changeons pas résolument de pratique.

Le succès de cette politique démontre incontestablement que « la connectivité » est une des clés majeures pour la croissance comme l’exprime si bien ce dicton chinois : « Si tu veux t’enrichir, construit une route. » Il existe un précédent historique en France : le « plan Freyssinet », investissement groupé et sans précédent dans les infrastructures portuaires, fluviales et ferroviaires entre 1878 et 1914, du nom de ce proche de Gambetta qui avait compris que la bataille des ports se gagnait sur la terre ferme.

Or, le nouveau contexte international façonné par la politique des Nouvelles Routes de la soie exige de nouvelles formules de cofinancement permettant de réaliser des grands projets. La Banque asiatique pour l’investissement dans les infrastructures (BAII), les fonds souverains « de contrepartie », les crédits « mobilisables », la création d’une banque dédiée, un emprunt public, le crédit productif public constituent une « boîte à outils » disponible. Chez nous, ces sources de financement viendraient utilement compléter les sources existantes (Union européenne, Etat, collectivités).

Nous soumettons cet argumentaire à Monsieur le Premier ministre en espérant appeler son attention sur ce sujet essentiel. En tant que maire du Havre, il a déjà acquis une pratique locale de la Chine grâce à la convention d’affaires China-Europa qui s’est tenue cinq fois dans sa ville entre 2006 et 2013, ainsi que deux fois en Chine où il s’est rendu à plusieurs reprises, notamment pour y rencontrer le Premier ministre Li Keqiang en 2013 et, en 2014, pour présider China-Europa à Shenyang, ville industrielle du nord jumelée avec Le Havre.

Encore maire du Havre, il avait rappelé, dans ses vœux de nouvelle année 2017, la lucidité de François 1er lorsqu’il avait décidé, il y a 500 ans, de lancer la construction du port du Havre pour répondre aux besoins stratégiques de l’époque. Un même courage est nécessaire pour relever les défis d’aujourd’hui.

Toute action volontariste pour débloquer la situation du Havre permettra immédiatement à la France de gagner en productivité et donc en compétitivité. C’est ce combat qu’il s’agit de gagner. Il nous permettra en outre d’occuper une position dominante dans les échanges internationaux, en particulier à l’échelle euro-asiatique.

Note à l’attention de l’exécutif
Juin 2017.

Sujet : Une ambition nécessaire pour la France et Le Havre à l’heure des Nouvelles Routes de la soie.

  1. Faire du Havre un levier pour la relance de l’économie française
  2. La connectivité, clé pour la croissance
  3. Le Havre dans le nouveau contexte mondial
  4. Accorder nos paradigmes
  5. Financements
  6. Conclusion

1. Faire du Havre un levier pour la relance de l’économie nationale

Bien que d’autres projets possèdent un caractère tout aussi « stratégique » —nous pensons notamment à la réalisation des canaux de jonction reliant la Marne, la Meuse et le Rhin avec le bassin rhodanien, projet dite de « la patte d’oie »— nous nous concentrons ici sur le cas du Havre, non pas parce que le Premier ministre en fut maire, mais parce que les années de désinvestissement qui ont causé le déclin de son port, alors qu’il s’agit de l’artère économique la plus importante de notre économie nationale, révèle de façon caricaturale l’insouciance économique suicidaire avec laquelle il s’agit de rompre.

Le même courage que celui que manifesta François 1er en son temps pour lancer la construction du port, est nécessaire pour relever les défis d’aujourd’hui. Car le sous-investissement dans les équipements portuaires et surtout les infrastructures fluviales et ferroviaires qui assurent dans l’arrière-pays (le « hinterland ») l’arrivée des marchandises chez les consommateurs et, dans le sens opposé, l’exportation rapide de nos productions, atteint un niveau tragique. Ce « seuil de saturation » doit être dépassé.

Inversement, toute action volontariste pour débloquer la situation du Havre permettra immédiatement à la France de gagner en productivité et donc en compétitivité.

A ce jour, pas moins de 87 % des marchandises arrivant au Havre en repartent par la route, le reste étant partagé entre le fluvial et le fret ferroviaire. Résultat ? Avec l’augmentation des échanges, les bouchons explosent et la compétitivité s’effondre. A tel point que les grands armateurs menacent de bouder le port normand. Pour les experts, Le Havre risque ni plus ni moins d’être « rayé de la carte maritime mondiale », situation qui ira s’aggravant si le canal Seine-Nord-Europe est construit de façon isolée. Faut-il attendre le décès du malade pour tenter de le réanimer ?

N’est-il pas temps de penser l’axe Haropa (Le Havre-Rouen-Paris) comme un tout, c’est-à-dire comme la colonne vertébrale de ce vrai « grand Paris » qu’on n’arrivera jamais à faire naître en multipliant les boucles, les ceintures et les rocades autour de la capitale.

Pour Le Havre, 2e port de commerce français, un véritable « plan Marshall » doit s’articuler autour de trois grands axes :

a) Face à l’extrême urgence, il faut investir 750 millions d’euros pour fluidifier le trafic en améliorant drastiquement la connectivité du port avec le fluvial et le ferroviaire :

— Au niveau fluvial, il s’agit de réaliser pour les barges fluviales poussées qui doivent pouvoir repartir, via le canal de Tancarville, sur la Seine, un accès direct au Port 2000, le terminal principal où sont débarqués les conteneurs. Cet accès s’appelle une « chatière » (100 millions d’euros) et mieux encore, la fameuse écluse (environ 300 millions d’euros) prévue dès le début mais jamais réalisée (reliant le Port 2000 à la darse de l’Océan).

— Au niveau ferroviaire, il s’agit de l’électrification, en cours mais trop lente, de la ligne Serqueux-Gisors (300 millions d’euros), afin de disposer très vite d’une plus grande capacité de fret ferroviaire desservant le nord de Paris.

b) Ensuite, il faut environ 1,7 milliard d’euros (Plan stratégique, UMEP, janvier 2017) pour effectuer toute une série de travaux de maintenance, de mise à niveau et de modernisation du port (dont 220 millions d’euros pour le « Grand canal » et 1 milliard d’euros rien que pour l’extension du Port 2000, qui est essentielle).

c) Enfin, tout comme Anvers qui, avec son projet de « Rhin d’acier » cherche à réaliser une ligne de chemin de fer la reliant à Duisbourg, le plus grand port intérieur d’Europe, Le Havre aura besoin d’un « Seine de fer », c’est-à-dire une voie ferroviaire dédiée au trafic des marchandises, la reliant aux grandes plateformes logistiques de la région parisienne et au-delà, capable d’atteindre, via Amiens, le Nord et via Reims et Metz, le bassin du Rhin (Mannheim).

Lors de sa campagne, Emmanuel Macron a laissé entendre qu’il requalifierait (s’il était élu) au moins une partie de la dette de la SNCF (57 milliards d’euros en 2016) en dette d’Etat afin de lui permettre de s’engager dans des investissements d’avenir. D’autres défendent la solution d’une caisse d’amortissement de la dette ferroviaire (CADEF), c’est-à-dire son rééchelonnement dans le temps.

A propos du Havre, le projet de la SNCF pour la Ligne nouvelle Paris Normandie (LNPN), à part raccourcir le temps du trajet, est supposé libérer « des sillons » (du temps de passage) pour les trains de marchandises. Malheureusement, le projet n’est pas à la hauteur du défi : ajoutant des sections nouvelles à des sections anciennes rénovées, le projet n’acte toujours pas ce que tout le monde attend : une séparation stricte des flux (voyageurs/marchandises) au plus grand bénéfice de tous. De plus, ce projet de simple reconfiguration a un coût exorbitant de 10 à 15 milliards d’euros, c’est-à-dire, pour une distance totale d’environ 361 km (distance du trajet complet reliant Caen et Le Havre à Paris, via Rouen), pas moins de 40 millions le km, c’est-à-dire presque trois fois le coût d’une ligne TGV (15 à 20 millions le km)…

Comme alternative, nous proposons de « rouvrir » le dossier de l’aérotrain (voir Annexe), une technologie bien plus éprouvée que celle du projet ultra coûteux et élitiste d’Hyperloopd’Elon Musk (49 millions d’euros le km) dans laquelle la SNCF s’est engouffrée. Les mises en scène spectaculaires de Hyperloop cachent mal le vide qui entoure les principes physiques que ce projet compte mettre en œuvre.

2. La connectivité, clé de la croissance

Il n’y a pas d’argent, nous dit-on ? La connectivité est une des clés majeures de la croissance, comme l’exprime si bien ce dicton chinois : « Si tu veux t’enrichir, construit une route. »

Depuis dix ans, la Chine a construit 20 000 kms de voies de chemin de fer rapide. En confondant les causes et les effets, les économistes nous disent que cela a pu se faire grâce au taux de croissance de son économie. Par déduction, il faut comprendre que tant qu’on n’a pas cette croissance, on n’aurai pas de quoi investir dans les infrastructures.

Nous affirmons le contraire : c’est en investissant massivement dans la connectivité intermodale de son économie que la Chine a pu atteindre des taux de croissance qui continuent à nous impressionner et sortir des millions de citoyens de la précarité. L’Inde et la Chine fabriquent à grande échelle des classes moyennes qui chez nous risquent de disparaître si nous ne changeons pas résolument de pratique.

Il existe un précédent en France : le « plan Freyssinet » entre 1878 et 1914, du nom de ce proche de Gambetta qui avait compris que la bataille des ports se gagnait sur terre ferme.

3. Le Havre dans le nouveau contexte mondial

Le Forum des 14 et 15 mai, qui s’est tenu à Beijing sur les « Nouvelles Routes de la soie » (One Belt, One Road, OBOR, ou Belt and Road Initiative, BRI), nous rappelle que le monde est réellement en marche.

Cet événement historique consolide le processus lancé par le président chinois Xi Jinping en 2013, lorsqu’au cours d’un discours prononcé au Kazakhstan, il annonça sa stratégie de « Nouvelles Routes de la soie » maritime et terrestre.

Depuis, 70 nations ont signé avec la Chine des accords d’un type nouveau. A un ordre du monde où les rapports entre nations ne pouvaient être que des jeux « à somme nulle », nécessairement « perdant-gagnant », Beijing entend substituer un nouvel ordre « gagnant-gagnant » où tous, petits ou grands, pourront trouver leur intérêt.

Ainsi, rien qu’en 2016, grâce à une myriade de nouvelles connections ferroviaires, 1700 convois de fret, parcourant plus de 17 millions de kilomètres, soit l’équivalent de 424 fois le tour du Globe, ont pu faire des allers-retours entre la Chine et les grands centres industriels autour des ports de Rotterdam, Anvers, Lyon, Duisbourg et Venise. Tout au long de leur trajet, ces nouvelles routes engendrent de vastes couloirs de développement économique où émergent des écoles, des hôpitaux et des lieux d’échange entre les peuples. Preuve en sont les projets pour la Nouvelle Route de la soie maritime en voie de réalisation et les investissements prévus à cet effet à Djibouti, au Kenya, au Panama, en Inde, en Malaisie, en Egypte ou en Grèce.

A terme, et surtout grâce à des banques et des fonds dédiés au financement des infrastructures (Nouvelle Banque de développement (NBD), BAII, Silk Road Investment Fund, etc.), 1000 milliards de dollars ont déjà été investis, soit, en valeur monétaire actualisée, l’équivalent de 12 fois l’argent du plan Marshall ! Le moment historique que nous vivons est une occasion unique à saisir pour nous sortir des années de crise et de risque de guerre.

4. Accorder nos paradigmes

Le premier défi à relever, sans doute le plus important, c’est celui du changement de paradigme. Par leur vote, les Français ont fait savoir qu’ils comprennent bien que le chômage, la dégradation des services publics, la baisse de niveau de l’éducation, la désindustrialisation et l’augmentation des inégalités et de la précarité ne sont que les fruits amers de choix opérés il y a des décennies. Depuis quarante ans, une partie de l’élite a choisi le paradigme d’une société « postindustrielle », imposant chez nous une mondialisation purement financière qui prospère au détriment de l’humain et de plus en plus au détriment même du développement économique.

Créer des richesses dans l’économie réelle signifie penser le temps long. Y renoncer nous ramène à l’enfer du court terme. Car le temps des profits financiers n’est pas celui du travail humain. Au lieu de tirer sa richesse de l’industrie, de l’agriculture et de l’innovation scientifique, la France allait s’enrichir grâce à la finance, aux cosmétiques, à l’industrie du luxe, au tourisme et aux services, nous disait-on. En fait, l’absence de stratégie industrielle, l’incapacité à maîtriser la révolution numérique, l’abandon tragique d’une politique inclusive du transport et d’investissement dans la logistique et la recherche ont conduit à accepter un paradigme suicidaire. Ceux qui veulent participer à la relève de notre économie nous demandent aujourd’hui une autre démarche politique.

5. Financements

Dans l’absolu, le changement global de cap et de paradigme que nous préconisons exigerait un recadrage radical d’une finance dérégulée. Il passera par quatre types de mesures dont l’efficacité dépendra de leur mise en œuvre simultanée :

  • stricte séparation des banques (crédit et dépôts/marché)
  • restructuration de l’endettement, notamment de la SNCF
  • retour à une politique de « crédit productif public »
  • organisation d’une planification indicative et d’une réelle politique d’aménagement du territoire rattachées au Premier ministre.

En attendant ces mesures, on peut déjà augmenter notre coopération avec les fonds souverains d’Asie et d’ailleurs. Cependant, comme le président de la République l’a souligné lors du dernier sommet européen, pour que cela fonctionne bien, il nous faut des règles claires.

Notons d’abord que l’expérience de 2008 démontre qu’il est dangereux pour eux — et illusoire pour nous — d’amener ces fonds souverains (ou des hedge funds américains) à renflouer chez nous des institutions bancaires insolvables et gangrénées par des spéculations financières, alors qu’elles ne méritent rien d’autre que la liquidation judiciaire.

Ensuite, il est tout aussi insensé, tant sur le plan économique que sur le plan politique, de leur offrir un « open bar » en leur vendant un à un nos bijoux de famille, c’est-à-dire en bradant à bas prix les fleurons de notre économie nationale et le savoir-faire scientifique et technologique qu’ils portent.

Actuellement, certains de ces fonds, par souci de diversification, ont choisi d’investir davantage dans des actifs réels plutôt que d’acquérir des titres de bons de trésor, comme le font traditionnellement les banques centrales. Outre les financements classiques de l’UE, des régions et de l’Etat, le contexte actuel est donc propice pour solliciter d’autres sources de financement en mesure d’investir dans de gros projets comme celui de l’axe Haropa.

La bonne nouvelle, c’est que depuis une décennie, de nouvelles formes de coopération ont vu le jour, notamment en France.

Examinons brièvement les avantages et les désavantages des pistes qui nous semblent les plus prometteuses :

Tout d’abord, en tant que membre fondateur de la BAII, la France est en bonne position pour participer à la définition de projets d’infrastructures de transport, de systèmes d’énergie, de réseaux d’eau et d’urbanisme. Cofinancés par la banque, ces projets bénéficieront aux entreprises françaises qui répondront aux appels d’offres internationaux.

Au niveau des fonds souverains, plusieurs initiatives ont vu le jour en France : la création en 2009 du Club des investisseurs à long terme (LTIC) et l’implantation à Paris en 2011 de l’Institutional Investors Roundtable (IRR). A cela s’ajoute la Caisse des Dépôts et des Consignations (CDC) qui, avec la création en 2014 de CDC International Capital (CDC IC), est devenu leader d’une nouvelle catégorie de fonds souverains, d’une nature un peu différente, dans des pays qui ne sont pas fondamentalement exportateurs de capitaux, mais ont, au contraire, une problématique d’attraction des capitaux. Ces véhicules sont en quelque sorte des « fonds souverains de contrepartie », en capacité de co-investir avec des fonds souverains étrangers en créant un alignement d’intérêts pour les attirer dans notre économie, tout en gardant la main sur les technologies sensibles ou les domaines qui touchent à la sécurité nationale.

Comme le précise Laurent Vigier, le directeur de CDC IC, l’objectif est « d’organiser une mise en relation du groupe avec ces acteurs, non pas sous forme d’une intermédiation, mais sous le mode d’une relation de pair à pair. Or, dans l’environnement français, seul le groupe Caisse des Dépôts pouvait exciper d’une ancienneté de près de 200 ans, d’une taille critique suffisante avec plus de 400 milliards d’euros de capitaux à sa disposition, et aussi d’une diversité de champs d’intervention allant des entreprises aux infrastructures, qui pouvaient permettre d’engager le dialogue d’égal à égal avec les fonds souverains. »

Ainsi, CDC IC, dont la capacité d’investissement atteint aujourd’hui à peine 4 milliards d’euros, est en charge de gérer un ensemble de partenariats stratégiques avec Qatar Investment Autority (Qatar), Mubadala (Abu Dhabi), Kingdom Holding Company (Arabie saoudite), Russian Direct Investment Fund (Russie), China Investment Corporation (Chine) et Korea Investment Corporation (Corée).

D’abord, en 2012, CDC Entreprises (devenu Bpifrance Investissement) avait signé un accord avec la China Development , créant à parité un fonds de près de 150 millions d’euros, dénommé Cathay Capital, permettant à la Chine d’investir dans des PME françaises. Fonds d’entrepreneurs pour les entrepreneurs, Cathay Capital Private Equity est la première société de gestion franco-chinoise indépendante agréée par l’AMF.

Ensuite, en novembre 2015, CDC IC a noué un premier accord avec le fonds d’Etat chinois China Investment Corporation (CIC, doté de 800 milliards de dollars) pour mobiliser un milliard d’euros en faveur des projets du Grand Paris. Il s’agit d’investissements dans l’immobilier mais également dans des infrastructures de transport sur le territoire français. Et plus récemment, le 19 mai, une intervention de la CDC IC, cette fois de concert avec un fonds souverain russe, a permis de remettre sur les rails le groupe verrier Arc International basé à Arques, dans le Pas-de-Calais.

Enfin, pour ce qui est de la coopération franco-chinoise, elle s’étend désormais à l’Afrique et l’Asie. En décembre 2016, dans la foulée de la visite du Premier ministre chinois, la CDC IC et le fonds d’Etat chinois CIC ont créé un fond de 300 millions d’euros qui pourra atteindre 2 milliards d’euros en s’ouvrant à d’autres investisseurs institutionnels français et chinois, pour investir ensemble en Afrique. « Cette alliance d’un nouveau type, scellée au travers de ce fonds, vise à promouvoir la coopération économique entre nos deux pays. Plutôt que d’être en concurrence frontale en Afrique, nous investirons en partenariat », précise Laurent Vigier.

Ce dernier rappelle que « les fonds souverains sont des institutions financières professionnelles, mais aussi des acteurs liés à des Etats. Or, dans la logique des Etats, il apparaît de plus en plus clairement que la mondialisation ne doit pas être un jeu à somme nulle, où certains gagnent et d’autres perdent. Les fonds souverains deviennent un élément potentiel de rééquilibrage ou de négociation entre les Etats, pour organiser une réciprocité dans les bénéfices issus de la mondialisation ».

6. Conclusion

Ces initiatives, bien que particulièrement intéressantes, ne sont pas encore à la mesure d’une grande politique de coopération et de développement mutuel qu’il reste à définir et appliquer, sans vision courte ni complaisance envers nos partenaires.

Le surcoût généré par les Partenariats public-privé (PPP) en France et l’incapacité manifeste de l’administration Trump à convaincre le secteur privé d’investir dans des projets dont la rentabilité ne se matérialise qu’à long terme, nous conduit à affirmer que, dans le domaine des grandes infrastructures, c’est surtout par l’action de la puissance publique (et accessoirement des financements européens) que nous pourrons mettre la France, y compris le secteur privé, en marche.

Rappelons qu’un Etat, de par sa taille et sa capacité à repartir le risque sur un grand nombre de contribuables (y compris sur plusieurs générations de contribuables), peut seul le rendre maîtrisable au niveau individuel. Une entreprise, pour sa part, ne peut diluer le risque que sur un nombre limité d’actionnaires et peine, de ce fait, à porter le risque de projets de grande taille.

Par ses propres moyens, l’Etat français, via la branche CDC Infrastructures (qui dispose depuis 2010 d’une enveloppe de 1,5 milliard d’euros, dont elle a déjà consommé près d’un milliard) et la Bpi, devrait augmenter ses capacités d’investissement dans les infrastructures lourdes. Et Bruxelles devrait accorder une dérogation à la France pour creuser son déficit, puisqu’il s’agit, par le succès d’une politique volontariste de relance économique, de pérenniser la survie de l’UE, actuellement menacée par une conception monétariste à courte vue.

Au niveau du crédit accordé par les banques, on pourrait s’inspirer de ce qui a marché avec succès dans l’immédiat après-guerre (1944-48), c’est-à-dire avant même l’arrivée des aides du plan Marshall. Alors que la Banque de France faisait des avances au Trésor permettant de financer la reconstruction de villes comme Le Havre, Caen, etc., les banques rechignaient à faire du crédit aux entreprises.

Ce problème fut résolu lorsqu’on décida, à la demande de Wilfrid Baumgartner, de rendre les crédits à moyen et à long terme « mobilisables », c’est-à-dire que les banques pouvaient les porter à l’escompte auprès du Crédit national et de la CDC, qui pouvaient, à leur tour, les faire réescompter par la Banque de France.

Aujourd’hui, l’Etat pourrait également étudier la création d’une nouvelle banque publique qu’on pourrait baptiser « Banque pour l’équipement de la nation » (BPEN). Abondée par la CDC et la BPI (Aujourd’hui à 50 % aux mains de la CDC et avant tout orientée vers le financement des entreprises), cette nouvelle banque pourrait consacrer l’ensemble de son bilan aux investissements infrastructurels décidés par le Premier ministre, sur conseil d’un Commissariat au Plan rétabli dans les conditions du XXIe siècle, c’est-à-dire en explorant les atouts du numérique. Des fonds souverains étrangers pourraient en devenir des actionnaires minoritaires.

Pour sa part, la Chine a exprimé à plusieurs reprises son souhait d’investir dans les infrastructures physiques de notre pays. Cela peut se faire dans la confiance mutuelle et dans un esprit gagnant-gagnant, par des cofinancements plus conséquents avec la CDC IC dont la capacité d’investissement (4 milliards d’euros) devrait être substantiellement accrue.

Ces pistes font apparaître le proverbial éléphant dans le salon que personne n’ose voir : à l’intérieur du système actuel, les « bras financiers » de l’Etat français, anciens ou nouveaux, manquent et manqueront cruellement de capitaux mobilisables pour répondre au volume d’investissements productifs que nous proposent la Chine et d’autres fonds souverains.

Pour y remédier, deux solutions :

1. Il pourrait s’agir d’un grand emprunt à souscription publique permettant de mobiliser l’épargne des Français (100 milliards d’euros en livrets, titres et assurance-vie en 2016) en investissements productifs. L’idée n’est pas nouvelle et les précédents sont nombreux. Initiée en 1952 par Antoine Pinay pour la reconstruction après la IIe Guerre Mondiale, la recette a successivement été reprise par Valéry Giscard d’Estaing en 1973 pour amortir le premier choc pétrolier, par Raymond Barre en 1977 à la suite de la sécheresse et enfin par Edouard Balladur en 1993 afin « d’envoyer un message de solidarité nationale ». Michel Rocard (et même Christine Lagarde, ministre de l’Economie, en 2009) évoquait l’utilité d’un grand emprunt pour financer des investissements d’avenir « dont la rentabilité à court terme n’est pas évidente », en citant notamment « l’économie de la connaissance, l’investissement dans le réseau numérique, l’infrastructure de manière générale ». Le seul hic, c’est qu’un tel emprunt à souscription publique est généralement assez coûteux, puisque son rendement doit être élevé pour être attractif. Les taux négatifs et excessivement bas d’aujourd’hui permettront peut-être de pondérer ce facteur.

2. Enfin, la solution idéale et la moins onéreuse que nous prônons est celle d’une politique de « crédit productif public » qui autoriserait la Banque de France, comme ce fut le cas avant 1993, à faire des avances sans intérêt au Trésor. L’adoption d’une telle politique, qui redonnerait à la puissance publique la capacité d’émettre du crédit-monnaie pour financer de grands travaux, a été totalement bannie par tous les traités européens adoptés depuis celui de Maastricht. C’est, à notre sens, dans ce domaine que la négociation doit être rouverte à l’échelle européenne, avec la conviction qu’une stratégie portant sur les dizaines d’années à venir est indispensable par-delà une rentabilité immédiate devenue de plus en plus prédatrice de par sa raison d’être elle-même.

Annexe

Aérotrain nouvelle génération

Société Vaucanson

Reprendre la technologie de l’aérotrain développée par Jean Bertin dans les années 1970, impliquerait au départ une dépense conséquente pour recréer des véhicules « nouvelle génération », évoluant sur coussin d’air mais propulsés à 400 km/h par des moteurs électriques linéaires à induction.

Cependant, depuis 2016, une équipe d’ingénieurs expérimentés, dont plusieurs Français, travaille à ressusciter cette technologie et ceci au service d’un pays de l’hémisphère sud. (Depuis, c’est surtout la start-up française Spacetrain qui tend à relever le défi.)

Le 5 septembre 2017 marquera le 100e anniversaire de la naissance de Jean Bertin. Ce serait le moment idéal pour annoncer que la France rend enfin justice à cet ingénieur de génie. Son invention, l’aérotrain, avait bénéficié en son temps du plein soutien des présidents De Gaulle et Pompidou, notamment par la voix de son conseiller industriel Bernard Esambert.

L’annulation, en 1974, du contrat signé par l’Etat pour une ligne d’aérotrain reliant La Défense à Cergy, n’a jamais été motivée par des raisons techniques, mais fut le simple résultat d’une série de manœuvres et de marchandages.

Coût, par technologie, du km d’infrastructure fixe, en millions d’euros.
S&P

Soulignons qu’aujourd’hui, l’investissement initial dans l’aérotrain sera insignifiant par rapport à l’avantage structurel de la technologie aérotrain, c’est-à-dire le coût presque dérisoire de la voie fixe au km (5 millions d’euros), nécessitant très peu de maintenance (de simples voies en béton sur pylônes, installées autant que possible sur la berme centrale ou le long des autoroutes). Tout en offrant un transport à très grande vitesse, ce coût serait environ huit fois inférieur à celui annoncé au km pour la Ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN) (40 millions) et trois fois inférieur à celui d’une ligne TGV classique (15 à 20 millions par km).

En y ajoutant la production des véhicules, les 361 km de voie aérotrain nouvelle génération coûteraient moins de 200 millions d’euros, contre 10 à 15 milliards à prévoir pour la LNPN.

Reste enfin à élaborer et estimer le coût que représenterait la reconversion du réseau ferré actuel en couloir ferroviaire marchandise moderne sur l’axe Haropa.

Enfin, faute de choisir l’aérotrain, la technologie du Maglev — train à lévitation magnétique, d’origine allemande et développée par le Japon et la Chine — pourrait être adoptée, à l’image de l’équipement du trajet entre Shanghai et l’aéroport de Pudong. Il faut cependant rappeler que le coût de cette technologie est très supérieur à celui qu’engendrerait la mise en place d’un « aérotrain nouvelle génération ».