Et si on lançait un vrai plan Marshall pour le port du Havre ?

lundi 30 janvier 2017, par Karel Vereycken

Les difficultés auxquelles se confronte aujourd’hui le port du Havre ne sont que le symptôme de la dérive de tout un système. Face au danger de voir la situation se dégrader, le candidat présidentiel Jacques Cheminade, dans une déclaration, a affirmé qu’il partageait la colère du Havre et reconnaissait la nécessité d’un effort conséquent d’investissement dans les infrastructures.

Et en guise de réponse au plan stratégique présenté par l’Union maritime et portuaire (UMEP) voici notre analyse et quelques pistes de solution.

Guillaume Gouffier, seigneur de Bonnivet, amiral de France, né probablement vers 1482, fut l’un des principaux conseillers de François Ier et ami de Léonard de Vinci.
Dessin de Jean Clouet

Alors qu’on s’apprête à célébrer ce 7 février le 500e anniversaire de la cité et du port du Havre, le premier port français pour les conteneurs craint « d’être rayé de la carte maritime mondiale » écrit Le Monde.

Dans ses vœux de nouvelle année, le maire LR du Havre Édouard Philippe, a rappelé qu’en 1517, François 1er était devant un choix cornélien : ériger « sa » nouvelle capitale à Romorantin ou répondre aux besoins géostratégiques de son époque en créant un port fortifié dans l’estuaire de la Seine ? S’il n’existe aucune preuve directe que Léonard de Vinci ait été dépêché pour fonder le Havre, c’est à son ami l’amiral Guillaume Gouffier de Bonnevet que le roi confie cette mission.

En tout cas, aujourd’hui, il y a péril en la demeure, martèle Michel Segain, le président de l’Union maritime et portuaire du Havre (UMEP), qui, le 5 janvier, a présenté son « plan stratégique à 2050 » pour éviter le naufrage. Et ce qu’il appelle un « véritable Plan Marshall » a été transmis pour discussion à l’ensemble des candidats à la présidentielle. Enfin, les infrastructures s’invitent au débat !

Car si Le Havre reste le 2e port de commerce français, il perd du terrain par rapport à ceux d’Europe du Nord. En 1995, Le Havre traitait 1 million de conteneurs, Anvers 2 millions, et Rotterdam près de 5 millions. En 2016, le port français a vu passer quelque 2,5 millions de conteneurs. Une progression d’environ 150 % en 21 ans. Cependant, Anvers a, de son côté, annoncé fin décembre avoir franchi le cap des 10 millions, c’est-à-dire une progression de 500 % sur la même période, tandis qu’en 2016 Rotterdam dépasse largement les 12 millions de conteneurs par an, c’est-à-dire 5 fois plus que Le Havre.

« La question de la marginalisation du Havre est posée », constate le géographe Antoine Frémont, directeur de recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux. Essayons de comprendre pourquoi et trouvons les remèdes que l’on pourrait y apporter.

Un peu d’histoire

Le port du Havre en 1536.

Quand, le 7 février 1517, le roi François 1er ordonne la création du Havre pour « tenir en sûreté les navires et vaisseaux de nos sujets naviguant sur la mer océane », il répond à un double souci : d’une part la volonté de développer un établissement portuaire apte à répondre aux nouvelles perspectives du commerce international, transatlantique notamment ; d’autre part renforcer les moyens de défense de la région de l’estuaire de la Seine, très malmenée depuis environ 200 ans par les attaques et occupations anglaises.

Toutefois, le site choisi est ingrat : c’est une étendue formée par la conjonction de cordons littoraux de sables et galets transportés par les houles et de dépôts d’alluvions fines, parcourus de canaux. Ces mêmes alluvions dont l’envahissement régulier sous l’action des marées n’a pas permis la survie des deux ports d’Harfleur et Leure, immédiatement voisins dans le temps et dans l’espace.

Le programme des premiers aménagements, dont les objectifs restent d’une actualité brûlante pour aujourd’hui, comprennent :

  • la création d’un pertuis d’entrée à travers le cordon de galets pour un accès aux criques existantes qui constituaient l’embryon de l’avant-port et du futur bassin du Roy ;
  • la construction d’un quai de 64 m de longueur, de faible hauteur ;
  • un canal reliant le nouveau port à Harfleur et de là, à la Seine.

Commencés en avril 1517, les travaux sont achevés en 1524, à l’exception du canal qui ne sera réalisé qu’au siècle suivant. Au cours du XVIe siècle se sont développées une enceinte fortifiée et une première citadelle. Ensuite, c’est au cours du XVIIe siècle que de nouveaux aménagements sont apportés sous l’impulsion de Richelieu et de Colbert. Une nouvelle citadelle est tout d’abord substituée à la première en 1627, dans la partie Est du port. Dans le bassin du Roy, toujours réservé à la Marine Royale, de nouveaux quais sont construits en maçonnerie ; le pertuis d’accès est équipé d’une écluse en 1667-69. Un arsenal y est créé en 1669. On y construira plusieurs centaines de navires jusqu’en 1823.

Colbert et Vauban

Le Canal Vauban reliant Le Havre à Harfleur et ensuite à la Seine.

Enfin, c’est en 1669 que Colbert et Vauban inaugurent le canal reliant le port du Havre et le port d’Harfleur. Il doit contribuer à l’assainissement des emprises traversées, à l’alimentation des bassins de chasse et permettre l’implantation d’industries desservies par voie d’eau.

Le « canal Vauban » sera remplacé, dans le cadre du Plan Freycinet en 1887, par le canal de Tancarville de 25 km qui permet aux marchandises en direction de Paris d’éviter l’estuaire de la Seine. Venu compléter le chemin de fer arrivé au Havre en 1847, le canal assure un accès à la Seine et donc une articulation avec l’hinterland (l’arrière-pays, c’est-à-dire aussi bien Rouen et Paris sur la Seine que l’Oise).

Ensuite, c’est à la veille de la Révolution qu’avec le plan Lamandé (1787) une nouvelle extension du port est entreprise. Vers 1800, non sans raisons, le premier consul Bonaparte considère Le Havre comme « le port de Paris » et affirme que Paris, Rouen et Le Havre ne forment « qu’une seule ville dont la Seine est la grande rue ».

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, Le Havre servira des objectifs militaires nationaux et son activité portuaire et marchande ne prendra son élan qu’au gré du développement du port de Rouen où s’organise le commerce des grains : avec le déclin des ports d’Harfleur et de Leure, les armateurs et négociants rouennais sont de plus en plus tributaires d’un avant–port sur l’estuaire, où les navires de plus de 180 tonneaux ne pouvant remonter la Seine peuvent transborder leurs marchandises.

De 1825 à 1865, la capacité moyenne des navires a plus que doublée, avec l’apparition dès 1816 de petits navires à vapeur. Du café, du cacao, du bois, des peaux et du sucre y arrivent du Brésil et des colonies françaises. Premier port baleinier en 1825, on y arme également à la pêche à la morue à Terre-Neuve et durant les années 1815-1850, une quinzaine de négociants persistent à armer à la traite négrière alors qu’elle était illégale.

À la fin du XIXe siècle, le commerce du Havre repose sur les céréales dont le riz, le charbon, les bois pour la construction et l’ébénisterie, les extraits tinctoriaux, le coton, le café, les huiles de pétrole, les oléagineux, tissus de coton et de soie, les métaux dont le cuivre et le nickel, le sucre, le tabac, le cacao, la laine, le poivre, le caoutchouc et les cuirs. Chaque filière amènera sa main d’œuvre spécialisée, ses équipements et ses besoins logistiques. Si le premier bassin aux pétroles est ouvert en 1926, les hydrocarbures représenteront 64 % des importations du port en 1938.

Comme le disent fièrement certains dockers du Havre aujourd’hui : « on alimente toute la France ! »

Les causes du déclin

Dans un article précédent, nous avons résumé les causes plus générales du déclin des ports français mises en lumière par les derniers rapports parlementaires : absence de vision, cacophonie administrative, désengagement financier de l’État, sous-investissement chronique dans les infrastructures de transport ferroviaires et fluviales, contraintes normatives absurdes, etc. Elles montrent bien que ce qui inquiète, n’est pas ce que font « les autres » (Anvers, Rotterdam, Hambourg, Barcelone, etc.), mais ce que « nous » ne faisons pas.

Après avoir fait le constat que « pour les conteneurs, le Port d’Anvers est aujourd’hui le premier port alimentant Paris », le président de l’UMEP regrette que soit lancée la construction du Canal Seine Nord Europe, projet qu’il estime avoir été imposé par l’action de puissants lobbies opérants à Bruxelles.

Comme d’autres professionnels, il craint que, sans investissements majeurs dans les équipements portuaires du Havre, le chantier d’un canal de 107 km reliant le bassin de la Seine avec celui de l’Escaut, pose immédiatement « le risque majeur de voir les volumes de conteneurs siphonnés par les ports du Nord » et « profitera majoritairement à nos concurrents belges et hollandais ».

Si en 1972 Le Havre inaugurait l’écluse François 1er (voir carte ci-dessous), à l’époque la plus grande du monde. L’ouvrage, long de 400 mètres et large de 67 mètres, relie la darse de l’océan, le grand canal, le canal Bossière et dessert le centre roulier, ainsi que l’ensemble de la zone industrielle du Havre. Aujourd’hui, suite à un investissement de 382 millions d’euros, c’est une écluse d’Anvers qui tient le record.

Carte actuelle du port du Havre. En bleu pâle, le projet de raccordement du Grand canal avec le canal de Tancarville. (cliquer pour agrandir)

Triumvirat et massification

Techniquement, profits obligent, nous sommes devant la massification à l’extrême de la charge. Rêvant de lendemains qui chantent, les armateurs se sont lancés dans une course folle au gigantisme. La taille des porte-conteneurs a doublé en dix ans ! Une stratégie délibérée qui a permis de réduire fortement les coûts de transport. « De loin, tous les gros-porteurs se ressemblent, mais il y a 20 à 30 % de différence de coûts entre un bateau de 14 000 conteneurs et un autre de 18 000 », confie un connaisseur. Ainsi, faire venir aujourd’hui un téléviseur depuis la Chine ne coûte en moyenne que 5 dollars, car les bateaux toujours plus gros créent des économies d’échelle considérables.

Or, avec le « Projet 2000 », Le Havre s’est doté d’un terminal de conteneurs en mer profonde capable d’accueillir des porte-conteneurs de 400 mètres de long de type « post-panamax ». L’un d’eux, le CMA CGM Bougainville est long de 398 mètres (à titre de comparaison : la tour Eiffel fait 313 mètres) pour 54 mètres de large : sa surface est équivalente à environ celle de quatre terrains de football. Il peut contenir 17 722 conteneurs.

MSC Oscar, le plus grand porte-conteneur du monde fréquente sans problème le port du Havre.
meretmarine

Cependant, comme le note l’UMEP, « pour assurer un taux de remplissage de leurs géants des mers, les armateurs poursuivent leur concentration au sein d’un nombre d’alliances de plus en plus restreint. Ainsi, entre l’Asie et l’Europe, ils ont articulé leurs schémas opérationnels sous la forme de 3 grandes alliances, qui leur permettent de charger les conteneurs sur les navires de leurs partenaires ».

Au niveau du trafic des conteneurs, l’alliance 2M des deux plus grand armateurs Maersk (15,4 %) et l’italo-suisse MSC (13,5 %) domine. Juste derrière, Ocean Alliance où l’on retrouve le français CMA CGM (11,3 %) allié au chinois Cosco.

Dans les faits, c’est ce triumvirat de tête qui impose sa loi et choisit les ports dans lesquels s’arrêteront leurs porte-conteneurs de taille mammouth. Et c’est à chaque port d’attirer les puissants !

Seulement, comme le souligne le plan stratégique de l’UMEP, « cette concentration des mouvements sur un même espace portuaire oblige (…) à l’accroissement des parts modales ferroviaire et fluviale pour garantir fluidité et respect de l’environnement ». Or, à ce jour, c’est 87 % des mouvements entrée/sortie du port du Havre qui passent par le mode routier créant des énormes goulots d’étranglement.

Sans cette écluse, tout s’écroule !

Sur ce dessin visualisant le projet Port 2000 figure le chenal et l’écluse (en bas), jamais construits, reliant les terminaux de conteneurs de Port 2000 à la Darse de l’Océan (à droite) reliée au canal de Tancarville.

Pour le fluvial, souligne le plan stratégique de l’UMEP, le problème est que « le Port du Havre et ses principaux terminaux à conteneurs situés sur Port 2000 ne sont pas reliés à la Seine et donc pas accessibles aux transports fluviaux classiques et notamment aux [barges] pousseurs ».

Pourquoi ce vice de fabrication ? « Le canal reliant le bassin de la Darse de l’Océan [voir carte] à Port 2000 n’a jamais vu le jour, alors qu’il était demandé par les opérateurs de manutention dès la conception de Port 2000 et qu’il avait été inscrit dans le projet initial.[voir dessin du projet] »

En 2006, suite à l’inauguration de Port 2000, Christine Leroy, écrivant dans L’Usine Nouvelle, disait tout haut ce que tout le monde savait et ce qui s’avère malheureusement exact aujourd’hui : « Sans cette écluse, tout s’écroule » :

Le ministre Dominique Perben a dévoilé son dimensionnement : l’écluse de Port 2000 mesurera 135 mètres sur 15,5 mètres. Elle laissera passer simultanément deux barges ou un navire fluvial côtier de cinq conteneurs de front, l’équivalent de 250 semi-remorques d’un seul coup ! Il ne reste plus qu’à trouver les financements correspondants. Quelque 166 millions d’euros à réunir... Le ministre a chargé officiellement le préfet de la région Haute-Normandie ‘de trouver le maître d’ouvrage le mieux adapté et de faire des propositions pour son financement’. Le port du Havre joue gros. (…) Sans écluse, tout s’écroule. ‘Faute de passage entre le canal de Tancarville et les nouveaux quais, des centaines de milliers de conteneurs devront être transférés sur le réseau routier déjà congestionné entre Le Havre et Paris. De quoi décourager les compagnies maritimes, souvent soumises à la loi du juste-à-temps, de faire halte à Port 2000’, souligne-t-on au sein de l’AUTF (Association des utilisateurs du transport de fret).

Neuf ans plus tard, 30 décembre 2015, le même journal relève que :

Dominique Perben, ministre des transports avait bien annoncé en 2006 la construction d’une écluse à grand gabarit. Mais celle-ci jugée trop chère, avec un coût estimé de 166 millions d’euros, n’a jamais vu le jour. Quant au système de ‘chatière’ [mécanisme d’ouverture dans la digue Sud du port donnant, à tout type de navire fluvio-maritime et par tout temps, l’accès permanent aux terminaux] (Carte), qui coûterait environ 100 millions d’euros, permettant à des barges fluviales d’accéder aux terminaux de port 2000 par tout temps, il n’est qu’à l’étude.

Au niveau fluvial

Si nous partageons avec l’UMEP l’avis que cette écluse est de la plus haute importance, nous nous permettons d’y rajouter un autre projet bien connu qui nous semble de nature à compléter l’ensemble.

Félicitons-nous d’abord qu’un programme de travaux de modernisation des deux écluses de Tancarville (Carte) a été initié fin 2015 et prévu d’ici 2019, d’un montant de 15 millions d’euros.

Ces écluses, qui assurent la jonction entre la Seine et le canal de Tancarville pour rejoindre le port du Havre, comptent environ 5000 passages annuels.

Le chantier consiste d’abord à rénover l’ancienne écluse (qui date de 1890 et était en arrêt depuis deux ans…), puis la nouvelle écluse, datant de 1976, dont les derniers arrêts remontent à une quinzaine d’années.

À cela, à notre avis, pour aller au-delà dans le sens de la fluidification des trafics fluviaux, il faudrait creuser la boucle permettant de relier le « grand canal du Havre » (Carte) [Qui se termine, pour l’instant, dans un cul-de-sac] au canal de Tancarville.

A cela s’ajoute le fait que, avant même le lancement des travaux pour Port 2000, toute la zone industrialo-portuaire du Havre fut cadenassé par le décret n°97-1329 du 30 décembre 1997 signé Lionel Jospin et Dominique Voynet faisant de l’estuaire de la Seine une réserve naturelle... Bravo les artistes !

Dépeçage du fret ferroviaire

Alors que nos responsables portuaires n’ont cessé de réclamer des infrastructures de fret ferroviaire pour pouvoir organiser un transport combiné et intermodal, c’est bien la SNCF et ceux qui en tiennent les rênes, c’est-à-dire les différents gouvernements de droite et de gauche, que refusent de relever le défi. Privé de financements d’État à long terme et à bas taux, comme cela était possible avant le changement du statut de la Banque de France en 1973, la SNCF s’est endettée à des taux usuraires notamment pour lancer le réseau TGV.

Depuis, pour payer les intérêts, tout les moyens sont bon pour faire du cash y compris la suppression des lignes non-rentables et le développement du transport routier par des filiales de la SNCF (Geodis, Géodis Calberson, c’est-à-dire le premier opérateur de messagerie et de transport express en France, etc.).

Vient ensuite l’ouverture à la concurrence, un désastre orchestré par la Commission européenne. L’État français, juge-t-elle, subventionne beaucoup trop Fret SNCF (la filiale marchandises de la SNCF, depuis la séparation des activités décidée dans les années 90 précisément pour préparer l’ouverture à la concurrence), ce qui barre la route aux fameux opérateurs privés. Puisque le monopole persiste, il s’agit d’une grave entrave à la concurrence !

Comme le précise un article excellent d’Antoine Sturel posté sur le site alternatif Le vent se lève :

En 2001, le fret ferroviaire est structurellement déficitaire en raison de politiques orientées vers la route depuis des décennies, mais reste relativement dynamique avec des volumes proches des plus hauts historiques. En fait, le fret est un secteur qui coûte de l’argent à l’État (les routes n’en coûtent-elles pas ?) mais permet d’éviter de nombreux camions sur la route (à l’époque 30 % du trafic routier) et les nuisances qu’ils entraînent. Il est aussi une forme de subvention à un réseau dense de petites industries souvent anciennes qui sont reliées par des « embranchements », parfois depuis plus d’un siècle. Souvent, leur destin est lié à celui de cette connexion au réseau ferré, comme le site de la Seita à Carquefou ou les eaux du Mont d’Or en Auvergne.

Tout ceci est bien éloigné des préoccupations de la commission et de l’exécutif de l’époque : la saignée a été décidée et elle doit avoir lieu. Des pans considérables de l’activité sont stoppés net, des services trop peu rentables (trains courts) aux petites lignes trop chères à conserver. La filiale de transport de colis SERNAM est privatisée. C’est le plan Véron. Ses conséquences pour Fret SNCF vont s’avérer catastrophiques car des investissements massifs sont déjà en cours, et que la sous-utilisation du réseau et du matériel qui découle du plan se révèle ruineuse. Le trafic de Fret SNCF, en monopole, chute alors de 30 % entre 2001 et 2006, et les pertes deviennent abyssales.

Entre 2001 et 2014,

La part modale du fret ferroviaire dans le transport de marchandises en France est passée dans le même temps de 17% à 9%, ce qui équivaut à des dizaines de milliers de camions en plus chaque année. 25000 emplois ont été supprimés à la SNCF en dix ans, la SERNAM a abandonné complètement le rail pour la route et a fait faillite en 2012, avec 1500 emplois détruits depuis sa privatisation.

Dépeçage du transport routier

Si vous croyez que la mort du fret ferroviaire allait faire prospérer le transport routier, vous n’avez rien compris de la vraie nature de la finance folle qui nous dévore.

Car :

Tout en démantelant le transport ferré, les politiques européennes de déréglementation ont également dépecé le transport routier français de marchandises. Libéralisé à son tour d’insoutenables entraves à la concurrence, le transport routier sous pavillon français a vu son volume de trafic décrocher d’une base 100 en 2007 à 73 en 2015. De plus, la part de marché du transport français en Europe est laminée, autrefois très largement leader (proche de 50%), le camion français sur les routes européennes a quasiment disparu.

Que s’est-il passé ? La réglementation européenne a autorisé le cabotage des transporteurs étrangers sur le sol français. En clair un camion polonais peut charger et décharger en France en s’affranchissant des règles et cotisations sociales françaises pendant 7 jours avant de devoir repasser par la Pologne (la Pologne a fait du transport routier international sa spécialité industrielle en quelques années). En parallèle, la commission européenne encourage les gros acteurs français du secteur à faire appel aux travailleurs détachés, là encore affranchis du régime social français, pour maintenir leurs marges.

Les géants du secteur, qui ne sont jamais très loin des décisions bruxelloises, restent donc assez discrets car ils tirent sournoisement profit de la situation. L’émission d’Élise Lucet, Cash Investigation, a montré comment le transporteur GEODIS, filiale de la SNCF, supprimait des chauffeurs en France en ouvrant parallèlement des filiales en Roumanie, vouées à venir livrer des clients… français. Une délocalisation qui ne dit pas son nom. (…) Le résultat de ces politiques odieuses : des faillites quatre fois supérieures à la moyenne chez les transporteurs français, c’est à dire une hécatombe chez les plus petits d’entre eux ; une fraude sociale endémique et plus de 20 000 emplois supprimés en quelques années. Pourtant, l’explication donnée par nos gouvernants repose toujours sur un coût du travail trop élevé et un manque de compétitivité des entreprises françaises.

On supprime les bus qui remplacent les trains…

Et ce n’est pas terminé ! La prochaine étape ne concerne plus les marchandises, c’est l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de passagers. La SNCF s’y prépare en ayant de plus en plus recours au car en substitution des trains sur les petites lignes, préfigurant leur fermeture. La loi Macron, promulguée à l’été 2015, participe également de cette dynamique. Elle est une libéralisation du transport de passagers par le transfert du rail vers la route en ouvrant des lignes de car privées en parallèle de lignes ferroviaires, ce que la réglementation interdisait jadis.

Cela a eu pour conséquence immédiate la fermeture de nouvelles lignes de chemin de fer dans le Massif central en 2016. Le bilan en terme de créations d’emplois se révèle très médiocre, et il n’aura pas fallu attendre plus d’un an pour voir apparaître les premiers plans sociaux, avec la faillite de Mégabus. De plus, les prix sont en très forte augmentation et les compagnies ont déjà suspendu leurs liaisons les moins rentables. C’est ainsi qu’à Guéret, dans la Creuse, le bus qui a d’abord chassé le train est aujourd’hui, faute de rentabilité, supprimé à son tour….

Fret ferroviaire : baisse en France, hausse en Allemagne

Le fret n’a pas besoin de cette contre-publicité tant il est affaibli en France. C’est le seul pays d’Europe occidentale où il se soit ainsi effondré en une quinzaine d’années. Entre 2000 et 2013, le trafic a chuté de plus de 42 % en tonnes/kilomètres (tkm). Aujourd’hui, près de 90 % du transport de marchandises en France passe par la route.

Cette situation a forcément contribué à affaiblir l’attrait du Havre par rapport à ses concurrents d’Europe du Nord. Lorsque les modes fluviaux et ferroviaires confondus représentent 15 % des modes d’acheminement sur Haropa (Ports du Havre, Rouen et Paris), ils peuvent monter jusqu’à 30 % sur les ports nord-européens.

Il existe plusieurs explications, précise un expert. Tout d’abord, le mode routier est un mode performant et plus souple. Pour le ferroviaire, le sujet est plus complexe. Il y a la qualité des sillons [plages horaires vendus par la SNCF pour faire circuler des trains] qui entre en jeu, mais aussi la capacité des trains de fret à pouvoir circuler. Pour réserver un sillon par exemple, il faut s’y prendre à l’avance car le service voyageur de la SNCF passe toujours avant le fret. Et ce service voyageur est très dense sur l’Île-de-France. Les travaux de rénovation des voies ferrées se font souvent la nuit, en dehors des heures de passage des trains de voyageurs, à une heure où sont censés circuler les trains de fret. Là encore ça pose problème... Le système est à la fois rigide et congestionné. Le fret ferroviaire, c’est un peu le parent pauvre en France.

En 2007, près du quart du fret ferroviaire de l’UE est à mettre à l’actif de l’Allemagne : 107 milliards de tkm sur les 395 milliards de tkm dans l’UE recensés en 2006. L’Allemagne se place ainsi au premier rang devant la Pologne (44,3 Mrd de tkm) et la France (40,9 Mrd de tkm).

« Le transport de marchandises et la logistique constituent une base importante de notre prospérité, mais dont la portée est rarement estimée à sa juste valeur », précisait en 2008 le ministère allemand des Transports dans son livre blanc sur le trafic des marchandises et la logistique. Cette dernière est en effet l’activité sur laquelle repose l’ensemble de la structure économique allemande. Selon les estimations du groupe de travail « Technologies des services de Logistique » (ATL) de l’Institut Fraunhofer qui a collecté les données éparses et partielles à diverses sources, ce secteur se situe en 3e position en termes de chiffre d’affaires dans la structure économique de l’Allemagne, au même rang que la construction mécanique (170 M€ en 2004) et après l’industrie automobile (285 M€) et le secteur de la santé (250 M€).

Ainsi, alors qu’on l’a abandonné en France, en Allemagne ce secteur génère 2,5 millions d’emplois directs, auxquels il faut ajouter un demi-million d’emplois indirects.

Jean-Louis Le Yondre, le président du Syndicat des transitaires et commissionnaires en douane du Havre, s’interroge sur la capacité de la SNCF à « modifier son organisation pour répondre au marché ». Celle-ci est impliquée dans la rénovation de la ligne de fret ferroviaire Le Havre-Paris, dite « ligne Serqueux-Gisors » [permettant de contourner Rouen et le centre de Paris], ligne qu’elle vient d’aménager pour les TER…

Et lorsque les officiels du Havre ont interpellé François Hollande, en déplacement au Havre le 6 octobre, sur la question, le chef de l’Etat a cyniquement répondu : « Il faut que la SNCF fasse son travail. »

À sa décharge, le projet de modernisation de Serqueux-Gisors, que le port du Havre réclame depuis plus de quinze ans, est bloqué du fait de la mobilisation des communes du Val-d’Oise opposées à une intensification du trafic. L’enquête publique qui aurait dû débuter en septembre 2016 a été repoussée, le préfet du Val-d’Oise n’ayant pas signé l’arrêté d’ouverture d’enquête publique…

Il est évident pour nous que pour parer à l’immédiat, l’aménagement de cette ligne est d’une extrême urgence. À terme, c’est la « séparation des flux » (voyageurs et marchandises) qu’il faut mettre en œuvre.

Le projet de l’UMEP

Les solutions avancées par le projet stratégique de l’UMEP se déclinent en trois volets :

  • Phase 1 : à court terme : 850 millions € pour en priorité « la chatière », l’électrification du tronçon Serqueux-Gisors et l’achèvement des postes 11 et 12 de port 2000 ;
  • Phase 2 : à moyen terme : 1,743 milliard € pour l’extension de la ligne de fret ferroviaire au nord d’Amiens direction Allemagne ; extension de Port 2000 ; refonte du Port intérieur et réalisation du prolongement du Grand Canal ;
  • Phase 3 : à long terme : 10 à 15 milliards pour la réalisation (par la SNCF) de la Ligne Nouvelle Paris Normandie pour les voyageurs [permettant ainsi de libérer les voies anciennes pour le fret ferroviaire].

Ce que nous en pensons ? Si nous sommes favorables à la réalisation de la chatière (100 Mio€) et à l’électrification du tronçon Serqueux-Gisors que comprend la phase 1, nous pensons qu’on doit en même temps entreprendre la réalisation de la fameuse écluse (166 millions) reliant la Darse de l’Océan avec le Port 2000. Ne pas la faire, c’est de se priver de la solution la plus efficace.

La phase 2 se justifie pleinement par rapport à tous ce que nous venons d’aborder sous condition que le Canal de Tancarville et ses écluses puissent réellement fonctionner comme un canal à grand gabarit performant.

Pour la phase 3, nous pensons qu’il existe une alternative crédible. Il faudrait immédiatement financer une étude de faisabilité d’une ligne aérotrain nouvelle génération reliant Paris au Havre en reprenant les études déjà réalisées sur ce trajet par les équipes de l’ingénieur Jean Bertin. Étant donné que l’on pourrait pour une bonne partie l’ériger sur pylônes sur la berme centrale de l’autoroute A13, son coût sera au moins cinq fois inférieur à la LNPN que propose la SNCF.

On aurait pu y penser avant : la construction d’une voie d’aérotrain nouvelle génération sur pylônes, reliant en moins d’une heure Le Havre et Paris, permettrait de libérer les voies ferroviaires classiques pour le fret.

Avec le recul, on constate l’énorme erreur qu’a constituée l’abandon de l’aérotrain. En effet, en faisant appel à cette technologie révolutionnaire, la SNCF aurait pu reconvertir une partie de son réseau classique en réseau de fret et prendre de l’avance sur le reste du monde…

Illusion européenne

Quant à l’ambition de l’UMEP de pouvoir obtenir des financements européens pour son plan (315 M€ de prêts bonifiés du Fonds Juncker, Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MEI, 33,2 M€), vu la faillite morale, économique et financière des institutions européennes et de la monnaie unique, nous pensons qu’il est illusoire de penser pouvoir compter dessus.

Nous avons détaillé ailleurs de quelle façon la réforme du crédit et du système bancaire que préconise le candidat Jacques Cheminade peut nous libérer de cette occupation financière qui, en le privant des investissements essentiels, empêche le port du Havre de se projeter avec sérénité dans l’avenir.

À nous de ressusciter ensemble une volonté politique en faveur d’une politique qui a fait ses preuves sous François 1er, le cardinal de Richelieu, Jean-Baptiste Colbert et Charles de Freycinet lorsqu’ils ont mis le crédit et l’argent au service, non pas des bulles spéculatives, mais au service d’une économie réelle et en particulier des grands projets d’infrastructures de génie civil.