Remettre l’intermodalité au cœur du transport

jeudi 5 janvier 2017

Port de Brest.

« La bataille des ports se gagne sur terre ferme ».
(adage populaire)

Le constat est largement partagé. La France, pourtant dotée d’atouts considérables pour jouer un rôle majeur dans le domaine maritime et portuaire, manque cruellement d’une stratégie gagnante dans ce domaine. Un nouveau « plan Freycinet », c’est-à-dire un plan d’ensemble intégrant transport maritime, ferroviaire, fluvial et routier, s’impose. Voici, après un état des lieux et une analyse de l’origine du déclin, quelques pistes pour un décollage de nos ports et leurs hinterlands.

Par Karel Vereycken et Yannick Caroff.

Le transport maritime

Le commerce maritime assure près de 90 % du transit commercial mondial. Si la mondialisation des échanges passe par l’avion pour les voyageurs et les marchandises à haute valeur ajoutée, elle donne en revanche la prépondérance aux navires pour le transport de marchandises classiques, pondéreuses ou manufacturées. De 1950 à nos jours, le tonnage mondial du transport maritime a été multiplié par cinq et sa productivité multipliée par dix. D’autres études indiquent que le transport maritime représente 75 % du trafic global en volume, soit un doublement en valeur absolue entre 1990 et 2009, et 60 % en valeur.

Les grands ports maritimes (GPM) français

Les Échos

En France, le trafic de marchandises varie fortement suivant les ports, en quantité et en types de marchandises concernées.

Les 7 « grands ports maritimes » (GPM) métropolitains (Marseille, Le Havre, Dunkerque, Nantes-St-Nazaire, Rouen, Bordeaux et La Rochelle) représentent (2011), à eux seuls, plus des trois quarts du trafic (78,1 %) avec 276 millions de tonnes.

Deux ont un trafic dépassant 50 millions de tonnes : Marseille, en Méditerranée et Le Havre en Manche – mer du Nord.

 
 

Spécificités de nos ports :

  • Le port de Marseille représente 40 % du trafic national de produits pétroliers mais aussi 30 % pour les minerais et 25 % pour les liquides non pétroliers en vrac ;
  • Dunkerque, premier port de fret ferroviaire en France, avec son importante zone industrialo-portuaire, représente 52 % du trafic de charbon et 61 % pour les minerais ;
  • Le trafic portuaire de nourriture pour animaux se concentre dans les ports de l’ouest de la France (Nantes et Lorient), à proximité des territoires d’élevage intensif (Bretagne). Il en est de même pour le trafic de céréales qui concerne surtout Rouen et la Rochelle, à proximité des bassins céréaliers ;
  • Certains ports sont spécialisés dans le trafic de rouliers (navires utilisés pour transporter des véhicules). Ils sont situés en face des îles britanniques comme Calais (99 % de son trafic), Dieppe, Caen et Cherbourg-Octeville. On retrouve les mêmes caractéristiques en Méditerranée pour de la Mer et du Littoral, les ports de Toulon, vers Bastia ou Ajaccio (transports France – Maghreb et Continent – Corse) ;
  • Enfin, le trafic de conteneurs prend une place importante au port du Havre (Grâce à la réalisation du projet « Port 2000 ») mais aussi en outre-mer où les départements insulaires sont dépendants des importations de biens manufacturés. Les ports français d’outre-mer dans l’océan Indien, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, aux Caraïbes et en Amérique du Sud constituent des portes d’entrée de l’UE aidés en cela par les clusters ultramarins qui s’y développent : quatre d’entre eux, ceux de Martinique, de Guadeloupe, de Guyane et de La Réunion ont été transformés en 2013 en grands ports maritimes.
Port du Havre.
Reuters

Quelques atouts français

Jouissant de la 2e zone économique maritime mondiale, juste derrière les États-Unis, grâce notamment à ses territoires ultramarins, notre pays occupe en plus une place de carrefour au centre de l’Europe de l’ouest.

Possédant l’ensemble côtier le plus long d’Europe, la France métropolitaine est le seul pays à être ouvert sur quatre façades maritimes, avec des ports placés à des endroits stratégiques sur chacune d’elle : Dunkerque sur la mer du Nord, le Havre sur la Manche, Nantes/Saint-Nazaire, Bordeaux et La Rochelle sur la façade atlantique, et Marseille sur la façade méditerranéenne.

À ces façades maritimes s’ajoute l’axe de la Seine avec Le Havre, Rouen et Paris (HAROPA) qui occupe une place privilégiée pour alimenter la région francilienne. Avec 5,3 millions d’emplois, il s’agit du plus important bassin d’Europe en termes de PIB.

Le rapport de juillet 2011 du sénateur de Seine Maritime Charles Revet (LR) rappelle que nos ports ne manquent pas de potentiel à exploiter. Il souligne d’abord que les GPM français possèdent des réserves foncières considérables, alors que les ports d’Hambourg, de Rotterdam et d’Anvers sont saturés. Bordeaux dispose de 500 ha à vocation industrielle et logistique disponible.

Ainsi, le port de Marseille pourrait devenir le premier port en Méditerranée pour les conteneurs, grâce à ses nombreux avantages naturels et ses infrastructures :

  • ses quais sont en eau profonde et d’accès très facile, ce qui permet aux gros, voire très gros navires d’accoster ;
  • environ 80 % du terrain n’est pas utilisé à Fos, dont la surface totale avoisine 10 000 hectares, soit la superficie de la ville de Paris (105 km²) ;
  • les conditions climatiques sont globalement favorables (pas de marée ni de brume comme dans les ports du Nord de l’Europe, même si parfois la manutention est contrariée par des vents violents) ;
  • via le réseau des plateformes multimodales Medlink sur l’axe Rhône-Saône (Pagny, Chalon-sur-Saône, Mâcon, Villefranche-sur-Saône, Lyon, Vienne-Sud, Valence, Avignon-Le Pontet et Arles), l’accès est direct vers Lyon et le centre de l’Europe, ce qui épargne 5 jours de navigation par rapport aux ports du Nord de l’Europe (en outre, Marseille ne pâtit pas d’obstacles montagneux contrairement aux ports italiens et espagnols) ;
  • Marseille est le seul port méditerranéen à disposer de tous les modes de transport pour desservir l’arrière-pays (fleuve, train, route et pipeline).

De manière générale, il ne faut pas opposer les deux grands ports français et les autres ports, car leur développement est complémentaire. En effet, les ports du Havre et de Marseille ont une double mission : d’une part, accueillir de gros navires porte-conteneurs pour irriguer leurs arrière-pays ; d’autre part, redistribuer ces marchandises vers les autres ports. Ainsi, le développement des ports du Havre et de Marseille profite aux autres ports, et les ports de l’Atlantique souhaitent que le port normand poursuive sa croissance.

À noter également, le dynamisme du port de Dunkerque. Son trafic potentiel est estimé à 200 millions de tonnes, et il pourrait concurrencer très sérieusement dans les années à venir les ports flamands et hollandais.

Le déclin

Le fait que la France dispose de tous ces atouts, rend les chiffres sur le déclin encore plus consternants. Entre 1989 et 2006, le trafic des ports français a augmenté de 24 %, contre une hausse moyenne de 60 % pour l’ensemble des ports européens ; la part de marché des ports français est passée de 18 % à 14 %.

En Belgique, le port d’Anvers, 2e port européen, a enregistré un tonnage de 178 millions de tonnes en 2010, soit autant que les ports de Marseille, le Havre et Rouen réunis. En Allemagne, Hambourg, 3e port européen avec ses 121 millions de tonnes en 2012, a un tonnage équivalent à l’ensemble des grands ports maritimes français une fois ôtés les ports havrais et phocéen.

Au sud de l’Europe, le trafic de Marseille a atteint 86 millions de tonnes, essentiellement grâce aux hydrocarbures, mais les ports espagnols d’Algésiras (70,6 millions de tonnes) et de Valence (64 millions de tonnes) sont en plein essor. Le port de Marseille n’occupe plus que la 5e place en Europe, le port d’Amsterdam ayant pris l’ascendant. L’aire d’influence du port de Marseille atteint seulement 66 % dans le sud-est de la France, et chute à 7 % dans l’est de la France. Quant au port du Havre, 6e port européen pour le trafic total, il est talonné par Brême et Valence.

Conteneurs

Entre 1989 et 2006, le trafic de conteneurs a doublé en France, pour atteindre 35,6 millions de tonnes en 2006, mais les parts de marché des ports français ont été divisées par deux sur ce segment, pour tomber à 6 %. À Anvers, le trafic de conteneurs a été multiplié par 9 en 25 ans (1990-2015), alors qu’en France, sur la même période, il n’a augmenté que de 2,5 fois.

Ainsi, en 2012, entre 1/3 et la 1/2 des conteneurs à destination de la France transitent par des ports étrangers. À titre d’exemple, la région francilienne, selon un responsable du port fluvial de Paris, reçoit 1 million de conteneurs par an, dont la moitié provient du port du Havre (soit un cinquième des conteneurs havrais), l’autre moitié d’Anvers en Belgique.

Précisons que le port d’Anvers envoie 15 % de ses conteneurs en France, soit plus d’un million par an. Sur ces 500 000 conteneurs, débarqués dans le port flamand, et à destination de la Région Île-de-France, 100 000 partent directement par camion, les autres étant traités dans les zones logistiques belges. Par exemple, de l’ensemble des 12 700 conteneurs à destination d’Auchan France et de l’entrepôt européen d’Auchan en 2010, un cinquième transitait par les ports de Zeebruges et d’Anvers en Belgique.

En sens inverse, bien qu’avec 80 % du marché, Le Havre reste le plus grand port d’exportation des vins et spiritueux d’Europe, certains sénateurs s’interrogent :

Est-il durablement admissible que des vins de Bordeaux ou des produits de Charente-Maritime, par exemple, soient acheminés en masse par camions via Anvers ou Rotterdam ?

La place des grands ports français en Europe.
IDE/Autorités portuaires

Il est vrai que sur le marché des conteneurs la compétition est particulièrement rude. Le Havre, premier port français sur ce segment, a traité 2,35 millions d’EVP en 2010 (Équivalent Vingt Pieds, unité de mesure des conteneurs utilisée pour calculer le volume des conteneurs d’un terminal), mais il ne représente que 6 % du tonnage total des six premiers ports du Range Nord-européen.

Le port normand n’occupe que la 8e place en Europe, bien loin derrière Rotterdam, à 11,1 millions de boîtes. Anvers occupe la 2e place en Europe avec 8,5 millions d’EVP, et Hambourg la 3e avec 7,9 millions d’EVP. Alors qu’en 1995, le port havrais manipulait deux fois moins de conteneurs qu’Anvers, le ratio est passé à 1 pour 3,5 aujourd’hui.

Le port phocéen, avec à peine un million de conteneurs traités en 2012, fait figure de port secondaire en Méditerranée comparé aux ports espagnols de Valence (4,2 millions d’EVP), Algésiras (2,8 millions) et Barcelone (2 millions), aux ports italiens de Gioia Tauro (2,8 millions d’EVP) et La Spezia (1,3 million), ou encore au port maltais de Marsaxlokk (2,37 millions).

Malte, un hub au centre de la Méditerranée.

DÉCRYPTAGE : pourquoi un « port » ne doit pas rester un « hub »

Les conteneurs (90 % du transport maritime) ne représentent que 15 % du tonnage de nos ports en 2016.... Ainsi, rien que le doublement du nombre de conteneurs traités dans nos ports créerait 10 à 20 000 emplois directs liés uniquement à la gestion et l’acheminement de ces conteneurs. Et si nos ports sont correctement branchés sur un arrière-pays riche en manufactures et unités de production, le nombre emplois pourra se multiplier de 10 à 20 fois. Car la différence entre un « hub » et un « port » n’est pas des moindres.

L’île de Malte est un hub typique, c’est-à-dire une « plaque tournante » où se retrouvent navires-mères et feeders, ces navires de plus faible tonnage qui sillonnent la région, chargent, déchargent dans plusieurs dizaines de ports et alimentent (feed) les très grands bateaux. Cependant, l’insularité de l’île le prive d’office d’un hinterland lui permettant de transformer les marchandises avant qu’elles ne repartent. En clair, si nos politiques condamnent nos ports à ne fonctionner comme des simples hubs, l’apport en emplois sera nettement moindre.

Les causes du déclin

À l’origine de ce déclin ? En premier lieu, la dérégulation financière du secteur allant de pair avec le désengagement croissant d’un État, en proie à l’austérité et sans vision dominé par la bureaucratie et les lobbies.

Manque de vision. Au sein de ce qu’il faut bien appeler un Empire européen, la montée en puissance des régions s’oppose à une vue globale. Dans l’UE, les grandes régions prennent l’allure de mini-États. Emblématique de ce changement de paradigme et entérinant la fin d’un État-nation stratège, notre Premier ministre Manuel Valls, a demandé en janvier 2016 à huit parlementaires de lui fournir quatre rapports sur l’attractivité maritime et portuaire, chaque binôme formulant des analyses et des propositions, non pas pour une politique nationale, mais chacun pour « sa » façade maritime ou « son » axe de transport particulier… Difficile dans ces conditions de défendre à Bruxelles une politique cohérente.

Dragage. Austérité oblige, l’État français s’est désengagé du dragage. Alors qu’aux pays du Benelux, les États prennent en charge 100 % des coûts du dragage, en France, en dépit du fait que l’article R. 531569 du code des transports oblige l’État d’en faire autant, une partie croissante des coûts doivent désormais être assurés directement par les ports eux-mêmes ! Si l’État devrait investir 343 millions d’euros annuels pour assurer cette tâche, actuellement il n’investit que 162 millions d’euros. Or, aucun port ne peut se permettre de faire l’impasse sur les travaux de dragage d’accès que requiert son infrastructure. Pour compenser le désengagement de l’État, les ports ont donc été obligés d’augmenter leurs droits de port. Inversement on peut dire que si l’État faisait son boulot, le port de Rouen, pour qui le dragage est un enjeu majeur, pourrait réduire ses droits de 18 %, ce qui lui permettrait immédiatement de retrouver de la compétitivité.

Révolution des conteneurs. Sans vision ni volonté, l’État français n’a pas su accompagner adéquatement la révolution d’une « conteneurisation » qu’elle n’a pas voulu voir. L’apparition du conteneur (box) dès 1956, a été pourtant une des clés majeures de la mondialisation. Le conteneur assure aujourd’hui 90 % du transport de marchandises solides par mer. Les vraquiers d’antan ont pratiquement disparu. Malheur donc aux ports qui n’ont pas su s’adapter. Au tableau des vingt plus grands terminaux à conteneurs du monde, c’est les grands ports d’Asie qui trônent en tête. L’Europe possède Rotterdam, Hambourg, Anvers, Brème et Giaoia Tauro (Italie du Sud). La France, qui se targue d’être la 5e puissance commerciale au monde, brille par son absence. Le Havre ne figure qu’au 49e rang. Faut-il voir là l’effet ou la cause des mécomptes du made in France à l’export ? Un pays pâtissant d’installations obsolètes ou mal gérées ne peut jouer un rôle majeur dans l’économie internationale. Par ailleurs, précisons qu’Anvers, pour rester dans la course, a su investir dans ce secteur la somme astronomique de 4 milliards de dollars entre 1987 et 1997.

Aujourd’hui, c’est l’arrivée de la fibre optique, de la 5G et de l’industrie 4.0 qui va une fois de plus révolutionner l’ensemble des techniques qui interviendront dans les chaînes logistiques. Une puce électronique posée sur chaque conteneur permettra, grâce à un Cargo Community System (CCS) universel (maritime, ferroviaire, fluvial, routier, aéroportuaire), son suivi en temps réel et son acheminement par des véhicules maritimes et terrestres robotisés. C’est donc de ce point de vue qu’il faut moderniser nos infrastructures de transport.

Charles de Freycinet (1828-1923).

Absence d’hinterland.« La bataille des ports se gagne sur terre ferme ». C’est Charles de Freycinet qui semblait le mieux avoir compris cet adage populaire. Car son plan, mis en œuvre entre 1878 et 1914, prévoyait de relancer les activités portuaires en construisant dans leur hinterland (arrière-pays) un maillage dense d’infrastructures de transport (fluvial et ferroviaire). Point besoin d’être médecin pour comprendre : pour qu’un cœur puisse battre correctement, c’est de grandes artères autant que de sang dont il a besoin.

Malheureusement, chez nous, la somme d’un cartésianisme et d’un corporatisme à toute épreuve empêche souvent toute vision d’ensemble. Et l’addition de connaissances segmentées, aussi parfaites qu’elles soient, n’a jamais produit le type de pensée dynamique, en termes de flux et non pas en termes d’objets, qui permettait à un Freycinet visionnaire de penser l’intermodalité avant l’heure. Pour lui, l’extension des quais ; la multiplication des bassins, notamment à flot ; l’approfondissement des chenaux : tout devait concourir afin que « l’installation générale [des ports] soit appropriée à la fois aux deux modes de transport qui viennent s’y rencontrer ». Or, depuis trente ans, la France a délaissé la mise à niveau de la voie fluviale et abandonné le fret ferroviaire : près de 66% des marchandises étaient transportées par le rail dans les années 1950, cette part a chuté à 9,5 % en 2015. En Allemagne, trois fois plus de trains de marchandises circulent à ce jour qu’en France. Or, si aujourd’hui les ports du Nord de l’Europe triomphent, c’est précisément parce qu’elles disposent d’un hinterland riche en infrastructures de ce type et d’autoroutes gratuites.

À titre d’exemple, certains experts soulignent que les ports normands pourraient alimenter le centre de l’Europe. De fait, le trajet par bateau entre le Havre et les ports du Nord de l’Europe dure entre deux et trois jours. Il y a donc une carte à jouer très intéressante pour les ports normands s’ils disposaient d’une desserte ferroviaire et fluviale performante.

Une marchandise débarquée au Havre par un porte-conteneurs pourrait, en théorie, atteindre l’Allemagne par voie de chemin de fer ou par voie fluviale et ceci bien avant que ce même navire n’atteigne le port d’Hambourg…

La patte d’oie, une réponse à la Nouvelle Route de la soie

Surfaces bleues : régions facile d’accès par voie fluviale ; Lignes bleues : autoroutes de la mer.

C’est le même défi que nous lance la politique chinoise de « Nouvelle Route ferroviaire de la soie ». Pour faire en sorte que les convois ferroviaires arrivants de Chine à Lyon ne repartent pas vides, il importerait que la France s’engage au plus vite à construire la fameuse « patte d’oie », c’est-à-dire qu’on transforme en canaux grand gabarit les artères qui permettent de relier la Saône aussi bien au Rhin qu’à la Moselle, à la Marne et à la Seine.

Ce grand projet que défend S&P permettra de corriger le déséquilibre démographique actuel et placera la France au centre d’un vaste couloir de développement nord-sud. Car ce faisant, l’Axe Rhône-Saône se positionnera instantanément comme le chemin de transport le plus efficient entre le canal de Suez et la Ruhr, au grand profit de Strasbourg et faisant de Lyon un « Duisbourg français », c’est-à-dire un grand port intérieur.

Pour creuser :

Fiscalité abusive et normes absurdes. En se soumettant à l’UE et à l’air du temps (COP...), l’État applique des directives, des normes environnementales, des réglementations en contradiction avec la compétitivité de ses ports et de leurs hinterlands. Par exemple, l’UE, au nom de la lutte pour la concurrence libre et non faussée, imposera une taxe aux sociétés installées dans les zones portuaires. Cette non-imposition n’est pas spécifique à la France et la plupart des pays européens se retrouvent dans la même situation. Mais alors que les pays des Benelux « proposent des alternatives » pour contourner cette directive européenne, l’État français fait du zèle dans son application en espérant d’obtenir quelques faveurs de ceux qu’elle juge les puissants. Par exemple, les directives environnementales nationales, européennes et internationales empêchent qu’un certain nombre de projets d’ordre industriel ou logistique dans l’arrière pays puissent se réaliser.

À titre pédagogique l’exemple du terminal méthanier du port de Dunkerque. Alors que le protocole initial État-EDF avait été signé en mars 2007, l’instruction du projet menée au titre de la loi sur l’eau a conduit à deux reprises, en raison de la présence d’une colonie de sternes naines, puis de l’existence de salicornes, à modifier le contour de la plateforme pour un surcoût estimé à 30 M€. L’autorisation administrative de l’aménagement a été délivrée en avril 2010. Puis, la modification de la réglementation en matière d’étude parasismique, avec le décret n°2010-1254 du 22 octobre 2010, a amené à revoir le séisme de référence en se référant à un séisme historique en Grande Bretagne, si bien que les postes à quai ont dû être redimensionnés également. La combinaison de ces deux facteurs aurait pu aboutir à une remise en cause complète d’un projet d’intérêt national.

Autre exemple, le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), qui date du XIXe siècle, empêche de contraindre des propriétaires (privés) de foncier stratégique le long des fleuves, dans des délais qui seraient prévus par la loi, de devoir louer ou vendre à l’État ou de permettre l’aménagement d’entreprises liées aux transport maritime ou logistique.

Il est grand temps, de faire du principe de « guichet unique » une réalité afin de mettre fin à la cacophonie administrative, normative et tarifaire actuelle qui règne y compris entre des ports du même axe fluvial (par exemple entre Le Havre, Rouen et Paris !). Cette cacophonie pénalise des opérateurs qui souvent ne savent plus à quoi s’en tenir en termes de délais et de coûts.

En guise de conclusion, un extrait du rapport de deux sénateurs français sur les ports français de l’Axe nord :

La force de la France, ce n’est pas de posséder 564 ports ou 11 millions de km² de souveraineté maritime, la force de la France, ce n’est pas de disposer du premier littoral européen et parmi les plus belles installations portuaires d’Europe, la force de la France, c’est son potentiel à faire en sorte qu’un jour enfin la mer, le fer, le fleuve, la route, s’appuyant sur les axes de transports majeurs et structurants, participent ensemble de la vitalité de nos territoires, (…).

11 pistes et propositions de S&P :

  1. Remplacer une vision de l’infrastructure, dans le cadre de la mondialisation actuelle, qui se réduit à la simple course à la taille des navires en vue d’une rentabilité immédiate, par un plan d’infrastructure national basé sur l’interconnexion des ports entre eux et avec leur arrière-pays et le transport multimodal (mer/fer/route/fluvial).
  2. Chez nous, répondre à l’offre chinoise de Nouvelle Route de la soie ferroviaire en faisant de Lyon un « Duisbourg français » en lançant le grand chantier de la « patte d’oie » permettant de connecter, par des liaisons grand gabarit, l’axe Rhône-Saône et les grands réseaux fluviaux du Nord de l’Europe et d’Allemagne. C’était la vision de l’ingénieur Freycinet, ce doit être celle du siècle de la Nouvelle Route de la Soie.
  3. Financer, grâce au rétablissement d’une banque nationale, cette nouvelle vision de l’infrastructure interconnectée. Comme avant l’adoption de la loi no 73-7 du 3 janvier 1973 modifiant le statut de la Banque de France, l’État doit pouvoir disposer d’une capacité d’autofinancement souverain, c’est-à-dire de « crédit productif public » à long terme et à faible taux permettant d’équiper la nation.
  4. Au niveau portuaire, rétablir la prise en charge à 100 % des coûts de dragage et des investissements lourds pour l’ensemble des ports français comme l’exige l’article R. 531369 du code des transports qui stipule : « l’État supporte les frais de l’entretien et de l’exploitation des écluses d’accès, de l’entretien des chenaux d’accès maritimes, de la profondeur des avant-ports et des ouvrages de protection contre la mer. Pour l’exécution de ces travaux, il supporte dans les mêmes conditions les dépenses relatives aux engins de dragage... ». Dès l’automne 2017, inscrire au budget le financement intégral des coûts annuels de dragage d’accès des ports français (coût prévu : + 180 millions d’euros).
  5. Au niveau fluvial, augmenter le financement du Canal Seine Nord Europe permettant de relever à sept mètres au-dessus du niveau du canal les 22 ponts existants sur l’Oise et les très nombreux ponts existants sur le canal Dunkerque-Escaut, l’Escaut, la Deûle et la Lys. Il est aujourd’hui envisagé de laisser les ponts à 5,25 m de hauteur, mais les convois fluviaux ne pourraient alors transporter que 2 couches de conteneurs au lieu des 3 couches que prévoyait le projet initial...
  6. Rétablir un Commissariat au plan digne de ce nom capable de faire de cette vision une politique qui transcende les féodalités locales. Plus précisément, il s’agit de créer une cellule, agissant de façon transversale et disposant d’un référent dans chaque secteur clé et à chaque étage, chargé de coordonner la modernisation de l’infrastructure portuaire et les différents modes de transports qui les rendent efficaces.
  7. Concrètement, il s’agit d’une modernisation des chaînes de logistique avec les « yeux du futur » (5G et industrie 4.0), notamment par la mise en place immédiate, financé par l’État, d’un seul CCS (Cargo Community System) pour tous les ports français, c’est-à-dire d’un système informatique de communication et de gestion des trafics de marchandises commun aux différents acteurs de la chaîne logistique portuaire. Plus que jamais, on a besoin d’un CCS performant avec une seule base de données (hébergée en France) intégrant toutes les problématiques logistiques, portuaires et maritimes ainsi que les évolutions réglementaires européennes et internationales (notamment douanières).
  8. Investir massivement dans le fret ferroviaire, y compris à certains endroits en souterrain, pour mettre fin à la saturation. Augmenter la capacité, la sécurisation et la fiabilité du réseau. Séparer autant que possible, et pas uniquement dans les zones portuaires, le réseau fret des réseaux passagers. En attendant, améliorer la qualité et la disponibilité des sillons (« plage horaire »).
  9. Déployer les dernières inventions françaises permettant d’installer dans les zones côtières des relais offrant à nos marins un accès aux technologies téléphoniques les plus avancées.
  10. Établir une commission parlementaire chargée de moderniser les normes et les lois désuètes freinant ou bloquant le développement portuaire et leur connexion avec l’arrière-pays.
  11. Au niveau des DOM-TOM, la modernisation du Canal de Panama offre un potentiel fantastique aux GPM de Martinique et de Guadeloupe de construire, ensemble, un grand ensemble portuaire. Les porte-conteneurs géants « post-panamax » pourront y être déchargés et leurs cargaisons y repartiront avec des navires plus petits en direction des ports de l’Amérique du Nord et du Sud. Il s’agira également de transbordement, c’est-à-dire de la redistribution des cargaisons débarquées vers d’autres pays de la zone et du chargement des bateaux ainsi délestés de productions locales.

Engins de débarquement amphibie

À cela on peut ajouter le développement d’Engins de débarquement amphibie rapide ou EDA-R du type conçu pour l’armée par les Constructions industrielles de la Méditerranée (CNIM) et réalisé par la Socarenam à Saint-Malo, qui rendraient d’excellents services pour approvisionner un bon nombre d’îles françaises.

Produit en France, ce mode de transport révolutionnaire intéressera sans doute nos partenaires en Asie et tout ceux qui participent au développement des Nouvelles Routes de la soie maritimes et, à terme, ceux qui chercheront à construire les premières villes flottantes.

Propositions pertinentes défendues par les sénateurs :

En 2016, à la demande du Premier ministre, huit parlementaires ont pris soin d’auditionner un certain nombre d’acteurs de l’activité portuaire et des transports. Quatre rapports résument leurs conclusions et recommandations. Celui de la députée Valérie Fourneyron (PS) et du sénateur Charles Revet (LR) sur le devenir des ports de l’axe Seine, les sénateurs Jérôme Bignon (LR) et René Vandierendonck (PS) pour l’axe Nord, la sénatrice Élisabeth Lamure (LR) et le député François-Michel Lambert (Écologiste) sur le devenir du Port de Marseille-Fos en lien avec l’axe Rhône-Saône, et les sénateurs Gérard César (LR) et Yannick Vaugrenard (PS) sur les grands ports de la façade Atlantique. Nous reprenons ici quelques unes de leurs propositions :

1. Sur l’Axe HAROPA (Le Havre, Rouen, Paris) :

  • mise au gabarit européen de l’Oise (grand gabarit de plus de 1000 tonnes),
  • mise en place de l’accès direct des barges fluviales aux terminaux de Port 2000 au Havre (chatière) dans une logique de développement mer/fluvial.
  • développer le lien fer/fluvial avec comme priorités : l’axe Le Havre-Serqueux-Gisors en complémentarité de Creil (60, Oise) relié à Mantes (78, Yvelines).

Source : Rapport sénatorial.

2. Sur l’Axe Rhône Saône / Range France Méd. :

  • connecter les bassins du Rhône, de la Saône et du Rhin (coût estimé 16 milliards d’euros) ;
  • moderniser le canal du Rhône à Sète (pour le faire passer de 400 000 tonnes à 1 million de tonnes par an) et mise en place des projets INSPIRA (projet de zone industrialo-portuaire de Salaise Sablons [ZIP]) et du port Édouard Herriot à Lyon,
  • mise en route du transport combiné route/fer/fluvial à Avignon Courtine (pour remplacer le transport combiné de Champfleury, saturé),
  • relier par autoroute Fos et ses terminaux à conteneurs (30 km de distance) ou, à défaut, doubler les voies de la RD 268, aujourd’hui engorgées par le trafic, et construire la liaison fluviale fond de darse à Fos (canal de 3,5 km).

Source : Rapport sénatorial.

3. Sur l’Axe atlantique :

  • investir dans la modernisation du transport fluvial reliant Bordeaux à Toulouse ;
  • mettre à disposition des espaces fonciers à l’arrière des trois grands ports de la façade atlantique pour en faire des zones de dessertes logistiques, connectées entre elles. Ex. : Vierzon, Châteauroux. L’équation suivante est à retenir : trois GPM cela veut dire deux zones logistiques en arrière, ce qui veut dire trois zones en arrière interconnectées entre elles ce qui implique des nœuds de transport dans chaque zone en arrière (fer/route/canal/fluvial).

Source : Rapport sénatorial.

4. Sur l’Axe Nord :

Stratégie commune permettant d’intégrer les opérations logistiques des ports de Dunkerque, de Calais et de Boulogne avec le nœud routier d’Eurotunnel.

Dunkerque :

  • L’Etat et à la Région doivent faciliter le projet CAP 2020. Il s’agit de créer un nouveau terminal à conteneurs au port ouest, capable d’accueillir les plus gros porte-conteneurs au monde (plus de 400 m), soit le creusement d’un nouveau bassin et la création d’espaces logistiques et d’un linéaire de 1 000 m de quais à l’horizon 2023. Coût du projet : quelque 550 millions d’euros.
  • Première gare de fret ferroviaire de France, Dunkerque, pour grandir devra encore améliorer son accès à l’hinterland. C’est donc de la mise au grand gabarit du canal Dunkerque-Valenciennes, dans le cadre du Canal Seine Nord Europe et de meilleures liaisons ferroviaires avec les autres ports, dont le Dunkerque a besoin.

Calais :

  • Réalisation du projet Calais 2015 qui vise à adapter le port aux manœuvres des ferries dont la taille a augmenté. Ce projet justifie la création d’une nouvelle digue d’environ 3 km et d’un bassin de 110 ha, indispensables à tout développement futur du port de Calais ainsi que la construction de postes d’accostage pour maxi-ferries de dernière génération (215 mètres de longueur) ;
  • Création d’un terminal fer – route – mer au point de contact des futures autoroutes de la mer et ferroviaires (ferroutage) en provenance du sud de la France ainsi que du reste de l’Europe.

Boulogne-sur-Mer :

  • création d’une zone portuaire dédiée à la pêche professionnelle européenne complémentaire au port de pêche actuel (25 à 30 M€ HT) ;
  • dépollution d’un certain volume de sédiments de dragage, avec la création d’un site d’expérimentation de chaîne de traitement, transformation et valorisation des matériaux dragués ;

Source : Rapport sénatorial.