Appendice 1
Le principe de maximum-minimum

dimanche 30 septembre 2012

Dans sa Docte ignorance (1440), Nicolas de Cues illustre la coïncidence entre le maximum (macrocosme) et le minimum (microcosme) par la relation entre la droite et le cercle : « (…) si donc la ligne courbe est d’autant moins courbe que la circonférence est celle d’un cercle plus grand, la circonférence du cercle maximum, qui ne peut pas être plus grande, est courbe au minimum, donc droite au maximum (…). » [Nicolas de Cusa, De la docte ignorance, Editions de la Maisnie, Guy Trédaniel, 1979, p.61.] (figure 1)

L’Univers (macrocosme) répond ainsi à l’homme (microcosme) lorsqu’il en découvre les lois. Le Cusain nous propose un exemple fondamental qui établit la nature de cette découverte et le principe de raison créatrice sur lequel elle se fonde.

Le cercle et le polygone

L’univers de la droite est celui qui permet de construire un polygone. On s’imagine, au départ, qu’on peut s’approcher de plus en plus d’un cercle en multipliant le nombre de côté du polygone (figure 2).

Cependant, on fait fausse route ! En effet, plus on augmente le nombre de côtés du polygone, plus on crée d’angles. Or, un cercle n’a pas d’angles et on s’éloigne ainsi, par cette méthode, de la nature même du cercle. On ne peut pas passer du polygone au cercle en utilisant un procédé linéaire car il existe, entre ces deux figures, une différence d’espèce, un saut qualitatif de nature non linéaire. La méthode d’exhaustion d’Archimède se trouve ainsi poussée à ses limites conceptuelles, et il apparaît qu’une pensée logico-formelle opérant dans un univers de même dimension, c’est-à-dire linéaire, ne peut rendre compte de quelque chose qui se situe au-delà de son champ, dans une autre géométrie. Seule la raison créatrice, qui est d’une nature absolument différente, c’est-à-dire non linéaire, permet d’y parvenir.

Ce cercle, inaccessible à partir de l’univers des polygones, d’où vient-il ? En tant que forme, il est la trace d’un mouvement circulaire lui-même résultat d’une action de rotation. Nicolas de Cues considérait celle-ci comme la réflexion la plus directe, dans le domaine visible, de l’être, c’est-à-dire du processus de création de l’Univers lui-même. Cette correspondance est démontrée, comme le souligna Nicolas de Cues, par l’action isopérimétrique ou la moindre action, caractéristique même de l’action de rotation.

Moindre action : le principe isopérimétrique

Le principe de moindre action – la maximum de travail est accompli avec le minimum d’effort – a été énoncé la première fois, semble-t-il, par les Grecs sous la forme du théorème isopérimétrique : le cercle se défini comme la courbe fermée qui délimite la plus grande surface pour un périmètre donné (maximum de surface englobée par une action périmétrique minimum). Quatre cents ans après la mort de Nicolas de Cues, Jacob Steiner a démontré ce principe sans directement recourir à des méthodes axiomatico-déductives logiques (figure 3).

Prenons une ficelle dessinant une figure quelconque et supposons qu’on veuille à partir d’elle délimiter une aire maximale pour un périmètre donné. Elle doit d’abord être convexe car si elle est concave – c’est-à-dire possédant au moins deux points reliés par une droite non-contenue dans la figure (a) – il est toujours facile d’agrandir sa surface en gardant le même périmètre. En effet, il suffit de joindre les deux extrémités d’un creux par une ligne AB (b), et de faire basculer la ficelle autour de cet axe AB.

Nous devons donc nécessairement partir d’une figure convexe. On peut encore accroître la surface de celle-ci : il faut pour cela rendre la figure symétrique en divisant d’abord le périmètre en deux parties de longueurs égales – AB et BA (c). Ensuite, on coupe la figure selon une ligne AB et on garde la plus grande des deux parties, en l’occurrence F (d). On reproduit cette surface et on obtient F’ que l’on fait tourner de 180° afin de joindre A’B’ et AB (e) (si la figure n’est plus convexe, on recommence dans ce cas la première opération). La surface obtenue est plus grande mais pas la plus grande pour un périmètre donné. Nous devons pour cela faire une autre opération.

Plions deux fois la figure en deux (f). Joignons les points obtenus A, B, C et D avec des lignes droites, formant ainsi un losange (g). En « redressant » ensuite ce losange jusqu’à le transformer en carré, on accroît la surface de la figure sans en modifier le périmètre. Il peut alors être nécessaire de recommencer la série des opérations décrites. A chaque fois que l’on accroît la surface, on se rapproche davantage du cercle sans toutefois y parvenir. Celui-ci est donc bien l’« au-delà » de toutes les figures – la seule dont ne puisse pas accroître la surface circonscrite. Autrement dit, on établit par exhaustion la nécessité de passer à un autre univers. La raison créatrice peut seule rendre compte de ce « passage », impossible à justifier par déductions logico-formelles.