La fonction mathématique que nous avons adoptée montre qu’une société (l’économie) devient entropique si aucune avancée technologique ne vient augmenter le potentiel de densité démographique relative.
Aussi, pour la société (l’économie) prise dans son ensemble, la valeur économique se rapporte uniquement aux activités de cette société qui permettent d’accroître le potentiel de densité démographique relative par le progrès technologique.
En d’autres termes, la valeur économique correctement définie mesure la néguentropie du processus économique.
La valeur économique ainsi définie et le travail ont la même signification.
Le travail n’est défini ni par la quantité d’effort appliquée, ni même par la quantité d’un effort de qualité spécifique (par exemple, le niveau de qualification, la puissance de travail selon la définition erronée de Marx, etc.) ; de même, il ne peut être mesuré ni par la quantité des biens physiques produits, ni par les coûts de la main-d’œuvre, ni les par coûts de distribution des biens produits, ni par quoi que ce soit d’autre du même ordre. Aucune mesure scalaire du travail n’est compétente ; aucune théorie qui puisse se traduire par des fonctions linéaires ne peut être compétente. Le travail est de façon irréductible une grandeur non linéaire, exprimée sous forme de fonction non réductible d’une variable complexe.
Nous pouvons paraître différer de Leibniz sur ce point. En apparence, c’est exact ; dans la méthode d’approche, non. La discussion qui suit clarifie ce point. Rappelons-nous comment nous avons décrit antérieurement l’usage du mot travail par Leibniz.
En première approximation, Leibniz a supposé qu’une quelconque variété de biens physiques produits était utile dans la mesure où la société en exigeait de grandes quantités. De ce point de vue, le niveau de production de tels biens par un opérateur peut servir comme étalon acceptable de comparaison. Dans ces termes de référence, l’économie de main-d’œuvre obtenue à l’aide d’une machine à combustion est néguentropique. Ce n’est pas la quantité de production de biens physiques qui mesure le travail ; dans une telle étude, le travail est mesuré comme économie de main-d’œuvre réalisée. C’est l’économie de main-d’œuvre en tant que telle qui, empiriquement, est le corollaire « micro-économique » de la valeur économique.
Jusque là, la définition par l’auteur de la valeur économique ne diffère ni de celle de Leibniz ou des principaux économistes du Système américain, ni du principe compris et appliqué plus ou moins efficacement par la plupart des directeurs de production munis soit d’une formation d’ingénieur, soit d’une expérience équivalente du processus de production. Tous les directeurs de production compétents que l’auteur a pu rencontrer au cours de sa vie de consultant en organisation, ou en toute autre occasion, étaient d’accord avec la politique visant à élever la force de travail employée, tout en faisant progresser la technologie par des investissements à forte intensité capitalistique. Lorsque des politiques contraires prédominent au sein de sociétés munies d’un encadrement de production compétent, celles-ci émanent des intérêts financiers de Wall Street et des écoles de gestion du type de celle de Harvard. [1]
La différence entre le traitement par Leibniz du terme travail et les formulations de ce texte est simplement une différence de degré. Les travaux de Gauss, Riemann et alia, que nous avons rappelés dans les chapitres précédents, rendent possible une compréhension des principes de la technologie plus profonde que celle que Leibniz lui-même a pu apparemment fournir [2]. Nous pouvons présumer que Leibniz estimerait nos apports complètement cohérents avec sa propre direction de pensée en la matière. Nous sommes aujourd’hui capables d’explorer plus profondément la signification du mot travail, jusqu’à un niveau inaccessible dans le contexte du développement des sciences à l’époque de Leibniz.
Avant que nous élaborions quelques-unes des implications majeures de cette définition non linéaire de la valeur économique, dans le contexte de l’entreprise agro-industrielle intégrée de notre hypothèse, il nous faut identifier quelques aspects de l’importance qu’il y a à introduire et à appliquer cette conception « plus sophistiquée ».
Jusqu’ici, par approximations successives, nous avons insisté constamment sur l’unité de la technologie comme fait central de la science économique, et la technologie du point de vue des fondements de la physique mathématique, une unité mise en évidence par ceux qui dirigeaient les travaux de l’Ecole Polytechnique entre 1794 et 1815. Si nous désirons obtenir le taux optimal de progression de l’économie de main-d’œuvre, nous ne devons pas simplement la définir en termes de politiques d’investissement, mais en termes des types de technologies à mobiliser par l’investissement. Aussi, les politiques d’investissement judicieuses doivent évoluer vers une politique d’investissement scientifique, une politique gouvernant l’allocation d’investissements dans la science en tant que telle. Il arrive qu’il soit le cas, comme cela deviendra de plus en plus clair dans la suite du texte, que les principes de la technologie, tels que nous les avons identifiés, concernent directement les domaines les plus fondamentaux de la recherche scientifique. En conséquence, les politiques d’investissement les plus intelligentes ne sont pas simplement axées sur des politiques d’investissement dans la science, mais sur des politiques d’investissement qui promeuvent des champs de découvertes spécifiques portant, par exemple, sur des questions fondamentales en physique mathématique, accessibles à la recherche dans les décennies immédiatement à venir.
Sous cet angle, une définition rigoureuse de la valeur économique est nécessaire. Pour parvenir à intégrer les prises de décision sur l’investissement long dans la science avec celles sur la production de biens physiques déterminées par le « retour à l’investissement », nous avons besoin d’une mesure de la valeur économique applicable aussi bien à la recherche scientifique qu’au processus de production en tant que tel. Cette mesure doit s’appliquer aux principes fondamentaux de la physique mathématique, par exemple, et mesurer en même temps, et de la même manière, les déterminants fondamentaux de l’économie de main-d’œuvre dans le processus de production.
Pour illustrer très pratiquement le point que nous venons d’évoquer, nous constatons que la moins mauvaise politique recommandée par les pays de l’OCDE... aux pays dits en développement, est celle d’un « rattrapage progressif » des niveaux technologiques qu’eux-mêmes ont déjà atteints. Ceci implique, que les pays en développement sont au mieux autorisés à s’affranchir, à petite vitesse seulement, des effets de la politique coloniale [3] qui a fait d’eux essentiellement des exportateurs de matières premières, leurs frontières s’ouvrant alors à quelques technologies industrielles dépassées et leur production nationale se vouant à des biens de consommation rivés à la catégorie des « substitutions d’importations ». Les résultats de telles politiques ont été lamentables. Pour des raisons à définir dans ce texte, il est clair que l’objectif essentiel que doit se fixer une réelle politique de développement est au contraire d’aller d’emblée au-delà même de quelques-unes des technologies les plus avancées couramment en usage aux Etats-Unis, en Europe ou au Japon.
Ceci exige du pays en développement qu’il sélectionne des domaines de recherche scientifique dans lesquels il se fixe pour objectif d’atteindre la stature de leader mondial, cet engagement national à moyen terme définissant son horizon. Il doit construire les laboratoires, les universités et former le nécessaire encadrement scientifique, parallèlement au développement d’une base industrielle capable d’assimiler les produits du travail scientifique. Ce dernier doit inclure parmi ses priorités le développement d’un secteur industriel voué à la fabrication de machines-outils. Le développement de la base scientifique et celui du secteur machine-outil ainsi que des autres éléments formant la base industrielle doivent efficacement converger vers un même objectif dans l’espace d’une génération ou moins.
L’allocation de ressources nationales rares à ce germe grandissant d’excellence technologique future doit être équilibrée avec et intégrée au développement plus banal, mais néanmoins urgent, de la production rurale et intégrée à celui-ci. Pour des raisons politiques et d’autres raisons pratiques, cet effort combiné doit montrer un progrès tangible à la population en général, à la plupart des couches de la population aussi bien qu’à la majorité de la population prise dans son ensemble.
Il n’est pas difficile d’imaginer un démagogue anarcho-syndicaliste se mettant à brailler contre un gouvernement et un patronat qui « retireraient le pain de la bouche des enfants » en investissant dans des biens d’équipement ou dans d’autres biens non consommables. Il faut donc parvenir à un consensus solide et mûrement réfléchi en faveur des politiques de développement à moyen et long terme des pays en développement. En vue de maintenir ce consensus, il doit y avoir un rapport visible entre le progrès escompté et celui réalisé. A cet effet, il est souhaitable que les choix de politique économique d’un pays en développement soient plus rigoureux encore que ceux d’une économie développée : de graves erreurs sont en effet beaucoup plus lourdes de conséquences dans les pays en développement. Une erreur qui signifierait pour nous une simple réduction de notre confort se traduirait par une grande souffrance dans la plupart des pays en développement.
En même temps, on ne devrait pas penser que l’investissement effectué par un pays en développement en vue d’un bond technologique est un luxe, une option dont il pourrait fort bien se passer. Sans un tel bond, ces pays ne cesseraient jamais d’être sous-développés. Il s’agit donc là d’un choix inévitable, même s’il est difficile à gérer.
Dans les deux cas extrêmes, celui de la nation la plus avancée et celui du pays en développement le plus pauvre, il faut aujourd’hui des politiques économiques qui soient guidées par un « vecteur scientifique » impliquant des accroissements rapides dans l’économie de main-d’œuvre. Un instrument d’aide à la décision est nécessaire afin d’y parvenir, qui doit fournir un langage commun aux scientifiques engagés dans la recherche fondamentale et dans la gestion économique.
Ceci est à considérer dans le contexte des trois domaines de recherche fondamentale au sein desquels se produira tout le progrès technologique des cinquante prochaines années (à condition que nous cessions notre dérive vers le « nouvel âge des ténèbres » de la « ociété postindustrielle »). Les propositions scientifiques fondamentales qui ont été avancées dans ces trois domaines convergent, ce qui n’est pas inhabituel dans l’histoire des sciences ; les termes de référence vers lesquels elles convergent sont les mêmes termes que ceux que nous avons identifiés plus haut.
Ces trois domaines de recherche fondamentale sont :
1. les plasmas organisés à très haute densité de flux d’énergie, qui vont permettre le développement de la fusion thermonucléaire contrôlée comme source d’énergie primaire pour toute l’humanité ;
2. un domaine s’y rapportant, le rayonnement cohérent à haute densité de flux d’énergie, appliqué aux processus de production et caractérisé par le développement des lasers et des faisceaux de particules ;
3. les nouvelles perspectives ouvertes par des découvertes fondamentales en biologie, dont celles en cours dans le domaine de la microbiotechnologie, qui en sont un aspect annexe mais très important [4].
Il est raisonnable de supposer que des percées significatives dans ces trois domaines devraient aboutir à des applications civiles au tournant de ce siècle. La combinaison de ces trois percées se traduira par la faisabilité de vols interplanétaires habités aux environs de la fin du siècle et, peu de temps après, par une viabilité accrue des colonies sur la Lune et sur Mars dans des environnements artificiels reproduisant l’environnement terrestre.
Ces domaines définis par des percées fondamentales, considérés relativement à une seule de leurs applications combinées, exigent que l’on porte tout son effort sur la recherche et les applications de la physique riemannienne, adoptant le point de vue du « transfini ontologique ». Nous avons besoin d’une société qui pense et qui gère le développement de son économie dans le cadre de ces mêmes termes de référence. Toutes les catégories professionnelles ont besoin d’économistes qui fassent rayonner cette connaissance essentielle parmi leurs pairs, et, au-delà, dans toute la société.
L’analyse de la division sociale du travail dans la société (l’économie), telle que développée par Henry C. Carey et d’autres [5], nous pousse à adopter les procédures comptables ci-dessous pour l’analyse des relations entre la production et la consommation au sein de notre entreprise agro-industrielle consolidée. A cette fin, nous employons une grande partie de la symbolique popularisée par les marxistes ainsi que par d’autres ; cependant les définitions de ces symboles, autres que celles données dans ce texte, ne sont pas pertinentes et devraient par conséquent être ignorées.
Puisque nous mesurons l’accroissement du potentiel de densité démographique relative, nous devons commencer par considérer la population. Comme l’unité de reproduction de la population est le ménage, nous mesurons la population, d’abord sous la forme d’un recensement des ménages et nous dénombrons les individus membres de ces ménages. Nous définissons ensuite la population active relativement aux ménages : ce sont les actifs au sein des ménages, l’activité « produite » par les ménages.
Nous définissons la population active en analysant la composition démographique des ménages. Nous découpons la population des ménages d’abord par tranches d’âge et ensuite par fonctions économiques.
Plus généralement, nous répartissons la population du ménage en trois tranches d’âge principales :
1. la tranche précédant l’âge moyen d’entrée dans la vie active ;
2. la tranche correspondant à la durée moyenne de la vie active des individus ;
3. la tranche se situant au-delà de l’âge moyen d’entrée en retraite.
Nous subdivisons la première tranche en nourrissons, enfants de moins de six ans, pré-adolescents et adolescents. Nous découpons la deuxième tranche d’âge par décennies. Nous découpons la troisième par tranches quinquennales (pour des raisons de commodité statistique). Nous divisons le deuxième groupe en deux catégories fonctionnelles : les ménages et la population active, de façon à pouvoir énoncer une estimation du style « la population active représente 65% de la population en âge de travailler ».
Nous classons tous les ménages en deux catégories fonctionnelles principales, en fonction de l’activité principale du ménage considéré. Le fait que deux membres d’un même ménage puissent tomber dans des catégories fonctionnelles différentes d’activité, ou qu’une personne puisse passer d’une catégorie fonctionnelle à l’autre, n’est pas gênant, puisque c’est le changement des tailles relatives des deux catégories fonctionnelles qui est pour nous plus important que la petite marge d’erreur statistique provoquée par le choix d’une procédure comptable pour les cas ambigus, à condition que celle-ci soit valable et cohérente. Cette première répartition fonctionnelle des ménages se fait en deux catégories, les opérateurs et ceux liés aux frais généraux, selon l’activité principale des actifs composant le ménage.
A ce stade, nous portons notre attention sur la composante « opérateurs » de la population active totale. Tous les calculs effectués sont basés sur 100% de cette part de la population active totale. La part des opérateurs est partagée entre la production agricole, au sens le plus large (y compris pêche, exploitation forestière, etc.) et la production industrielle au sens le plus large (industries manufacturières, industries minières, bâtiment, transports, production et distribution d’énergie, télécommunications et les opérateurs employés par ailleurs à l’entretien de l’infrastructure économique de base).
On procède à l’analyse de la production selon la méthode définie plus haut. On débute l’analyse avec la distinction des deux paniers et des deux sous-catégories de produits finaux de chacun. Le flux de production est remonté jusqu’aux ressources naturelles en passant par les biens intermédiaires puis les matières premières.
Cette analyse des flux de production doit être recoupée par l’analyse suivante de la production de biens physiques dans son ensemble : les 100% de la composante des opérateurs de la population active sont comparés aux 100% de la production des biens physiques de la société (l’économie). Ces 100% de la production des biens physiques sont répartis comme suit :
Symbole V : la portion de la production totale des biens physiques requise pour l’entretien des ménages formant la totalité de la part « opérateurs ». Energie du système.
Symbole C : les biens d’équipement consommés par la production des biens physiques, y compris les coûts de l’infrastructure économique de base nécessaire à la production des biens physiques. Ceci inclut les bâtiments, les machines, la maintenance de l’infrastructure de base et le maintien des stocks intermédiaires au niveau exigé par la pleine utilisation de la capacité productive. Ceci inclut seulement la portion de la production des biens d’équipement requise en tant qu’énergie du système.
Symbole S : la marge brute d’exploitation (de l’entreprise agro-industrielle intégrée).
S = T - (C + V) où T désigne la production totale des biens physiques.
Symbole D : les frais généraux totaux. Ceci comprend les biens de consommation, destinés aux ménages associés aux catégories d’emploi de la population active entrant dans les frais généraux, auxquels on ajoute les biens d’équipement consommés par ces catégories. Energie du système.
Symbole S’ : la marge nette d’exploitation de la production des biens physiques.
S’ = S - D. Energie libre
Si nous réduisons les frais généraux (D) à un relevé économico-fonctionnel approprié des comptes, on constate qu’il existe des catégories de services qui doivent s’accroître soit avec l’accroissement des niveaux de production des biens physiques, soit avec l’accroissement des pouvoirs productifs de la main-d’œuvre. Par exemple : une fonction qui sous-tend à la fois les notions de niveau technologique en usage et de taux d’avancement d’une telle technologie détermine un niveau minimal de culture dans la population active, ce qui, au bout du compte, impose certaines exigences d’éducation. Les services scientifiques et technologiques à la production et à l’entretien des pouvoirs productifs de l’activité des membres des ménages sont des exemples de la variété des catégories comptables des dépenses semi-variables qui ont une relation fonctionnelle quantitative claire avec le maintien et l’accroissement des pouvoirs productifs de la main-d’œuvre en général. Cependant, une grande partie des frais généraux ne peut être imputée ainsi à une fonction précise ; pour sortir de la société « postindustrielle », c’est même la majorité des affectations aux frais généraux qui ne saurait plus être tolérée, ou qu’il faudrait brutalement réduire en montant relatif. Pour cette raison, nous devons employer le paramètre S’/(C+V) comme corrélatif au rapport de l’énergie libre à l’énergie du système, plutôt que le symbole S’/(C+V+D).
A des fins de Comptabilité nationale, nous employons :
Symbole S/(C+V) : la productivité (à distinguer des pouvoirs productifs de la main-d’œuvre).
Symbole D/(C+V) : le rapport des frais généraux.
Symbole C/V : l’intensité capitalistique.
Symbole S’/(C+V) : le taux de profit.
Ces rapports exigent que :
1. le contenu du panier des biens de consommation par tête, et à destination des quantitative de la part « opérateurs » au sein de la population active, s’accroisse relativement en quantité et en qualité dans la même progression que l’intensité capitalistique (C/V) et la productivité (S/(C+V)) ;
2. le coût social de la production de ce panier décline régulièrement, malgré l’accroissement nécessaire de son contenu en quantité et en qualité ;
3. la productivité (S/(C+V)) s’accroisse plus rapidement que le rapport des frais généraux (D/(C+V)).
Les tableaux de la Comptabilité nationale classent les frais généraux en trois catégories fonctionnelles principales : économiques, institutionnels et gaspillages. La distinction s’opère grossièrement de la façon suivante :
Economiques : les fonctions et services administratifs essentiels soit aux processus de production et de distribution physique, soit au maintien et au développement des ménages à des niveaux cohérents avec le niveau et le taux de progression de la technologie.
Institutionnels : les frais liés aux activités non économiques du gouvernement, y compris les fonctions militaire, policière et administratives essentielles, par exemple. Les frais liés au secteur commercial et à l’ensemble du secteur privé, y compris les frais de vente (distincts des coûts de distribution physique), qui ne sont pas par nature économiques, mais sont indispensables dans la mesure où ils correspondent à des dépenses consacrées au maintien de l’existence des fonctions institutionnelles.
Gaspillages : les frais encourus par la société au titre du chômage, au titre des activités criminelles et au titre des activités immorales, même si elle ne sont pas à proprement parler criminelles, telles que toutes les formes d’usure.
Les services relevant de la catégorie économiques comprennent :
La recherche scientifique : les sciences physiques, y compris la biologie, la science économique et les mathématiques elles-mêmes. L’Histoire, l’Exploration, mais pas la psychologie, la sociologie, l’anthropologie et toutes ces sortes de « logies » de la science sociale telles qu’elles sont pratiquées aujourd’hui. De manière générale, les politiques d’éducation de Wilhelm von Humboldt (1767-1835) définissent les formes compétentes de science et d’éducation.
Les services techniques à la science, à l’ingénierie et à leurs activités connexes : ils contribuent soit directement au processus de production des biens physiques, soit indirectement au développement et à la maintenance des éléments de l’infrastructure économique de base qui forment une part de l’environnement physique indispensable à la production et la distribution de tels biens.
Les services médicaux et connexes contribuant à l’entretien de la population.
L’éducation basée sur des principes cohérents avec ceux de Humboldt.
Les autres formes de services, et plus particulièrement les services « non qualifiés ou semi-qualifiés exigeant une main-d’œuvre intensive », sont marginales, institutionnelles ou même sont du gaspillage.
Les activités administratives relevant de la catégorie Economiques ont pour tâche :
– de veiller directement à l’emploi des opérateurs ;
– de superviser les fonctions économiques des processus mobilisant le travail de la part « opérateurs » au sein de la population active.
Sont exclus de la catégorie économiques :
Les frais de vente autres que la distribution physique des biens (relevant de la catégorie institutionnels).
L’administration financière (y compris les charges financières en tant que telles). En dehors des charges et des frais administratifs liés à l’usure (y compris la rente foncière, la spéculation sur les prix des matières premières, etc., qui sont classées dans la catégorie gaspillages), l’administration financière relève de la catégorie frais institutionnels.
Bien que les activités gouvernementales soient en gros classées dans la catégorie des frais institutionnels, les formes de ces activités gouvernementales qui sont économiques (la production, la maintenance de l’infrastructure économique de base,...) sont classées dans la catégorie économiques - secteur gouvernemental et sont analysées de la même manière que les fonctions économiques privées.
Généralement, on analyse les frais généraux en se posant les deux questions suivantes : « De quelle manière ces frais sont-ils engagés ? » et « Pourquoi ces frais sont-ils engagés, en examinant chaque dépense à la fois suivant sa catégorie et son montant ? ». Les étudiants devraient dresser des tableaux récapitulatifs des Frais généraux, aussi bien sur des cas de sociétés-modèle que pour des économies tout entières, conformément à la démarche indiquée ci-dessus. Ce travail, ainsi que l’élaboration d’autres tableaux récapitulatifs dans le cadre de la comptabilité nationale, devrait être demandé aux étudiants pendant la période terminale des études correspondant aux points soulevés jusqu’ici dans ce texte. Le travail des étudiants fait à cet effet et à ce moment devrait être également retenu pour une révision générale effectuée plus tard, à l’issue de l’ensemble du programme indiqué par ce texte.
Dans le cas d’un découvreur scientifique, par exemple, la contribution directe de l’individu à l’accroissement de l’économie de main-d’œuvre est simple et claire. A partir de ce point de référence, nous devons, dès le départ, tracer les chemins par lesquels les découvertes scientifiques et connexes sont transmises au processus économique en tant que tel et à travers lui, de façon à ce que les opérateurs participent à la transmission de la néguentropie à la société (l’économie) prise dans son ensemble. C’est cette transmission de la néguentropie par l’activité des opérateurs qui est la « substance » de la valeur économique. L’esquisse que nous venons de faire des principaux aspects de l’élaboration des tableaux récapitulatifs de la comptabilité nationale, nous permet de déceler les connexions essentielles.
A la fin de son essai Défense de la Poésie, Percy B. Shelley associe, non sans justesse, les regains d’intérêt pour la poésie et ses progrès qualitatifs aux périodes historiques au cours desquelles ont eu lieu les grandes avancées dans la lutte pour la liberté civile et religieuse. C’est certainement le cas pour les mouvements républicains de la Grèce classique, qui prirent leur essor aux environs de 599 av. J-C, avec les réformes constitutionnelles de Solon d’Athènes. C’est le cas des œuvres de Dante Alighieri (1265-1321) et de son successeur Pétrarque (1304-1374) et du mouvement qu’elles ont organisé et qui s’est épanoui sous la forme de la Renaissance du XVe siècle. C’est le cas des efforts de reconstruction de la France à la fin du XVIIe siècle — après 1653 — de Mazarin (1602-1661) et de Colbert (1619-1683), comme des efforts associés au Grand Electeur de Prusse et d’autres en Allemagne. C’est le cas partout en Europe, jusqu’au Congrès de Vienne en 1815, sous l’influence de la grande conspiration transatlantique dirigée par Benjamin Franklin dans l’intervalle 1766-1789. Shelley lui-même s’est fait l’écho de la fin du XVIIIe siècle.
Dans de telles périodes, il y a, ainsi que Shelley le souligne, un accroissement de la capacité des populations « à recevoir et à communiquer des conceptions profondes et passionnées concernant l’homme et la nature ». Au cours des siècles relativement récents, à commencer par le De vulgari eloquentia et la Commedia de Dante, les langues non latines d’Europe ont été transfigurées de la fin du XVe siècle jusqu’au tournant du XVIe siècle au point de devenir en Italie, en France ou en Angleterre, par exemple, les langues de grandes cultures classiques. Le degré de développement de la langue, comme le souligne Humboldt, est un cadre limitant du pouvoir de penser, au point que les personnes limitées à un dialecte local rustique sont de ce fait condamnées à demeurer intellectuellement inférieures dans leurs capacités de jugement. Au cœur de telles implications fonctionnelles du niveau atteint par le développement de la langue, on trouve une caractéristique cruciale qui porte directement, et de la façon la plus évidente, sur la question de la science économique à laquelle nous nous trouvons ici immédiatement confrontés. Les deux qualités variables du discours qui affectent de la façon la plus significative le pouvoir de penser de celui qui s’exprime sont, d’une part, le degré d’importance accordé aux idées — lié à l’utilisation de verbes transitifs, contrairement à ce qui se passe chez les nominalistes, qui réduisent les idées à des noms — et, d’autre part, l’utilisation rigoureuse du subjonctif [6]. Ces fonctions de la langue agissent implicitement et plus ou moins directement sur le niveau de développement atteint par les processus créatifs mentaux au sein de l’individu comme dans la société.
La transmission de la néguentropie au travers du travail effectué est la transmission des idées, dans le sens donné par Platon aux espèces [7]. Non pas les « idées » comprises comme descriptions ou explications : les idées en tant qu’aiguillons des actions des personnes, des actions pratiques en vue de modifier la nature au bénéfice de l’humanité. Nous consacrerons le chapitre suivant à la discussion systématique des caractéristiques internes aux idées scientifiques. A ce stade du présent chapitre, nous anticipons les résultats de cette discussion autant qu’il est indispensable pour pouvoir affirmer ce qui suit immédiatement.
C’est la création, l’assimilation, la transmission et la réalisation de ces découvertes scientifiques et connexes, dont la mise en pratique représente l’économie de main-d’œuvre potentielle, qui donne son caractère néguentropique au processus social de production des biens physiques. C’est cet aspect du processus de production qui nous permet d’estimer la valeur économique de l’activité productive des individus, l’aspect de l’activité individuelle qui est immédiatement universel dans ses effets.
Un corollaire de ceci est que la valeur de la production d’une société (l’économie) ne peut être déterminée en additionnant les valeurs nettes (autrement dit les « valeurs ajoutées ») des échanges individuels au sein de l’économie. Si cette erreur est perpétrée, nous tombons dans l’illusion, le paradoxe des « Contradictions Internes » citées par Marx dans le livre III du Capital. Etudier à nouveau ce paradoxe, cette fois dans les termes de référence de la Comptabilité nationale que nous avons défini, nous aide à mettre en évidence l’aspect empirique du processus productif dans lequel la fonction du progrès technologique se trouve très précisément située.
Exprimons la fonction mathématique du rapport variable de l’énergie libre à l’énergie du système en substituant le rapport S’/(C+V) au rapport de l’énergie libre. Alors, selon l’ensemble des contraintes que nous avons spécifiées plus haut, le « réinvestissement » de S’ accroît la quantité par tête de production représentée par (C+V). Si le pourcentage des opérateurs dans la population active reste constant, sans progrès technologique, un accroissement de l’énergie du système par tête réduit la ration de S’ disponible pour le réinvestissement dans les cycles ultérieurs. Par conséquent, il pourrait alors apparaître que le taux de profit S’/(C+V) doive baisser avec l’augmentation de l’intensité capitalistique C/V.
Examinons le cas hypothétique où une économie moderne déciderait d’arrêter le processus consistant à incorporer les innovations aux nouveaux biens d’équipement lors de leur conception. Pour un temps, l’économie continuerait de croître car le remplacement des biens de production les plus vieux (à technologie dépassée) par des biens de production plus récents (à technologie actuelle) représenterait une avancée de la technologie de production (économie de main-d’œuvre). Cependant, lorsque le niveau technologique moyen des biens d’équipement effectivement employés se rapprocherait du niveau technologique des nouveaux, le profit attaché au réinvestissement commencerait à se volatiliser, et rien n’empêcherait ce taux de profit en diminution de baisser jusqu’au niveau où tout le processus économique deviendrait entropique [8].
Examinons de plus près cet aspect du processus.
Le « réinvestissement » dans les biens d’équipement concerne deux éléments des tableaux comptables : le profit net S’ et le coût instantané de l’énergie du système représenté par l’investissement cumulé en biens d’équipement C. Aussi, le « réinvestissement » total en biens d’équipement devrait être de l’ordre de (S’+C), pour le cas où le nombre des opérateurs viendrait à rester constant sur des cycles successifs.
Nous avons mesuré ces deux grandeurs dans les termes du niveau de technologie (économie de main-d’œuvre) utilisé pour la production des biens physiques actuellement disponibles. Mais que se passe-t-il lorsque les biens d’équipement produits manifestent dans leur fonctionnement un niveau de technologie (d’économie de main-d’œuvre) plus élevé que le niveau de technologie utilisé pour les produire ? C’est là, à ce point précis, que réside le secret du paradoxe, et la substance de la néguentropie dans le processus économique. Supposons par exemple que les nouveaux biens d’équipement soient plus efficaces de 5% (représentent une économie relative de main-d’œuvre de 5%), par rapport aux biens d’équipement employés à leur production. Alors, la portion de la production actuelle allouée à l’énergie du système du processus de production est seulement de 95% du montant suggéré par la simple projection des données de la Comptabilité nationale. Par conséquent, l’énergie libre réinvestie devient (S’+0,05C), plutôt que S’. Plus le rapport C/V est élevé, plus l’accroissement relatif en énergie libre est grand.
La néguentropie dans le processus économique se traduit par des modifications du comportement des opérateurs dans la production de biens physiques et plus particulièrement de biens d’équipement. En conséquence, un niveau élevé du rapport des biens d’équipement aux biens de consommation produits est la manifestation la plus saine d’une économie placée sous la loi du progrès technologique. La recherche d’une main-d’œuvre d’opérateurs hautement qualifiée, capable d’assimiler et d’employer les modifications du comportement découlant de la découverte scientifique, définit la politique optimale de formation professionnelle ainsi que d’éducation générale d’une population. Pour préparer à l’activité professionnelle future, indépendamment de ses autres fonctions indispensables [9], l’enseignement doit avoir pour objectif celui que Humboldt spécifia : plutôt que de préparer les élèves de l’école secondaire à quelque formation professionnelle spécialisée, il doit porter les potentialités les plus larges de l’enfant et de l’adolescent au plus haut niveau possible avant que n’intervienne la spécialisation, qui doit débuter seulement après la fin du second cycle d’enseignement. Le but n’est pas d’apprendre à la jeunesse à se comporter de façon fixe, ainsi que le prescrivent les normes du comportement habituel. C’est au contraire de développer les potentiels mentaux créateurs de la jeunesse de la façon la plus large possible, de façon à les munir des méthodes rigoureuses propres à un comportement efficacement innovateur (autrement dit productif), assimilant de jour en jour ces innovations sous la forme de transformations fructueuses dans le comportement (autrement dit le comportement quotidien dans l’activité productive).
L’introduction de la machine à combustion, ou de changements analogues à haute intensité capitalistique dans la technologie de production, doit être comprise comme une caractéristique indispensable de changement dans le comportement humain, un changement dans la relation pratique de l’Humanité à la Nature tout entière. L’économie de main-d’œuvre, accomplie par ces moyens est une réflexion du fait que la découverte scientifique, générant de tels changements dans le comportement manifeste une correspondance croissante entre le comportement de l’humanité et l’ordonnancement légitime de l’univers.
L’économie de main-d’œuvre dans le processus productif doit être comprise comme la plus grande de toutes les expériences scientifiques possibles : l’expérience qui prouve empiriquement, comme rien d’autre ne peut le faire, l’existence de ces principes de découverte scientifique dont dépend tout entière l’autorité de toute la connaissance scientifique.
Aucune séparation entre la recherche scientifique fondamentale et la « science appliquée » ne sera tolérée par les citoyens d’une nation sensée. L’objet de la découverte scientifique fondamentale est le changement dans la nature accompli grâce à la production des biens physiques (dans les usines), le changement dans le rapport de l’homme à la nature ainsi accompli. L’Economie physique, la science économique, est le principe de découverte scientifique fondamentale compris dans ces termes de référence ; le domaine de la science économique, correctement défini, s’étend de la mesure finale de la connaissance scientifique, en fin de ligne de production, jusqu’aux découvertes scientifiques fondamentales d’amont, dont seule la prolifération continue permet la continuation du processus de production.
On trouve dans cette relation le secret ultime de la détermination de la valeur économique : les principes de découverte scientifique fondamentale.