
Après des années de silence radio, les États-Unis et la Russie se parlent de nouveau. Suite à la discussion téléphonique d’une heure et demie entre Trump et Poutine, les délégations américaine et russe se sont rencontrées à Riyad, en Arabie saoudite, afin de préparer le sommet entre les deux présidents.
C’est ainsi que sonne le glas pour « l’ordre mondial fondé sur des règles », mis en place après l’effondrement de l’URSS dans l’espoir d’imposer la domination unilatérale du complexe militaro-financier anglo-américain, et qui a progressivement conduit le monde dans une nouvelle guerre froide, la guerre en Ukraine en étant l’émanation la plus dangereuse dans le sens où elle met directement face à face les deux principales puissances nucléaires.
L’état de sidération des (ir)responsables de l’OTAN et de leurs supplétifs européens, qui se sont réunis à Paris pour crier au loup, à l’idée d’abandonner les Ukrainiens, donne parfaitement la mesure du changement tectonique en cours.
Reprise des relations russo-américaines
« Nous devons craindre que notre base de valeurs communes ne soit plus si commune que cela », a déploré dimanche Christoph Heusgen, le président sortant de la Conférence de Munich sur la sécurité, lors de son discours de clôture. Il réagissait au discours fracassant du vice-président américain J.D. Vance, qui venait de déclarer à Munich que pour l’Europe, la menace ne venait « ni de la Russie, ni de la Chine, ni d’aucun autre acteur extérieur », mais bien de l’intérieur, à cause du « recul de l’Europe par rapport à certaines de ses valeurs les plus fondamentales ».
De plus, comme l’a bien noté Jacques Cheminade sur X, il est hautement significatif que la future rencontre Trump-Poutine n’ait pas lieu dans une capitale européenne, Genève ou Helsinki, mais en Arabie saoudite, sans les représentants européens. Comme l’a commenté le quotidien italien La Verità, il s’agit « d’un nouveau débarquement américain pour sauver l’Europe de l’Union européenne ».
Le 18 février, le secrétaire d’État américain et le ministre russe des Affaires étrangères se sont rencontrés à Riyad pour rétablir des relations régulières entre leurs deux pays et se concerter sur la fin de la guerre en Ukraine. Ces pourparlers faisaient suite à l’appel téléphonique du 12 février entre le président Trump et le président Poutine.
Dans la capitale saoudienne, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov dirigeait la délégation russe, dont fait partie le conseiller en politique étrangère de Poutine, Iouri Ouchakov. Le secrétaire d’État américain Marco Rubio était, quant à lui, à la tête de la délégation américaine, comprenant le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz et l’envoyé spécial pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff.
Suite à ces quatre heures et demie d’entrevue, les comptes rendus officiels des deux côtés ont été plutôt positifs, le communiqué du département américain déclarant : « Le président Trump veut arrêter le carnage ; les États-Unis veulent la paix et utilisent leur force dans le monde pour rassembler les pays. »
Selon les deux rapports, le rétablissement de relations diplomatiques normales est désormais une priorité. Les ambassadeurs seront nommés dès que possible et un mécanisme de consultation sera mis en place pour, selon le communiqué américain, « s’attaquer aux facteurs irritants de nos relations bilatérales ».
De son côté, Lavrov a déclaré à la presse qu’il avait l’intention de lever les restrictions sur les missions diplomatiques de la Russie et les biens saisis aux États-Unis.
Les larmes des faiseurs de guerres atlantistes
Outrés de se voir ainsi exclus des négociations, les dirigeants ukrainiens et européens, ainsi que le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, se sont réunis les17 et 18 février à Paris, à l’initiative du président Macron, pour des sessions d’urgence sur l’Ukraine, dans l’objectif de riposter face au méchant Trump qui ose ainsi vouloir arrêter « notre » guerre.
Alors qu’il s’apprêtait à s’envoler pour l’Arabie saoudite lundi, Lavrov a déclaré : « Je ne sais pas ce qu’ils [les responsables européens] feraient à la table des négociations. (…) S’ils viennent s’y asseoir dans le but de continuer la guerre, alors pourquoi les y inviter ? »
Jacques Cheminade a, quant à lui, réagi sur X :
Riposte ? C’est impossible et ridicule alors que nos dirigeants bafouent notre souveraineté depuis au moins 50 ans et que nous avons été incapables d’instituer ‘une force publique pour l’avantage de tous’ face aux menaces pour nos intérêts vitaux, en ne réprimant pas le narcotrafic à l’intérieur et en nous soumettant à la protection de l’OTAN et des États-Unis à l’extérieur. Surtout, en prétendant avoir encore une volonté politique tout en restant dans l’ordre destructeur des États-nations porté par la City, Wall Street et les ‘grands’ du numérique. Voilà donc notre hypocrite lâcheté punie. Au détriment de 500 000 morts pour rien en Ukraine, faute d’avoir accepté la paix déjà paraphée en mars-avril 2022, que nous avons laissé Boris Johnson et Joe Biden saboter.
L’image la plus appropriée pour décrire l’état de sidération et de détresse des milieux atlantistes est sans doute celle du président sortant de la Conférence de Munich, Christoph Heusgen, fondant en larmes sur le podium en clôturant l’événement. Si sa prise de conscience que « l’Europe et les États-Unis [sous Trump] n’ont plus de base commune » a certainement pesé, son effondrement émotionnel résulte sans doute principalement de la destruction de tout le travail personnel qu’il a effectué sur plusieurs décennies en tant qu’acteur clé de l’establishment libéral transatlantique.
Christoph Heusgen fut en effet l’un des architectes de ce qui allait devenir la Politique de sécurité et de défense commune de l’UE, conçue suite à la rupture franco-allemande avec Washington en 2003, autour de la guerre en Irak. Il travaillait sur le projet avec Robert Cooper, alors qu’ils étaient tous deux assistants de Javier Solana, représentant spécial de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité.
Ancien directeur du ministère britannique des Affaires étrangères, Robert Cooper est connu pour sa doctrine du « nouvel impérialisme libéral », formulée dans son ouvrage de 2002, The Post-modern State (L’État postmoderne).
Avant de se retrouver au sein de l’UE, Cooper était le rédacteur des discours de Tony Blair, tout en contribuant à façonner la politique interventionniste de son gouvernement à l’étranger, justifiée au nom de « la responsabilité de protéger » leurs populations.
Quant à Heusgen, devenu conseiller en politique étrangère de la chancelière Angela Merkel en 2005, il s’efforça de miner les bonnes relations avec la Russie instaurées par Gerhard Schröder. Entre autres exploits, il a soutenu le coup d’État du Maïdan en Ukraine ainsi que le réarmement de Kiev.
Aujourd’hui, les politiques promues par ces atlantistes sont définitivement discréditées, même si Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron, ou le secrétaire général de l’OTAN ne l’ont pas encore admis et continuent à occuper le devant de la scène.