Le 20 janvier aura lieu l’investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Bien que la traditionnelle période de transition, démarrée après l’élection du 5 novembre dernier, nous laisse entrevoir une certaine tendance, il est encore trop tôt pour dire si la nouvelle administration américaine va inaugurer des changements en faveur d’un paradigme de paix ou poursuivre la politique de guerre froide de l’administration Biden. Faisons le point.
Vers une rencontre Trump-Poutine
A quelques jours de son entrée à la Maison-Blanche, Trump a annoncé qu’il envisageait de rencontrer assez rapidement le président russe. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré que Poutine était ouvert à une telle rencontre avec d’autres chefs d’État internationaux, y compris Trump. On peut donc s’attendre à ce que cette entrevue, qui serait une première depuis le début du conflit en Ukraine en 2022, ait lieu très bientôt.
Plusieurs signes indiquent que la nouvelle équipe de Trump, et Trump lui-même, sont prêts à accepter une solution de compromis négocié sur l’Ukraine.
Le nouveau conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Michael Waltz, a reconnu qu’il faudrait commencer par considérer la situation sur le terrain en Ukraine, et qu’il se pourrait très bien que les cinq anciennes régions, dont Kherson, Zaporozhye, Donetsk, Lougansk et la Crimée, ne fassent plus partie de l’Ukraine si un tel règlement se produit.
Trump a déclaré que la guerre aurait pu être évitée si des gages avaient été donnés à la Russie sur la non entrée de l’Ukraine dans l’OTAN.
Une grande partie du problème est que, pendant de très nombreuses années, bien avant Poutine, la Russie a fait savoir que toute intégration de l’Ukraine dans l’OTAN était inenvisageable, a rappelé Trump. Ils l’ont gravé dans le marbre, pour ainsi dire. Mais Biden a affirmé le contraire, la Russie en a pris acte, et je peux comprendre ses sentiments à ce sujet. (…) Et aujourd’hui, la Russie perd beaucoup de jeunes, de même que l’Ukraine, dans un conflit qui n’aurait jamais dû commencer.
De leur côté, tout en se montrant ouverts, les Russes restent très sceptiques, en raison des nombreuses mauvaises expériences qu’ils ont connues avec l’Occident ces dernières années. Par exemple, concernant le règlement du conflit avec l’Ukraine, le ministre des Affaires étrangères Sergeï Lavrov a rejeté les propositions initiales de l’équipe de Trump comme étant insatisfaisantes, car du point de vue russe, a-t-il expliqué, il est absolument inacceptable d’exiger le « gel » du conflit, car cela ne conduirait qu’à un réarmement de l’Ukraine et à une résurgence de la guerre à court ou moyen terme.
Moyen-Orient
Le Moyen-Orient est plus problématique. L’Iran vient de lancer des exercices militaires à grande échelle, essentiellement dans le but de faire échouer toute attaque majeure contre ses installations nucléaires, comme l’a déclaré le major-général Hossein Salami, commandant en chef du Corps des gardiens de la révolution islamique. L’Iran déploie notamment certaines de ses meilleures défenses aériennes autour de deux sites nucléaires majeurs : celui de Fordow, dans la province de Qom, et le complexe nucléaire de Khonab. L’on se prépare donc à une éventuelle attaque.
Keith Kellogg, l’envoyé de Trump pour l’Ukraine, a déclaré dimanche devant un groupe d’opposition iranien à Paris, que le monde devait revenir à la politique de pression maximale sur l’Iran :
Ces pressions ne doivent pas seulement être cinétiques, ni militaires, elles doivent aussi être économiques et diplomatiques. (…) Nous devons exploiter la faiblesse que nous constatons maintenant.
Le 17 janvier, Téhéran doit signer un accord militaire global avec la Russie, qui s’annonce plus important encore que celui déjà conclu avec la Chine. Il est donc évident que tout ce qui touchera l’Iran affectera immédiatement la Russie et la Chine, et malgré l’ouverture du président actuel Pezeshkian vis-à-vis des relations avec l’Occident, de nombreux experts pensent que le véritable pouvoir en Iran reste entre les mains du Guide suprême, Ali Khamenei, et des Gardiens de la révolution.
Dimanche, Steve Witkoff, l’envoyé de Trump pour le Moyen-Orient, a atterri en Israël afin de faire pression en faveur d’un accord, selon la promesse du futur président d’obtenir un cessez-le-feu avant son entrée à la Maison-Blanche. Nul ne peut assurer que cela se fera.
Comme le rappelle la militante de Code Pink Medea Benjamin, durant son premier mandat, Donald Trump a mené une politique résolument pro-israélienne, en déplaçant l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, en soutenant les colonies en Cisjordanie, en reconnaissant le plateau du Golan comme faisant partie d’Israël, en se retirant de l’accord nucléaire iranien et en promulguant les accords d’Abraham pour normaliser les relations entre Israël et les États arabes, tout en ignorant le sort des Palestiniens. Dans ses récentes déclarations, Trump a déclaré que les États-Unis devraient laisser Israël « finir le travail ». Il a averti que « l’enfer se déchaînerait » (« all hell will break loose ») si les otages n’étaient pas libérés au moment où il prendra ses fonctions, et a menacé de réduire l’Iran en miettes.
Une future administration pleine de contradictions
Sur le papier, l’administration Trump qui s’apprête à prendre le pouvoir est « mi-figue, mi-raisin ». Certaines nominations aux postes-clés peuvent légitimement susciter notre inquiétude, comme celle de Mike Huckabee, un fanatique religieux qui considère comme légales les colonies israéliennes, au poste d’ambassadeur des États-Unis en Israël, ou encore celle d’Elise Stefanik, choisie par Trump pour être ambassadrice des États-Unis à l’ONU, et qui a utilisé sa position au Congrès pour étouffer la liberté d’expression sur les campus universitaires et réclamer l’expulsion des manifestants pro-palestiniens munis d’un visa étudiant étranger.
Cependant, les nominations de Tulsi Gabbard et de Kash Patel, respectivement à la tête du Renseignement national et du FBI (nominations restant à confirmer), sont plus prometteuses, car elles représentent quelque chose qui échappe à ce que Trump ou d’autres pourraient appeler « l’État profond », et que nous désignerions plutôt comme le « complexe militaro-financier ».
Le magazine Newsweek a publié les noms de 80 personnalités sur lesquelles Kash Patel a l’intention d’ouvrir des enquêtes, comme il l’a expliqué dans son livre de 2023, Government Gangsters : The Deep State, the Truth, and the Battle for Our Democracy (Un gouvernement de gangsters : l’État profond, la vérité et la bataille pour notre démocratie).
On y retrouve Joe Biden, Hillary Clinton, Susan Rice, Samantha Power, Kamala Harris, l’ancien directeur de la CIA John Brennan, l’ancien directeur du renseignement national James Clapper, l’ancien directeur du FBI Christopher Wray, etc.
Les USA de Trump vont-ils se joindre au nouveau paradigme des BRICS ?
Cependant, l’administration Biden se démène pour utiliser le temps qui lui reste avant l’investiture du 20 janvier pour laisser derrière elle une terre brûlée, dressant tous les obstacles possibles pour contraindre Trump à une politique préalablement définie, favorable aux intérêts dominants à Washington. L’un des exemples les plus significatifs en est la nouvelle série de sanctions sur le pétrole russe ciblant les exportations, les flottes clandestines et les négociants, qui a entraîné ces derniers jours une hausse des prix du pétrole. Elle affecte en particulier l’Inde et la Chine, qui reçoivent respectivement 36 % et 20 % de leurs importations totales de pétrole en provenance de Russie.
Selon l’ancien ambassadeur russe à Washington, Sergueï Kislyak, les Russes estiment que quel que soit le président américain, les intérêts mondiaux des États-Unis restent les mêmes, et tant que cette nation se considérera comme « élue » pour gérer les problèmes du monde entier, rien ne changera. Comme l’a affirmé à plusieurs reprises le secrétaire d’État actuel, Antony Blinken, les États-Unis doivent continuer à dominer le monde, avec plus de 800 bases militaires disséminées un peu partout, dont une grande partie à proximité de la Russie et de la Chine.
Pour Kislyak, il est évident que les États-Unis – et encore moins l’Europe — ne sont plus le centre économique du monde. La dynamique s’est nettement déplacée vers l’Asie, ainsi que vers l’Afrique et l’Amérique latine, qui vont jouer un rôle de plus en plus important à l’avenir, comme le montre l’influence croissante des BRICS+, pour bâtir un système plus juste, basé sur le respect mutuel et le développement économique, et non sur l’exploitation de l’autre.
Ainsi, la question clé sera de savoir si nous pourrons amener la population et les institutions, américaines en particulier et occidentales en général, à accepter ce changement.