Revue de livre

Le Brun et le Vert – Quand les nazis étaient écologistes

mardi 3 janvier 2023, par Pierre Bonnefoy

Revue de livre
Le Brun et le Vert – Quand les nazis étaient écologistes
Philippe Simonnot,
Les éditions du Cerf,
novembre 2022

Certains se sentiront mal à l’aise en lisant ce livre de Philippe Simonnot, puisqu’il montre non seulement qu’Hitler et ses associés étaient des « écologistes », mais surtout que nazisme et écologisme (à ne pas confondre avec la science de l’écologie) proviennent de la même matrice idéologique.

La culture actuelle étant basée sur la manipulation des émotions immédiates et l’utilisation de messages-chocs, il est difficile pour des jeunes séduits par l’écologisme, bien qu’ils affirment agir pour les générations futures, de développer une pensée sur le temps long. Ils véhiculent cependant des idées dont ils négligent non seulement les origines, mais aussi les conséquences désastreuses. Puisse ce livre les aider à réfléchir.

Déification de la nature

Philippe Simonnot.

Au commencement, selon Simonnot, le biologiste Ernst Haeckel inventa le mot « écologie » et introduisit le darwinisme en Allemagne.

Tout comme son idole, mais de manière plus explicite, Haeckel voyait une parfaite continuité entre les différentes races du monde animal et de l’humanité. Au sommet de la hiérarchie du vivant qu’il établit, il place les hommes d’Europe du Nord ; aux échelons inférieurs, viennent les sémites et les « nègres », plus proches des singes.

Cependant, il n’existe dans cette vision qu’une différence de degré entre espèces vivantes, mais aucune différence fondamentale entre l’humain et l’animal. L’ennemi désigné par Haeckel et tous ses disciples est donc naturellement le judéo-christianisme, qui distingue l’homme de l’animal dès le livre de la Genèse, où Dieu ordonne au premier de croître, se multiplier, dominer la Terre et d’asservir les créatures qui la peuplent. De cette injonction, selon Haeckel, découlerait le développement de l’industrie moderne, à cause de laquelle l’homme détruirait la nature alors qu’il n’en serait en réalité qu’un simple chaînon.

Suivant la même logique, Hitler écrit dans Mein Kampf :

En tentant de se révolter contre la logique inflexible de la nature, l’homme entre en conflit avec les principes auxquels il doit d’exister en tant qu’homme. C’est ainsi qu’en agissant contre le vœu de la nature il prépare sa propre ruine. Ici intervient, il est vrai, l’objection spécifiquement judaïque aussi comique que niaise, du pacifiste moderne : ‘L’homme doit précisément vaincre la nature’.

Dès lors, le nazi se conçoit comme étant au service d’une divinité païenne, la nature, à la manière d’un jardinier ou d’un paysagiste : selon Walther Shoenichen, le disciple de Haeckel inspirateur des premières lois nazies de protection de la nature, toutes les espèces vivantes doivent être préservées, ce qui implique de lutter contre certains parasites ou espèces invasives parmi lesquelles il fera figurer les juifs (selon son idéologie du sol et du sang, l’identité d’un peuple est indissociable de son territoire – il dirait aujourd’hui son écosystème – mais les juifs étant qualifiés de « peuple déraciné », ils devraient donc être considérés comme des parasites).

Après la théorie, la pratique

Cette sauvegarde de la biodiversité présente certaines caractéristiques spécifiques : chaque paysage étant le reflet de la société humaine qui le peuple, le paysage le plus évolué est la forêt allemande ; à des niveaux inférieurs figurent les steppes slaves et les déserts judaïques.

Partant de là, l’un des buts de l’opération Barbarossa fut donc de « germaniser » les territoires polonais, ukrainiens, biélorusses et russes, c’est-à-dire d’y créer des réserves naturelles à l’image de la forêt allemande, après les avoir nettoyés de leur population slave et colonisés avec de bons aryens.

Hermann Goering était particulièrement attaché à ce projet (qui nous rappelle les pratiques du WWF dans les pays pauvres pour y établir des parcs naturels, bien que Simonnot n’en parle pas ici).

Dans ce contexte, les travaux d’infrastructure, tels que la construction des fameuses autoroutes d’Hitler, devaient impérativement prendre en compte la préservation de la nature.

Des paysagistes nazis de premier plan étaient impliqués dans ces travaux, et beaucoup d’entre eux comme Alwin Seifert furent blanchis après la guerre et sont encore considérés comme des scientifiques respectables par les écologistes allemands d’aujourd’hui. Rajoutons que ceci est cohérent avec l’hostilité de Heidegger pour les grands barrages.

En ce qui concerne l’agriculture, pour beaucoup de dignitaires du régime comme Rudolf Hess, le modèle à suivre était la biodynamique de Rudolf Steiner, bannissant pesticides et engrais. Ce type d’agriculture ayant de mauvais rendements et nécessitant donc une main d’œuvre intensive, des plantations expérimentales en vue de futures colonisations de l’Est furent étudiées dans certains camps de concentration comme Dachau ou Auschwitz.

On y faisait travailler le « matériel humain » jusqu’à épuisement avant de l’éliminer dans les chambres à gaz. Notons au passage qu’Heinrich Himmler, l’artisan de la Solution finale et grand ami des animaux, considérait la chasse comme un meurtre. Il est vrai que dès le début, le gouvernement nazi avait institué toute une série de lois pour protéger les animaux et limiter la souffrance animale, Hitler et plusieurs de ses proches étant par ailleurs végétariens.

Les lignes qui précèdent ne font qu’évoquer certains points du livre de Philippe Simonnot. Il est clair que cette analyse du passé a pour cible réelle l’écologisme d’aujourd’hui qui tend à « oublier » ses racines idéologiques. L’auteur avait l’intention d’étudier davantage les mouvements militants actuels dans une future enquête, mais il est malheureusement décédé en novembre 2022, quelques jours avant la publication de son livre. Espérons qu’il inspirera d’autres chercheurs.

Une écologie humaine et scientifique

Finissons néanmoins cette recension en mentionnant un « angle mort » de sa recherche. Il s’agit des racines britanniques (et pas seulement allemandes) de l’écologisme. Simonnot a parfaitement raison de montrer que la notion d’espace vital (lebensraum) chère à Hitler rejoint les théories de Thomas Malthus, mais il semble avoir une certaine réticence à explorer cette piste jusqu’au bout et à s’en prendre au darwinisme. Darwin serait-il innocent de ce qu’ont dit après lui ses disciples comme Haeckel ? Trop souvent on assimile le darwinisme à l’évolutionnisme. Attaquer Darwin reviendrait alors à se placer dans le camp du créationnisme. Chassons ce préjugé.

Le véritable apport de Darwin n’est pas l’évolutionnisme mais la « sélection naturelle », selon laquelle le plus apte survit aux dépens du moins apte dans la lutte pour l’existence. Or, ceci nous indique certes comment des espèces disparaissent, mais pas comment en apparaissent de nouvelles. Pour ces dernières, Darwin et ses héritiers ne parlent que de variations aléatoires, refusant l’idée qu’il puisse exister un principe directeur de l’évolution.

Cette vision d’une « lutte pour l’existence » était partagée non seulement par le Troisième Reich, mais également par l’Empire colonial britannique auquel Malthus et Darwin étaient liés. Cet empire a tué des dizaines de millions d’êtres humains dans ses colonies, notamment en organisant artificiellement des famines en Inde, dont l’une des plus notables a sévi au Bengale… en 1943, sous Churchill.

Mais ceci ne serait pas concluant contre Darwin s’il n’existait aucune théorie évolutionniste non darwinienne et non malthusienne. Or une telle théorie a souvent été présentée sur ce site : elle vient de l’écologue russe Vladimir Vernadski, découvreur des notions scientifiques de biosphère et de noosphère.

De ce point de vue, l’activité humaine introduit une transformation accélérée, irréversible mais légitime de la nature : avec l’apparition de l’homme, l’évolution devient auto-consciente et donc plus efficace. Elle ne se réduit plus à une lutte de chacun contre tous pour la survie !

L’erreur fondamentale commise par tous les écologistes de Darwin à Hitler, mais heureusement corrigée par Vernadski (et par Lyndon LaRouche après lui), revient à nier ce qui distingue radicalement l’être humain de l’animal : l’intelligence créatrice. Ils réduisent cette intelligence à un processus purement biologique. Dès lors, ils peuvent proclamer que l’homme est une bête et organiser la société en conséquence.

Et comme on le sait, la haine de la pensée est la marque des pires sociétés dictatoriales.