China-bashing : Londres veut préempter toute alliance internationale contre le Covid-19

jeudi 23 avril 2020

Chronique stratégique du 23 avril 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

L’hystérie anti-chinoise atteint des sommets ; plusieurs États américains ont lancé des procédures judiciaires contre le Parti communiste chinois, accusant le gouvernement chinois d’avoir caché la gravité de l’épidémie de coronavirus. Ce sont les services britanniques et américains, via la Henry Jackson Society, qui ont initié cette croisade folle rappelant les pires moments de la guerre froide.

Le sang tourne et bouille, et les esprits perdent la tête. Aux États-Unis, où l’épidémie de coronavirus et ses conséquences économiques et sociales prennent des proportions vertigineuses, la propagande initiée par les néoconservateurs anglo-américains pour faire de la Chine un bouc émissaire prend tel un feu de paille. Trois États – le Missouri, le Nevada et le Mississippi – ont déposé plainte contre le gouvernement chinois, le Parti communiste chinois (PCC) ainsi que d’autres responsables et institutions du pays du milieu, les accusant d’avoir « caché des informations cruciales » au tout début de l’épidémie. Le procureur républicain du Missouri Eric Schmitt, qui a déposé la plainte au civil mardi, a dénoncé « une campagne effroyable de tromperie, de dissimulation, de malversation et d’inaction ».

Aucune preuve n’a été apportée pour prouver que la Chine est coupable d’avoir tardé à communiquer sur la gravité de la maladie. Et dans l’hypothèse où cela aurait été le cas, les dirigeants occidentaux ne peuvent tenir la Chine pour responsable de leur propre inaction dans la période allant du 23 janvier, date de la mise en confinement de Wuhan, à la mi-mars, moment où les premières décisions ont été prises en Europe, puis au Royaume Uni et aux États-Unis...

Comme nos lecteurs le savent, les milieux néoconservateurs anglo-américains, qui s’accrochent obstinément aux privilèges que se sont accordés les « vainqueurs » de la Deuxième Guerre mondiale, tentent désespérément de saboter toute coordination et coopération internationales pour lutter contre la pandémie. Car le danger est trop grand pour eux de voir cette coopération s’étendre à une remise en cause globale du système destructeur de profit financier centré sur Wall Street et la City de Londres, qui a pourtant créé les conditions de cette crise sanitaire. L’enjeu se cristallise en particulier aux États-Unis, où il s’agit pour eux de détourner Donald Trump de son premier instinct en faveur d’une entente avec Poutine et Xi Jinping.

Londres tire la ficelle anti-chinoise

C’est bien du Royaume-Uni qu’a été lancée la campagne « la Chine doit payer », à partir d’un rapport publié le 5 avril par la Henry Jackson Society (HJS), un think-tank néoconservateur basé à Londres, qui encourage les pays membres du G-7 à réclamer jusqu’à 4000 milliards de « compensations » financières pour les dommages causées par la pandémie. Ce rapport a été largement diffusé dans la presse conservatrice britannique, et relayé dans plusieurs pays, notamment en Allemagne – où le Bild Zeitung a demandé que la Chine rembourse 140 milliards d’euros à l’Allemagne –, et aux États-Unis. L’ancien directeur du MI-6 John Sawers est lui-même monté au créneau pour pousser les Américains à attaquer la Chine.

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Ce n’est pas la première fois que Londres se trouve au cœur d’une campagne visant à mettre le feu aux poudres. Rappelons que ce sont les services secrets britanniques qui ont concocté le « sexy dossier » des prétendues armes de destruction massive irakiennes, remis à Tony Blair par le directeur de l’époque du MI-6, Sir Richard Dearlove, un membre fondateur de la HJS. Les Britanniques ont été à l’initiative de presque tous les montages lancés directement ou indirectement contre la Russie : « l’affaire Skripal », les accusations d’utilisation d’armes chimiques en Syrie, et surtout le montage politico-médiatique dit du « Russiagate » accusant la Russie d’avoir manipulé les élections de 2016 pour faire élire Trump, où l’on retrouve Richard Dearlove dans le rôle du parrain de Christopher Steele, l’homme du fameux « dossier Steele ».

L’alliance atlantique contre la coopération mondiale

Le lundi 19 avril, lors d’une visio-conférence intitulée « L’alliance atlantique dans un nouvel âge de compétition entre puissances », la HJS a exposé sa vision du monde et les préconisations, qu’elle avait détaillé dans un rapport précédent intitulé « Global Britain ». « Les Britanniques doivent unir le monde occidental pour faire face à la dictature autoritaire chinoise, qui utilise la technologie, l’aide médicale et la construction d’infrastructures pour subvertir le monde occidental et imposer leur modèle de contrôle social au reste du monde », peut-on lire dans le texte d’introduction de la conférence.

Pour la HJS, la politique chinoise de développement d’infrastructures, et d’aide médicale massive apportée aux pays touchés par le coronavirus, qui « gagne partout les cœurs et les esprits », n’est qu’une tactique pour imposer leur dictature sur le monde. Selon Jakub Janka, directeur exécutif du European values Center for Security Policy de Prague, la Chine agit comme une « force d’occupation » en Europe centrale et orientale. « Ses quatre objectifs sont : 1/ forcer les pays à rompre leurs relations avec Taïwan, 2/ Espionner tout le monde, 3/ Introduire partout Huawei et 4/ Faire cesser tout blâme contre elle à propos des droits de l’Homme », a déclaré Janka, ajoutant : « C’est une nouvelle guerre froide, peu importe comment vous l’appelez, entre la Chine et le monde libre ».

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L’ennemi, c’est le virus, pas la Chine !

Face à cette belle brochette d’idéologues fanatiques, restés englués dans la géopolitique du XXe siècle, la Chine garde heureusement son sang-froid. Répondant aux accusations lancées depuis Londres, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Geng Shuang, a demandé :

Est-ce que quelqu’un avait demandé aux États-Unis d’apporter des compensations pour la grippe H1N1 de 2009, qui fut d’abord diagnostiquée là-bas avant de se répandre dans 214 pays et régions du monde, tuant près de 200 000 personnes ? Le Sida fut également repéré aux États-Unis dans les années 1980, avant de s’étendre dans le monde, causant des souffrances indicibles et d’innombrables victimes. Est-ce que quelqu’un s’était manifesté pour les en tenir responsables ?

Les États-Unis doivent comprendre que leur ennemi est le virus, pas la Chine, a ajouté Geng. La communauté internationale ne pourra vaincre le virus qu’en agissant ensemble. Attaquer et discréditer d’autres pays ne permettra de sauver ni du temps ni des vies. Nous espérons que la partie américaine s’en tiendra aux faits, à la science et au consensus international, et cessera d’attaquer et de blâmer la Chine pour rien, cessera de faire des remarques irresponsables, et se concentrera plutôt sur le combat contre la pandémie chez elle et sur la promotion de la coopération internationale.

S’inscrivant dans cet esprit de coopération, plusieurs dirigeants mondiaux – dont le président allemand Franz-Walter Steinmeier, le roi de Jordanie Abdallah II, le président éthiopien Sahl-Work Iewde et le président équatorien Levin Moreno Garcès – ont publié une lettre dans le Financial Times, lançant un appel à une alliance globale pour combattre la pandémie de Covid-19. « C’est une crise globale, écrivent-ils. Nous faisons tous face à un ennemi commun et nous devons nous lever pour amener l’humanité à unir ses forces. Il ne pourra y avoir de victoire contre le virus dans un seul pays ou dans un groupe de pays. (…) Une solution globale est dans l’intérêt de chacun ».

Afin de débattre en direct des principes fondateurs de ce nécessaire nouveau paradigme de coopération internationale, l’Institut Schiller tiendra une visio-conférence internationale samedi 25 et dimanche 26 avril, réunissant des experts de haut niveau, venus de différentes parties du monde. Nous vous invitons chaleureusement, chers lecteurs, à vous y connecter.

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