Donald Trump à la croisée des chemins

mercredi 15 mai 2019, par Karel Vereycken

thenib.com

En 2016, pour se faire élire par un peuple américain craignant le déclassement et pressuré par une mondialisation financière qui profite aux 1 % les plus riches au détriment du plus grand nombre, Trump avait réduit son message à quatre points :

  1. ramener à zéro l’immigration légale et clandestine ;
  2. mettre un terme aux guerres sans fin que mènent les Etats-Unis aux quatre coins du monde ;
  3. reconstruire les infrastructures de base ;
  4. rapatrier les emplois industriels en affrontant le pays accusé de les avoir volés : la Chine.

Or, victime d’un barrage incessant de scandales, l’image de Trump ne cesse de se dégrader. Bien que sa popularité soit passée de 40 points d’opinions favorables à 46, elle est cependant dépassée par l’opinion défavorable, avec 50 points. Une pétition appelant à sa destitution (un scénario irréalisable pour l’instant) a même recueilli pas moins de dix millions de signatures.

En réaction, dopé par des chiffres truqués mais rassurants sur l’emploi et la croissance, Trump, à dix-huit mois de sa réélection éventuelle, se démène pour apparaître comme l’homme qui tient ses promesses.

Après s’être entouré d’une équipe aussi incompétente que belliqueuse, Trump récolte chaque jour le fruit amer de ses choix. Si le président cherche à nouer des relations « normales » avec la Russie et la Chine, les « chiens de guerre » de l’administration (Pence, Bolton et Pompeo), jour après jour, sans que l’on sache vraiment qui tient l’autre en laisse, multiplient ou durcissent les sanctions contre les uns et les provocations contre les autres.

Dans ce domaine, John Bolton, son conseiller national à la sécurité, est infatigable. Après avoir saboté le sommet de Saïgon (Vietnam) entre Trump et Kim Jong-un, en proposant à la Corée du Nord un désarmement nucléaire immédiat et total « à la libyenne », notre homme, connaissant visiblement mal la réalité du terrain, a appelé à renverser le gouvernement du Venezuela et à envoyer une flotte de guerre et des bombardiers pour faire monter la pression sur l’Iran. Selon le Washington Post, citant un Trump avide de susciter un changement de régime au Venezuela, s’indigne que « Bolton veuille l’entraîner dans une guerre ».

Le secrétaire d’Etat à la Défense, Mike Pompeo, un fondamentaliste évangélique délirant, est un autre cas d’espèce. Rappelons d’abord qu’aux Etats-Unis, les révélations de l’ancien directeur technique de la NSA, Bill Binney, et de l’ancien analyste de la CIA Larry Johnson, ont démontré sans conteste que ce ne sont pas les Russes qui se sont ingérés dans les élections américaines, mais bien les Britanniques, inquiets à l’idée que Trump fasse sortir les Etats-Unis de l’OTAN et mette fin à la « relation spéciale » entre Londres et Washington.

Ces vérités n’ont pas empêché le secrétaire d’Etat Pompeo de claironner à Londres, le 8 mai, combien la « relation spéciale » anglo-américaine était vivante et appréciée (par des va-t-en guerre comme lui !).

Quant au gourou de la droite identitaire Steve Bannon, après s’être longuement entretenu avec l’ancien secrétaire d’Etat américain Kissinger, il a suivit ses conseils en ressuscitant le « Comité du danger présent », lobby anti-communiste virulent de la Guerre froide, cette fois pour lutter contre la Chine.

Pour Bannon, si Poutine et Xi sont tous deux de dangereux kleptocrates communistes entourés d’oligarques, la différence c’est qu’avec la Russie, on pourra, le cas échéant, faire renaître « la civilisation judéo-chrétienne », alors que la Chine demeurera toujours « l’adversaire existentiel ».

Or, Bannon compte parmi ses amis l’économiste Peter Navarro, auteur de plusieurs livres virulemment anti-chinois et chef du Conseil national du Commerce à la Maison-Blanche. En cette qualité, Navarro est l’un des négociateurs des accords commerciaux avec la Chine… avec le succès qu’on connaît.

Pour sa part, le vice-Premier ministre chinois Liu He, qui n’avait plus le statut « d’envoyé spécial du président Xi », a souligné que la Chine resterait ouverte à des négociations et a résumé les trois désaccords majeurs :

  1. Le côté chinois pense que tous les tarifs douaniers punitifs doivent être enlevés pour arriver à un accord. Washington a augmenté les tarifs sur les produits chinois vendredi ;
  2. Les 2 côtés devaient encore décider des chiffres préliminaires concernant les achats de produits américains. Cela fait partie d’un accord conclu l’an dernier par les dirigeants chinois et américain en Argentine pour augmenter les importations chinoises et réduire le surplus commercial avec les Etats-Unis ;
  3. Tout accord devait être équilibré, Liu He soulignant qu’il y avait certains principes sur lesquels la Chine ne ferait pas de compromis,.« N’importe quel pays a besoin de sa propre dignité », a-t-il rappelé.

« Maintenant, dit-il, les deux délégations sont parvenues à une compréhension mutuelle sur nombre d’aspects, mais pour être franc, il y a aussi des divergences. Nous pensons que ces divergences portent sur des questions de principe importantes », Or, « nous ne pouvons absolument pas faire de concessions sur de telles questions de principe ».

Pour comprendre ces divergences, écoutons ce qu’en disait le 9 mai dans Libération, David Dollar, l’ancien envoyé économique et financier du Trésor américain en Chine :

La Chine, qui s’est engagé à acheter davantage de produits américains, notamment agricoles et dans l’énergie, demande la levée des droits de douane sur les marchandises chinoises, ce que Washington n’est visiblement pas près de faire. Pour les Etats-Unis, ce qui coince principalement, ce sont les modalités de mise en application d’un éventuel accord. Les Chinois veulent l’inscrire dans un simple règlement, émanant du Conseil d’Etat chinois, quand les Américains veulent que l’accord soit gravé dans la loi, considérant qu’ainsi, il sera plus difficile à amender ou à réécrire. L’administration Trump a affirmé qu’elle ne signerait le texte que s’il est assorti de mesures permettant de vérifier que gouvernement chinois respecte ses engagements.

Cependant, ce qui est beaucoup plus problématique, c’est le fait que,

Washington exige des changements structurels pour mettre fin aux subventions chinoises aux entreprises publiques, ainsi qu’au transfert forcé de la propriété intellectuelle. Environ 30 % des investissements étrangers concernent des secteurs dans lesquels il est obligatoire de former des coentreprises pour pénétrer le marché chinois, et donc de partager les technologies, ce qui ne plaît guère aux Européens comme aux Américains. Les Etats-Unis, dans une optique de libre-échange, veulent également l’ouverture totale du marché chinois [1] Aujourd’hui, certains secteurs, comme l’automobile ou les télécommunications, sont fermés aux investissements étrangers, ce qui fait dire aux Américains que la Chine ne respecte pas les règles et sape la légitimité et la cohérence du système entier. Sur ce point d’ailleurs, les Européens sont tout à fait d’accord avec les Etats-Unis et sont très favorables à l’ouverture totale de l’économie chinoise.

A propos de l’Administration Trump, l’unique lueur d’espoir reste l’annonce récente de débloquer, d’un commun accord avec certains démocrates, quelque 2000 milliards de dollars pour amorcer la remise en état des infrastructures américaines au niveau où elles étaient il y a vingt ans. Reste à trouver les financements.

Bien que l’on ne puisse reprocher à Trump d’avoir systématiquement de mauvaises intentions, et qu’il ait même, parfois, des intuitions allant dans le bon sens, les collaborateurs qu’il a choisis, ou qu’on lui a imposés pour le « cadrer », s’avèrent être la clé de son échec, voire de son éventuelle défaite à venir.


[1Pour comprendre la différence entre « libérer » les échanges et « libéraliser les marchés », consultez l’encadré " « Libération » ou « Libéralisation » des échanges ? " dans cet article.