Revue de livre

LIVRE : La tentation écofasciste – écologie et extrême-droite

dimanche 16 juillet 2023, par Pierre Bonnefoy

Revue de livre
La tentation écofasciste – écologie et extrême-droite
Pierre Madelin
Éditions écosociété, avril 2023
18€, 264 pages

Dans ce livre au titre vert sur fond brun en première de couverture, l’auteur tente de répondre aux accusations d’« écofascisme » portées de plus en plus fréquemment ces dernières années à l’égard de militants, de mouvements ou d’idéologies écologistes.

En toile de fond de ces polémiques, rappelons que les auteurs de massacres racistes commis en 2019 à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et à El Paso, au Texas, avaient diffusé des communiqués pour justifier leurs crimes par des considérations écologistes, du genre : « L’immigration et le réchauffement climatique sont deux faces du même problème (…) Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et ainsi sauver l’environnement. »

De plus – coïncidence ? – ce livre est sorti à peine quatre mois après l’ouvrage très intéressant de Philippe Simonnot, au titre évocateur Le Brun et le Vert – Quand les nazis étaient écologistes, mais que Madelin ne mentionne pourtant pas parmi les nombreux écrits établissant des liens entre écologisme et fascisme qu’il s’efforce de réfuter.

Même s’il met en garde contre le danger que la « crise écologique » puisse servir de prétexte à des crimes et à des formes de gouvernement autoritaires « pour sauver la planète », l’auteur de La tentation écofasciste affirme qu’il n’y a jamais eu, jusqu’à présent, de véritable gouvernement écofasciste.

Pour lui, le véritable ennemi c’est « l’anthropocène » qui repose sur l’idée que l’homme est supérieur à toutes les autres formes vivantes, et qu’il peut donc saccager l’environnement à son gré. Selon Madelin, c’est de là que découlerait toute forme d’oppression sociale et politique, et donc le fascisme, car la hiérarchie inégalitaire imposée sur les êtres vivants dans l’anthropocène aurait son pendant dans l’organisation hiérarchique injuste imposée sur les êtres humains dans la société. La véritable émancipation de l’être humain passerait donc par un écologisme décroissant, par la conservation des écosystèmes dans leur état « naturel » et par la mise en place d’une organisation sociale purement locale – l’État sous toutes ses formes, fascistes ou autres, étant vu comme intrinsèquement oppresseur.

Écologisme et fascisme seraient donc a priori antinomiques.

Les nombreux articles de notre site sur l’écologisme, la science et l’histoire s’inscrivant en faux contre un tel point de vue qui ne peut être correctement réfuté en quelques lignes seulement, nous renvoyons donc le lecteur à notre rubrique « Documents de fond » et nous nous limiterons ici à quelques remarques.

Madelin affirme que la conception mystique de la nature chez les nazis ne correspond pas à l’idée d’une véritable nature vierge de toute action destructrice de l’être humain, puisque le IIIe Reich a produit des infrastructures, de l’agriculture, de l’industrie. A l’opposé, seule une écologie décroissante permettrait de conserver la nature dans sa virginité originelle.

Certes, répondrons-nous, la conception de la nature des nazis est scientifiquement absurde, mais on pourrait en dire autant de toute idée de « conservation » du fait que nous vivons dans un univers qui évolue en permanence, comme le savent tous les bons écologues. Les écologistes déplorent les effets de l’action de l’homme sur la nature, mais ils sont bien incapables de définir quel serait l’état « normal » de celle-ci (entendez : en l’absence d’action humaine).

Une véritable démarche scientifique et responsable consiste au contraire à chercher à connaître les principes physiques selon lesquels le monde dans lequel nous vivons se transforme, et en fonction de cette connaissance, à faire de l’humanité un facteur conscient de ce changement (et non pas un facteur de conservation). Les autres espèces vivantes participent également à ce changement, mais seulement de manière inconsciente – c’est d’ailleurs pour cette raison que l’être humain a un rôle unique et légitime dans la biosphère.

L’ironie dans tout cela, c’est que le découvreur de la notion scientifique de biosphère, le Russe Vladimir Vernadski, l’avait si bien compris qu’il développa aussi la notion de noosphère. Il avait une vision évolutive de la biosphère, contrairement à celle implicitement fixiste de nos écologistes actuels. Si ces derniers redécouvraient ce travail fondateur pour la science de l’écologie, et contraire à tout ce qu’ils ont pu apprendre et répéter, ils seraient très choqués.

Vouloir dogmatiquement conserver la nature dans un certain état, ne peut aboutir qu’à des dégâts aussi bien humains qu’environnementaux, comme le montrent par exemple les politiques de parcs naturels imposés par le WWF en Afrique avec toute la brutalité dont le colonialisme est capable (voir notre article Les pratiques criminelles du WWF dans les parcs naturels).

On regrettera d’ailleurs que Madelin ne mentionne pas le WWF dans son livre, alors que sans l’argent et le poids politique de ses fondateurs, les différentes formes de militantisme écologiste que nous connaissons aujourd’hui n’existeraient probablement pas. Sans doute serait-il encore plus impoli de notre part de rappeler ici les liens bien documentés avec le nazisme de certains dirigeants du WWF comme ces champions de la conservation qu’étaient le prince Philip d’Édimbourg et le prince Bernhard de Hollande...

Le prince Philip était un néo-malthusien de premier plan et un raciste notoire. Madelin ne le mentionne pas dans son chapitre consacré aux néo-malthusiens contemporains comme Paul Ehrlich, mais il témoigne à l’égard de ces derniers d’une certaine complaisance assortie d’une pointe de dégoût. Ignorerait-t-il les pratiques politiques auxquelles ce genre de théories sert de justification pseudo scientifique ? (voir notre article sur Henry Kissinger et le NSSM200).

Bien entendu, il ne s’agit pas ici pour nous de dire que tous les écologistes sont des nazis (ni que toute action de l’homme sur la nature est bonne en soi), mais il faut souligner que l’idéologie nazie et l’écologisme décroissant ont des axiomes en commun. Les deux nous donnent l’illusion d’un monde « idéal » figé vers lequel il faudrait tendre. Les deux refusent de tirer les conséquences du fait de la nature que notre univers est gouverné par un changement permanent et que l’intelligence humaine est un puissant facteur de ce changement.

Partant d’axiomes erronés similaires, des esprits faibles risquent d’aboutir à des conséquences très voisines. Vouloir tracer une ligne de démarcation entre l’écologisme décroissant et les idéologies fascistes, comme le fait Madelin dans son livre, relève donc au mieux d’une perte de temps.