Ukraine

Berlin, Gênes, Londres, Bruxelles, Paris, des citoyens relancent le mouvement pour la paix

mercredi 1er mars 2023, par Karel Vereycken

A en croire les grandes agences de presse internationale telles que l’AFP, AP, Reuters, dpa, etc., sur presque toute la planète, « de Séoul à Brazilia en passant par Paris, Bangkok, Bruxelles, Rome et ailleurs », d’innombrables associations et citoyens ont défilé le week-end dernier « en solidarité avec le peuple ukrainien » victime de « l’invasion russe », tout en appelant « au retrait immédiat des forces armées russes », et pour soutenir la politique de « l’Occident civilisé » et de l’OTAN, favorable à la livraison d’armes de plus en plus destructrices.

Détourner l’élan

A l’approche du premier anniversaire du prétendu début du conflit (24 février 2022), l’oligarchie a tenté de détourner l’émotion suscitée par les horreurs de la guerre au profit de pseudo-manifestations de solidarité avec le peuple ukrainien et pour la paix, blâmant exclusivement le président Vladimir Poutine et la Fédération de Russie sans évoquer la responsabilité évidente du « parti de la guerre » anglo-américain et de ses relais dans l’OTAN et l’UE dans ce conflit.

Cependant, cette tentative de prise en otage a complètement échoué en Allemagne.

Certes, le vendredi 24 février à Berlin, on a pu voir pas moins de 10 000 personnes défiler en faveur des politiques bellicistes de l’OTAN et de l’UE. Les manifestants se sont rassemblés devant la porte de Brandebourg et sur la fameuse avenue Unter den Linden, où se trouve l’ambassade de Russie. Une association a même été autorisée à exposer un char russe T-72 endommagé lors des combats en Ukraine et pointant son canon en direction de l’ambassade de Russie...

Berlin 50000 !

A Berlin, on a chanté des canons pour la paix !

Mais dès le lendemain, samedi 25 février, ce sont près de 50 000 citoyens allemands, venus de tout le pays et en particulier de l’ancienne Allemagne de l’Est, qui ont répondu présent à l’appel lancé par l’auteure féministe Alice Schwarzer et par Sahra Wagenknecht, la compagne d’Oscar Lafontaine, actuellement dénoncée par le parti Die Linke dont elle était récemment encore l’égérie.

La presse rapporte que la police a mobilisé 1400 agents pour maintenir l’ordre et « faire respecter l’interdiction de faire parader des uniformes militaires, des drapeaux russes et soviétiques, certains symboles d’extrême droite et de chanter des chansons militaires russes ».

Le porte-parole de la police a déclaré n’avoir eu aucun signalement d’une quelconque présence de groupes d’extrême droite et que la manifestation, à laquelle le ministre allemand des Finances Christian Lindner a déclaré qu’il fallait « clairement s’opposer », était pacifique. « Celui qui ne soutient pas l’Ukraine est du mauvais côté de l’Histoire », a-t-il écrit sur Twitter.

Très actifs sur le terrain pour faire connaître leurs propositions, les membres et sympathisants du Mouvement des droits civiques-Solidarité (Büso), le parti politique allemand présidé par Helga Zepp-LaRouche, par ailleurs fondatrice de l’Institut Schiller, organisation internationale très engagée à galvaniser sur plusieurs continents une action commune contre la guerre et pour une « nouvelle architecture mondiale de sécurité et de développement ».

Des milliers de tracts, intitulés « Arrêter les livraisons d’armes, l’Allemagne hors de l’OTAN, stopper l’escalade de la guerre, pour une architecture de sécurité mondiale » ont immédiatement trouvé preneur.

Banderole du Büso à Cologne le nom de la paix, c’est le développement.

Le 22 février, le quotidien Le Monde, dans un article intitulé « Après un an de guerre, les contestations des populations occidentales au soutien à l’Ukraine sont minoritaires mais en hausse », identifiant des « signaux faibles » mais clairement précurseurs, mettait déjà en garde. Si l’état d’esprit reste franchement moutonnier sur les îles Britanniques, avec 6 habitants sur 10 approuvant l’aide du Royaume-Uni à l’Ukraine (sondage Ipsos du 31 octobre 2022), la situation est tout autre en Allemagne, où, « début février, 58 % des personnes interrogées considéraient comme insuffisants les efforts diplomatiques déployés par Berlin pour mettre fin à la guerre, soit 17 points de plus qu’en juin 2022 ». (Baromètre mensuel ARD-DeutschlandTrend.)

Douze mois après le début des hostilités, estime Le Monde,

le clivage Est-Ouest est très net. Dans son enquête de début février, l’institut Allensbach a ainsi posé la question suivante : ‘L’Ukraine devrait-elle renoncer à résister à la Russie et cesser de combattre ?’ Dans les Länder de l’Ouest, 20 % des personnes interrogées ont répondu oui ; dans ceux de l’ex-République démocratique allemande (RDA), 41 %. Dans cette partie du pays qui fut dans la sphère d’influence soviétique et où les partis les plus russophiles du spectre politique allemand font leurs meilleurs scores – Die Linke à l’extrême gauche, et l’AfD à l’extrême droite –, plus des trois quarts des personnes interrogées sont favorables à un cessez-le-feu immédiat et à l’ouverture de négociations de paix, estimant que la priorité est l’arrêt des combats. A l’Ouest, elles sont 58 % à défendre cette opinion. 

Le séisme que représente le chiffre impressionnant de 50 000 manifestants à Berlin ce 25 février 2023, après les 10 000 réunis à Munich le 19 février et d’autres manifestations de quelques centaines ou milliers de citoyens dans d’autres villes (Bonn, Cologne, Stuttgart, etc.) est le fruit d’une dynamique d’ensemble parvenue au bout d’un long processus.

  • Le choc provoqué dans la population européenne et allemande par le dynamitage des deux gazoducs Nordstream, le 26 septembre 2022. Or, d’après l’article récent de Seymour Hersch, un journaliste d’enquête connu pour son intégrité morale et intellectuelle, il s’agit d’un « acte de guerre » commis par le président américain Joe Biden en personne. En clair, un acte hostile d’un pays membre de l’OTAN (les Etats-Unis) contre d’autres pays membres de l’Alliance Atlantique (l’Allemagne mais également la France). Le gouvernement allemand protège-t-il réellement son peuple ?
  • L’initiative pour la paix du Conseil municipal de la ville hanséatique de Stralsund, le 20 octobre 2002, offrant son magnifique Hôtel-de-ville pour y tenir, si le gouvernement le décide, des pourparlers de paix ;
  • Les manifestations de communes allemandes, en particulier en Allemagne orientale où, suite aux pénuries de gaz russe et à l’explosion des coûts de l’énergie résultant des sanctions contre la Russie, industries, entreprises et commerces ferment, provoquant suppressions d’emploi, chômage et paupérisation. Cela comprend la bataille pour la raffinerie de Schwedt (nationalisée en urgence), qui fournit environ 90 % des besoins en carburant de Berlin.
    La manifestation pour la paix à Washington DC le 19 février 2023, intitulée « Rage Against the War Machine », qui, bien que réunissant relativement peu de gens, a réussi à coaliser pour une même cause (mettre fin à la guerre), des forces politiques de sensibilités parfois radicalement opposées sur d’autres sujets.

« Manifeste pour la paix »

Autre fait révélateur du basculement de l’opinion outre-Rhin, Schwarzer et Wagenknecht ont déjà recueilli 700 000 signatures (au soir du 27 février) pour leur « Manifeste pour la paix » lancé le 10 février sur la plateforme Change.org.

Que dit ce manifeste ? Extrait :

L’Ukraine, soutenue par l’Occident, peut certes gagner quelques batailles. Mais elle ne peut pas gagner une guerre contre la plus grande puissance nucléaire du monde. C’est également l’avis du plus haut militaire des Etats-Unis, le général Milley. Il parle d’une impasse dans laquelle aucun camp ne peut l’emporter militairement et où la guerre ne peut prendre fin qu’à la table des négociations. Alors pourquoi pas maintenant ? Tout de suite ! Négocier ne signifie pas capituler. Négocier signifie faire des compromis, des deux côtés. Avec pour objectif d’éviter des centaines de milliers de morts supplémentaires et pire encore. C’est ce que nous pensons aussi, c’est ce que pense aussi la moitié de la population allemande. Il est temps de nous écouter !

(…) Nous demandons au chancelier de mettre un terme à l’escalade des livraisons d’armes. Maintenant ! Il devrait prendre la tête d’une alliance forte au niveau allemand et européen pour un cessez-le-feu et des négociations de paix. Maintenant ! Car chaque jour perdu coûte jusqu’à 1000 vies supplémentaires - et nous rapproche d’une troisième guerre mondiale.

Ce manifeste a été signé par de nombreuses personnalités de premier rang, dont Peter Brandt, le fils de l’ancien chancelier Willy Brandt (connu pour son Ostpolitik de détente et de coopération), le politologue Christoph Butterwegge, l’éditeur du journal Berliner Zeitung, Holger Friedrich, la théologienne Margot Käßmann, l’ancien chef de file de la gauche allemande Oskar Lafontaine, le musicien Reinhard Mey, le politicien Martin Sonneborn (Die Partei), le politicien Jürgen Todenhöfer et le général de brigade Erich Vad (retraité), ancien conseiller militaire de la chancelière Merkel. L’immense majorité des médias ont tenté de discréditer ce manifeste et l’hebdomadaire allemand Der Spiegel a même annoncé un « contre-manifeste ».

Parmi ceux qui ont pris la parole samedi à la manifestation de Berlin, citons l’actrice Corinna Kirchhoff, le militant pacifiste et éducateur de longue date Hans-Peter Waldrich, le général de brigade Erich Vad, Sahra Wagenknecht et Alice Schwarzer.

Jeffrey Sachs (sur le grand écran) s’adressant aux manifestants à Berlin.

Au début de l’évènement, un message de salutations de l’économiste américain Jeffrey Sachs a été projeté sur un grand écran, accroché sur la Porte de Brandebourg. Des témoins ont rapporté un « tonnerre d’applaudissements » lorsque les orateurs ont interpellé la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock (qui avait proclamé que l’UE était « en guerre » contre la Russie), le chancelier Olaf Scholz (qui a cédé sur la question de l’envoi des chars Leopard) et la présidente de la Commission de la défense au Bundestag, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, pour qui « l’argument constamment avancé par la chancellerie selon lequel l’Allemagne ne doit pas faire cavalier seul [en livrant des chars] est absolument révolu ».

Comme le note le magazine féministe Emma que dirige Alice Schwarzer, selon de récents sondages, on l’a vu, plus de la moitié des Allemands sont contre de nouvelles livraisons d’armes et en faveur de négociations de paix.

Or, pour les médias, cette opposition ne proviendrait que... de milieux de droite et xénophobes...

Emma :

Alice Schwarzer et Sahra Wagenknecht doivent-elles se distancer de la droite ? Non, car elles n’ont rien à voir avec la droite. Les gens de droite peuvent-ils signer le ‘Manifeste pour la paix’ ? Oui, parce que change.org ne fait pas de vérification d’esprit. Peuvent-ils venir au rassemblement ? Oui, car être de droite n’est pas écrit sur votre visage. Mais les organisateurs ne toléreront aucune propagande ou provocation partisane !

En Italie, le retour d’une culture pacifiste

Marche aux flambeaux à Verone, Italie.

En Italie, plus de 40 000 personnes se sont rassemblées lors des événements organisés par les structures locales des organisations membres d’Europe For Peace.

Des milliers de militants mais aussi de simples citoyens sont descendus dans la rue à Milan, Palerme, Turin, Padoue, Vérone, Bologne, Gênes, Cagliari, Sondrio, Mantoue, La Spezia, Modène, Reggio de Calabre... et dans de nombreuses autres villes petites et moyennes disséminées dans la Péninsule.

Dans les rues des villes italiennes, regrette Le Monde, rares sont les bâtiments qui arborent le drapeau ukrainien en signe de solidarité. En revanche, sur le fronton des mairies, sur ceux des locaux syndicaux ou bien accrochée aux fenêtres des appartements, une bannière associée au pacifisme italien depuis la guerre froide a fait son retour : le drapeau aux couleurs de l’arc-en-ciel, frappé du mot ‘pace’ (paix). Face à l’agression russe, un courant plus puissant en Italie qu’ailleurs en Europe exprime un pacifisme de principe dont les racines ont autant à voir avec l’influence de l’Eglise catholique qu’avec l’héritage encore vivace de ce qui fut le Parti communiste le plus puissant du monde occidental. (...)

Selon le Mouvement italien de la paix, 47 événements et manifestations ont eu lieu dans toute l’Italie, notamment à Gênes, Rome, Milan, Florence, Pise et Lecce.

Au Royaume-Uni, la coalition Stop the War précisait que la manifestation de Londres s’inscrivait dans un week-end d’action à l’échelle européenne, qui s’ouvrait en Italie vendredi par une marche de 24 kilomètres de Pérouse à Assise.

De son côté, Rafaella Bolini, du Mouvement de la paix italien, annonçait des actions dans une centaine de villes au cours du week-end. « En Italie, le sentiment est fort contre la fourniture d’armes à l’Ukraine. Le mouvement se mobilise partout », a-t-elle déclaré.

10000 à Gênes

Manifestation dans le port de Gênes.

En Italie, la grande surprise a été la forte mobilisation dans la grande ville portuaire de Gênes, où 10 000 personnes ont battu le pavé. Selon news.italy24, pour cette manifestation organisée par le Collectif autonome des dockers (CALP) et l’Union syndicale des dockers (USB),

10 000 personnes (sans céder aux habituelles exagérations typiques de la propagande) ont manifesté depuis les portes de Ponte Ethiopia sur le Lungomare Canepa, jusqu’à la Place De Ferrari. Pour ceux qui connaissent la dynamique réelle des mobilisations de ces dernières années, c’est (...) un chiffre considérable.

Leurs slogans « Arrêtez la contrebande d’armes dans les ports » et « réduisez les armes, augmentez les salaires » établissaient clairement le lien inséparable entre la lutte pour la paix et la justice sociale et contre cette « économie de guerre » que Macron nous annonce en France.

« Nous savons bien que le problème est autre et que c’est ce système qui produit cette guerre. Nous sommes des travailleurs, des étudiants, nous sommes des âmes différentes. Comme le montrent également les sondages, il y a 60 % des Italiens qui sont contre l’envoi d’armes et contre cette aventure militaire », a précisé l’un des manifestants.

« Nous sommes convaincus que la levée des sanctions contre la Russie et la fin de ce conflit inutile sont une nécessité urgente. Notre vision est de rétablir les relations avec nos amis russes et de travailler pour le bien du monde », a déclaré un autre manifestant.

Rome

Rome : l’ancien procureur Antonio Ingroia parlant aux manifestants.

Selon l’agence de presse russe TASS,

les plus grandes manifestations ont eu lieu à Gênes et à Milan. Plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées dans le centre de Rome lors d’une manifestation du parti Démocratie souveraine et populaire [anciennement Italie souveraine et populaire, qui a participé aux dernières élections législatives]. Le principal slogan des participants était ‘Non à la guerre - Non à l’OTAN’. L’un des fondateurs du parti, le célèbre ancien procureur Antonio Ingroia, a déclaré à l’agence TASS que le parti passait à la deuxième phase de son projet politique. ‘Notre tâche est d’unir toutes les forces anti-système. Nous représentons les sentiments et les pensées de la majorité des Italiens qui ne veulent pas de cette guerre, qui ne veulent pas être une colonie des États-Unis et de l’OTAN’, a ajouté l’interlocuteur.

Rappelons que le procureur Ingroia a pris la parole lors de plusieurs conférences internationales de l’Institut Schiller et a envoyé un message de soutien à la manifestation « Rage Against the War Machine » du 19 février à Washington DC. Parmi les slogans inscrits sur le podium : « Sauvez l’Italie, non aux sanctions, non aux armes, non aux factures énergétiques élevées. »

Sant’Egidio

Manifestation pour la paix à Florence.

À Florence, la manifestation organisée par le syndicat CGIL a attiré quelque 2000 participants, tandis qu’à Rome, un millier de personnes ont participé à une veillée aux flambeaux organisée par le réseau Europe for Peace, demandant un cessez-le-feu immédiat et des négociations.

Des groupes plus traditionnels comme Rete Italiana Disarmo et le syndicat CGIL y participaient. L’affiche sur le podium de la manifestation disait « Cessez-le-feu immédiat » et « Europe for Peace ».

A souligner que la Communauté Sant’Egidio, proche du pape François, s’est associée à la mobilisation. Selon une émission de Vatican News diffusée le même jour, les manifestants à Rome ont été plus nombreux que prévu, exigeant un cessez-le-feu immédiat et des négociations. Ils ont défilé jusqu’au Colisée, qui était illuminé aux couleurs du drapeau ukrainien pour l’anniversaire de la guerre.

Le 23 février, le responsable de Sant’Egidio, Andrea Riccardi, a accordé une interview à Fanpage.it, dans laquelle il mettait l’accent sur le rôle de médiateur de paix que peut jouer le pape. Riccardi a déclaré que « la guerre en Ukraine s’éternise » et que le pape pourrait jouer un rôle important de médiation pour obtenir au moins un cessez-le-feu. « Il en a l’autorité et la capacité. »

« Nous représentons la majorité de l’opinion publique qui ne veut pas la guerre mais veut la paix. Nous ne sommes pas seulement pacifistes, nous sommes radicalement contre toute guerre et l’objectif que nous voulons atteindre est de dépasser la guerre comme instrument de régulation des conflits entre États », a déclaré pour sa part le socialiste Maurizio Landini, à Rome.

Le Monde regrette à demi-mot qu’en Italie

l’engagement de Rome en faveur de l’un des belligérants continue de poser problème à l’opinion italienne. Cette réalité est liée à une culture politique pacifiste aux racines profondes, illustrée jusque dans la Constitution dont l’article 11 dispose que l’Italie ‘renonce à la guerre (…) comme moyen de règlement des différends internationaux’. Associé aux aventures militaires funestes de l’Italie fasciste, le phénomène guerrier est réduit, pour des pans entiers de l’opinion italienne, à une ‘tuerie inutile’, selon les termes du pape François au sujet du conflit ukrainien. La défense ukrainienne face à l’agression russe est perçue par beaucoup comme un obstacle au retour de la paix.

Paris et la France

Manifestation pour les chars Léopard, Place de la République le 25 février 2023.

Alors que la France a connu ces dernières semaines trois manifestations rassemblant entre un et deux millions de personnes pour rejeter le projet de réforme des retraites de Macron, sur les questions de la guerre et de la paix, le pays reste divisé et confus, une situation bien sûr exploitée par le parti de la guerre.

Suite à un bourrage de crâne médiatique sans précédent, et avec des figures politiques sans épine dorsale comme Mélenchon ou Le Pen, affirmant tout et son contraire au gré de leur stratégie d’accession au pouvoir, tous les partis et syndicats se retrouvent divisés sur la question de l’Ukraine.

A Paris, deux manifestations opposées ont eu lieu samedi 25 février à la même heure, (heureusement) à des endroits différents. D’un côté, défilant de la Bastille à la place de la République, une manifestation pro-guerre menée par le Réseau français de solidarité avec l’Ukraine et l’Union française des Ukrainiens (UFU) qui se veut la porte-parole des quelque 110 000 Ukrainiens arrivés en France depuis février 2022, principalement des mères avec leurs enfants.

Loin des photos de foules compactes prises à Varsovie, Tbilissi ou Berlin (vendredi), la marche, qui a rassemblé moins de 150 personnes, a pourtant été promue massivement par ATTAC, soutenue par la Ligue des droits de l’homme (LDH), dont le président Patrick Baudouin, dans les colonnes de Libération, accusait la Russie d’organiser l’enlèvement d’enfants ukrainiens.

Si la presse souligne parfois le caractère hétéroclite des opposants à la politique de l’OTAN, le mariage entre la carpe et le lapin caractérisant les partisans de l’escalade militaire dépasse l’imagination.

En effet, Place de la République, aux côtés des macroniens du parti Renaissance, on trouvait aussi bien les va-t-en guerre verts d’EELV et du Parti socialiste que les trotskystes du NPA de Philippe Poutou. Accusés d’avoir « troublé les esprits » : Jean-Luc Mélenchon et le Parti communiste. « Cette gauche, justement, c’est la grande absente du rassemblement », confie une manifestante à Mediapart.

À La France insoumise (LFI), seule Raquel Garrido, ceinte de son écharpe tricolore, a fait le déplacement, à la demande de Mathilde Panot, pour représenter le groupe parlementaire. Beaucoup de députés sont en circonscription ou retenus par des meetings en région sur les retraites, plaide la députée du 93.

L’ambassadeur d’Ukraine en France, Vadym Omelchenko, et des représentants de différentes communautés, notamment géorgienne, balte ou polonaise, ont pris la parole lors de l’événement.

Des manifestations pro-aide militaire, déguisés en événements pacifistes, ont également eu lieu dans une quinzaine d’autres villes, dont Rennes, Lille, Lyon, Marseille, Tours, Dijon et Clermont-Ferrand.

A Lille, par exemple, l’actuelle maire Martine Aubry y avait mis le paquet. Comme le rapporte France Bleu : « En solidarité avec sa ville jumelle ukrainienne, la ville de Lille rebaptise son pont ‘Kharkiv’ ce jeudi, lors d’une cérémonie tenue à 15h et en présence d’acteurs de la communauté ukrainienne. Jusque-là, le pont s’appelait ‘Kharkov’, même nom en langue russe. Cette plaque a été dévissée. » Comme quoi la « dérussification » de l’Ukraine, chère aux nazis de la brigade Azov, ne manque pas de soutiens parmi la classe politique française.

À Lyon, une semaine entière a été consacrée à un intense lavage de cerveau du même acabit. A Marseille, la manifestation a commencé devant l’ambassade de Russie avec l’exigence d’un retrait complet de l’armée russe du territoire ukrainien.

Contre toutes les guerres

Manifestation du Mouvement de la Paix à Paris.

À Paris, au même moment que la manifestation Place de la République, quelque 250 personnes s’étaient rassemblées près de Beaubourg pour une manifestation statique organisée par le Mouvement de la Paix (Mdp), appelant à « la fin de toutes les guerres » et l’arrêt immédiat des livraisons d’armes à l’Ukraine.

Parmi les participants, de nombreux militants communistes, socialistes orphelins, trotskystes et anarchistes de différentes sensibilités, ainsi que quelques retraités de la CGT, très en colère en apprenant que la direction confédérale de leur syndicat participait à la marche en faveur de la poursuite des livraisons d’armes !

Pourtant, le communiqué officiel de la CGT du 2 février, intitulé « Refusons l’économie de guerre, gagnons la paix ! » dénonçait vertement cette politique. Il fustigeait notamment « la résurgence et le renforcement de l’idéologie de la guerre » et le fait que les décisions de Macron

visant à amplifier l’aide militaire apportée à Kiev – avec la livraison des chars de combat légers AMX-10 RC et, peut-être, demain, des chars Leclerc – s’inscrivent malheureusement dans ce funeste schéma ». A cela s’ajoute, notait le communiqué, que « l’annonce d’une augmentation de 118 milliards d’euros de la future Loi de Programmation militaire (LPM) 2024/2030 – qui passerait de 295 milliards d’euros à 413 milliards d’euros – ou l’augmentation des « réservistes », de 40 000 à 105 000 en 2035, ont pour but de préparer notre pays à un conflit majeur, selon ses propres termes. Cela alors que, dans le même temps, les budgets sociaux sont passés au laminoir, confirmant qu’il ne peut y avoir de progrès social dans une économie de guerre.

Jacques Cheminade lors de la manifestation du Mouvement de la Paix à Paris.

Très bon discours également du représentant de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) et l’Association des maires pour la paix.

Lors des prises de paroles, différentes initiatives diplomatiques ont été évoquées, aussi bien celle du président brésilien Lula que la nouvelle proposition pour la paix de la Chine ou encore celle du pape François, que les médias dominants s’empressent d’ignorer. L’Occident arrogant ferait bien d’« écouter » le reste du monde, a-t-il été souligné, si nous ne voulons pas finir avec une guerre nucléaire.

Le président de S&P, Jacques Cheminade, a participé samedi à la manifestation et a pu échanger avec plusieurs personnalités.

L’appel de S&P pour la dissolution de l’OTAN (merci de le signer) a été très bien reçu, tout comme le texte d’Helga Zepp-LaRouche sur les « dix principes pour une nouvelle architecture de sécurité et de développement », dont le désarmement nucléaire.

Théâtre de rue de Solidarité & Progrès à Paris.

Pour égailler l’atmosphère, un militant de S&P s’était grimé en Joe Biden, coiffé d’un chapeau de cow-boy, chevauchant, comme le fameux Dr Folamour du film de Stanley Kubrick, une torpille nucléaire marquée « Nord Stream » et arborant une pancarte disant : « Et surtout, ne parlez pas de Seymour Hersch ». Des sympathisants et militants du S&P sont également intervenus lors de rassemblements et de manifestations locales, au Havre, à Libourne, près de Bordeaux, Nantes, Toulouse, Dijon, La Rochelle et Besançon, entre autres.

Manifestation du Mouvement de la Paix à Toulouse.

En France, le Mouvement de la Paix a organisé une cinquantaine de rassemblements et de manifestations dans près de cinquante villes.

Selon La Provence, à Marseille, environ 300 personnes ont demandé « d’une seule voix le cessez-le-feu immédiat en Ukraine, le démantèlement de l’OTAN et la paix entre tous les peuples ». Ils ont remonté la Canebière en scandant :

De l’argent pour les retraites, pas pour la guerre ! (…) La guerre tue, la guerre pollue !

A Nîmes, selon la presse, quelque 200 personnes ont manifesté devant les arènes. Au nom des cinq partis à l’origine du rassemblement, Janie Arnéguy a exigé « le retrait complet de l’armée russe ».

A l’opposé de cet appel à la guerre, une demi-heure auparavant, deux associations pacifistes avaient pris la parole sur l’Esplanade. « Nous sommes ici pour dire plus jamais ça et pour rendre hommage aux victimes de la guerre », a martelé Eric Bres, secrétaire du comité nîmois du Mouvement de la paix. « Ceux qui aiment la guerre doivent s’organiser comme ceux qui la font. L’envoi d’armes ne peut pas changer l’issue du conflit. La solution doit être diplomatique », a ajouté Pierre Clec’h, président de l’Arac, avant de rejoindre le rassemblement devant les arènes.

Jacques Cheminade s’adressant à la manifestation pour la paix et pour la dissolution de l’OTAN, organisée par le parti Les Patriotes de Florian Philippot.

Enfin, dimanche 26 février, Jacques Cheminade a également été invité à s’exprimer à Paris devant près de 1000 personnes mobilisées pour la paix et pour la dissolution de l’OTAN par le mouvement Les Patriotes de Florian Philippot.

3000 à Bruxelles

Manifestation à Bruxelles.

À Bruxelles, le 24 février, quelque 2500 personnes (selon la police) ont manifesté en solidarité avec l’Ukraine et en faveur des politiques de l’UE et de l’OTAN. Un chiffre nettement inférieur aux 8000 personnes qui s’étaient présentées l’année dernière pour une démonstration de force similaire.

Ensuite, le dimanche 26 février, 3000 personnes selon les organisateurs (1600 selon la police) ont défilé dans la capitale belge devant les sièges de la Commission européenne et du Parlement européen, en appelant à intensifier les négociations diplomatiques. De nombreuses organisations et syndicats se sont malheureusement contentés d’envoyer des délégués au lieu de mobiliser l’ensemble de leurs troupes. A l’origine de la manifestation, la plateforme Europe for Peace dont le porte-parole a déclaré :

La guerre doit cesser pour éviter de nouvelles effusions de sang (…) L’escalade continue de la logique de guerre, y compris de la part de la Belgique et des pays européens, a des conséquences de plus en plus désastreuses et potentiellement apocalyptiques. Elle menace d’augmenter le risque qu’on se serve à un moment donné des armes nucléaires.

« Nous sommes coincés dans une logique de guerre », a expliqué pour sa part Jan Devolder, porte-parole de Sant’Egidio, à la chaîne de télévision belge VRT NWS.

Quiconque parle de paix est soupçonné, comme si c’était pro-russe, mais ce n’est pas du tout l’intention. Nous sommes pro-Ukrainiens, nous sommes du côté de ce peuple. Mais nous pensons simplement qu’il est dans l’intérêt de tous - y compris de l’Ukraine, mais aussi de toute l’Europe et du monde entier - que cette folie cesse.

Londres

À Londres, la manifestation nationale de Stop the War et de la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND) a mobilisé environ 4000 manifestants qui ont défilé du siège de la BBC à Portland Place jusqu’à Trafalgar Square en scandant : « Non à l’invasion russe, non à l’OTAN et non à la guerre nucléaire ! »

S’adressant à la foule, l’ancien président de Stop the War, Andrew Murray, a déclaré qu’elle représentait l’opinion de la grande majorité des pays du monde. « La Chine veut la paix. L’Inde veut la paix. L’Afrique du Sud veut la paix. Lula au Brésil veut la paix », a-t-il déclaré. Le président de Stop the War et musicien Brian Eno a déclaré qu’il était « dégoûtant » de voir à quel point certains politiciens et médias étaient favorables à une escalade de la guerre. Les négociations de paix sont le seul moyen de sortir de l’impasse, mais elles « exigent du courage. Et de comprendre que cette guerre n’a pas commencé le 24 février 2022. Elle a des racines plus profondes ».

L’ancienne députée travailliste de Kensington, Emma Dent Coad, a déclaré que « la guerre nucléaire est une obscénité que nous ne devrions jamais envisager ».

Alors que la nourriture commence à manquer sur les étals des magasins, Carlos Barros, porte-parole du syndicat des transports RMT, a déclaré que les membres de son syndicat faisaient face « à la plus grande attaque depuis des générations (…) parce qu’on nous a dit qu’il n’y a pas d’argent ». Or, à la télévision,

on a vu Rishi Sunak la semaine dernière, avec son énorme casque dans son nouvel avion de chasse tout neuf. Eh bien, les nouveaux avions de chasse ne vont pas financer le National Health Service (hôpital public) qui est en train de s’effondrer, ni payer aux enseignants, aux médecins, aux postiers et aux infirmières les salaires qu’ils demandent et que nous savons tous qu’ils méritent.

Lord John Hendy KC, Martin Cavanagh du syndicat PCS, l’ancien leader travailliste Jeremy Corbyn et la députée de Leicester East, Claudia Webbe, ont également pris la parole lors de la manifestation, mais les députés travaillistes en exercice n’étaient pas au rendez-vous.

Un petit groupe réclamant plus d’armes pour l’Ukraine, dont le militant Peter Tatchell, a affronté les militants pacifistes au début de la manifestation, puis a marché devant la manifestation principale jusqu’à Trafalgar Square, où ils ont brièvement essayé de crier plus fort que les orateurs.

Une coordination internationale

Le vendredi 24 février, un an après le début du conflit, le Bureau international de la paix (BIP), basé à Berlin, a organisé à l’initiative de son ancien président Reiner Braun, une visio-discussion « pour rassembler différentes voix de différents pays afin de discuter d’une paix durable en Ukraine et de la manière d’y parvenir ».

Dans son propos introductif, l’orateur invité Michael von der Schulenburg, ancien diplomate allemand de l’ONU/OSCE, qui « a récemment participé à l’élaboration du plan de paix du Vatican », a dressé un tableau assez sombre et, en réalité, démoralisant de la situation. Le fait que Biden se soit rendu à Kiev a changé la donne, a-t-il souligné, ce qui signifie qu’une solution diplomatique rapide est quasiment hors de portée. Le mouvement pour la paix est trop faible à ce jour pour influencer quoi que ce soit. Je suppose que beaucoup d’entre vous m’en voudront de dire cela, mais c’est le monde tel qu’il est réellement, et non tel que vous pourriez le souhaiter...

Cela n’a pas empêché les participants de se montrer optimistes pour leurs mobilisations.

  • L’activiste italien Francesco Vignarca (Rete Italiana Pace e Disarmo) a annoncé que des manifestations étaient prévues dans plus de 50 villes italiennes.
  • Alain Rouy (vice-président de l’IPB), du Mouvement de la paix français, a évoqué également plus de 50 manifestations dans toute la France, en soulignant que son mouvement a également manifesté contre la loi de réforme des retraites, qui dépouille le peuple pour canaliser l’argent vers cette « économie de guerre » que Macron nous annonce.
  • Les militantes britanniques Lindsey German (Stop the War Coalition) et Kate Hudson (Campaign for Nuclear Disarmament - CND) ont souligné qu’un de leurs slogans était désormais « des salaires, pas des armes ».

Yurii Sheliazhenko (Mouvement pacifiste ukrainien) et le militant russe Oleg Bodrov (Conseil public du Golfe de Finlande) ont tous deux fait état de leurs difficultés à se faire entendre. Etre pacifiste en Ukraine aujourd’hui signifie directement la prison, les objecteurs de conscience n’étant pas reconnus.

Reiner Braun, avec certaine excitation, a dû lui-même évoquer la manifestation « très controversée » du 19 février à Washington DC, qui a rassemblé des groupes de droite et de gauche, se demandant si c’était la bonne façon de procéder.

Medea Benjamin (de l’organisation américaine Codepink) a déclaré que cette manifestation était à la fois excitante et fascinante. Les représentants britanniques ont immédiatement « conseillé » à leurs collègues de ne pas former de grandes coalitions sur un seul sujet car, à terme, cela se révélera fragile. Pour trier parmi les alliés potentiels, la question de l’immigration pourrait tenir à distance les courants les plus extrémistes.

Medea Benjamin, qui se rend régulièrement au Congrès américain pour interpeller les élus au Capitole, a réfuté cette tactique suicidaire en déclarant que les démocrates américains sont « tellement vendus au parti de la guerre » que le mouvement pacifiste américain « n’a d’autre choix » que de trouver un modus vivendi avec d’autres forces prêtes à se lever et à faire le travail.

L’IPB annoncera dans les prochains jours une grande conférence qui se tiendra en Autriche au mois de juin et a appelé les militants à se préparer à participer à cet événement.