La diplomatie vaticane au service de la paix

vendredi 24 février 2023, par Karel Vereycken

Le pape Benoît XV.

Les papes, c’est comme les présidents de la République : les très bons sont rares, mais lorsqu’ils se mettent au service de la paix, ils peuvent jouer un rôle décisif.

Maintenant que la Finlande et la Suisse ont rompu avec leur tradition de neutralité en s’alignant sur le bloc occidental, y a-t-il encore, en Europe, une voix crédible pour porter une solution diplomatique à la guerre en Ukraine ? Il ne reste que l’offre du pape François d’utiliser le Vatican comme lieu de pourparlers diplomatiques pour mettre fin à la guerre, sans conditions préalables, une offre réitérée le 12 décembre 2022 par le secrétaire d’Etat du Vatican, le cardinal Pietro Parolin.

Alors que nos journalistes bénissent en chœur les soldats ukrainiens qu’on envoie au casse-pipe dans une guerre par procuration, en France, à part Le Monde diplomatique, silence radio sur l’offre vaticane et sur les centaines de personnalités de haut niveau ayant signé l’appel de l’Institut Schiller à soutenir cette initiative (merci de signer ici).

« Le pape, combien de divisions ? » demandait Staline par boutade, à propos du Vatican, ce micro-Etat de 44 hectares, encore plus petit que Monaco. Pas un seul blindé, sans doute, mais 1,2 milliard de baptisés à travers le monde, soit 17,5 % de la population du globe, en constante augmentation en Afrique, Amérique du Sud et Asie du Sud-est.

Au fil du temps

Au nom d’une religion se revendiquant unique et universelle, combien de « justes guerres » n’ont-elles pas conduit l’humanité à l’abîme ?

La première croisade lancée par Urbain II en 1095, la corruption d’Alexandre IV Borgia qui, avec le Traité de Tordesillas en 1494, impose le partage géopolitique du monde entre l’Espagne et le Portugal. La guerre de Trente Ans ?

Il faudra attendre la disparition de Richelieu pour qu’enfin le cardinal Mazarin, soutenu en cela par le pape, organise la signature du Traité de Westphalie (1648) pour y mettre fin. Au XXe siècle, avec l’apparition d’armes de plus en plus puissantes, la résolution pacifique des grands conflits devient le centre des préoccupations vaticanes.

Benoît XV

Elu pape le 6 septembre 1914, au tout début de la Première Guerre mondiale, Benoît XV appelle, le 7 décembre suivant, tous les belligérants à faire une trêve de Noël, afin que « les canons puissent se taire au moins la nuit où les anges ont chanté », en tant que première étape à des négociations en vue d’une paix honorable.

Les nations belligérantes refusent son appel, bien que certains soldats britanniques et allemands cessent spontanément de se battre et commencent à chanter des cantiques de Noël, sortent de leurs tranchées, s’échangent même des petits cadeaux et, pour certains, jouent ensemble au football. Mais cette trêve ne dure pas et les officiers des deux camps veilleront à ce que cela ne se reproduise pas. Dans sa première encyclique, Benoît XV condamne le nationalisme et la théorie des races, ainsi que « l’obtention des biens matériels comme unique objet de l’activité humaine... ».

Tout cela vous semble de l’histoire ancienne ?
Détrompez-vous !

Soldats allemand et anglais lors de la trêve de Noël de 1914.

A la veille de Noël 2022, un millier de chefs religieux de différentes confessions ont signé un appel, lancé par le Fellowship of Reconciliation, Code Pink, le National Council of Elders et la Coalition pour la paix en Ukraine, en faveur d’une trêve de Noël, en tant que première étape à des négociations, sur le modèle de celle de Noël 1914 !

De son côté, en réponse à un appel du patriarche Kirill de l’Eglise orthodoxe russe, le président russe a annoncé une trêve d’une journée le 5 janvier pour le Noël orthodoxe, évidemment décrite par la presse occidentale comme une manœuvre cynique du « méchant » Poutine, que l’on compare à Hitler pour justifier notre refus de la paix.

En juillet 1915, avec son exhortation apostolique « Aux peuples belligérants et à leurs chefs », Benoît XV marque le passage à une diplomatie active.

Extrait :

Au nom du Dieu très saint, au nom de notre Père céleste et Seigneur, par le Sang précieux de Jésus, qui a racheté l’humanité, Nous vous conjurons, ô Vous que la divine Providence a préposés au gouvernement des nations belligérantes, de mettre finalement un terme à cette horrible boucherie qui, depuis une année, déshonore l’Europe.

C’est le sang des frères qui est répandu sur terre et sur mer ! Les plus belles régions de l’Europe, de ce jardin du monde, sont jonchées de cadavres et de ruines : là où, peu auparavant, régnait l’industrieuse activité des usines et le fécond travail des champs, on entend maintenant tonner la voix formidable du canon, qui dans sa fureur de destruction n’épargne ni villages ni cités, mais sème partout le carnage et la mort. – Vous qui portez devant Dieu et devant les hommes la redoutable responsabilité de la paix et de la guerre, écoutez notre prière, écoutez la voix d’un père, du Vicaire de l’Éternel et Souverain Juge, auquel vous devrez rendre compte des entreprises publiques, aussi bien que de vos actes privés.

Les abondantes richesses dont le Dieu Créateur a fourni les pays qui vous sont soumis, vous permettent de continuer la lutte ! mais à quel prix ! Qu’elles répondent, les milliers de jeunes existences qui s’éteignent chaque jour sur les champs de bataille ; qu’elles répondent, les ruines de tant de bourgs et de cités, et celles de tant de monuments dus à la piété et au génie des ancêtres. Et ces larmes amères, versées dans le secret du foyer domestique ou au pied des autels de supplication, ne répètent-elles pas qu’elle coûte beaucoup, beaucoup trop, la lutte qui dure depuis si longtemps ?

Et que l’on ne dise pas que ce cruel conflit ne peut pas être apaisé sans la violence des armes. Que l’on dépose de part et d’autre le dessein de s’entre-détruire. Que l’on y réfléchisse bien : les nations ne meurent pas ; humiliées et oppressées, elles portent frémissantes le joug qui leur est imposé, préparant la revanche et se transmettant de génération en génération un triste héritage de haine et de vengeance.

Cette diplomatie active culmine en 1917 avec un plan de paix basé sur la justice et non sur la conquête militaire. Il souligne alors que sa propre neutralité est « appropriée pour celui qui est le père commun et qui aime tous ses enfants avec une égale affection ».

Statue de Benoît XV dans la cour de la cathédrale du Saint-Esprit d’Istanbul, Turquie.

Toutes les parties devraient renoncer à demander des compensations, recommande-t-il. Or, la plupart des dommages ayant été causés par l’Allemagne, les Alliés considèrent que cela favoriserait l’ennemi... Clemenceau voit dans les propositions du « pape boche » la preuve que le Vatican est anti-français.

Le Saint-Siège est même écarté, par un accord secret entre alliés, de toute future discussion de paix ! En 1920, dans son encyclique, le pape alerte qu’aucune paix réelle n’a été établie, mais seulement une cessation des hostilités. Pour lui, le traité de Versailles, fondé sur la vengeance, ne peut qu’engendrer de nouveaux conflits.

Kemal Atatürk, à la tête d’une toute nouvelle république turque majoritairement musulmane dotée d’un gouvernement laïc, fera ériger une statue en hommage à Benoît XV avec l’inscription :

Au grand Pontife de la tragédie mondiale, bienfaiteur de tous les peuples, sans distinction de nationalité ou de religion.

La bombe atomique

En France, la Revue d’histoire militaire le reconnaît  :

A l’école en France, nous apprenons que les bombes atomiques ont causé la défaite japonaise (…) En faisant capituler le Japon, les bombes auraient donc sauvé des vies (…) Pourtant, et cela est désormais connu de la majorité des historiens et politologues (…), ce récit est particulièrement incomplet, voire mensonger.

En effet, comme le penseur américain Lyndon LaRouche l’écrivait en 1998 dans les pages du magazine Executive Intelligence Review (EIR),

au moment où les bombes atomiques tombaient sur Hiroshima et Nagasaki, non seulement le Japon était déjà vaincu, mais l’empereur Hirohito, par l’intermédiaire du Bureau des Affaires extraordinaires du Vatican, dirigé à l’époque par Monseigneur Montini (le futur pape Paul VI) et en coopération avec Max Corvo, de l’Office for Strategic Servicese (OSS, ancêtre de la CIA), avait déjà transmis au président américain Franklin Roosevelt le texte d’un acte de reddition acceptable pour le Japon, rédigé dans les mêmes termes que celui qui sera signé après les frappes atomiques.

En clair, et contrairement aux demandes du Vatican, c’est dans un tout autre but que Truman fit larguer l’arme atomique : intimider l’URSS et faire accepter une forme de gouvernement mondial sous la houlette des Anglo-américains.

La crise des missiles de Cuba

« L’exemple le plus spectaculaire de l’intervention directe d’un pape en faveur de la paix a été 1962, lors de la crise des missiles, avec l’appel à la paix de Jean XXIII favorisant les négociations entre Kennedy et Khrouchtchev », souligne Le Monde diplomatique (février 2023).

Indépendante des deux blocs, la vaste machine de la diplomatie vaticane offrira ses bons offices et des canaux de communication en temps de crise.

Par l’intermédiaire de son frère Robert, mais tout autant grâce à des « journalistes catholiques » proposés par le Vatican, Kennedy réussira à dénouer une crise qui aurait pu conduire le monde à l’abîme. C’est l’appel lancé par Jean XXIII à l’opinion publique mondiale, conçu de concert avec la Russie et JFK, qui permit à Khrouchtchev de justifier sa décision d’enlever les missiles (qui autrement aurait pu passer pour lâche) comme un acte héroïque permettant de sauver la paix mondiale.

S’opposant aussi bien aux dérives marxistes qu’au néolibéralisme financier, le Vatican ne cessera de condamner l’embargo sur Cuba, tout en critiquant les atteintes aux libertés dans le bloc soviétique. Quant à Jean-Paul II, fermement anticommuniste, il se rapproche du président Reagan pour affaiblir le bloc de l’Est dans les années 1980, mais n’en condamnera pas moins les actions militaires de Washington contre l’Irak en 1991 et surtout en 2003.

Le pape François

A propos du pape François, Le Monde diplomatique précise :

Depuis le début de la guerre, les prises de position du chef de l’Eglise catholique suscitent l’agacement, voire la colère, des chancelleries occidentales et de l’Ukraine (…) Après un Benoît XVI en retrait sur la scène internationale, François souhaite relancer la diplomatie du Vatican. En janvier 2014, dans son premier discours au corps diplomatique, il se réfère à Benoît XV, qui, au cours de la Première Guerre mondiale, appelait à la supériorité de la ‘force morale du droit’ sur la ‘force matérielle des armes’. A plusieurs reprises, il fait sienne la célèbre exclamation de Paul VI à l’Organisation des Nations unies, en 1965 : ‘Plus jamais la guerre !’

Sa vision

l’a amené plus d’une fois à prendre ses distances vis-à-vis de la Maison-Blanche et de ses alliés. En 2013, il s’oppose à une intervention militaire de Paris et de Washington en Syrie contre le régime de M. Bachar Al-Assad, s’inquiétant d’un risque d’escalade. Contrairement aux Occidentaux, le Saint-Siège maintient son ambassade à Damas, tout comme en Irak. Toujours au Proche-Orient, François critique l’usage de drones, de robots tueurs ou de l’intelligence artificielle par l’armée américaine.

François serait donc un « non-aligné » dans une « Eglise mondialisée et multipolaire ». Et comme l’explique le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, à propos de l’Ukraine : le pape ne veut pas être « l’aumônier de l’Occident ».