SNCF : l’indispensable mise au point de la Fédération CGT des cheminots

lundi 12 mars 2018, par Karel Vereycken

Face aux suspicions, allégations, rumeurs, mensonges et à la mise en accusation des cheminots et de tout ceux qui quotidiennement se démènent pour rendre service à la Nation, la Fédération CGT cheminots, dans un rapport de 45 pages (en pdf ci-contre), rappelle quelques vérités élémentaires permettant au citoyen-usager d’avoir un jugement informé.

Extraits :

L’efficacité de l’entreprise publique

Il n’est pas inutile de revenir sur les raisons qui ont poussé historiquement à la création de la SNCF en 1938. Un siècle après le démarrage des premières lignes de chemin de fer en France, toutes sous concessions accordées à des entreprises privées, c’est d’abord un constat de faillite des grandes compagnies qui a conduit le gouvernement à achever la reprise en main du système ferroviaire.

En effet, après un mouvement de fusion et de concentration des entreprises concessionnaires pour aboutir à quelques grandes compagnies détenues par de grandes familles de financiers (Rothschild, Pereire…), c’est l’Etat qui a, dans un premier temps, étendu son propre réseau en absorbant les compagnies déficitaires (Compagnie des chemins de fer de l’Ouest par exemple).

Le décret du 31 août 1937 qui créé la SNCF sous forme de société d’économie mixte pour une durée de 45 ans, donne le départ d’un nouvel âge pour les chemins de fer français au service de la Nation.

Cette situation va connaitre une nouvelle évolution positive en 1983, à la suite de la promulgation de la LOTI sous l’impulsion du gouvernement Mauroy et du ministre des transports de l’époque, Charles Fiterman, puisque la SNCF deviendra un EPIC (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial). L’Etat en devient propriétaire (et non actionnaire) à 100%.

C’est l’entreprise publique qui relève les défis de la modernisation et du développement de l’activité ferroviaire. Sous son impulsion, les chemins de fer français vont devenir une référence mondiale en termes de sécurité, de ponctualité, de confort, d’offre et d’avant-garde technique. L’électrification du réseau, commencée partiellement entre les 2 guerres, va prendre son essor dans les années 50 et 60.

Déjà, l’enjeu de la vitesse est pris en considération avec le lancement des trains rapides Capitol et Mistral, sans parler du record du monde sur rail établi en 1955 à 331 km/h et porté depuis à 574,8 km/h. Après une phase de recul dans les années 60, due pour l’essentiel au développement de l’automobile, la SNCF se lance dans la grande vitesse.

Le TGV est le fruit du service public et du constructeur national ALSTHOM (devenu ALSTOM), avec l’appui de la CGT. La SNCF publique sera toujours en permanente recherche d’innovation en matière ferroviaire, tant que cela le lui sera permis, c’est-à-dire avant que le sens de l’intérêt général, de l’innovation technique, de la mise en avant des savoirs et des savoirs faire soient supplantés par les logiques financières et les stratégies à courte vue.

Il est important de souligner que les nationalisations opérées, notamment à la Libération avec les industries électriques et gazières et la naissance d’EDF GDF, vont être les outils essentiels du redressement national et de la modernisation du pays. Ce simple constat suffit à dire que sans un secteur public de cette dimension, la tâche eut été impossible et, en tout cas, que le marché aurait été incapable d’y parvenir. Or, si le défi n’est plus la reconstruction d’un pays détruit par la guerre, d’autres enjeux lourds de société, dont nous parlons plus haut, sont à relever, qui méritent qu’on préserve ces outils au service de la Nation.

Il convient de ne pas non plus idéaliser le passé. Au fil des décennies, le rail public a connu des reculs et des attaques. Le réseau s’est contracté fortement au cours des années 60 et 70. Des tentatives de remise en cause du modèle SNCF se sont multipliées (Plan Guillaumat à la fin des années 70) jusqu’aux réformes plus récentes d’inspiration libérale, qui ont aiguillé la SNCF sur une voie toute différente de sa vocation originelle. Le concept d’une SNCF « entreprise comme une autre » (ce qu’elle n’est pas) a pu s’imposer au sein d’une direction SNCF désormais plus largement inspirée par les écoles de commerce que par le monde ferroviaire et l’intérêt général.

Cette désorganisation de la SNCF, malgré la résistance des cheminots, a brouillé son image et celle du service public parmi la population. Là aussi, les mêmes recettes ont été appliquées à d’autres : France Télécom, La Poste, EDF-GDF et même l’hôpital public. Pour certaines, cette stratégie a pavé le chemin vers la dérèglementation, la privatisation, l’éclatement des activités avec à chaque fois, les mêmes promesses de meilleurs services à moindre coût pour l’usager devenu client, ce qui ne se vérifie quasiment jamais dans les faits, bien au contraire.

L’existence d’une entreprise publique nationale a permis la mise en œuvre d’une décentralisation des transports régionaux sans balkanisation, c’est-à-dire en gardant la cohérence nationale du système ferroviaire. Ce fut une réussite indéniable. La régionalisation a permis la croissance des trafics, la réouverture de gares et de lignes. Ainsi, l’offre est passée de 137,8 millions de trains.kms en 2002 à 166,3 en 2014. La fréquentation est passée de 9,2 milliards de voyageurs.kms à 13,6 dans la même période.

L’asphyxie financière des autorités organisatrices, victimes des politiques d’austérité, et une direction SNCF actuelle qui ne raisonne qu’en fonction de critères financiers et dont de nombreux acteurs regrettent le manque de transparence, vient là aussi ternir ce bilan. Voilà qui laisse un champ ouvert aux promoteurs de la concurrence, laquelle ne réglera pourtant rien.

Intégrée et multi-activités, la SNCF a permis de répondre à la diversification des besoins de transport ferroviaire. Pendant longtemps, c’est le transport des marchandises qui a donné les moyens du développement des activités de transport des voyageurs. Cette tendance s’est inversée depuis quelques décennies. La gestion publique du GPF permet, en théorie, que les services ou lignes rentables financent tout ou partie des services ou lignes non-rentables via le mécanisme de péréquation tarifaire. Ce modèle a été toutefois progressivement abandonné par la SNCF qui cloisonne désormais ses activités par branche et par produit et organise leur mise en concurrence interne, avant même l’arrivée prochaine d’éventuels opérateurs concurrents.

Mais, les avantages de la péréquation se voient encore à travers le TGV qui relie environ 200 gares en France, ce qui est rendu possible par l’utilisation des recettes des dessertes les plus rentables. C’est un enjeu important d’aménagement du territoire. Or, c’est précisément ce que la concurrence pourrait remettre totalement en question dès demain.

Ajoutons que le financement du Gestionnaire de l’Infrastructure est assuré pour partie par la production et les richesses créées par le travail des cheminots de SNCF Mobilités, qui reverse 40% de son résultat net à SNCF Réseau, ce qu’aucun opérateur privé ne sera tenu de faire.

L’expérimentation douloureuse des transferts au privé

L’exemple des Partenariats Public-Privé (PPP) a révélé leur inefficacité et leur tendance à engendrer d’énormes gâchis financiers.

Ainsi, la ligne Perpignan-Figueras a dû être reprise en main par les Etats Français et Espagnols, le consortium privé TP Ferro (Eiffage) étant défaillant. La ligne Sud Europe Atlantique (Tours-Bordeaux), dont la concession (d’une durée de 50 ans !) est détenue par le groupe LISEA dominé par VINCI, arrive à imposer une fréquence de circulation quotidienne à la SNCF qui lui fera perdre 200 millions par an. Ces constructions capitalistiques n’ont pas grand-chose à voir avec le service public, mais elles vivent des financements publics, à l’instar de la situation observée dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

De même, l’entreprise procède au recours massif à la sous-traitance qui tend de plus en plus à une logique d’externalisation. Confier le travail auparavant réalisé par des cheminots formés à des entreprises privées génère des malfaçons, des retards dans les chantiers et amplifie la facture.

Les achats de sous-traitance travaux (développement et rénovation mais hors PPP) peuvent être estimés à 2,5 Mds€ en 2016, en croissance +56% par rapport à 2011. Cette croissance devrait se poursuive jusqu’en 2020 (+24% par rapport à 2016).

Les achats de prestations intellectuelles et de service (500M€ en 2016) présentent les mêmes tendances (+300M€ depuis 2011 et +200M€ attendus d’ici à 2020). En se concentrant sur ces deux catégories d’achats, la sous-traitance s’élève ainsi à 3 Mds€ en 2016 et est installée sur une tendance fortement haussière (+67% par rapport à 2011 et +27% attendus d’ici à 2020).

Si, en théorie, il existe un large panel d’entreprises intervenant en sous-traitance pour la SNCF, en réalité, 3 grands groupes du BTP se partagent 70% de l’activité : VINCI, BOUYGUES et EIFFAGE.

La mise en oeuvre des services publics par le truchement d’entreprises privées est de plus en plus critiquée par les citoyens-usagers. Nous l’observons à travers le soutien grandissant aux initiatives pour remettre la distribution de l’eau dans le giron public par exemple, ou encore dans le domaine de l’énergie contre la fin des tarifs réglementés. Dans les pays où le rail a été ouvert à la concurrence, une large partie de la population demande la renationalisation, comme c’est le cas en Grande-Bretagne.

Pour la CGT, il n’est pas utile de passer par des expériences malheureuses avant de constater l’importance de disposer d’une entreprise nationale et publique SNCF au service de la Nation toute entière.

Un modèle social au service de l’intérêt général

Le premier Statut des cheminots date de 1912 sur le réseau de l’Etat et fut généralisé en 1920 à l’ensemble des compagnies. Il est bien antérieur à la création de la SNCF. Il faut le distinguer du régime spécial des retraites des cheminots dont l’origine remonte à 1909 qui ne lui est pas directement lié, bien que souvent assimilé.

Le Statut s’apparente davantage dans sa forme à une convention collective (ce fut d’ailleurs le cas entre 1936 et la Libération), dont la spécificité est de relever d’un acte réglementaire gouvernemental. Ces règles ont été maintenues lors de la nationalisation de la SNCF en 1938. Par la suite, la loi du 30 décembre 1982 (LOTI) qui a transformé la SNCF en EPIC, a confirmé ces dispositions.

Sous l’impulsion des mobilisations des cheminots relevant à l’époque de différentes compagnies privées, afin d’établir une solidarité de droits communs exprimée dans de nombreuses luttes de grande ampleur (1910,1920), la nécessité d’un Statut national répondait également au besoin d’avoir des règles unifiées dans un secteur essentiel à la marche globale de l’économie du pays et de son aménagement territorial.

Cela a conduit l’Etat à légiférer pour créer un Statut unique à l’ensemble des travailleurs du ferroviaire. Il a ainsi imposé aux différentes compagnies l’emploi d’un nombre d’agents suffisant et de les fidéliser pour permettre la transmission des savoirs et savoir-faire professionnels.

Chaque cheminot doit ainsi avoir un haut niveau de formation, en regard des spécificités fortes des différents métiers et une organisation du travail encadrée pour garantir la sécurité des circulations, pour une durée de travail équivalente à celle des autres salariés. La réglementation obéit à des règles spécifiques permettant d’assurer la continuité du service public 365 jours par an et 24h/24.

Aujourd’hui, le Statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel (référencé RH 0001), régit les conditions d’embauche, de rémunération, de déroulement des carrières, les sanctions et garanties disciplinaires, la mobilité géographique et fonctionnelle inhérente à l’entreprise nationale, les congés, les conditions de cessation de fonction, l’assurance maladie et le droit syndical.

Le Statut donne des droits mais confère aussi des devoirs : Un an de période d’essai, et même trois ans pour les cadres ; travail du dimanche et des jours fériés rémunérés en dessous du code du travail, travail de nuit, mobilité induite.

Aujourd’hui, la grille de rémunération place environ 3 000 cheminots à un niveau inférieur au SMIC. L’affirmation mainte fois assénée par les partisans de la fin du statut, de cheminots « coûtant » 30% de plus que les salariés de la concurrence n’est pas démontrée.

Le Statut s’inscrit dans la garantie de l’adaptabilité et de la continuité du service public. Les cheminots sont soumis à des rythmes de travail et des horaires atypiques ainsi qu’à l’obligation de faire fonctionner la SNCF toute l’année.

Si la sécurité ferroviaire et la continuité de service sont les fondements du Statut des cheminots de la SNCF, il faut y ajouter un principe de neutralité. En effet, les cheminots ne travaillent pas en principe pour répondre à des exigences patronales ou financières. Ils s’engagent pour placer l’entreprise publique au service de la Nation et des citoyens. Cela suppose que l’agent de la SNCF reste en responsabilité et non soumis aux aléas relevant de l’arbitraire technocratique et/ou financier.

Le Statut permet en outre une solidarité entre agents à l’inverse d’une mise en compétition, elle-même en contradiction avec l’exercice des métiers de cheminots qui demande professionnalisme, rigueur et sens du travail collectif dans un système ferroviaire très complexe. Ce principe est très largement entamé par les logiques de séparation des activités, des axes et produits. Dédier un cheminot à un type de train, un type de desserte, un type de clientèle, un type de ligne, réduit le collectif, isole et casse les liens.

Le Statut est par ailleurs menacé par la croissance importante des embauches de personnels contractuels observée ces dernières années. Cela motive de nombreuses luttes syndicales pour que ces salariés soient reconnus dans leurs droits au même titre que les agents Statutaires (Cadre Permanent).

Le Statut donne donc un cadre et des garanties pour les agents mais aussi pour les usagers et le service public. C’est pourquoi, le Statut de cheminot est un enjeu fort. Il est consubstantiel du service public et de l’idée que la société s’en fait. Il n’est pas une spécificité française. Au-delà d’un repère collectif de salariés exerçant divers métiers dans une même entreprise, le Statut de cheminot donne corps au rapport étroit du professionnel au service public et donc à la nation au service de laquelle il exerce.

En dénigrant cette dimension majeure pour la remettre en cause, les tenants des réformes libérales ne visent pas des « avantages » supposés (quand bien même le nivellement des droits des salariés par le bas est un objectif concret des politiques libérales). C’est le service public lui-même qui est en cause.

La logique actuelle du groupe SNCF

La SNCF emploie des agents (les cheminots) sous un statut social particulier afin d’assurer un service public de transport pour répondre aux besoins de la Nation et des usagers. Dans l’imaginaire collectif, la « vieille dame » est toujours envisagée comme une compagnie ferroviaire d’Etat, voire une administration de l’Etat. Cette représentation ignore les restructurations intervenues depuis une vingtaine d’années.

Derrière la façade de l’opérateur public réputé intégré, se déploie un groupe commercial internationalisé, formé de plus d’un millier de filiales de droit commun, dont certaines de taille imposante comme Geodis, numéro un français du transport routier et de la logistique, ou Keolis, un des leaders mondiaux des transports urbains.

Ces Sociétés Anonymes, au capital parfois ouvert à des investisseurs privés, agissent aussi bien dans le mode ferroviaire (Thalys, Eurostar, VFLI, Systra, Akiem…) que dans des modes concurrents, tels le camion (Geodis Calberson), l’autocar (Ouibus), le covoiturage (IDvroom) ou la location de voiture (Ouicar). La SNCF détient également des firmes spécialisées dans l’immobilier, la gestion de parkings et même les drones. Le projet du groupe SNCF ambitionne de réaliser 42.8 milliards de chiffre d’affaires en 2025, dont 50% aux activités à l’international.

On constate ainsi que l’EPIC SNCF sert de banque pour financer le développement des filiales routières en France ainsi que l’expansion à l’international. La SNCF a racheté par exemple l’activité messagerie du groupe international routier GIRAUD. L’activité historique de transport ferroviaire de marchandises s’est peu à peu délitée au sein de SNCF GÉODIS, dont la vocation principale est le transport routier.

En fait, les centaines de millions d’euros investis dans des sociétés étrangères (logistique OHL aux USA pour 717 millions, bus ATE en Australie pour 113 millions…) font augmenter la taille du Groupe et son chiffre d’affaires, mais ne dégagent quasiment aucune marge, voire sont sources de pertes (-29,3 millions pour Keolis Boston en 2015).

Ces investissements constituent en vérité un sacrifice de l’entreprise publique de service public SNCF pour lui substituer un groupe international de mobilités, dans lequel l’activité ferroviaire publique française est appelée à devenir minoritaire. En d’autres termes, c’est un détournement des moyens normalement dévolus au service public au service d’un groupe à dominante privée.

A ce jour, les filiales réalisent la moitié des 32 milliards de chiffre d’affaires annuel du groupe SNCF. Leurs effectifs progressent régulièrement alors que le nombre de cheminots embauchés par les établissements publics (EPIC) décline depuis quinze ans (environ 145 000 cheminots sur 280 000 salariés au niveau du groupe). La perspective d’une extension de l’ouverture à la concurrence du rail concernant le transport intérieur de voyageurs – le fret étant libéralisé depuis mars 2006 – risque de porter un nouveau coup aux EPIC au bénéfice de sociétés privées, fussent-elles incluses dans le groupe SNCF.

Symbole de cette stratégie, SNCF Mobilités vient de sous-traiter l’exploitation d’un nouveau tram-train, dont elle est directement attributaire et circulant sur le Réseau Ferré National en Seine-Saint-Denis, à une filiale majoritairement contrôlée par Kéolis (Transkéo). La SNCF envisage ainsi sa politique de groupe non pas sous l’angle d’une complémentarité utile (Transports urbains-Transport ferroviaire de proximité), mais en organisant la concurrence de l’EPIC par ses filiales et en encourageant le dumping social.

L’infrastructure ferroviaire n’est pas épargnée par cette intrusion des intérêts privés dans la sphère publique. Sur ce terrain, les géants du BTP sont à l’offensive, décidés à tirer profit du programme de modernisation du réseau ferré et des 46 milliards de travaux prévus sur la prochaine décennie. Les groupes de la construction se positionnent non seulement sur les phases de régénération de lignes, mais aussi, plus durablement, sur la maintenance ou l’exploitation de pans entiers du rail français.

Ils se saisissent des contrats en Partenariat Public-Privé (PPP), comme dans le cas de la Ligne à Grande Vitesse Tours-Bordeaux, ou de contrats de partenariats industriels portant sur de gros chantiers, comme la rénovation des caténaires de la ligne C du RER. En toute discrétion, Vinci, Eiffage et quelques autres héritent de la conception et de la réalisation de missions entières, entraînant, au détriment de SNCF Réseau, des transferts massifs de charges de travail, de technologies, de compétences et, au final, d’emplois potentiellement dévolus aux cheminots.

D’aucuns présentent cet effacement de la propriété et maîtrise publiques d’un Etablissement de l’Etat comme un gage de meilleure performance. Pour les tenants de « l’Asset Management », la valorisation des actifs devient la seule manière d’être d’une entreprise efficace.

C’est oublier un peu vite que dans le régime de la propriété lucrative (celui de la Société Anonyme), la recherche d’efficacité se focalise sur la survaleur attendue par les détenteurs du Capital, ceux-là même qui prélèvent leur tribut sur le travail, notamment à travers la vente des marchandises produites. Ces exigences conditionnent les choix de gestion.

Dans les faits, le recul des biens et investissements publics s’accompagne de surcoûts financiers virant parfois au fiasco, et d’une dégradation, qualitative et quantitative, du service public rendu et des conditions d’emploi des cheminots.

La dilution de l’EPIC dans un groupe « champion » mondial des services de mobilités et de logistique s’accompagne d’un abandon des obligations et missions de service public comme cadre de référence autour de la réponse aux besoins pour tous les citoyens sur tout le territoire. Le groupe est cimenté sur des valeurs uniquement commerciales et autour d’un objectif prioritaire de compétitivité, notion qui renvoie directement à des impératifs d’adaptation à la concurrence.

La concurrence en Europe, mythes et réalités

Depuis la privatisation au Royaume-Uni : hausse de 27% du prix des billets.

Les partisans de l’ouverture des réseaux ferrés à la concurrence n’ont de cesse de répéter qu’elle est la condition incontournable d’un chemin de fer sûr, performant, moins cher pour l’usager et économe des deniers publics. A l’inverse, l’entreprise publique non concurrencée et dirigée par un Etat incapable de bien gérer est dénoncée comme coûteuse, peu productive et défaillante. Cette affirmation n’est que rarement accompagnée de faits étayés, mais semble souvent admise comme une vérité incontestable. Or, un examen plus attentif des exemples pris chez nos voisins européens montre que l’efficacité du système ferroviaire est avant tout une question de moyens.

Le système ferroviaire français, bien qu’en souffrance depuis des années sous l’effet du manque d’investissement et d’une gestion de plus en plus éclatée, reste malgré tout parmi les meilleurs en Europe, comme le confirme le rapport « 2017 European Railway Performance Index » du Boston Consulting Group (BCG).

On notera que le système noté comme le plus performant est celui des chemins de fer fédéraux suisses, contrôlés à 100% par l’Etat. Les CFF sont une entreprise intégrée, à la fois opérateur ferroviaire et Gestionnaire de l’infrastructure.

La France se maintient dans le premier tiers des pays européens, bien qu’en recul pour des raisons qui ne tiennent en rien à la nature juridique de la SNCF ou à l’absence de concurrence, mais plus sûrement à la casse organisée du service public. Ce recul s’est accentué encore depuis la mise en oeuvre de la réforme de 2014. La France est dans le peloton de tête des pays européens sur les critères de sécurité et de qualité de service. Elle n’est supplantée que sur le critère de l’intensité de l’usage du train, ce qui signifie que les pays en tête de cet index ont fait des choix axés sur la croissance des volumes et non sur la rationalisation.

La différence en Europe se fait en outre sur les niveaux d’investissements sur le réseau. La fréquentation des lignes est liée à leur attractivité. Or, sur un réseau vieillissant (30 ans de moyenne d’âge en France contre 17 ans en Allemagne), il est difficile d’accroître l’offre, la fréquence et l’amplitude de service. C’est pourquoi de nombreux Etats se sont engagés dans des plans d’investissements de haut niveau pour leur système ferroviaire :

  • Italie 2016 : Plan d’investissement de 100 Milliards d’Euros sur 10 ans, dont 73 Mds sur l’infrastructure ;
  • Grande-Bretagne 2014 : 38 Milliards de Livres (42,5 Mds€) sur 5 ans ;
  • Belgique 2013 : 25 milliards d’Euros sur 12 ans ;
  • Allemagne 2016 : 28 Milliards d’Euros sur 5 ans, dont 16,6 provenant de l’Etat fédéral et 11,4 de la DB. C’est 20% de plus que le plan de modernisation français. Parallèlement, l’Etat met 350 M€ au pot pour baisser le coût des sillons pour le Fret ferroviaire.

Le BCG note que « plus globalement, comme en 2012 et 2015, l’étude de 2017 montre une corrélation entre les dépenses publiques et la performance d’un système ferroviaire donné […]. De plus, cela révèle des différences dans la valeur que les pays captent en retour pour leurs dépenses publiques. Le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse récupèrent une haute valeur relative pour l’argent investi. »

(Les dépenses publiques sont l’addition des subventions et des investissements, dont le coût de la dette et des investissements futurs attendus. Ils sont exprimés en milliers d’Euros par habitant, convertis sur une échelle de 0 à 10.)

Donc, au-delà des efforts d’investissements qui marquent de réelles différences sur le niveau de l’infrastructure, il faut aussi considérer les concours publics en termes d’exploitation. Ainsi, le trafic régional allemand est placé sous l’autorité des Landers (l’Allemagne est un Etat fédéral) dont les budgets sont sans commune mesure avec ceux des régions françaises.

En 2017, les Landers ont consacré 8,2 Mds€ (+ 30% par rapport à 1994, année de la réforme des chemins de fer allemands), contre 4,3 Mds€ pour les régions françaises. C’est aussi l’Etat fédéral qui a permis le désendettement de l’opérateur historique (70 Mds de DM en 1994, soit 35 Mds€), ce que la France refuse encore aujourd’hui.

Le contre-exemple britannique montre par ailleurs que la concurrence et la privatisation ne tiennent jamais leurs promesses. La privatisation de British Railways (opérateur et gestionnaire d’infrastructure) devait permettre la croissance des trafics, des investissements plus importants, la baisse des prix pour un meilleur service et moins de concours publics. Si on excepte la croissance des trafics19, due essentiellement à la conjoncture économique et au niveau d’activité, ainsi qu’à l’éloignement domicile-travail compte tenu des difficultés pour se loger à Londres notamment, tous les autres objectifs n’ont non seulement pas été atteints, mais au contraire, la situation a empiré.

Le rapport Rebuilding Rail a conclu que les investissements privés représentent seulement 1% du total de l’argent investi dans le ferroviaire. L’âge moyen du matériel roulant au Royaume-Uni est passé de 16 ans au moment de la privatisation à 18 ans en 2013. La privatisation a engendré des services moins fiables et plus chers.

En comparant les 20 dernières années de British Rail (public) avec les 19 ans de présence des opérateurs privés avant 2013, il résulte que les services de British Rail étaient 3 % plus ponctuels que les services rendus par les opérateurs privés. Depuis la privatisation du rail en 1995 jusqu’à 2015, tous les billets ont augmenté en moyenne de 117 %. La Grande-Bretagne a les allers-retours Banlieue quotidiens et les abonnements les plus chers d’Europe. Entre 2010 et 2014, le prix moyen de l’abonnement au Royaume-Uni a augmenté de 27 %.

La privatisation coûte plus cher aux contribuables. Les coûts de fonctionnement des chemins de fer ont plus que doublé en termes réels, passant de £ 2,4 milliards par an (1990-91 à 1994/95) à approximativement £ 5,4 milliards par an (2005/06 à 2009/10). En 2013-14, le gouvernement a contribué à hauteur de £ 3,8 milliards à l’industrie des chemins de fer britannique.

Selon l’ORR (Office of Rail and Road, l’équivalent de l’ARAFER au Royaume-Uni), la dette du Gestionnaire de l’Infrastructure Network Rail s’établit à 46,3 milliards de livres (51,8 Mds €) en 2017 et devrait atteindre 53 Milliards de livres (59 Mds€) en 201921. C’est significativement supérieur à la dette de SNCF Réseau. Or, le réseau britannique compte 17 000 kms de voies contre 29 000 en France.

La démonstration est ainsi faite que la capacité pour un système ferroviaire à répondre aux attentes et aux besoins ne tient en rien à la concurrence, mais davantage à une volonté politique tournée vers le développement et l’investissement.