MARS, 2059

jeudi 10 septembre 2009

Nous présentons ici une version légèrement abrégée d’un l’article de Marsha Freeman, directrice adjointe de la revue scientifique américaine 21st Science & Technology paru dans l’Executive Intelligence Review (EIR) du 4 septembre 2009.


Ce fut une fête magnifique ! Ici sur Mars, Kepleropolis et ses habitants ont célébré aujourd’hui en grande pompe le quatre-vingt-dixième anniversaire des premiers pas de l’homme sur la Lune !

Cependant, nos yeux sont surtout rivés sur le lancement imminent du nouveau vaisseau spatial révolutionnaire Kepler II, le premier engin à utiliser, à titre expérimental, un moteur à réaction matière-antimatière. Si cette technique révolutionnaire fait ses preuves, le nouveau vaisseau pourrait atteindre des étoiles proches lors d’un trajet plus court que la durée de vie d’un de nos scientifiques. Ah, ces chercheurs ! Ils pensent vraiment y découvrir de nouvelles Terres !

Si Kepler II n’est pas un vol habité, il pourrait néanmoins faire escale sur plusieurs des planètes semblables à la Terre qui risquent de peupler les orbites de ces étoiles lointaines. On les croyait hors de portée de l’homme et surtout, on craignait que le temps pour s’y rendre ne dépasse éternellement la durée de vie de l’un d’entre nous.

Ainsi, Kepler II prend le relais de son prédécesseur Kepler I. Ce dernier, mis en orbite en mars 2009, avait repéré des centaines de systèmes solaires explorables. Evidemment, ici à Kepleropolis tout le monde va suivre, minute par minute, le compte à rebours du lancement. Les scientifiques travaillant au Laboratoire des techniques de propulsion avancés (LTPA) ont déjà les yeux rivés sur les énormes écrans que la ville a installés aux quatre coins de la cité, permettant à tous de suivre l’évènement en direct.

Après tout, rappelons que la recherche sur ces réacteurs matière-antimatière a commencé il y a plus de vingt ans sur la Terre avant de se concrétiser par le laboratoire de Kepleropolis. Evidemment, vu d’ici, le développement d’une telle technologie prend un tout autre sens.

En plus, on s’est débrouillé pour faire coïncider le premier test grandeur nature de cette nouvelle technologie avec le premier pas de Neil Armstrong sur la surface lunaire, il y a presqu’un siècle. Que disait-il encore ? Un petit pas pour lui, mais un pas de géant pour l’humanité !

Alors, on y va ? Les boosters de Kepler II ont fonctionné à merveille. Une fois stationné en orbite martienne, le vaisseau a allumé ses réacteurs matière-antimatière et mis le cap sur de nouveaux mondes !

Ce que les citoyens de Kepleropolis ne comprennent pas, et n’arriveront peut-être jamais à comprendre – en particulier ceux qui n’ont pas connu la deuxième révolution américaine de 2010 – c’est qu’on ait pu gâcher tant de décennies. Après l’abandon brutal du programme Apollo en 1972, les partisans de l’exploration spatiale se lamentaient qu’il faudrait probablement une crise aussi grave que celle qu’avait dû affronter le président Kennedy en 1961, pour contraindre l’administration américaine à s’engager dans un projet visionnaire étalé sur plusieurs dizaines d’années et capable de porter l’humanité aux confins de l’espace.

Cette terrible crise éclata à l’automne 2009, lorsque la finance mondiale, n’oeuvrant plus à une quelconque création de richesses physiques mais engloutie dans une entreprise quasi-criminelle, uniquement orientée vers la spéculation et le vol semi-légal ne visant qu’à « faire de l’argent », s’effondra comme un vulgaire château de cartes. Les échanges commerciaux, la production et la vie elle-même s’arrêtèrent presque du jour au lendemain. Cette crise sans précédent offrit cependant, une fois balayées des décennies de pessimisme et de choix politiques erronés, une occasion unique pour refonder la société sur des principes qui, vu de Mars aujourd’hui, ne nous paraissent relever que du simple bon sens. En réalité, la révolution commença en abattant le veau d’or, le culte de l’argent-roi.

Redémarrage

Pour relancer les échanges internationaux, une série d’accords internationaux fut conclue, établissant un système de crédit et de monnaies à parités stables. C’était le fruit de politiques rooseveltiennes, réactualisées à l’époque par l’économiste américain Lyndon LaRouche, qui préconisait une alliance entre les pays les plus importants de l’époque : Etats-Unis, Russie, Chine et Inde. A travers ces accords, chaque pays pouvait participer pleinement à une relance de l’économie mondiale.

Ces politiques permirent de transformer la réaction quasi-incontrôlable des masses populaires et la menace d’une dislocation totale de la société civilisée, en un renouveau, et ce en retournant à l’esprit de la première Révolution américaine organisée par Benjamin Franklin.

De grands projets d’infrastructures furent alors entrepris sur la planète Terre, suivant les politiques élaborées par le premier secrétaire au Trésor américain, Alexander Hamilton, auteur de politiques de crédit productif public conçues à cet effet pour la jeune République américaine. En 2010, il s’agissait en premier lieu de reconstruire une planète ravagée par la maladie, la famine et la guerre et de mettre fin à tant d’années d’usure de l’économie physique.

Comme les visionnaires de l’espace le soulignaient à l’époque, seul un grand projet sur plusieurs générations pouvaient mobiliser et mettre au défi les gisements de créativité humaine en sommeil depuis si longtemps. Car les découvertes scientifiques d’un tel projet spatial feraient fleurir de nouvelles technologies révolutionnaires et serviraient de locomotive tirant la croissance économique sur Terre.

Après bien des hésitations, les politiques donnèrent leur accord et c’est à partir de là que prit forme le projet de fonder une ville des sciences sur Mars. En réalité, on se rendit compte assez vite que l’optimisme naturel de l’humanité n’avait jamais été réellement éradiqué mais seulement enlisé dans la fange. Orienté vers l’avenir, les jeux vidéo violents, les divertissements débilitants, la fixation sur le sexe, la violence et les sports de compétition, ainsi qu’une certaine « culture » de la mort, tout cela perdait alors son intérêt. En découvrant les secrets de l’univers, l’humanité retrouva sa véritable nature.

Ainsi, début 2010, par un engagement collectif auquel souscrivaient la presque totalité des nations de la planète, on décida que par un effort coordonné, en mobilisant les talents de toute l’humanité, la civilisation ferait, en moins de cinquante ans, le saut vers Mars.

Vivre sur Mars

Au début, pour l’homme, l’objectif principal d’aller vivre sur Mars ne visait qu’à accroître sa compréhension de l’univers en créant une sorte de « maison pluri-planétaire pour l’humanité ».

Ainsi furent dessinés les contours d’une « ville des sciences ». La population de Kepleropolis approche à ce jour le demi-million d’habitants et la ville ne se contente pas de maintenir opérationnels un personnel scientifique hautement qualifié et des laboratoires, mais elle pourrait, en cas de besoin, devenir un nouveau monde autonome et servir de tremplin pour l’exploration des contrées les plus éloignées du système solaire. Nos scientifiques et ingénieurs ont bon espoir de pouvoir surmonter les défis techniques pour amener l’homme sur les planètes les plus distantes.

Par contre, pour l’instant, ce sont les experts médicaux qui expriment des doutes sur nos capacités d’y mener une existence normale. Il reste beaucoup de questions sur la façon dont le corps humain s’adaptera à la Lune, dont la gravité n’est qu’un sixième de la Terre, et plus tard à Mars, où la gravité n’est que d’un tiers.

« Les explorateurs pourront-ils retourner vivre sur la Terre avec une gravité-1 ? », se demandent-ils. Ils savent, sur la base des études effectuées sur la microgravité, qu’en orbite terrestre, certains astronautes, après avoir travaillé pendant six mois en apesanteur, ont perdu jusqu’à 30% de leur masse osseuse.

Même après deux ans de thérapie sur Terre, ils n’ont pas pleinement récupéré. Le même handicap affecterait-il les individus vivant, non pas en apesanteur, mais avec une gravité partielle comme celle de la Lune ou de Mars ? Quitter la Terre impliquerait alors de ne plus pouvoir y retourner… Afin d’apporter des réponses à ces questions, les recherches menées dans la Station spatiale internationale (ISS) furent accélérées en 2012. Deux ans auparavant, les agences spatiales européennes et japonaises avaient décidé d’expédier, au plus vite, une centrifugeuse vers la station. Selon la vitesse de rotation du dispositif, on pouvait recréer dans l’espace des conditions identiques aux différents niveaux de gravité.

Les spécialistes de la médecine spatiale avaient constaté que, sur la base des données de la station spatiale américaine Skylab, de la station russe Mir et de l’ISS, certains changements physiologiques, tels que la perte de masse osseuse, sont des processus constants, tandis que d’autres altérations connaissent un tassement. On peut alors se demander s’il en est ainsi en gravité partielle ? Les études menées à partir de 2012 à bord de l’ISS indiquent que la gravité partielle de la Lune (un sixième de moins que sur Terre) affecte sérieusement la masse osseuse et musculaire humaine. En étudiant attentivement les images des astronautes cabriolant sur la surface lunaire, les experts médicaux arrivent à la conclusion qu’en ajoutant une combinaison spatiale lourde au poids de l’astronaute, la charge gravitationnelle sur le squelette permet de réduire considérablement le phénomène.

Alors, pendant des années, les scientifiques se sont démenés pour imaginer des mesures préventives capables de surmonter cette difficulté, bien que l’approche purement médicale oblige le voyageur à avaler une véritable pharmacie et à en subir les effets secondaires.

Cependant, il y a une vingtaine d’années, les ingénieurs chargés d’élaborer les nouvelles installations eurent une idée lumineuse. Ils se sont dit : nos astronautes, avant de retourner sur Terre en provenance de la Lune ou de l’apesanteur, ne pourraient-ils pas surmonter tous ces effets handicapants provoqués à la fois par la microgravité, en passant un certain temps dans une centrifugeuse lunaire à gravité variable ?

Les scientifiques décidèrent alors de mettre cette hypothèse à l’épreuve et en juillet 2041, lors d’une téléconférence interplanétaire, ils dressèrent le bilan de leurs expériences. Grâce à des séjours dans la centrifugeuse, plusieurs fois par jour, les astronautes peuvent maintenir un système immunitaire, une force musculaire, une masse osseuse et une capacité cardio-vasculaire dans des conditions comparables à la vie sur Terre. Des essais ultérieurs réalisés dans des centrifugeuses installées sur la Lune démontrèrent que la gravité de Mars ne dépasse pas le seuil critique de certains changements physiologiques insurmontables.

Cependant, à Kepleropolis, les études s’intéressent à une question non résolue pour l’instant. Les enfants nés et élevés sur Mars présentent des différences physiologiques. Ils sont plus grands mais leur corps a du mal à résister à la force d’attraction terrestre. Si le squelette d’un individu qui a grandi sur Terre possède la force de surmonter la gravité de cette planète, il en va autrement pour quelqu’un qui, en grandissant sur Mars, acquiert une capacité moindre.

Il n’est pas inintéressant de rappeler ici l’hypothèse audacieuse du docteur Krafft Ehricke (1917-1984), un visionnaire de l’exploration spatiale. Tout en constatant les effets néfastes de la microgravité pour certains, Ehricke faisait l’hypothèse qu’à contrario, ces conditions pouvait éventuellement avoir un effet thérapeutique pour d’autres, en particulier ceux pour qui la gravité est un fardeau. Dans ce cas, il pensait notamment aux malades ayant des problèmes de circulation sanguine, pour lesquels une gravité moindre permettrait d’alléger la charge du cœur. Pour ceux souffrant d’un pincement des nerfs par le tassement des vertèbres, la microgravité permettrait d’alléger les douleurs. En ce sens, l’Hôpital Michael DeBakey fut créé en orbite terrestre pour soigner ces malades et faire progresser la médecine spatiale. D’ailleurs, avec le temps, une partie des seniors est allée s’installer confortablement en orbite terrestre où ils continuent à se rendre très utiles tout en contemplant la terre d’en haut.

Une menace, et non des moindres, demeure : le rayonnement cosmique. Si en orbite basse ou sur les planètes on peut réunir suffisamment de matériaux pour protéger les humains et les animaux, la traversée d’au moins 56 millions de kilomètres d’espace interplanétaire séparant Mars de la Terre, expose fortement les voyageurs. Une seule solution s’avère la bonne : voyager vite.

Le voyage vers Mars

A l’heure actuelle, jour et nuit, des vaisseaux spatiaux se relayent sur l’océan de l’espace interplanétaire entre la Terre, la Lune et Mars. Ce qui permit d’établir des liaisons régulières fut le changement de la relation entre l’espace et le temps. Les lanceurs de l’époque d’Apollo mettaient huit minutes pour mettre une capsule en orbite terrestre et deux jours pour se rendre sur la Lune. Avec ce type de lanceur et de carburant, un aller simple pour Mars aurait pris sept à huit mois. Cependant, aujourd’hui, aller de la Terre à Mars, nous prend autant de temps que pour se rendre sur la Lune à l’époque ! Pourquoi ? C’est le développement des propulseurs spatiaux à plasma qui a réduit le temps de trajet à moins d’une semaine.

Le grand pionnier de cette révolution fut Franklin Chang-Diaz. Cet ancien astronaute et physicien des plasmas au MIT se rendait bien compte qu’un jour il faudrait utiliser l’énergie de fusion pour propulser les fusées. Travaillant au Lyndon B. Johnson Space Center de Houston en 1993, Chang-Diaz et son petit frère au Costa Rica mirent trente ans à concevoir une technologie capable de résister à plusieurs millions de dégrés et de transformer cette chaleur en énergie au service de la poussée du propulseur.

Chang-Diaz est l’inventeur du VASIMR (fusée magnétoplasma à impulsion spécifique variable) qui, au lieu de brûler des combustibles chimiques, utilise des champs de rayonnements électromagnétiques variables pour chauffer, ioniser et accélérer un propergol vaporisé (hydrogène ou hélium).

Cependant, pour construire Kepleropolis, des milliers de tonnes de matériaux et d’équipement ont dû être déplacés. Pour ces missions, il ne s’agissait donc pas tellement d’optimaliser la vitesse mais plutôt la capacité.

En 2012, une première version du VASIMR était prête à être testée dans l’espace. Le vaisseau expérimental profitait de l’alimentation électrique de l’ISS pour disposer de l’énergie requise pour chauffer le plasma. La poussée qu’on obtenait fut même utilisée pour propulser la station spatiale dans une orbite légèrement plus élevée. En parallèle avec le développement des propulseurs à plasma, on lança un programme à marche forcée pour installer une centrale nucléaire spatiale de haute capacité. Cette technologie, qui était à l’étude aux Etats-Unis, fut abandonnée au début des années 1970 quand l’effort spatial fut annihilé. Idem pour la Russie, qui abandonna ce type de démarche après l’effondrement de l’URSS.

En 2030, une fusée VASIMR à propulsion nucléaire fut testée en orbite terrestre. A peine quatre ans plus tard, les cargos spatiaux à propulsion nucléaire assuraient des navettes régulières entre l’orbite terrestre et lunaire.

Retour aux plans de Krafft Ehricke

Rien de ce qui fut accompli sur Mars depuis ces cinquante dernières années n’aurait pu voir le jour sans le travail des pionniers qui ont relevé le défi d’habiter sur la Lune. Quelle stupide querelle paralysa l’humanité il y a cinquante ans ! Qu’il était indispensable de rendre la Lune habitable avant de s’attaquer à Mars, personne aujourd’hui ne conteste la sagesse d’une telle décision. Bien sûr, les conditions sur la Lune sont plus extrêmes et plus éloignées de la vie terrestre, comparées à celles qui règnent sur Mars. Ainsi, on s’est fait les dents sur la Lune, ce qui nous facilita la tâche pour aller sur Mars par la suite. Quand on a démarré le programme global pour explorer Mars, personne n’avait vécu sur la Lune plus de quelques jours. Les explorateurs de la Lune durent emporter tout ce dont ils avaient besoin. Leur technologie en matière de propulseurs les cantonnait à n’explorer que les régions équatoriales de la Lune et la face lunaire qui est toujours orientée vers la Terre. Résider sur la Lune pendant des mois, voire des années, nécessitait une approche entièrement nouvelle.

Pour accomplir cela, on a dû dépoussiérer les écrits de Krafft Ehricke. Des technologies nucléaires, à très haute densité énergétique, disait Ehricke, seront essentielles pour vivre dans un environnement sans atmosphère, presque sans eau, avec une nuit longue de deux semaines, avec des radiations cosmiques intenses et des températures aux deux extrêmes. Si sur Terre, il faut des dizaines de kilowatts d’énergie électrique pour garantir le niveau de vie d’un individu, sur la Lune, il faut des mégawatts et sur Mars, il s’agit de térawatts (1000 milliards de watt). Au début des années 2020, grâce à des robots, nous avons installé des réacteurs nucléaires à fission sur la surface lunaire afin de préparer l’arrivée de la première dizaine d’explorateurs. Par la suite, des centrales nucléaires beaucoup plus puissantes ont permis de construire les premiers éléments d’une ville lunaire.

Tandis que grandissait la première colonie lunaire, la production manufacturière augmentait parallèlement. Des dépôts souterrains abritaient des combustibles nucléaires, aussi bien pour la fission que pour la fusion, et des matières premières lunaires. Des entreprises équipées de lasers, de faisceaux d’électrons et d’autres sources d’énergie dirigée permirent d’en faire des produits semi-finis très utiles. Un vaste chantier fut aménagé pour y construire la grande ville de Selenopolis.

Au fur et à mesure que la production lunaire augmentait, la dépendance des importations en provenance de la Terre diminuait. En réalité, à partir de 2037, les exportations de la Lune vers la Terre dépassaient les importations en sens inverse. Cependant, l’énergie de fusion fut essentielle pour permettre à Selenopolis de réaliser tout son potentiel. Pour cela, la Lune elle-même nous offrait la clef. En effet, le meilleur carburant pour la fusion thermonucléaire – sur Terre, sur la Lune, sur Mars ou pour les fusées – c’est le deutérium (2H), un isotope naturel de l’hydrogène, et l’hélium-3 (3He), un isotope non radioactif d’hélium. Si cet élément est rare sur terre, la surface lunaire en détient en abondance (un million de tonnes).

Deux pays possédant une grande expérience minière dans des conditions climatiques extrêmes, le Canada et la Russie, relevèrent le défi en développant l’équipement nécessaire pour exploiter les gisements d’hélium-3 sur la Lune.

Au fur et à mesure que les propulseurs à plasma progressaient, on put livrer de l’hélium-3 lunaire à la Terre. On se rendit vite compte que la Lune, où aucune atmosphère ne nous perturbe, était un site idéal pour tester des moteurs à fusion pour les fusées, car l’environnement lunaire est quasiment identique à l’espace interplanétaire que ces fusées devraient affronter. En 2029, le Dr Chang-Diaz, âgé de 79 ans, surveilla personnellement les tests décisifs pour la mise au point de cette technologie.

Selenopolis fut le projet qui vint couronner le programme lunaire. La cité fut organisée en quartiers imitant chacun un climat spécifique terrestre et une région rurale, urbaine ou industrielle. Selenopolis accueille l’université Carl Gauss et le théâtre Jules Verne, où les Selenopolitains peuvent suivre le développement de la civilisation sur Mars.

Sur la Lune, l’homme dut se débrouiller avec « les moyens du bord ». Il s’agissait d’utiliser les ressources lunaires pour obtenir de l’oxygène, des minéraux et d’autres matériaux. Pour l’eau, on se servit des calottes polaires de la Lune.

Les cinquante prochaines années

Quelle tâche nous attend dorénavant ? Dans les cinquante années qui viennent, la nature des activités sur Mars changera radicalement. Maintenant que Kepleropolis est opérationnelle, c’est plutôt la grande aventure de la vie qui va nous passionner.

Depuis des siècles, les scientifiques essayent de savoir s’il y a, ou s’il y eut jadis, de la vie sur Mars. L’envoi, à partir de 2010, de toute une série de robots sophistiqués, ne nous livra que des réponses confuses. Il fallut attendre 2024 pour qu’un engin ramène sur Terre quelques précieux kilogrammes de cailloux prélevés dans le sol martien. Toujours sans apporter de réponse à la question. Ce n’est que trois ans après l’atterrissage sur Mars, qu’en faisant appel à une créativité typiquement humaine, les astronautes purent mettre la main sur des micro-organismes fossilisés ayant prospéré il y a fort longtemps sur la planète rouge. La question désormais sera de vérifier si des niches de vies ont pu perdurer jusqu’à aujourd’hui.

Nos scientifiques mirent à profit les recherches très poussées sur les environnements extrêmes de la Terre. Ils furent stupéfaits, dans les dernières décennies du XXe siècle, de constater la présence du vivant là où règnent des températures extrêmes, où les radiations sont d’une violence inouïe et même là où aucune lumière ne pénètre. Sur Mars, ces recherches continuent avec grande minutie.

Si les scientifiques finissent un jour par trouver des formes de vie sur Mars, l’une des grandes questions sera de déterminer si cette vie y est venue de la Terre ou l’inverse : la vie a-t-elle trouvé son origine sur Mars avant d’arriver sur Terre ?ou encore, a-t-elle pu naître simultanément sur les deux planètes ? A ce jour, chacune de ces théories a ses fervents partisans.

Indépendamment de cette question passionnante, afin de rendre notre planète habitable pour l’humanité, une politique est engagée visant à faire de Mars une « deuxième Terre » — même si ce processus de « terraformation » prendra des siècles.

Il nous vient alors à l’esprit une anecdote rapportée par les livres d’histoire. Le président Charles de Gaulle demanda un jour à l’un de ses assistants de lui procurer un arbre d’une espèce particulière, qu’il avait décidé de planter à proximité de son bureau. L’officier objecta vigoureusement : « Mon Général, cet arbre pousse très lentement et cela vous prendra des décennies avant de profiter de ses premiers ombrages… » Souverainement, le Général rétorqua : « Alors, il me semble qu’on n’a pas de temps à perdre ! »

Ainsi, ceux qui vivent aujourd’hui sur la planète rouge ne la verront-ils jamais transformée en jardin, mais leurs arrière-arrière-petits-enfants, eux, la verront. A la fin des années 1920, Hermann Oberth (1894-1989), le père des voyages spatiaux, affirma que le but de l’exploration spatiale consistait à rendre « habitables tous les mondes ». Voilà l’objectif du projet seconde Terre : créer une biosphère sur Mars.

Depuis des années, les scientifiques ont imaginé des projets en ce sens. Mais puisqu’il est évident que cette expérience ne peut être menée à terme que sur Mars, on décida d’y mettre à l’épreuve plusieurs approches à la fois. Le premier grand défi consiste à augmenter la température de la planète. D’abord, cela aura pour effet de faire fondre les calottes polaires martiennes et de libérer l’eau emprisonnée dans la glace. Cette eau relâchera alors à son tour du dioxyde de carbone, ce qui permettra de densifier l’atmosphère. On pourrait dire qu’il s’agirait de provoquer ce fameux processus auto-générateur de « réchauffement climatique » que l’on craignait tant sur terre à une certaine époque.

Une des technologies pionnières testée en orbite lunaire depuis une vingtaine d’années est le déploiement d’un ensemble de miroirs. Ces « soleils artificiels », baptisés Solettas, développés par Ehricke dans les années 1970 d’après une idée originale de Oberth, réorientent des rayons solaires vers les calottes polaires de la Lune, normalement hors de portée de cette lumière mais riches en eau.

Sur Mars, les ingénieurs ont conclu que la première phase, actuellement en cours de réalisation, pour transposer cette technique, est la mise en orbite d’un miroir de taille moyenne, capable d’accroître de quelques degrés la température d’une région donnée de Mars. A l’instar de la Lune, une fois que ces Solettas auront atteint une puissance de plusieurs térawatts, la hausse de la température pourrait réveiller l’hydrosphère de Mars en faisant fondre les glaces. La taille du miroir, d’un diamètre de 125 kilomètres, exigera qu’il soit fabriqué sur Mars avec les matériaux qui s’y trouvent.

La deuxième approche, actuellement mise à l’épreuve, c’est « l’ensemencement » de l’atmosphère martienne avec des halocarbones. Ces gaz à effet de serre vont lentement accroître la température et la pression atmosphérique de Mars et permettront un jour aux explorateurs de troquer leurs encombrants scaphandres pour de simples tubas. Par la suite, quand la première végétation fleurira dans une atmosphère riche en carbone, elle oxygénera l’air et permettra à l’homme de s’y mouvoir sans équipement particulier.

Cependant, nous savons désormais qu’il y a eu de la vie sur Mars avant l’arrivée de l’homme. Combien d’autres corps célestes de notre système solaire ont été, ou sont encore, peuplés de certaines formes de vie ? C’est la question sur laquelle nous allons nous pencher sérieusement dans les cinquante années à venir.

En tout cas, aujourd’hui, Kepler II a pris le large et se dirige au-delà des abords de nos planètes, à la recherche de vie sur des planètes en orbite d’autres étoiles.

Tout au long de l’histoire humaine, il y a toujours eu ceux qui refusent tout et les pessimistes invétérés. La fondation d’une ville sur Mars n’est que la preuve la plus éclatante que l’homme peut surmonter n’importe quelle crise. Cependant, ce n’est qu’en prenant pleinement conscience de sa créativité qu’il peut découvrir et domestiquer les lois de l’univers pour le mettre au service de l’humanité tout entière.

Dossier :
— Jacques Cheminade : l’espace, engagement politique fondamental

— Lyndon LaRouche : l’impératif moral de l’exploration spatiale