Lazare Carnot : l’organisateur de la victoire

dimanche 30 janvier 2005, par Jacques Cheminade

[sommaire]

A observer les militaires récemment à l’oeuvre en Irak, on pourrait penser que les soldats sont devenus des hordes de mercenaires qui n’ont cure de la population civile ni de la mémoire des peuples que sont les musées. Le concept militaire dominant ressemble à un mélange de Genghis Khan et de Dracula.

La guerre semble être la normalité, la paix, l’exception. Comme sous les Césars de l’Empire romain, l’ordre mondial semble être façonné au gré d’esprits dérangés.

Dans ce contexte, il est utile de se tourner vers un personnage historique qui voulait non seulement bannir la bestialité de la guerre, mais parvenir à une véritable paix.

Lazare Carnot (1753-1823)
Mathématicien, physicien, général et homme d’Etat, il est surnommé l’organisateur de la victoire pour son rôle décisif dans les Guerres de la Révolution française contre les monarchies européennes coalisées.

Lazare Nicolas Carnot naît le 13 mai 1753 à Nolay, en Bourgogne. Très jeune, sa vocation scientifique et mathématique se manifeste et il entre au Collège des Oratoriens d’Autun dès 1762. En 1771, il s’inscrit à l’Ecole de Génie de Mézière qui recevra l’année suivante la visite de Benjamin Franklin.

En 1773, Carnot quitte Mézière avec le grade de lieutenant. En 1784, il se fait un nom avec l’Eloge à Vauban, avec lequel il remporte le concours à l’Académie de Dijon.

Lors d’une visite en France, le prince Henri, frère du roi de Prusse, Frédéric le Grand, est si impressionné par Carnot qu’il aurait tenté de le persuader de rejoindre l’armée prussienne.

Dès lors, Carnot voit en la Prusse un allié potentiel pour la France, contrairement à l’Angleterre.

Comme le poète allemand Schiller, Carnot espère lui aussi l’avènement d’un siècle de la raison. Il écrit : « Le sage devance son siècle et son langage ne peut être entendu que par la postérité. (...) Comme philosophe, il a déjà franchi les barrières qui séparent les Empires, il est citoyen de tous les lieux, contemporain de tous les âges. »

Organiser la défense

Le 20 avril 1792, l’Autriche et la Prusse déclarent la guerre à la France au motif de rétablir le pouvoir de Louis XVI, qui se trouve prisonnier dans son propre palais. Pendant plus d’un an, la situation militaire en France ne cesse de s’aggraver. Le 2 avril 1793, le désastre atteint un point culminant lorsque le commandant-en-chef des Armées du nord, le général Dumouriez, passe à l’ennemi. En juin de cette année-là, Carnot est nommé membre du Comité de salut public, chargé des questions militaires.

Il se lance alors dans une réorganisation des Armées en promouvant de jeunes officiers compétents et écartant toute forme de népotisme et d’idéologisation politique. Il réduit de dix à cinq le nombre des armées et institue des brigades et divisions afin d’en améliorer la mobilité.

Mais sa contribution essentielle consiste à intégrer dans la défense le progrès scientifique et technique, ce qui se traduit concrètement par l’industrialisation du pays. Il réunit autour de lui les meilleurs savants de l’époque comme Berthollet, Chaptal, Monge, Prieur, Guyton et bien d’autres. Monge rédige un manuel sur la fabrication des canons, Chaptal s’occupe de la production de poudre à canon et, en peu de temps, à Paris, 258 forges seront en mesure de produire des milliers de canons par jour. Par ailleurs, Carnot s’intéresse aux nouvelles technologies.

Dès 1784, il avait soulevé dans un écrit l’importance militaire de l’aérostat,qu’il proposait de guider au moyen d’une machine à vapeur. Le 31 octobre 1794, après deux ans de préparation, il fonde l’Ecole nationale d’aérostation, qui formera la première armée de l’air au monde. Elle se compose de deux compagnies d’aérostiers, dotées chacune de quatre ballons. Dès le 2 juin 1794 - encore dans la phase d’essai - le premier aérostat est déployé au combat près de Charleroi, en Belgique, puis, le 26 de ce mois, lors de la bataille de Fleurus, son utilisation à des fins d’observation est déterminante pour la victoire.

En plus de ses responsabilités à Paris, où il supervise presque tout, Carnot est obligé de se rendre sur le front nord en octobre 1793, afin de diriger personnellement l’attaque contre le gros des forces de Cobourg, stationnées près de Wattignies. Se trouvant sur place le 16 octobre en tant que membre du Comité de salut public, et donc habillé en civil, il s’empare du fusil d’un soldat et prend la tête de l’attaque, se faisant reconnaître de ses hommes grâce à son chapeau à plume.

Responsabilité morale

En 1794, Carnot élabore un plan militaire pour libérer la France et attaquer en même temps l’Angleterre, dans le but principal de libérer l’Irlande. Pour lui, une guerre ne peut être que défensive et ce que l’on veut défendre doit répondre aux critères moraux les plus élevés.

La formation du caractère est, à ses yeux, la meilleure garantie contre la bestialisation des soldats. Dans cette optique, l’Ecole polytechnique, dont il fut l’un des fondateurs, n’est pas conçue comme une école militaire mais comme une véritable université. Entre parenthèses, notons que le grand général suisse Dufour, qui mit fin à la guerre civile déclenchée en 1847 dans son pays en s’efforçant d’éviter toute effusion de sang inutile, est issu de l’Ecole Polytechnique.

A partir de 1796, la Révolution française se laisse de plus en plus pervertir par l’impérialisme incarné par les « grandes batailles-carnage » de Napoléon. Mais lorsque la situation devient critique, comme en Egypte en 1799, celui-ci déserte son poste de commandement, laissant tout entre les mains du général Kleber. En conquérant Venise, l’Egypte et la Russie, les utopistes qui entourent Napoléon espéraient bâtir un empire mondial - un nouvel Empire romain.

Toujours fidèle à sa patrie mais intransigeant vis-à-vis des rêves de grandeur de l’empereur, Carnot restera, jusqu’à la fin, le grand adversaire de Napoléon. Celui-ci supprima d’ailleurs tous les projets militaires et techniques de Carnot qui ne contribuaient pas à sa propre gloire.

Obligé de s’exiler à Magdeburg (Allemagne) en 1815, Carnot ne cède cependant pas à la résignation, il continue de s’intéresser aux questions militaires, y compris la construction de fortifications, mais aussi à la poésie, traduisant notamment en français le poème de Friedrich Schiller, Der Handschuh (Le gant).

Le 2 août 1823, il meurt à Magdebourg. Ce n’est qu’en 1889 que sa dépouille sera ramenée au Panthéon. En Allemagne, la cérémonie de transfert se déroule avec tous les honneurs dans l’espoir d’améliorer les relations avec la France. Ainsi, en 1890, le rêve de Carnot d’une alliance franco-prussienne faillit devenir réalité. Hélas, ce sont les cercles petits-bourgeois ou impérialistes qui s’imposèrent dans les deux pays.

Néanmoins, l’organisateur de la victoire reste encore aujourd’hui la référence de ce que doit être la politique militaire d’un véritable Etat-nation, rejetant le pouvoir pour le pouvoir.

La théorie de la technologie de Lazare Carnot, base de la science de l’économie physique

Ce discours a été prononcé par Dino de Paoli à la conférence de l’Institut Schiller de Bad Schwalbach, le 21 novembre 1998

« C’est toujours une chose précieuse que la découverte d’un nouveau principe moteur dans la nature, lorsqu’on peut parvenir à en régulariser les effets, et le faire servir à ménager l’action des hommes (…) Les anciens ne connaissaient que peu ces principes moteurs, ils n’employaient que les êtres vivants, le poids, la chute d’eau ou le vent. (…) La théorie vint ensuite, qui porta la précision du calcul dans l’évaluation de ces effets (…) »

« La géométrie naturelle est le génie lui-même appliqué à la mesure des grandeurs. (…) Sans cette géométrie, l’autre est un instrument inutile ; elle crée, l’autre polit. (…) c’est par elle que les mathématiciens entrevoient les résultats d’une hypothèse, avant même que de l’avoir analysée par un calcul exact. »

« Combien il est rare que le Sage puisse recueillir le fruit de ses travaux ! Il devance son siècle, et son langage ne peut être entendu que par la postérité, mais c’est assez pour le soutenir. (…) Il est l’ami des hommes qui doivent naître, il converse avec eux dans ses recherches profondes. Comme citoyen, il arrête ses regards sur sa Patrie, il prend part à ses triomphes ; comme philosophe, il a déjà franchi les barrières qui séparent les Empires, il est citoyen de tous les lieux, contemporain de tous les âges, il suit l’homme depuis sa frêle origine jusqu’au terme de la perfection de son être. Depuis l’instant où, faible et isolé, il est le jouet de tout ce qui l’environne, jusqu’à celui où, réuni à ses semblables par un concert unanime de tous les moyens départis à son espèce, il commande en maître à l’Univers. »

Si vous ouvrez n’importe quel livre de physique, vous trouverez la loi de Sadi Carnot sur les machines thermiques, mais rien sur son père Lazare, qui conçut pourtant la même loi pour la mécanique et inspira à son fils la formulation de sa fameuse loi. Dans ce domaine, la sous-estimation de Lazare Carnot, ainsi que de Leibniz, est principalement due au fait que la science qu’ils ont perfectionnée a en réalité disparu. En effet, leur théorie mécanique, alternative consciente à celle de Newton, a été développée dans le contexte d’une science plus large que nous appelons économie physique. Si ce concept était encore explicitement utilisé à l’époque de Carnot, il a, à ma connaissance, complètement disparu entre-temps jusqu’à ce que Lyndon LaRouche le redécouvre et l’élargisse. Signalons que cette école spécifique de mécanique compte des élèves de Carnot comme Sadi Carnot, Jean-Victor Poncelet, Henri Navier, Gaspard Coriolis et Charles Dupin, pour ne citer que les Français.

Par économie physique, nous entendons l’étude de la relation entre l’existence de la population humaine et l’accroissement optimal de l’énergie libre physique nécessaire à cette existence. Dès lors, la mécanique devient l’étude des conditions optimales (et des limites) pour obtenir de l’énergie libre à partir de toutes sortes de machines ; elle devient l’étude de ce processus en relation avec la loi plus générale de la nature.

Partant du caractère sacré de notre existence, de la condition nécessaire pour assurer son respect, nous découvrons la loi de la nature adéquate et nécessaire pour ce faire. Nous ne partons pas d’un plan mathématique abstrait d’un univers dans lequel nous ne sommes même pas censés exister. Ce n’est donc que dans ce cadre qu’on peut comprendre les résultats et les intentions des travaux de Lazare Carnot et la raison pour laquelle il les associait à ceux de Leibniz et les opposait à ceux de Newton.

Je vais vous présenter d’abord une courte biographie de Lazare Carnot. [1]

1753 : naissance. Dans sa jeunesse, il étudie chez les oratoriens [à Autun].

1770 : étude de Bernoulli et de Leibniz à travers la mécanique de Bossut.

1771 : il étudie auprès de Monge à l’Ecole du génie de Mézières où, en 1773, il devient ingénieur militaire.

1777 : l’académie des Sciences de Paris lance un concours sur La théorie des machines, en ayant égard au frottement....

1778 : Carnot y participe mais aucun gagnant n’ayant été désigné, un nouveau concours est organisé sur le même sujet en 1780. Carnot y présente une nouvelle version de sa théorie qui obtient une mention honorable, mais c’est Coulomb qui remporte le concours. (Il faut noter ici que la fameuse loi de Coulomb sur la relation friction/poids a été pour la première fois découverte et décrite par Léonard de Vinci.)

1783 : Carnot revoit et publie son mémoire de 1780 sous le titre Essai sur les machines en général.

1784 : une autre compétition organisée à Dijon en présence du prince Henri de Prusse, sur le thème de l’économiste et ingénieur militaire Vauban, donne à Carnot l’occasion de présenter son Eloge de Vauban. Cette fois, il remporte le premier prix. A cette occasion, le prince Henri aurait, semble-t-il, proposé à Carnot d’entrer dans l’armée prussienne.

1784 : après le vol des frères Montgolfier, il écrit une « Lettre sur les Aérostats », y proposant l’utilisation de la machine à vapeur pour les diriger et ajoute : « Remarquez combien de bras seront épargnés dans les manufactures, lorsqu’on connaîtra mieux la mécanique du feu ».

1785 : il présente un autre mémoire, cette fois pour l’académie de Prusse, publié en 1797 et traduit en plusieurs langues : Réflexions sur la métaphysique du calcul infinitésimal.

1795 : il fonde l’Ecole centrale des travaux publics (Polytechnique).

A partir de 1800 : il produit une autre série de travaux scientifiques, dont certains sont consacrés à la géométrie liée aux machines, et aboutit en 1803 à sa « Géométrie de position », traduite en allemand en 1810. Dans ce contexte, il publie aussi De la corrélation des figures de géométrie, Théorie des transversales, etc.

1803 : il publie également une version élargie de ses travaux sur les machines, sous le titre : Principes fondamentaux de l’équilibre et du mouvement.

1800 à 1815 : il est nommé membre de l’Institut national de France, organisme créé pour promouvoir les inventions. Il y écrit plusieurs rapports, mais nous mentionnerons seulement, en 1806, le Rapport (...) sur la machine (...) pyréolophore [moteur à combustion] de J.N. Niepce et en 1809, Sur la machine à feu de M. Cagnard. [2]

1815-1823 : Exil à Magdebourg où il meurt.

L’épistémologie scientifique

On peut voir autour d’un célèbre portrait de Carnot les noms de quatre hommes qui lui étaient chers : Socrate, Archimède, Caton et Franklin. Ceci vous en dit plus sur ses idéaux que 100 biographies. Considérons d’abord le cas de Franklin.

La famille de Carnot était associée à Franklin, ce qui nous aide à comprendre l’objectif politique pour lequel Carnot oeuvrait : la réalisation du « système américain » en Europe. Dans un certain sens, cette opération fut un échec politique. En effet, l’oligarchie britannique s’efforça par tous les moyens de saboter la Révolution française en finançant des provocateurs monarchistes, jacobins et orléanistes, afin de créer un chaos politique sans perspective positive de croissance économique, d’éducation scientifique et d’industrialisation. Contrairement au mythe selon lequel tout était mieux dans le passé, on proclamait même à l’époque : « La République n’a pas besoin de savants ». La revendication sociale se trouvait ainsi découplée de l’idée de progrès. Comme quoi l’écologisme est bien plus vieux que les Verts...

Cet échec du modèle américain en Europe était patent dans les commentaires de Carnot, datant de 1802. Il écrivit à propos des grandes républiques :

Une seule fut l’ouvrage de la philosophie (...) Les Etats-Unis de l’Amérique (...) leur prospérité reçoit des accroissements qui frappent les autres nations d’admiration et d’étonnement.

Et en 1815 :

Lorsque les Américains (...) déterminent l’emplacement d’une ville, et même d’un hameau, leur premier soin est d’y amener un instituteur (...) sentant bien, (...) ces élèves de Franklin, de Washington, que ce qui est aussi pressé pour les vrais besoins de l’homme, que de défricher la terre, de couvrir ses maisons et de se vêtir, c’est de cultiver son intelligence. Mais lorsqu’en Europe, l’inégalité des fortunes, conséquence des grandes sociétés, laisse parmi les hommes une si grande inégalité des moyens, comment appeler à l’instruction la classe la plus nombreuse de la société 

Sans entrer dans les succès ou les échecs des projets de Franklin en Europe, je voudrais situer les travaux de Carnot dans ce contexte. Comme nous le savons, le « système américain » reposait en réalité sur Leibniz et était construit autour de l’idée apparemment très simple selon laquelle l’économie humaine, contrairement à l’écologie animale, commence par l’invention d’une machine et son utilisation. Par exemple, pour utiliser une version française de cette théorie, il est intéressant de se référer à Charles Laboulaye, pour qui la production de plus-value est le produit de l’intelligence sous forme d’inventions. Il écrit :

L’homme agit sur la nature qui l’environne non seulement comme les animaux, mais à l’aide de son intelligence. Les découvertes que celle-ci fait chaque jour, loin de périr avec l’individu, s’accumulent. (...) Or la civilisation n’a pu se développer que chez les peuples qui sont capables de produire une quantité de produits supérieure à celle consommée chaque jour (...). Quel en est le résultat ? Il ne peut exister une seule loi naturelle, qui ne doive trouver son application dans l’industrie ; de même qu’il ne peut exister un procédé industriel utile qui ne soit fondé sur une loi naturelle.

Les Américains l’appliquaient déjà, les Européens se battaient pour. Ce qui importe pour nous, c’est qu’au coeur des idées de Franklin et de Carnot, l’économie, l’écologie et les machines sont indissociables. Pour cette raison, on avait besoin d’un calcul plus précis de telles relations et Carnot y contribua en partie, clarifiant certains paramètres cruciaux dans l’étude des machines. C’est ce que nous allons considérer maintenant.

1) La théorie de « la machine en général »

Nous allons résumer, avec notre propre langage, la théorie que Carnot développa dans ses différents écrits [3]

D’abord, il faut se souvenir que, pour Carnot, l’initiateur de cette science était Archimède. Mais il n’a pas oublié Léonard, dont les manuscrits sur la mécanique allaient être redécouverts peu après et, justement, par des proches de Carnot.

En tout cas, qu’est-ce qu’une machine, en réalité ?

Pour Carnot, une machine est tout système ou corps permettant la transformation d’énergie générique en travail utile. [4] Utile pour qui ? Pour notre société. Pour nous, qui vivons dans cet univers et pas dans un espace lointain. Lisons Carnot : « Les machines sont donc très utiles, non en augmentant l’effet dont les puissances sont naturellement capables, mais en modifiant cet effet (...) convenable à l’objet qu’on a en vue (...) de la manière la plus avantageuse ». (D, 266)

Ainsi, dès le départ, on note la subjectivité implicite de ce genre de science. Carnot spécifie immédiatement que, dans ce domaine, nous ne nous intéressons pas à une force abstraite comme celle utilisée par Newton. Nous devons au contraire utiliser l’autre mécanique mise en place par Leibniz et Bernoulli, la mécanique qui traite de transformations réelles dans la nature, touchant à la matière et l’énergie.

La science des machines en général, ainsi que toute mécanique, se réduit donc à la question suivante : connaissant le mouvement virtuel d’un système quelconque de corps — c’est à dire celui que prendrait chacun de ces corps s’il était libre — trouver le mouvement réel qui aura lieu (...) en le considérant tel qu’il existe dans la nature (...) (C, 10)

On peut saisir très facilement la différence entre le système mathématique idéal de Newton et un système réel : dans le cas idéal newtonien, (le vide absolu), l’objet peut se mouvoir perpétuellement, alors que dans le cas leibnizien, du fait qu’il travaille, il obligera à considérer des notions telles que la « fatigue » ou le « seuil ». [5] Nous devons, pour cette raison, prêter une grande attention à la question des frottements en général, comme le dit Carnot : « Le frottement et les autres résistances (...) peuvent être regardés comme des forces actives ». (A, 50)

Je vais déjà donner ici les conclusions de Carnot, concentrées dans un schéma simple et en utilisant mes symboles :

X = puissance motrice, naturelle - chute d’eau, vent, etc. - ou artificielle - machine à vapeur, etc.

Ep = le niveau énergétique de X.

M = machine.

W = travail utile produit ou énergie libre. Ce paramètre est crucial. Il définit la condition minimale, bien qu’insuffisante, du paramètre de densité démographique potentielle dans l’économie, utilisé par Lyndon LaRouche.

Q = perte due à la friction ou à la fatigue.

L’équilibre général du processus est donné par la somme de travail consommée par unité de temps (notre Ep), et la somme totale du travail utile produit par unité de temps (notre W) plus le travail perdu à cause des frottements et autres facteurs (notre Q). Nous pouvons ainsi écrire :

(Ep = W + Q). [6]

Tout cela conduisit Carnot dans le domaine nouveau qu’on appelle aujourd’hui énergie potentielle ou cinétique, travail, puissance, input-output etc. Il est vraiment le premier à utiliser la relation de balance de travail pour mesurer ce que les forces et les puissances peuvent ou ne peuvent pas faire, et aussi comme unité dans la loi de conservation.

Carnot explique que les valeurs relatives de W et Q dépendent de la configuration géométrique et des contraintes de la machine, et qu’elles peuvent varier selon le degré d’efficacité du système. D’un autre côté, les valeurs absolues de W et Q sont déterminées par la nature de X, exprimée par son potentiel Ep. Carnot affirme qu’étant donné la limite définie par une transformation idéale (X)Ep—>W sans machine, il sera impossible à toute machine quelle qu’elle soit de produire une valeur W supérieure à cette limite pour le même type de (X)Ep (D, 257). Nous y reviendrons, mais entrons d’abord plus avant dans cette notion.

1.1) Contre le mouvement perpétuel

Léonard, Leibniz et Carnot s’élèvent avec force contre l’idée de l’existence d’un mouvement perpétuel (perpetuum mobile), à savoir un système mécanique qui pourrait fonctionner en permanence, en se conservant indéfiniment.

La raison de cette insistance deviendra claire en ayant recours à une image pour visualiser la mécanique newtonienne. Imaginez un lac permanent dont l’eau qui en sort(output) s’y reverse comme input. C’est la piscine idéale de l’écologiste. Aucune consommation d’eau ni d’énergie ! Ils ne savent pas, comme nous allons le voir, qu’il est impossible de nager dans un tel lac !

Dans ce système mathématique idéal, il n’y a pas de friction, pas de perte, mais aucun travail réel n’y est possible. Un exemple à l’appui : dans un fluide idéal newtonien, aucun oiseau ne pourrait voler ! Mais les oiseaux, et pas seulement eux, volent, comme vous le savez ! Donc, le monde réel semble un peu différent. Vous comprenez maintenant pourquoi Léonard de Vinci a montré que, pour voler, on a besoin de vortex, donc de friction, d’un type spécifique toutefois. [7]

Leibniz avait mis Newton en garde. Dans notre monde réel, l’univers de Newton, confronté au travail, à la friction et à la turbulence dont il ne peut pas venir à bout, finirait par s’arrêter. Carnot explique que c’est valable pour toute machine ou système mécanique et qu’en réalité, le travail perdu (Q) à cause de la friction n’est pas simplement « perdu » mais qu’il génère un processus non linéaire qui finit par détruire le système :

(...) si les corps n’étaient animés d’aucune force motrice (...), les vitesses iraient toujours en diminuant et que par conséquent on chercherait en vain une machine (...) qui pût conserver perpétuellement son mouvement (...). En plus, (...) le frottement augmente lorsque la vitesse relative (...) diminue ; et (...) les degrés de vitesse perdus à chaque instant seraient de plus en plus grands, de sorte que le mouvement ne peut manquer non seulement de s’affaiblir (...) mais même de s’éteindre totalement (...) » (D, 281) Une machine n’a donc pas de pouvoir magique et :

 Non seulement toute machine abandonnée à elle-même doit s’arrêter, [mais] (...) j’assigne l’instant même où cela doit arriver.  (D : introduction).

Si nous pensons en termes de cycle économique simple, à chaque nouveau cycle pour un type d’input fixe, on tendra à réduire W (le surplus) et accroître Q. C’est ce qu’on appelle la loi des rendements décroissants.

1.2) Le taux d’efficacité du travail

Si nous étions existentialistes, nous pourrions nous en tenir là et calculer le jour de nos funérailles, mais comme ce n’est pas le cas, nous allons ajouter certains éléments. Pour résoudre la question de la conservation d’existences, réelles, et pas de quelque entité mathématique, nous devons faire face au paradoxe posé par ces deux paramètres indissociables, le travail et la fatigue. C’était l’enjeu fondamentale du combat de Leibniz contre Descartes et Newton sur ce qui se conserve vraiment dans l’univers. Nous laisserons les détails pour aller directement aux conclusions de Carnot.

Carnot est vraiment le premier à généraliser les conclusions de Leibniz sur l’importance des forces vives ou capacités de travail, mais il les amplifie, il rend la notion de travail plus explicite et y inclut, comme on l’a vu, le « travail perdu ». Nous avons résumé cela ainsi : Ep = W + Q

où l’on notera que (W) est quantitativement plus petit, mais qualitativement plus grand que (Ep). Parce que (W) peut effectuer du travail pour la société, tandis que (Ep) ne le peut pas.

Le rapport (W/Ep) mesure l’efficacité ; celle-ci peut être augmentée grâce à une machine mieux conçue. C’est cela, la vraie fonction des machines, et Carnot spécifie et calcule les conditions ou contraintes à remplir pour obtenir le meilleur rendement :

Pour obtenir le plus grand effet possible, on doit éviter tout choc ou changement brusque quelconque (...) ou perte de moment d’activité [travail] inutilement absorbé. Il faut diminuer (...) les frottements (...) la résistance.] (D, 280)

A partir de cela, il devient très facile de voir la double relation réciproque maximum-minimum, relation que nous allons maintenant éclairer un peu.

1.3) L’effet maximal est aussi une action minimale

Carnot explique qu’avant lui, le principe de moindre action avait seulement été utilisé pour des situations virtuelles ou idéales, et qu’il le transforma pour l’appliquer à des situations réelles sous le nom de mouvement géométrique.

Il donne un exemple de la distinction entre virtuel et réel : pour une corde idéale, virtuelle, le chemin de la moindre action est une ligne droite, tandis que pour une corde réelle, la moindre action s’exprime par une courbe spécifique : la chaînette. Pour une voile en action, c’est une surface à courbure négative. La notion de courbure est donc liée à celle de moindre action.

On peut en général considérer les mouvements comme géométriques, ce qui ne modifie pas les rapports physiques relatifs entre éléments d’un système. Les relations restent constantes quand il y a un minimum de déformation causé par l’absorption du travail par la machine elle-même. On peut traduire cette déformation physique par une relation géométrique sous forme de conservation des distances ou de métrique, ou courbure. Nous allons voir que Carnot évoqua le besoin de créer une nouvelle science capable de traiter cette relation géométrique-physique dans le cas de la production énergétique. Il va démontrer le besoin de recourir à une topologie, à des notions de « champ libre de forces », de processus irréversible ou réversible, qui seront développées en partie par son fils Sadi.

Carnot lie donc moindre action, conservation de configuration géométrique et conservation de certains équilibres physiques, y compris le travail perdu : le mouvement géométrique (...) est tel, que [le travail] (...) qu’elle perdra est un minimum. (D, 185)

Il a donc transformé le calcul du rendement maximum en un calcul de moindre action et moindre production de (Q). La puissance appliquée doit se transmettre avec le minimum d’effets secondaires : c’était aussi sa devise militaire.

Nous résumons le tout dans une formulation plus générale, valable aussi pour la théorie de Sadi : aucune force motrice ne peut être plus efficace qu’une force motrice réversible idéale travaillant avec le même potentiel énergétique (Ep).

Pour un Ep donné, chaque machine a une limite supérieure relative en efficacité qui peut être améliorée avec de nouvelles configurations. Mais il faut aussi et surtout prendre en considération la limite plus générale imposée par le potentiel énergétique (Ep) de la puissance motrice elle-même, qu’aucune machine utilisant cette forme d’énergie ne peut surpasser. Cela empêche toute machine ou système mécanique d’être « non-entropique » ou capable de créer un nouveau niveau énergétique. Mais nous reviendrons là-dessus.

La géométrie sous-jacente

Permettez-moi d’indiquer rapidement le genre de mathématiques que cette mécanique nécessite. Comme Kepler et Leibniz, Carnot ne part pas des particules ou des orbites, mais commence par déterminer la configuration globale du système, son énergie. Celle-ci définit les conditions ou les contraintes qui s’exercent sur les orbites, selon le principe du mouvement géométrique dont nous avons parlé. Cette détermination de la meilleure voie définit en même temps les questions de « conservation », c’est-à-dire ce qui est pertinent et qu’il faut conserver dans le processus.

On peut le mesurer en considérant les intervalles ou distances des liens entre élément et système. C’est la métrique et aussi la courbure du système. En ce qui concerne les machines universelles, Carnot, comme Leibniz, utilisait un ensemble de liens très général : rigide-linéaire, rigide-courbe, souple, etc.

On a vu aussi que les mouvements géométriques sont ceux qui minimisent (Q), quantité qui représente le transfert d’énergie à la structure de la machine ; ces mouvements sont « réversibles ». Ils ne produisent ni n’absorbent d’énergie et peuvent être considérés comme « libres de force », terme qui se traduit géométriquement par « géodésie ». Tout ceci nécessite une géométrie spécifique qu’il élabora en partie dans sa Géométrie de position. Nous n’irons pas dans les détails. En tout cas, le plus intéressant pour nous est déjà dans l’introduction :

L’illustre Leibnitz avait conçu l’idée d’une Analyse de situation ; idée qui n’a point été suivie, quoiqu’elle mérite l’attention des savants (...).

L’objet de cet ouvrage diffère de celui de l’analyse de situation dont on vient de parler ; mais il lui est analogue. (...) On comprend ordinairement par la géométrie de situation, une certaine classe de questions qui, quoique du ressort de la géométrie, ne paraissent guère susceptibles d’être soumises à l’analyse algébrique ; tandis qu’au contraire, la géométrie de position, que je traite ici, n’est autre chose qu’un monde imaginé, pour rendre plus féconde l’application de l’algèbre à la géométrie plus ordinaire. (...) Au surplus, cette géométrie de situation ou de transposition, n’est elle-même que la moindre partie d’une science très étendue, très importante, et qui n’a jamais été traitée. Cette science est, en général, la théorie du mouvement, considéré abstraction faite des forces qui le produisent ou le transmettent (...) de ces mouvements dont j’ai déjà nommé ailleurs les limites, mouvements géométriques et dont la théorie est le passage de la géométrie à la mécanique.

En d’autres termes, il dit que sa géométrie est une petite partie du projet de Leibniz. Gauss, qui contacta Carnot sur cette question, fit d’autres contributions, ainsi que Riemann. En d’autres lieux, j’ai fait un résumé sommaire de l’idée que Leibniz avait de ceci [8] et nous ne nous étendrons pas ici sur ce sujet. Essayons donc d’aller à la conclusion.

Par delà la limite

En ce qui concerne la théorie de la machine simple, il n’y aurait rien à ajouter. Nous avons sa physique et sa géométrie.

Nous avons vu que, pour une puissance motrice donnée, la production d’énergie libre atteindra un niveau d’équilibre puis décroîtra et, avec elle, le potentiel de densité démographique. Il n’est pas facile d’en sortir, aucune conservation, sans parler d’évolution réelle (à ne pas confondre avec des gains), ne pouvant venir du recyclage, de la réaffectation de la même énergie interne. Aucun nouvel investissement magique ne peut sortir de la réduction de l’épargne des gens. Citons encore une fois Laboulaye :

Si le producteur diminue les salaires, il produira à bien meilleur marché, ainsi aux dépens de l’ouvrier. Si (...) il achète la matière première à vil prix, au dessous de ce qu’a dépensé le producteur, il gagne (...) [mais] pour la société le résultat est nul. Le changement de mains de la valeur n’indique pas une création de richesse.

Il n’y a aucun système mécanique perpétuel ni aucun système mécanique auto-développant. Mais si, contrairement à la loi de Newton, les oiseaux peuvent voler, des personnes tout aussi réelles ont historiquement montré que nous pouvons accroître le potentiel démographique.

D’où vient alors ce surplus d’énergie ? Nous devons introduire quelque chose d’autre dans la loi de conservation de Carnot, si l’on veut conserver notre monde. Si une machine ne peut augmenter (Ep), l’homme peut le faire et on doit alors introduire, dans l’équation d’équilibre, quelque chose qui apparaît comme venant de l’extérieur : un processus qui doit apparaître comme une création de formes nouvelles, supérieures, de (Ep), et donc de plus grandes quantités d’énergie libre.

Mais cet « extérieur » n’est pas le « deus ex machina » de Newton, cela doit arriver de l’intérieur de ce monde, et c’est arrivé de cette manière. Voilà pourquoi Leibniz a appelé notre monde le meilleur des mondes possible. Notre monde géométrique, ajoutera Carnot. L’économie sociale peut se conserver parce qu’elle évolue et c’est possible parce qu’il n’y a pas que des machines, mais des êtres humains réels qui les inventent ou, mieux, les créent, dira Carnot :

C’est toujours une chose précieuse que la découverte d’un nouveau principe moteur dans la nature, lorsqu’on peut parvenir à en régulariser les effets, et le faire servir à ménager l’action des hommes (...) Les anciens ne connaissaient que peu ces principes moteurs, ils n’employaient que les êtres vivants, le poids, la chute d’eau ou le vent. (...) La théorie vint ensuite, qui porta la précision du calcul dans l’évaluation de ces effets (...)

Mais ces assemblages de leviers [une machine] ne sont par eux-mêmes que des masses inertes, propres seulement à transmettre et à modifier l’action de la force mouvante sans pouvoir jamais l’augmenter : c’est toujours le principe moteur qui fait tout.

Les modernes ont découvert plusieurs de ces principes moteurs ou plutôt ils les ont créés : car quoique leurs éléments soient nécessairement préexistants dans la nature, leur dissémination les rend nuls sous ce rapport et ils n’acquièrent la qualité de forces mouvantes que par des moyens artificiels ; telles sont les poudres fulgurantes et particulièrement la poudre à canon ; telle est la force expansive de l’eau réunie en vapeurs, telle est la force ascensionnelle qui lance l’aérostat dans les airs par la légèreté relative du gaz hydrogène qu’il contient. [9]

Pour une (Ep) donnée, nous pouvons augmenter les rendements. La comparaison et la mesure de ces améliorations pour différentes machines, est ce que nous appelons « la science de la technologie ». Ce n’est pas suffisant pour maintenir ou augmenter le potentiel de survie de la population. Nous devons créer de nouveaux niveaux d’Ep, nous devons découvrir de nouvelles forces motrices. L’évolution n’est pas donnée par des investissements génériques, ni par de simples inventions, mais seulement par des inventions liées à la découverte de nouvelle lois de la nature. Comme LaRouche l’a dit :

La croissance réelle est évolution, pas extension. Elle dépend absolument de considérations reliées au rôle de l’effet de la science exprimé en qualité non-linéaire de changements technologiques. [10]

Nous avons maintenant, en même temps, un programme et une mesure pour la croissance économique réelle. Nous n’avons pas besoin d’investir dans de meilleurs moulins à vent ou à eau, mais seulement de respecter la loi de Carnot : créer des puissances motrices supérieures. Et il ajouterait que ce « supérieur », il peux le calculer. Tels sont les rudiments de la science de l’économie physique. Elle définit la condition nécessaire, quoique non suffisante, de la croissance démographique potentielle.

Voyons la dernière étape.

L’évolution est alors une production (output) de l’esprit humain créateur. Mais quelle est l’énergie absorbée (input) dans l’esprit ?

Meilleure nourriture ? Meilleures infrastructures ? Meilleure éducation ? C’est tout cela, certes, mais aussi un peu plus.

C’est précisément cet « un peu plus » que Carnot essayait d’accomplir en créant des institutions politiques, économiques et éducatives, modelées principalement sur celles des Etats-Unis afin de créer une culture pour « Elever à la dignité d’homme tous les individus de l’espèce humaine ».

La raison de la nécessité de telles institutions, c’est la reformulation paradoxale de la loi de Carnot :

Aucun système ne peut créer la créativité. C’est un don. Mais elle peut et doit être cultivée, activée, mise en situation de résoudre les problèmes réels de l’existence humaine. Et ceux-ci, « je peux les calculer », dirait Carnot.

La créativité ne peut être planifiée, mais elle peut être contrainte, dit Carnot. Les êtres humains peuvent créer seulement dans la liberté, mais pas la liberté indifférenciée d’un espace newtonien. L’homme est né libre, mais il doit apprendre les « conditions nécessaires » à son existence, et celles-ci, mais seulement celles-ci, « on peut les calculer ». C’est la géométrie de l’évolution. Dans son « Eloge de Vauban », Carnot écrivit un jour qu’il y a une géométrie « plus subtile encore » que celle d’Euclide : « La géométrie naturelle est le génie lui-même appliqué à la mesure des grandeurs. (...) Sans cette géométrie, l’autre est un instrument inutile ; elle crée, l’autre polit. (...) c’est par elle que les mathématiciens entrevoient les résultats d’une hypothèse, avant même que de l’avoir analysée par un calcul exact. »

En conclusion, Carnot dirait que la question morale est d’assurer l’accroissement nécessaire du potentiel démographique (accroissement reposant sur la loi de la nature rationnelle et calculable) qui définit la puissance motrice interne réelle de la création humaine . Carnot, toujours dans son « Eloge de Vauban » :

Combien il est rare que le Sage puisse recueillir le fruit de ses travaux ! Il devance son siècle, et son langage ne peut être entendu que par la postérité, mais c’est assez pour le soutenir. (...) Il est l’ami des hommes qui doivent naître, il converse avec eux dans ses recherches profondes. Comme citoyen, il arrête ses regards sur sa Patrie, il prend part à ses triomphes ; comme philosophe, il a déjà franchi les barrières qui séparent les Empires, il est citoyen de tous les lieux, contemporain de tous les âges, il suit l’homme depuis sa frêle origine jusqu’au terme de la perfection de son être. Depuis l’instant où, faible et isolé, il est le jouet de tout ce qui l’environne, jusqu’à celui où, réuni à ses semblables par un concert unanime de tous les moyens départis à son espèce, il commande en maître à l’Univers.


La théorie de la technologie de Lazare Carnot, base de la science de l’économie physique

Extraits du discours a été prononcé par Dino de Paoli à la conférence de l’Institut Schiller de Bad Schwalbach, le 21 novembre 1998

« C’est toujours une chose précieuse que la découverte d’un nouveau principe moteur dans la nature, lorsqu’on peut parvenir à en régulariser les effets, et le faire servir à ménager l’action des hommes (...) Les anciens ne connaissaient que peu ces principes moteurs, ils n’employaient que les êtres vivants, le poids, la chute d’eau ou le vent. (...) La théorie vint ensuite, qui porta la précision du calcul dans l’évaluation de ces effets (...) 

« La géométrie naturelle est le génie lui-même appliqué à la mesure des grandeurs. (...) Sans cette géométrie, l’autre est un instrument inutile ; elle crée, l’autre polit. (...) c’est par elle que les mathématiciens entrevoient les résultats d’une hypothèse, avant même que de l’avoir analysée par un calcul exact. 

« Combien il est rare que le Sage puisse recueillir le fruit de ses travaux ! Il devance son siècle, et son langage ne peut être entendu que par la postérité, mais c’est assez pour le soutenir. (...) Il est l’ami des hommes qui doivent naître, il converse avec eux dans ses recherches profondes. Comme citoyen, il arrête ses regards sur sa Patrie, il prend part à ses triomphes ; comme philosophe, il a déjà franchi les barrières qui séparent les Empires, il est citoyen de tous les lieux, contemporain de tous les âges, il suit l’homme depuis sa frêle origine jusqu’au terme de la perfection de son être. Depuis l’instant où, faible et isolé, il est le jouet de tout ce qui l’environne, jusqu’à celui où, réuni à ses semblables par un concert unanime de tous les moyens départis à son espèce, il commande en maître à l’Univers. »


[1Toutes les informations biographiques et les citations de Carnot et Laboulaye, sauf spécification spéciale, proviennent de mon article intitulé « Une lettre ouverte aux républicains - Le combat de Lazare Carnot », paru dans Nouvelle Solidarité du 2.7.1981.

[2Sur Carnot à l’Institut, voir mon article dans « Lazare Carnot ou le savant-citoyen », Editions J.P. Charnay, colloque tenu en Sorbonne en janvier 1988.

[3L’oeuvre scientifique de Carnot est aussi élaborée dans : - « La science de l’éducationrépublicaine »,parD.D.P.,JacquesCheminade,etc. - Voirnote(2).-Levitt : « L. Carnot and the Leibnizian machine »,Fusion,December1978.- C.C. Gillispie : « Lazare Carnot savant » ; Vrin, Paris, 1979. Y sont également réimprimées ses mémoires de 1778 et 1780. - J’ai aussi fait usage dans mon texte des « Principes fondamentaux de l’équilibre et du mouvement », Imprim. Crapelet, Paris, an XI 1803. Les citations dans la partie sur la machine seront spécifiées comme suit : Mémoire de 1778 = (A, §) ; 1780 = (B, §) ; 1783 (C, §) ; 1803 (D, §).

[4Carnot donne un exemple concret. Dans un espace virtuel, 1 homme-heure (hh) + 1 hh égalent 2 hh (soit séparés, soit travaillant ensemble). En réalité, 1 hh + 1 hh peuvent avoir un moindre effet net que 2 hh (2 personnes travaillant ensemble pendant une heure), en raison de l’effet de seuil. (B, 156)

[5Carnot donne un exemple concret. Dans un espace virtuel, 1 homme-heure (hh) + 1 hh égalent 2 hh (soit séparés, soit travaillant ensemble). En réalité, 1 hh + 1 hh peuvent avoir un moindre effet net que 2 hh (2 personnes travaillant ensemble pendant une heure), en raison de l’effet de seuil. (B, 156)

[6« Quel que soit le changement occasionné (...) le moment d’activité consommé pendant un temps (...) sera toujours égal à la moitié de la quantité dont la somme des forces vives aura augmenté pendant ce temps (...) moins la moitié de la quantité dont aurait augmenté cette même somme de forces vives, si chacun des corps était mû librement sur la courbe qu’il a décrite (...) » (C, 293) et « la somme des forces vives après le choc est toujours moindre qu’avant. Il y a donc toujours déperdition de forces vives (...) égale à la somme des forces vives qui aurait lieu si chacun des corps se mouvait librement avec une vitesse égale à celle qu’il a perdue par le choc ». (D, 178).

[7Voir mon article sur l’hydrodynamique de Léonard de Vinci dans Collection Fusion, vol. 1, Editions Alcuin, Paris, 2001.

[8Pour une élaboration de cette idée, voyez mon article sur l’« analysis situs » de Leibniz dans la revue Fusion

[9Voir note (1) et surtout note (2).

[10Lyndon LaRouche élabore ceci dans tous ces écrits.