Plus que jamais, les mots nous manquent pour décrire les horreurs que subissent les habitants de Gaza. Dans une déclaration traduite en anglais et en arabe, l’Institut Schiller appelle à sauver Gaza. Il s’agit ni plus ni moins de sauver notre propre part d’humanité.
Pour enclencher un dynamique positive, le 9 avril, interviewé par la chaîne publique France5, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé que la France, sous certaines conditions, pourrait reconnaître un État palestinien dès le mois de juin. « Nous devons aller vers la reconnaissance dans les mois qui viennent », a-t-il déclaré, à l’issue de sa visite de deux jours en Égypte, où il a rencontré le président Abdel Fattah al-Sissi et le roi Abdallah II de Jordanie, et où il a soutenu le plan égyptien de reconstruction de Gaza. À El-Arich, près de la frontière de Gaza, Macron a rendu visite à des civils palestiniens blessés et a appelé à la levée immédiate du blocus de Gaza. En Égypte, il a également appelé à « une organisation régionale de sécurité qui préserve la sécurité de tous et la stabilité », à commencer par celle d’Israël. C’est pourquoi la France rejette aussi bien l’annexion complète de la bande de Gaza et de la Cisjordanie par Israël que le projet américain visant à déporter « temporairement » les Gazaouis, en violation du droit international, le temps d’en faire une « Riviera du Moyen-Orient », l’enclave palestinienne n’étant « pas un projet immobilier ».
Aussitôt, le fils de Benjamin Netanyahou, Yaïr, s’en est pris au président français dans un message publié sur X. « Va te faire f…… ! », lui a-t-il lancé, avant de citer la Corse, la Nouvelle-Calédonie et la Guyane française comme exemples du colonialisme français. Il a ensuite partagé un message comparant Emmanuel Macron à Philippe Pétain... Le lendemain, Netanyahou a précisé dans un communiqué qu’il s’était entretenu avec Macron et lui avait fait savoir sa « forte opposition à la création d’un État palestinien », déclarant que « ce serait une énorme récompense pour le terrorisme » : « Un État palestinien établi à quelques minutes seulement des villes israéliennes deviendrait un bastion du terrorisme iranien. »
En décembre 2024, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution réitérant son soutien à une solution à deux États et établissant le cadre de la conférence sur la Palestine qui doit se tenir à New York du 2 au 4 juin. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a averti que la perspective d’une solution à deux États était presque « au-delà du point de non-retour », car Israël continue d’étendre ses colonies en Cisjordanie, de faire la guerre et d’imposer un blocus humanitaire à Gaza, où plus de 52 000 Palestiniens ont déjà été tués, chiffre hélas en dessous de la réalité.
La reconnaissance de la Palestine par la France, qui deviendrait le troisième membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, après la Russie et la Chine, et le premier État membre du G7 à le faire, sera au centre de cette conférence de l’ONU à New York, que Macron présidera aux côtés du prince héritier saoudien Mohammed bin Salman.
Dans une interview accordée au Jerusalem Post, Ofer Bronchtein, militant pacifiste franco-israélien et ancien conseiller du Premier ministre Yitzhak Rabin pendant les accords d’Oslo, qui conseille Macron depuis 2020 sur le rapprochement israélo-palestinien, a déclaré : « Nous [la France] voulons faire partie d’un groupe.... » Pour Macron, il devrait s’agir « d’une initiative large, incluant les pays arabes et musulmans qui reconnaîtront l’État d’Israël, ainsi que d’autres nations européennes ». Il a ajouté que la décision de déplacer la conférence de Paris à New York n’était pas une coïncidence. « Nous espérons que les États-Unis y participeront également. Personnellement, j’aimerais que des Israéliens et des Palestiniens participent aux discussions », a précisé Bronchtein.
Un plan français de reconstruction de Gaza ?
Peut-être lassé de l’emprise écrasante des néo-conservateurs pro-israéliens sur le Quai d’Orsay, en 2020, le président français Emmanuel Macron, pour des raisons qui lui sont propres, a nommé le militant pour la paix franco-israélien Ofer Bronchtein comme chargé de mission pour le rapprochement entre Israéliens et Palestiniens.
Selon l’Express du 20 février, on peut qualifier Bronchtein de « maverick », label utilisé par les anglophones pour caractériser les « fortes têtes fonctionnant en dehors du système ». Infatigable militant de la paix depuis trente ans, ancien conseiller de Yitzhak Rabin lors des accords d’Oslo en 1993, ami de nombreux dirigeants palestiniens, président du Forum international pour la paix, Bronchtein possède les trois passeports français, israélien et palestinien. Sa façon de penser indépendante et ses relations personnelles avec de nombreuses personnes de la société civile et politique palestinienne et israélienne font de lui un intermédiaire majeur dans la situation actuelle.
Bronchtein œuvre pour la réconciliation israélo-palestinienne. Il considère à juste titre la création d’un État palestinien souverain comme la condition sine qua non pour garantir la sécurité d’Israël. Car la sécurité est indivisible. Sans sécurité pour l’un, pas de sécurité pour l’autre, et cela comprend la sécurité économique et la dignité qui va de pair.
Bien entendu, l’ouverture de Gaza à l’aide humanitaire est une urgence absolue. Selon le Jerusalem Post, une semaine après que Macron a annoncé son intention de reconnaître un État palestinien, Bronchtein a déclaré que la France était prête à envoyer des troupes à Gaza pour gérer la distribution de l’aide humanitaire. « Citez-moi au nom du Président français : si l’aide humanitaire n’entre pas en raison des craintes israéliennes de voir le Hamas prendre le pouvoir, la France est prête à déployer son armée et des organisations françaises, et éventuellement d’autres pays européens, pour aider à résoudre le problème et distribuer l’aide nous-mêmes », a-t-il déclaré. Dans une vidéo récente, il a exprimé sa honte face à la politique « fasciste » de la droite dure israélienne, exprimant l’espoir que « les Palestiniens puissent un jour lui pardonner, ainsi qu’à d’autres Israéliens, les décisions du gouvernement de Netanyahou ».
Bronchtein espère que la conférence de l’ONU, prévue du 2 au 4 juin à New York, co-présidée par la France et l’Arabie saoudite, offrira l’occasion d’une reconnaissance de la Palestine par la France et d’autres pays et inaugurera une période de paix. En mai 2024, il avait remis à Macron un plan de 67 pages intitulé La paix autrement. En voici quelques extraits, indiquant l’approche esquissée pour la reconstruction de Gaza :
« D’un côté, dans les infrastructures : un port maritime, la reconstruction de l’aéroport, un chemin de fer de 40 km² pour relier le sud et le nord de Gaza, une autre ligne de 70 km² entre le nord de Gaza et le sud de la Cisjordanie, des usines de désalinisation, des centrales électriques. Il faudra reconstruire des hôpitaux et des écoles. Une zone industrielle à la frontière entre Gaza et Israël pourrait employer des milliers de Palestiniens. En accord avec l’Égypte, l’exploitation des gisements de gaz et de pétrole au large de l’enclave pourrait constituer une manne financière importante. Un élargissement territorial de Gaza (45 km²) vers le Sinaï (60000 km²), en échange de l’effacement d’une partie de la dette de l’Egypte pourrait être négocié.
« D’un autre côté, dans le développement humain : deux millions de Gazaouis sont traumatisés. Privés d’un État propre, ils auront besoin d’un soutien solide et continu pour se rétablir et devenir des citoyens plutôt que des réfugiés. Un revenu de base universel d’urgence pourrait leur être accordé afin de garantir une autonomie économique. Pendant un an, la population pourrait bénéficier d’un revenu mensuel jusqu’à ce que les habitants puissent se réintégrer de manière productive. Ce plan nécessiterait bien évidemment une aide internationale, nous en avons les moyens. La jeunesse gazaouie doit jouer un rôle central pour construire une société résiliente, inclusive et durable. Un échange de compétences et de pratiques entre experts doit être organisé quand le temps de la reconstruction sera venu. Nous aurons besoin de cadres communs pour réunir enseignants, hommes d’affaires, médecins et leaders communautaires palestiniens et israéliens. La création de réseaux d’expertise interconnectés sera le gage d’une communauté capable de résister aux pressions des fanatiques. »
La libération de Marwan Barghouti
La paix, reconnaît Bronchtein, ne se fera que dans le cadre d’un renouvellement de la classe politique israélienne et palestinienne. Les extrémistes juifs ne doivent plus diriger l’État israélien et une nouvelle génération de dirigeants palestiniens doit pouvoir prendre la relève. Important dans ce cadre, ce qu’écrivait Bronchtein à Emmanuel Macron dans son rapport de mai 2024 (p. 40-41) :
« Si les Israéliens disposent d’un gouvernement d’union entre la droite et l’extrême droite, les Palestiniens connaissent aujourd’hui un gouvernement autoritaire et corrompu. Au pouvoir depuis 2005, Mahmoud Abbas a reporté indéfiniment les élections législatives et présidentielles prévues en mai et en juillet 2021, sur le motif qu’Israël niait aux Palestiniens de Jérusalem le droit de vote. La déroute de l’Autorité palestinienne a contribué à la frustration et à la radicalisation des Palestiniens qui se sont tournés vers des factions armées islamistes. Pourtant, l’Autorité palestinienne est la seule entité
capable de réunir les Palestiniens.
« Les attaques du Hamas contre Israël et la guerre qui a suivi sont venues rebattre les cartes d’un jeu déjà complexe. Si beaucoup d’éléments restent incertains quant à la gestion de la bande de Gaza au lendemain de la guerre, la nécessité de mettre fin au règne du Hamas est une certitude. L’Autorité palestinienne est considérée comme la seule entité pouvant
apporter unité et reconstruction à Gaza et en Cisjordanie, mais cette solution ne pourra être acceptée par les palestiniens sans des changements fondamentaux, incluant notamment le départ d’Abbas et la tenue d’élections dans le cadre d’un processus de paix global.
« Le leader Marwan Barghouti, incarcéré depuis deux décennies pour des attaques qu’il a toujours niées, a su garder une position ferme face à Israël tout en se montrant ouvert à des pourparlers. Il représente l’espoir pour la population palestinienne et pourrait s’imposer comme un symbole d’unité. Malgré sa détention, il continue d’influencer activement la politique palestinienne.
« En 2006, il a notamment joué un rôle clé dans l’élaboration du document d’entente nationale des prisonniers, une initiative conjointe des leaders incarcérés de diverses factions palestiniennes, dont le Fatah, le Jihad islamique, le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) et le Hamas. Cette entente visait à renforcer l’unité politique palestinienne. Le document prônait la création d’un État palestinien selon les frontières de 1967, la limitation de la résistance palestinienne aux territoires occupés en 1967, l’adhésion à un cessez-le-feu mutuel et un appel à la résistance contre l’occupation dans le respect du droit international. L’objectif était de former un gouvernement de coalition pour surmonter l’impasse politique suivant la victoire du Hamas aux élections législatives dans la bande de Gaza.
« En plaidant pour la libération de Marwan Barghouti, la France démontrerait son engagement en faveur d’une paix durable en Palestine, encourageant le dialogue entre les parties concernées et soutenant l’effort de réunification politique palestinienne.
Un processus démocratique est absolument nécessaire pour raviver la confiance dans un possible gouvernement palestinien, d’autant plus que des candidats populaires à la succession de Mahmoud Abbas existent.
« Monsieur le Président, La France doit profiter de l’espace politique créé par la fin prochaine du règne de Mahmoud Abbas et appeler publiquement à de nouvelles élections en Palestine. La paix ne peut plus être tributaire des échéances politiques des uns et des autres : elle l’a trop été. La figure de Barghouti jouit d’une popularité notable tant à Gaza qu’en Cisjordanie, et constitue un vrai rempart contre un Hamas militarisé. Si sa libération et son éventuelle ascension politique peuvent susciter de vives contestations, tant en Israël que sein de l’Autorité Palestinienne, cette option permettrait de contrecarrer la fatalité d’un conflit armé sur le long terme et de nombreuses pertes humaines. »
Participation d’Ofer Bronchtein à l’International Peace Coalition
Le 2 mai, lors de la 100e web-conférence de la Coalition internationale pour la paix (CIP), la présidente de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche, a vivement remercié Ofer Bronchtein pour son intervention à ce forum.
« Je suis très heureuse que vous soyez parmi nous, a-t-elle dit. Au début de cette session, j’ai lancé un appel à tous les participants de la CIP pour qu’ils se mobilisent avec nous pendant cinq semaines afin de recouper la conférence de juin sur la solution à deux Etats. Je sais que vous êtes informé sur notre ‘Plan Oasis’. Je pense vraiment que ce plan, associé à la solution des deux États et au plan égyptien pour la reconstruction de Gaza, constituerait un ensemble qui non seulement offrirait une perspective pour Gaza, mais irait au-delà du statu quo, dans le sens d’un véritable plan de paix pour le Moyen-Orient. Je suis très heureuse que vous soyez en contact et en médiation avec le président Macron et l’Arabie saoudite, parce que nous avons eu de nombreux conférenciers, y compris des ambassadeurs palestiniens et d’autres responsables, qui ont tous dit que nous avons besoin des gouvernements. Nous pouvons avoir une grande mobilisation, mais nous avons finalement besoin des gouvernements pour agir et mettre en œuvre. Enfin, je voulais simplement vous dire que nous nous engageons, au cours des cinq prochaines semaines, à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour contribuer à ce processus ».
Sur la question de l’eau, Bronchtein a déclaré :
« A propos de l’eau ; vous savez, le Premier ministre Rabin, en 1993, lorsqu’il a signé ce que nous appelons l’accord d’Oslo avec Yasser Arafat, a déclaré dans son discours que si nous ne pouvions pas trouver un accord sur la question de l’eau, il n’y aurait pas de paix. L’eau est essentielle dans la région ; elle est essentielle dans le monde. Absolument, il y a beaucoup d’autres plans sur la table, je pense que le ‘plan Oasis’ est l’un d’entre eux. Je pense qu’à un moment donné, nous devrons tous les réunir pour promouvoir quelque chose d’important pour l’eau. C’est essentiel pour la paix. Sans accord sur l’eau, il n’y aura pas de paix. Merci beaucoup. »
La visite de Trump en Arabie
L’issue dépendra en grande partie de la volonté des États-Unis de changer de politique et de parvenir à une percée dans leurs négociations avec l’Iran. Trump doit arriver en Arabie saoudite le 13 mai pour des réunions bilatérales, suivies d’un sommet le lendemain avec les dirigeants des États du Golfe. MBS se prépare à inviter les dirigeants des six États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) : Émirats arabes unis, Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar et Arabie saoudite. Il reste à savoir si d’autres dirigeants arabes se joindront à eux.
Après le sommet, M. Trump devrait se rendre à Doha pour rencontrer l’émir du Qatar, le cheikh Tamim bin Hamad Al Thani, puis à Abou Dhabi le 15 mai pour rencontrer le président des Émirats arabes unis, Mohammed bin Zayed.
L’avenir de l’économie américaine et du système financier actuel est en jeu. Trump espère capter les mégaprofits des pays du golfe Persique (qu’il veut rebaptiser « golfe Arabe »). Des Saoudiens, il attend 1000 milliards de dollars et des Emiratis, 1400 milliards de dollars comme investissement sur dix ans dans l’Intelligence artificielle et la production de semi-conducteurs aux Etats-Unis.
Toutefois, ces pays exigent deux conditions : la reconnaissance d’un Etat palestinien et la sécurisation de leurs approvisionnements en terres rares. Or, la Chine, qui fournissait 80 % des terres rares lourdes aux Etats-Unis, a suspendu ses approvisionnements en riposte aux droits de douane imposés par Trump. Du coup, on comprend mieux l’urgence pour le président américain de les obtenir, d’une manière pacifique ou autre, de l’Ukraine, du Canada ou du Groenland. (voir notre article sur ce site)
Outre les contrats d’armement et d’investissement, Trump espère relancer les Accords d’Abraham. Mais MBS a déclaré à plusieurs reprises que sans la fin du génocide israélien contre Gaza et sans la reconnaissance d’un État palestinien, la réactivation de ces accords est totalement exclue. D’ailleurs, en l’absence de progrès vers un cessez-le-feu à Gaza ou d’un accord pour libérer les otages israéliens, une visite de Trump en Israël n’est pas à l’ordre du jour.
Véritable surprise, le Jerusalem Post du 10 mai rapporte :
L’Empire contre-attaque
Le lobby pro-Netanyahou est pleinement mobilisé pour torpiller l’initiative franco-saoudienne. Son organe de propagande, UN Watch, a publié le 25 avril les objections « juridiques » d’Israël : « L’ONU a programmé une conférence de haut niveau sur la solution des deux États, qui se tiendra du 2 au 4 juin 2025 à New York. (…) L’objectif principal de la conférence est d’obtenir la reconnaissance d’un État palestinien par les États membres de l’ONU. Il s’agit d’une tentative de mauvaise foi de la part des Palestiniens de contourner les accords d’Oslo, le traité qui régit leurs relations avec Israël. Les accords d’Oslo les obligent à négocier avec Israël les ‘questions relatives au statut final’, y compris les frontières - condition préalable à la création d’un État palestinien. »
En bref, alors qu’Israël n’a jamais honoré ses obligations légales posées par les accords d’Oslo, notamment le démantèlement des colonies illégales, il prétend aujourd’hui, en toute mauvaise foi, que ce n’est qu’après un accord direct israélo-palestinien de type Oslo sur les frontières, qu’un État palestinien pourrait éventuellement être reconnu !
Du coup, selon cette propagande, « toute reconnaissance d’un État palestinien par le biais de cette conférence constitue une récompense pour les atrocités du 7 octobre et ne ferait qu’encourager le terrorisme palestinien ».
« Si jamais la France reconnaît en juin l’État de Palestine, nous répondrons en annexant les colonies de Cisjordanie », confiait en début de semaine au Figaro une source officielle israélienne. Selon elle, une telle reconnaissance, déjà entérinée par plusieurs pays européens dont l’Espagne et l’Irlande, reviendrait à « récompenser le terrorisme du Hamas, après son attaque du 7 Octobre ».