Libérons Marwan Barghouti, le Nelson Mandela de la Palestine

jeudi 16 novembre 2023

Après le massacre brutal de plus de 1200 civils israéliens par le Hamas le 7 octobre, suivi de la riposte militaire d’Israël visant à « éradiquer le Hamas » par un nettoyage ethnique de la bande de Gaza frappant 2,3 millions de Palestiniens, la perspective d’une paix durable semble s’éloigner pour toujours. Mais paradoxalement, l’échange de prisonniers, malgré son caractère macabre, pourrait rouvrir la voie de la paix.

Le 29 novembre, on comptait encore 149 otages israéliens aux mains du Hamas, alors que 5200 Palestiniens croupissent dans les prisons israéliennes. Parmi eux, un homme qui détient une des clefs de la paix : Marwan Barghouti, député palestinien depuis 1996 et considéré par certains comme le « Nelson Mandela » de la Palestine.

Dès 2008, des sondages révélaient que parmi les Palestiniens, Barghouti était beaucoup plus populaire que tout autre dirigeant possible, y compris le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et le chef du Hamas Ismail Haniyeh. Mais sa popularité même pose problème au Premier ministre Netanyahou. Dans les faits, au nom de la théorie géopolitique qui veut que « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », les colons dont dépend la survie politique de Netanyahou s’alignent sur celle du Hamas. Comme l’a confirmé un ancien ministre israélien [1], Netanyahou a approuvé l’acheminement de fonds substantiels du Qatar vers l’organisation islamiste radicale, dont la charte ne laisse aucune place à l’existence d’Israël.

Entre parenthèses, et preuve que rien n’est écrit dans le marbre, cette revendication figurait également dans celle de l’OLP avant que le « terroriste » Arafat n’appose sa signature aux accords d’Oslo le 13 septembre 1993, ce qui lui valut de recevoir, avec Rabin et Peres, le prix Nobel de la paix.

Depuis le décès d’Arafat en 2004, les Palestiniens n’ont connu qu’Abbas comme dirigeant de l’Autorité palestinienne. Bien que son mandat ait officiellement expiré en 2009, le président de l’État de Palestine annule le scrutin prévu en 2021, justifiant sa décision par l’impossibilité pour les Palestiniens de Jérusalem-Est d’y participer. En réalité, il s’agissait d’éviter sa défaite. « Les sondages israélien et palestinien assez fiables donnaient à Barghouti [et à son parti Liberté, NDLR] une sérieuse chance de l’emporter contre le président de l’Autorité palestinienne. »

Il n’est pas surprenant que Barghouti reste l’homme à abattre pour ceux qui, en Israël, ne cessent d’affirmer qu’il n’existe pas d’« interlocuteur plausible avec lequel négocier ». Un éditorial de l’influent journal israélien Haaretz notait déjà, en 2012 : « Si Israël avait voulu un accord avec les Palestiniens, il l’aurait déjà libéré de prison. Barghouti est le leader le plus authentique que le Fatah ait produit et il peut conduire son peuple à un accord. »

Abandonner la lutte armée

Les parallèles entre Barghouti et Mandela, bien qu’imparfaits, sont frappants. Comme Mandela, Barghouti a passé 27 ans en prison et en exil. Durant sa détention, les convictions de Mandela l’ont poussé à apprendre l’afrikaans, la langue de ses geôliers. Barghouti, quant à lui, a appris l’hébreu en prison jusqu’à le parler couramment. Les deux hommes appelaient à une coexistence pacifique avec leurs adversaires, et non à les anéantir.

Mais gare au romantisme ! Ni l’un ni l’autre n’étaient des adeptes d’un pacifisme béat et tous deux estimaient que la résistance armée à l’oppression est parfois justifiée, ainsi que le revendiquait dès 1953 Mandela, qui fut qualifié de « terroriste » par le régime sud-africain et qui refusa à six reprises des offres de libération en échange de son renoncement à la violence. Et si Barghouti a rejeté la violence dans les premières années du processus de paix d’Oslo, affirmant en 1994 que « la lutte armée n’est plus une option pour nous », il y revint en voyant Israël étendre les colonies en Cisjordanie et consolider son contrôle. Une grave erreur, admit-il lui-même en 2012 à propos de la seconde Intifada. Il a depuis déclaré à plusieurs reprises qu’il ne soutenait que la résistance non armée.

Il est essentiel que Mandela et Barghouti soient parvenus à reconnaître, au prix de durs efforts, qu’après des années de lutte acharnée, ils allaient devoir apprendre à vivre avec leur ennemi de toujours. Reconnaissant, comme il l’a dit dans son éloge funèbre de Mandela, que l’on doit « défier la haine et (...) choisir la justice plutôt que la vengeance », Barghouti soutient, en échange de la fin de l’occupation israélienne commencée en 1967, une paix permanente entre Israël et la Palestine en tant que « voisins indépendants et égaux ». À ce titre, il se démarque radicalement du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, qui refuse catégoriquement de reconnaître Israël.

Bien que les autorités israéliennes aient qualifié Barghouti de « terroriste », après sa condamnation par les tribunaux israéliens pour cinq chefs d’accusation de meurtre, l’idée de le libérer est loin d’être une position marginale. C’est d’ailleurs ce qu’a proposé Alon Liel, ancien diplomate israélien de haut rang. Le considérant comme « le leader ultime du peuple palestinien », Liel estime qu’il est « le seul à pouvoir nous sortir du bourbier dans lequel nous nous trouvons ».

Il s’agit là d’une opportunité historique qu’aucune des parties ne peut se permettre de manquer : Israël doit libérer Marwan Barghouti, le seul Palestinien doté de l’autorité et de la vision nécessaires pour faire entrer la paix dans le champ des possibles. Un avis partagé en France par ceux qui se rendent à l’évidence qu’il ne peut y avoir de solution militaire au conflit, notamment le pacifiste israélien Ofer Bronstein, ancien conseiller de Rabin et cofondateur du Forum pour la Paix, désormais appelé au secours d’une présidence française en panne d’idées.

Nous les invitons à découvrir notre « Plan Oasis », un programme régional de développement économique mutuel centré sur l’eau, apte à créer un socle de relations gagnant-gagnant pour tous (voir NS N° 8 nov. 2023).


[1Libération, 11 octobre 2023