Intervention lors de l’assemblée générale de Solidarité et Progrès de septembre 2024, de John Sigerson, chef du coeur de l’Institut Schiller international, sur l’importance de la musique classique et de la polyphonie, en politique.

J’aimerais d’abord dire quelques mots très brefs à propos de la signification du mot « classique » dans « musique classique ». Quand nous disons « classique », nous parlons simplement d’un moyen d’élever la population, d’ouvrir les cœurs et les âmes des hommes afin qu’ils puissent lever leurs yeux du quotidien, en direction du ciel, à la recherche d’un idéal. C’est le même type d’émotion que lorsque nous pensons à nos enfants. Classique veut dire, en d’autres termes, l’incarnation de la notion d’« amour ».
Quand les gens pensent à la musique classique, plein d’idées plus ou moins étranges leur passent par la tête. Essayons de clarifier les choses. La première de ces idées fausses est de comprendre « classique » comme étant relationné au système musical d’une certaine époque. Rien n’est plus erroné. Les personnes ayant composé des morceaux dits « classiques » au XVIIIe et XIXe siècles – Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Brahms – n’y pensaient pas un instant ; ils n’écrivaient pas leur musique pour une période. Ils écrivaient ce qu’on pourrait appeler une musique universelle.
D’un autre côté – et c’est un gros problème aujourd’hui – beaucoup de musique dite « classique » n’est pas jouée dans cette intention classique que je viens de décrire. Il y a des exceptions, mais je peux vous dire que dans notre travail, au fil des ans, ayant donné beaucoup de concerts importants et dirigé un grand nombre d’entre eux – c’était l’intention que mettaient les musiciens dans leur interprétation qui en faisait des concerts classiques ou pas. Combien de fois ai-je écouté, récemment et au cours des trente-quarante dernières années, des concerts dits classiques dirigés par des chefs d’orchestre connus, mais sans intention discernable, une interprétation se valant comme une autre et étant destinée au divertissement d’une poignée de « connaisseurs » ayant un égo à flatter.
La polyphonie, un dialogue platonicien
Dans l’intention correcte qu’elle suppose, la musique classique émeut chaque personne qui l’écoute. Il y a quelques critères importants, particulièrement au moment de l’écoute, pour distinguer ce qui est classique de ce qui ne l’est pas.
L’un des critères le plus important et pourtant très simple, est ce que dans les années 1970, et dès les années 1960, Lyndon LaRouche avait appelé la « dialectique », mot chargé des sens pour les communistes, mais dont le sens original n’est rien d’autre que « dialogue platonicien », c’est-à-dire une discussion à propos d’idées dont aucune n’est explicitée, ni même pleinement formulée par chaque dialoguiste, mais dont le sens émerge au cours du dialogue lui même. En musique, la dialectique est incarnée par ce qu’on appelle la polyphonie.
La polyphonie est cette découverte magnifique que fit l’Humanité d’un moyen d’exprimer une idée platonicienne : le Un en développement grâce au multiple. Il y a au moins deux voix, voir plus, trois ou quatre. Quand on dépasse les cinq ou six voix qui expriment la même idée, chacune selon sa propre perspective, il devient difficile de distinguer qui « parle ».
L’opposé de la polyphonie est la monotonie ! Il y a tant de musiques aujourd’hui que vous écoutez partout qui ne sont que monophoniques : il y a une voix, une mélodie, et c’est tout. Une manière plus approfondie pour s’en rendre compte, est de considérer la musique de Puccini, si populaire parmi les amateurs d’opéra, et de découvrir qu’ il n’y a qu’une seule voix, celle du chanteur. L’orchestre ne fait qu’accompagner le chanteur et le porter. Cette idée n’est pas classique, mais romantique. Elle dirige l’attention du public vers le contenu émotionnel, et non sur l’idée qui, à l’arrière-plan, guide le développement des plus grandes musiques.
L’un des plus grands exercices de ce dialogue est l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, et plus particulièrement son Clavier bien tempéré, où il consacre des préludes et des fugues à chacune des tonalités et à chacun des modes musicaux. Et à la fin de chaque morceau, il porte la mention « Pour la plus grande gloire de Dieu » - non la sienne ! Chaque grand compositeur, non seulement « classique » comme Beethoven mais même de rock ou de musique populaire, a étudié Bach pour cette raison précise.
La polyphonie réclame que votre écoute ait une forme différente d’attention de celle que vous prêtez aux autres musiques. Cela vaut aussi pour l’écoute des personnes : il faut écouter ce qu’elles disent, mais en fonction de l’idée qu’il y a derrière ce qu’elles disent, les mots n’étant à la pensée, que les empreintes ne sont à à un homme qui marche.
Musique et science
J’aimerais évoquer un autre aspect de la musique classique, à savoir la question de la science. Durant les années 1980, Lyndon LaRouche travaillait intensément à la pédagogie pour faire une description détaillée du comportement des économies en croissance. Il a alors conçu des modèles selon des fonctions dites coniques, dont il s’est rendu compte qu’elles généraient des singularités, des discontinuités, dans la répartition desquelles il y avait une forme de régularité. Ces fonctions coniques avaient été l’origine du développement de notre système musical dit « bien tempéré ».
En d’autres termes, plutôt que de penser les notes comme des sons particuliers, il s’agit de les penser comme des discontinuités au sein d’un processus continu. Là se trouve l’origine de bien des meilleurs aspects de la musique classique. Il devint clair alors pour M. LaRouche que, pour que ce processus se produise de la meilleure manière possible, il fallait que le Do central soit accordé, selon de nombreux principes géométriques qui ne sont pas l’objet de mon propos aujourd’hui, à une fréquence de 256 cycles par seconde (Hz), soit un La à 432 Hz.
Cela provoqua une grosse controverse à l’époque, parce que l’accord standard est de nos jours à 261 Hz, avec un La à 440 Hz. Les plus âgés d’entre vous se rappellent peut-être que Berlioz, en France, avait proposé un accord de compromis qui était le La 435 Hz. Je ne sais pas s’il est encore pratiqué aujourd’hui.
Ce n’est pas un sujet académique. Le grand ténor Carlo Bergonzi affirma avec force lors d’un séminaire auquel j’assistais aussi en 1993 qu’un accord trop haut rend impossible aux vraies grandes voix dans la population de se développer, parce que cela désorganise les changements de registre de la voix – la voix se divise en trois registres – grave, milieu et aigu – qui, s’ils ne sont pas utilisés correctement, occasionnent ce que les instrumentistes à cordes appellent la « note du loup ». Nous avons donc tous abaissé la tonalité de nos instruments, même si certains d’entre nous ont dû se faire tirer l’oreille, et nos chœurs chantent à cet accord depuis, bien que beaucoup d’autres ne le pratiquent pas.
En conclusion, j’ajouterai un autre aspect relatif à l’intention, parce que je le considère pour ma part très important, et Lyndon LaRouche aussi. Alors qu’il était militaire stationné en Inde à la toute fin de la IIème Guerre mondiale, il tomba sur un enregistrement de 1938 de la 6ème Symphonie de Tchaïkovski, sous la baguette du célèbre chef d’orchestre allemand Wilhelm Furtwängler. Selon sa biographie, « une lumière s’alluma tout à coup » dans son esprit à l’écoute de l’interprétation de Furtwängler. Si vous voulez vous faire une idée de ce qu’est vraiment exécuter de la musique classique, je vous encourage tous à écouter Wilhelm Furtwängler – quelle que soit l’œuvre qu’il ait dirigé. Il est décédé en 1954. Certain de ses plus beaux enregistrements datent de la période juste précédente, de 1951 à 1953. La principale critique des romantiques à son égard était qu’il donnait « trop de sens aux notes » ! L’idée que quelqu’un puisse croire que la musique traite en premier lieu d’idées et pas seulement d’émotions et de bons sentiments, les choquaient au plus haut point.
Nous pourrions en dire tellement plus. La chose la plus importante est que si vous n’êtes pas familier de ce type de musique, ou devrais-je dire de ce type d’intention en musique, je vous encourage à éduquer vos oreilles à l’écouter, tout comme vous éduquez vos oreilles à écouter quelqu’un et vous figurer ce qui est réellement en train de se passer dans votre tête quand vous le faites.
Merci !