Conférence Institut Schiller

Jacques Cheminade : le levier scientifique du nouveau paradigme d’économie physique

jeudi 12 décembre 2024, par Jacques Cheminade

Intervention de Jacques Cheminade, président de Solidarité & Progrès, lors de la visioconférence internationale de l’Institut Schiller du 8 et 9 décembre 2024.

Notre mission est d’écarter l’humanité de la trajectoire d’une extinction thermonucléaire. Cela signifie la paix, non pas comme un accord pour une pause entre deux périodes de guerre ou simplement pour arrêter la guerre, mais pour fonder notre combat sur le progrès scientifique et technologique, afin de permettre à toutes les nations et à l’espèce humaine de survivre.

L’engagement en faveur du progrès scientifique est au cœur des conditions physiques préalables à la survie de l’humanité dans son ensemble, afin de générer en chacun de nous la certitude que les générations futures seront meilleures que la nôtre. Nous devons partager ce principe dans nos interventions subjectives, afin d’encourager l’espoir et la confiance dans les pouvoirs de la raison créatrice. Cet espoir, dressé contre les récits vicieux des oligarques bellicistes, est l’arme unique pour inspirer nos frères humains à s’unir dans nos villes pour la cause de la paix, transformant les fugitifs apeurés en millions de manifestants qui s’affirment eux-mêmes.

Les orateurs suivants vont présenter quelle conséquence aurait la non-intervention – notre anéantissement nucléaire mutuel – et également, à l’opposé, la joie de créer un nouveau paradigme de développement, si les nations de l’Ouest se joignent aux BRICS pour assurer l’industrialisation rapide de toute notre planète et créer les milliards d’emplois qualifiés nécessaires à la réalisation d’une telle tâche.

Les dix principes

Helga Zepp-LaRouche.

Parmi les dix principes qu’Helga Zepp-LaRouche a soumis à la discussion pour une nouvelle architecture internationale de sécurité et de développement, le dernier définit notre défi :

L’hypothèse de base du nouveau paradigme est que l’homme est fondamentalement bon et capable de perfectionner à l’infini la créativité de son esprit et la beauté de son âme, et qu’il est la ’force géologique’ la plus avancée de l’univers, ce qui prouve que l’ordonnancement de l’esprit et celle de l’univers physique sont en correspondance et en cohésion, et que le mal est le résultat d’un manque de développement et peut donc être surmonté.

C’est la source même de la science, le fait crucial auquel se réfère le principe chrétien de « l’étincelle divine de la raison » inhérente à chacun d’entre nous en tant que personne créative souveraine et individuelle.

Lyndon LaRouche, dans son article du 8 février 1993 intitulé « L’histoire en tant que science », fait référence à « la découverte déconcertante par Gottfried Leibniz de points d’affinité entre le christianisme et la tradition de Confucius dans la langue (et donc la culture) de la Chine ». Il s’agit de savoir ce que nous avons en commun et ce que nous, dans nos pays occidentaux, pouvons et devons apporter à la « communauté de destin commune de l’humanité ».

Ce que nous avons en commun, c’est ce que souligne Helga Zepp-LaRouche : le potentiel de bonté inné de tous les êtres humains, exprimé en Occident par le christianisme platonicien (opposé au gnosticisme et au nominalisme maléfiques, tous deux réduits à des perceptions sensorielles) et en Chine, par la tradition confucéenne originelle (contre le taoïsme dévoyé et le légalisme erroné).

Dans les deux cas, il s’agit d’une opposition absolue à ce que Carl Schmitt, juriste du Troisième Reich, appelle « le besoin d’avoir un ennemi existentiel » pour affirmer son propre sens de l’identité. Cette croyance diabolique selon laquelle on a toujours un ennemi existentiel tant qu’on ne l’a pas détruit, conduit logiquement à la guerre.

La culture chinoise, avec son concept gagnant-gagnant, et la culture occidentale, telle qu’elle s’exprime dans le traité de Westphalie et les Évangiles, partagent une conception similaire, ontologiquement optimiste. Ce n’est pas seulement la base même de la conception d’une paix durable, c’est l’expression de l’interdépendance inévitable entre motivation morale et pratique scientifique. Certains répondront : c’est pourtant bien la science qui a permis aux Chinois d’inventer la poudre à canon et à l’Occident de mettre au point et de lancer deux bombes atomiques sur des populations civiles ! Eh bien, pour l’Occident, c’est une perversion de la science. Pourquoi ? Parce que si l’on n’agit pour le bien, le mal émerge et contrôle les réalisations scientifiques au nom d’un pouvoir contre l’autre ! S’engager à développer les pays émergents, ainsi que le concevaient un Franklin Roosevelt ou un De Gaulle, aurait écarté la tentation de lancer, en 1945, des bombes atomiques pour des raisons géopolitiques, pour humilier le Japon et mettre en garde la « Russie communiste ».

La géopolitique est fondée sur la volonté de dominer et de se débarrasser de son ennemi existentiel, et non d’atteindre un niveau supérieur de relations, de paix et de coopération. C’est pourquoi, au nom de la paix, il faut rejeter à jamais la géopolitique.

Pour nous, en Occident, cela signifie retrouver notre objectif historique, tel qu’il s’est exprimé lors de l’âge d’or de la Renaissance. Nous ne pouvons pas adhérer au nouveau paradigme les mains vides ou, pire, l’esprit vide. Nous devons retrouver ce que nous avons perdu depuis les deux guerres barbares qui ont sévi en Europe et la colonisation des territoires et des esprits : retrouver la méthode de Platon, l’hypothèse socratique, en donnant à la Renaissance ce qui lui manquait, la notion chrétienne d’imago viva dei (l’homme créé à l’image vivante du créateur).
Il faudrait bien sûr beaucoup plus de quinze minutes pour partager ce qu’est cette notion (et je vous recommande d’étudier l’ouvrage de Lyndon LaRouche, L’histoire en tant que science), mais il faut au moins en avoir un aperçu pour réussir notre marche vers la paix. La méthode de Platon est basée sur l’hypothèse, par opposition au hypotheses non fingo (je n’imagine pas d’hypothèses) professé par Isaac Newton. Ce n’est pas grâce à la certitude des sens que nous savons, mais parce que nous faisons des hypothèses – des changements d’axiomes – validées par des expériences cruciales. La méthode scientifique consiste en changements successifs, guidée par une hypothèse supérieure : la perspective historique de l’histoire interne de la découverte scientifique. La science a malheureusement été supplantée par le syllogisme, le simple raisonnement déductif, et sa pratique sous la gestion de personnes et d’objets assujettis.

L’imago viva dei et le capax dei [l’homme participant à la création divine] qui lui est associé, montrent que c’est la souveraineté de l’individu humain (le microcosme) qui le rend capable de changer le macrocosme, et que ce changement dans le macrocosme ne peut se faire que par un changement pour le mieux de tous les éléments du microcosme. C’est le deuxième principe d’Helga Zepp-LaRouche, « éradiquer la pauvreté dans chaque nation de la planète, ce qui est aisément possible si les technologies existantes sont utilisées au profit du bien commun ».

C’est cette responsabilité macrocosmique de chaque microcosme, en tant qu’intention, pour chaque nation et chaque être humain, qui définit le bien, la politique dont dépend absolument la survie de la civilisation. Assumer cette direction pour toute l’humanité - changer le macrocosme grâce à cette capax dei - est la réponse du platonisme chrétien au défi existentiel de notre époque : comment façonner volontairement l’histoire passée, présente et future de l’humanité.

La capax dei est la capacité de l’individu, de la personne souveraine, à participer à l’œuvre de la création – à travers des actions qui sont le fruit de la raison créatrice motivée par l’agapè, l’amour pour le Créateur et l’humanité, « l’ordonnancement de l’esprit et celle de l’univers physique étant en correspondance et en cohésion ».

Cette capacité unique d’un individu singulier à changer le macrocosme, ni la sagesse de Confucius, ni le génie scientifique de Platon, ni le christianisme non-platonicien ne peuvent à eux seuls l’accomplir pleinement. C’est la capax dei, en tant que processus universel de création continue dans l’esprit d’un individu souverain, véritable changement révolutionnaire axiomatique, qui est le cadeau de la Renaissance chrétienne platonicienne, exprimée par des humains dévoués au plus haut niveau de leurs pouvoirs créatifs, tels que Nicolas de Cues, Gottfried Leibniz, Albert Einstein et Lyndon LaRouche.

Il ne s’agit évidemment pas d’une compétition, mais d’une question d’inspiration, d’inspiration joyeuse. Le platonisme chrétien est une étape cruciale pour toute l’humanité, et non un atout de la pensée européenne. Il n’a de valeur que s’il est partagé et il peut l’être avec tous les hommes.

Permettez-moi de vous donner un exemple de cette capacité. Les pays africains ont besoin de conditions de développement équitables, dans le respect de leur souveraineté, d’infrastructures de gestion de l’eau, d’hôpitaux et d’écoles. Mais ils ont aussi besoin des technologies les plus avancées, s’intégrant dans un projet dynamique de changement, comme la Chine l’a fait avec succès.

Comme l’ont déclaré Cheikh Anta Diop et Lyndon LaRouche, les pays africains ne demandent pas à être considérés comme des pays pauvres à aider, mais, dans l’esprit de [la conférence de] Bandung, à être dotés des moyens de franchir les étapes du développement.

Considérons que l’industrie spatiale africaine représente plus de 22 milliards de dollars, que 17 nations africaines ont investi dans 58 projets de satellites et que 9 d’entre eux ont été conçus, fabriqués et assemblés en Afrique. Ceci est essentiel pour l’agriculture, la santé publique, l’éducation et bien sûr la création d’emplois dans les secteurs de l’ingénierie, de la mécanique et de la recherche. Chaque pays a besoin d’un levier scientifique dans des secteurs clés. Par exemple, l’énergie nucléaire s’avèrera essentielle pour l’électrification du continent, mais aussi pour créer des complexes agro-industriels alimentés avec le nucléaire et la datation du matériel archéologique datant des toutes premières occupations humaines du continent.

En janvier 2023, l’Union africaine a inauguré l’Agence spatiale africaine en Égypte. La France et l’Afrique du Sud, ainsi que la Société sénégalaise d’études spatiales et l’Agence spatiale turque, ont signé un protocole d’accord pour développer l’infrastructure spatiale dans les deux pays. De tels investissements pour la paix, tels qu’ils sont proposés dans l’étude de l’Institut Schiller, Le développement signifie des milliards d’emplois nouveaux : pas de réfugiés, pas de guerres, créent des plateformes de développement permettant d’augmenter les pouvoirs potentiels de la main-d’œuvre. La collaboration des pays occidentaux et de la majorité mondiale, selon l’approche qui sera définie dans cette session, est le meilleur investissement pour la paix. C’est la seule alternative, au niveau mondial, à la guerre nucléaire.

Vous pouvez voir sur cette photo la joie d’apprendre de ces jeunes filles, au Centre d’études coopératives situé en République démocratique du Congo (RDC). Inspirons-nous de leur sourire et cessons de piller leur pays en les aidant à construire des barrages (projet des barrages d’Inga, sur le fleuve Zaïre) et des SMR (petits réacteurs nucléaires modulables) pour favoriser des pôles de développement économique, qui seront disponibles lorsqu’elles deviendront adultes. L’émergence de l’Afrique, c’est certes leur avenir, mais c’est aussi le nôtre, pour un processus continu de paix mondiale.

Cessons donc de penser en termes de rapports de force et optons au contraire pour une coopération globale afin d’offrir un monde meilleur aux générations futures.

Nous leur devons à tous un monde meilleur, et non des guerres par procuration, toujours près de dégénérer en anéantissement de l’humanité. Nous sommes pris dans un piège aux dents nucléaires. Il est temps de sortir de notre somnambulisme et de nous remettre sur la trajectoire de la science de l’histoire humaine.

Voir les échanges entre Jacques Cheminade et S.E. Naledi Pandor, ancienne ministre d’Afrique du Sud.