Entente Iran - Arabie Saoudite : la Chine initie une révolution diplomatique dans le monde arabo-musulman

lundi 13 mars 2023

Chronique stratégique du 13 mars 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Dans un accord négocié par la Chine et annoncé vendredi à Beijing, les représentants du Royaume d’Arabie saoudite et de la République islamique d’Iran ont annoncé qu’ils rétabliraient les relations diplomatiques au plus tard dans deux mois, et ont affirmé leur « respect de la souveraineté des États et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États ».

Cette mesure a été prise, selon le communiqué trilatéral publié par l’agence de presse saoudienne, « en réponse à la noble initiative de Son Excellence le président Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, du soutien de la Chine au développement de relations de bon voisinage entre le Royaume d’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran ».

Révolution diplomatique

C’est une véritable révolution diplomatique pour l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud-Ouest. D’une certaine manière, c’est un paradoxe, car l’on parle généralement de solution diplomatique, tandis que le terme « révolution » s’applique à la situation politique. Mais dans ce cas, c’est bien la diplomatie qui a fait la révolution.

Vendredi, le responsable chinois de la politique étrangère Wang Yi a donc annoncé que, grâce à la médiation de son pays, l’Arabie saoudite et l’Iran allaient renouer des relations diplomatiques d’ici deux mois. Potentiellement, c’est toute la géométrie politique du Moyen-Orient qui va s’en trouver modifiée.

En effet, depuis Sykes-Picot, le tristement célèbre traité de 1916, cette région a été à l’avant-garde des guerres contre la Russie, de la déstabilisation de l’Asie, par laquelle les Britanniques et les Français de l’époque montaient les nations de l’Asie du Sud-Ouest les unes contre les autres. Après la Seconde Guerre mondiale, suite au coup d’État fomenté par les Anglo-américains (voir notre dossier de fond "Mattei-Kennedy : leur entente stratégique contre les cartels du pétrole") contre le gouvernement de Mossadegh en 1953 en Iran, qui a imposé le Shah, cette région a été le terrain de jeu de manipulations géopolitiques, principalement du fait de l’axe Londres-Washington, et dont les conséquences ont été tragiques. Plus récemment, cette géopolitique s’est prolongée avec les guerres interventionnistes dites « humanitaires » en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, ainsi que l’horrible guerre au Yémen toujours en cours.

L’accord irano-saoudien met potentiellement fin à cette longue phase historique. Et au-delà de ces deux pays, cela reflète le nouveau Paradigme en gestation dans le monde. Cela implique bien entendu la Chine avec son initiative « la Ceinture et la Route » ; cela implique aussi les pays des BRICS+ – avec les cinq pays de départ auxquels il faut ajouter les 24 autres pays qui ont demandé leur adhésion dont précisément l’Iran et l’Arabie Saoudite. C’est un nouveau système économique, qui sonne la fin du pétrodollar et le début de nouvelles monnaies basées sur des principes complètement différents.

La fin de la domination anglo-américaine

Depuis des décennies, l’Arabie saoudite et l’Iran n’ont cessé de se faire la guerre par procuration – au Liban, en Syrie, et bien sûr au Yémen. On peut donc s’attendre à ce qu’une détente et une entente entre ces deux grands pays rende solubles les conflits qui déchirent ces pays. Par exemple, il est tout à fait concevable que, dans un avenir très proche, des négociations aboutissent entre l’Arabie saoudite et les Houthis au Yémen, et que cette horrible guerre puisse prendre fin.

Pour l’Arabie saoudite, cela signifie naturellement que son alliance avec Londres passe à la trappe, et avec elle tous les accords militaires secrets passés à l’époque de Margaret Thatcher avec BAE Systems (British Aerospace), qui se trouvent au cœur des attentats du 11 septembre.

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Évidemment, l’Arabie saoudite se tourne vers la Chine parce qu’elle perçoit bien que cette dernière émerge comme une puissance mondiale incontournable, tandis que « l’Occident » est en déclin et au bord de l’effondrement. Pour compléter ce tournant majeur, il se pourrait bien que des négociations s’ouvrent également assez rapidement entre la Turquie et la Syrie.

L’autre conséquence est que la présence (illégale) des troupes américaines en Syrie va devenir intenable, quoi qu’en disent les élus du Congrès US – qui viennent de voter contre une résolution exigeant le retrait.

Vers un nouveau système monétaire mondial

Cela signifie également que la reconstruction de la région va pouvoir commencer. L’initiative « la Ceinture et la Route », la Nouvelle Route de la Soie, va s’étendre au-delà de l’Iran, au-delà du Pakistan, pour la reconstruction de l’Afghanistan, et pour la reconstruction de la Syrie et du Yémen en particulier.

C’est donc une très mauvaise nouvelle pour tous les cassandres qui rabâchent continuellement : « On ne peut rien faire, ils sont trop puissants ! » : si le Moyen-Orient est capable de changer de façon aussi radicale, alors tout peut changer !

Le rôle du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale arrive à sa fin, en raison de « la militarisation du dollar », suite à la confiscation par les États-Unis de 300 milliards de dollars d’actifs russes, de 10 milliards de dollars d’actifs afghans, et à d’autres sanctions dont de nombreux autres pays ont également été victimes. En raison de cette militarisation, tous ces pays se sont progressivement désolidarisés de ce système monétaire, multipliant les contrats commerciaux en monnaie nationale.

Ainsi, comme l’avait défendu il y a plusieurs années l’économiste américain Lyndon LaRouche (1922-2019), un système monétaire alternatif se construit sur la base de principes complètement différents de ceux du système du dollar, c’est-à-dire des principes d’économie physique et non monétariste.

Enfin, la réalité est que le « Sud global », désormais appelé par certains « majorité globale », qui a subi des pressions des États-Unis, des Britanniques, de la Commission européenne et de l’OTAN pour condamner la Russie pour la soi-disant « agression non provoquée » en Ukraine, refuse clairement de rentrer dans la danse. 70% de l’ensemble des pays refusent de prendre position contre la Russie, soit en restant neutre, soit en refusant de signer une condamnation. Les pays du Sud n’adhèrent plus à cette histoire de guerre « non provoquée », et désormais ils se tournent tous vers la Chine.

Et la France ? Se souviendra-t-elle qu’elle fait pleinement partie de l’Eurasie et n’est pas la banlieue de Chicago ?

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