Allemagne : Couvrez ces manifs que je ne saurais voir !

mercredi 19 octobre 2022, par Karel Vereycken

Manifestation à Grimma, Allemagne orientale.

Vous voyez une manif à la télé ? N’y croyez-pas ! Poutine et ses cyberguerriers fabriquent des images de synthèse pour nous faire croire qu’on est divisé et que les gens n’en peuvent plus ! Sacré Vladimir !

Depuis octobre 2019, au Pays-bas, des milliers d’agriculteurs, forcés d’abandonner leur profession jugée désormais nuisible, ont bloqué les autoroutes. Pas vue à la télévision française.

Depuis début septembre, à Prague, des milliers de gens manifestent régulièrement contre l’OTAN, l’inflation et les sanctions envers la Russie et pour renouer des relations cordiales avec la Russie. Pas vue à la télévision française.

LIRE NOTRE DOSSIER : Sanctions contre la Russie, le hara kiri européen

Et surtout en Allemagne. Les autorités s’inquiètent. Les manifestations sont organisés par des simples artisans, des citoyens ordinaires appartenant à une classe moyenne que les services secrets et la police croyaient tellement servile qu’ils n’ont pas pris la peine de les infiltrer. Panique. Si quelques responsables locaux de l’extrême droite ou de l’extrême gauche y font des apparitions, ce n’est pas à leur initiative que les manifestations démarrent.

Une amie allemande raconte. Elle a échangé avec un « petit » maire d’Allemagne orientale dont la petite ville industrielle dépend entièrement du gaz russe. L’homme a appelé ses administrés à se joindre aux manifestations. Aussitôt, le ministère de l’Intérieur allemand lui fait savoir qu’en faisant cela, il dépasse son mandat. Le maire n’a pas l’intention de se taire. Il passera les mots d’ordres « à titre personnel », estimant qu’il ne pourra plus « se regarder dans une glace chaque matin » en restant passif. Aller en prison ? « Je suis prêt », a-t-il confié. La démocratie est en pleine forme dans le pays d’Ursula Von der Leyen...

Sur le terrain, toutes les formes de protestation outre-Rhin ont vu leurs rangs gonfler ces trois dernières semaines. Mais l’essor le plus important, tant en nombre qu’en étendue géographique, concerne les régions orientales de l’Allemagne, où l’impulsion vient surtout des PME et des artisans (notamment le groupe « Artisans pour la paix »). Leurs actions, pour la plupart non partisanes, sont mises sur pied très rapidement, ce qui les rend particulièrement efficaces.

Ils exigent l’ouverture des gazoducs Nordstream 1 et 2 ; qu’ils soient réparés au plus vite, la levée des embargos et des sanctions qui frappent bien plus l’Europe que la Russie et surtout la construction d’une paix par le développement mutuel. En bref, tout ce que Berlin, tout comme Paris et Bruxelles refusent d’entendre.

Le 12 octobre, des entrepreneurs des secteurs de l’hôtellerie et de la restauration du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale, ont annoncé une manifestation silencieuse hebdomadaire, tous les mercredis à 12h05, pour symboliser le fait que les nécessaires changements politiques et économiques n’ont que trop attendu. Le lendemain, des entrepreneurs de PME ont organisé des cortèges dans neuf villes du même Land.

Le vendredi suivant, en Saxe, 5000 personnes se rassemblaient devant la célèbre église Notre-Dame de Dresde, qui compte 500 000 habitants.

Grimma

Le 18 octobre à Grimma (notre photo), une ville proche de Leipzig, des milliers de personnes, y compris le Premier ministre de Saxe, Matthias Kretschmer, ont répondu à l’appel des artisans et entrepreneurs. La manifestation était soutenue par dix maires des alentours et par l’association régionale des agriculteurs.

Johannes Heine, couvreur allemand.

C’est un couvreur, Johannes Heine, qui avait officiellement enregistré le rassemblement sous la devise « De l’énergie au lieu d’idéologie », qui résume les craintes suscitées par l’inflation et par la guerre contre la Russie. La vague de protestation devrait culminer à Berlin, où une très forte participation est attendue d’ici quelques semaines.

Il est légitime que les bastions de la contestation se trouvent tous dans les régions orientales de l’Allemagne où, à la fin de 1989, les rassemblements du lundi réunissant des centaines de milliers de personnes, notamment à Leipzig, ont fait tomber le régime politique de l’Allemagne de l’Est.

Par rapport aux Allemands de l’Ouest, ceux de l’Est sont restés bien plus rebelles au cours des décennies qui ont suivi. Certains d’entre eux regrettent leur « annexion » à l’Allemagne de l’Ouest.

Le chemin sera long, mais le potentiel existe qu’ils deviendront l’avant-garde d’un changement profond de l’histoire politique allemande…