Sabotage des gazoducs : après la Russie, Biden attaque l’Europe ?

jeudi 29 septembre 2022

Chronique stratégique du 29 septembre 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Les multiples explosions sur les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2, survenues dans la nuit du 26 au 27 septembre, revêtent des caractéristiques remarquables du point de vue de l’opportunité, du motif et de la folie d’un tel sabotage.

L’OTAN, dans sa déclaration officielle, constate qu’il s’agit bel et bien d’un acte de sabotage et les membres de l’Alliance atlantique promettent déjà une riposte collective. Une option serait d’en faire la preuve que la Russie est un Etat qui sponsorise le terrorisme et n’aurait donc plus sa place comme membre du Conseil de sécurité de l’ONU...

Pourtant, de nombreuses sources bien informées ont publié des commentaires pertinents à ce sujet, résumés ci-dessous, qui n’accusent pas la Russie mais ceux qui lui font la guerre.

A qui profite le crime ?

Accuser la Russie d’avoir saboté elle-même les gazoducs, une idée neuve ! Dans le mélange d’atonie et d’arrogance satisfaite dans lequel baignent les salles de rédaction des médias occidentaux, l’on a visiblement intégré la vérité orwellienne selon laquelle la neige est noire sous condition qu’on le répète suffisamment de fois.

Pourtant, même si à ce stade l’on ne peut tirer aucune conclusion hâtive, le moins que l’on puisse dire est que le coupable ne fait pas beaucoup d’efforts pour se cacher. Dès le lendemain des explosions, l’actuel eurodéputé démocrate-chrétien Radek Sikorski, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Défense de la Pologne, a écrit « Thank You, USA » sur Twitter, à côté d’une photo de la mer au-dessus de la zone détruite des pipelines. Il a continué à se réjouir, toujours sur twitter :

L’Ukraine et tous les États de la mer Baltique se sont opposés à la construction de Nordstream depuis 20 ans. Aujourd’hui, 20 milliards de dollars de ferraille gisent au fond de la mer, un autre coût infligé à la Russie pour sa décision criminelle d’envahir l’Ukraine. Quelqu’un a effectué une opération de maintenance spéciale.

Sur le sabotage des gazoducs Jacques Cheminade, sur son compte twitter constate :

1) Biden a proclamé le 7/02 « avoir les moyens d’arrêter la fourniture de gaz russe » ; 2) des explosions sous-marines ont été entendues par le Centre de sismologie suédois là où opéraient des navires amphibies US. Les services anglo-américains accusent les russes, la Russie saisit le Conseil de Sécurité de l’ONU. Poutine a, lui, toujours dit qu’il ferait livrer le gaz. Alors, à qui profite le crime ? Qui livre une guerre à l’Europe ?  

En effet, le 7 février dernier, soit 17 jours avant le début la guerre, Biden avait déclaré que « si des chars et des troupes traversent la frontière de l’Ukraine, alors il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin ». Et, alors qu’un journaliste lui demandait comment ils s’y prendraient, étant donné que le projet est sous le contrôle de l’Allemagne, le président américain avait répondu : « Je vous promets que nous serons en mesure de le faire », tout en arborant un sourire arrogant.

Et si jamais un doute persistait, il faut dire que non seulement la Russie n’a aucun intérêt à torpiller de la sorte toute possibilité de renouer des relations pacifiques avec l’Europe, mais surtout elle n’a jamais agit dans ce sens.

On ne peut pas dire la même chose des Etats-Unis. Le 28 février 2004, le quotidien Libération écrivait :

Comment Reagan a piégé la technologie soviétique. Au début des années 80, grâce a des renseignements fournis par la France, Ronald Reagan a ordonné une invraisemblable opération de déstabilisation technologique de l’URSS, qui a notamment conduit à l’explosion d’un gazoduc à l‘été 1982. C’est ce que révèle Thomas C. Reed, ancien conseiller de Reagan, dans un livre…

Une vérité confirmée le 12 septembre, donc bien avant les explosions, par l’ancien colonel des services du renseignement suisse Jacques Baud qui rappelait lors d’une conférence à Paris que les Russes, même au cœur de la guerre froide, n’ont jamais utilisé l’arme de l’énergie pour faire pression sur les Occidentaux. « Depuis 1966, ils livrent à l’Occident du gaz naturel », a-t-il constaté. A l’opposé :

Les seules perturbations qui ont eu lieu se sont déroulées sous l’ère Reagan parce que les Américains, et plus précisément la CIA (les rapports déclassifiés depuis l’ont démontré) avaient peur que la dépendance de l’Europe vis-à-vis de l’énergie par rapport à la Russie (…) conduise à un trop grand rapprochement entre l’Europe et la Russie, et notamment entre l’Allemagne et la Russie, a expliqué Baud. C’est pourquoi Reagan a signé un décret présidentiel autorisant le sabotage des gazoducs. Et les seules perturbations qu’il y a eu dans la livraison de gaz depuis 1966 sont le résultat des sabotages qui ont été provoqués par les Américains...

Une opération de l’Otan ?

Il faut dire que les Polonais, engagé dans leur propre fantasme impérial avec le projet Intermarium, peuvent se réjouir. De fait, ce sabotage réduit considérablement le potentiel de rapprochement germano-russe et fait de la Pologne l’une des plaques tournantes énergétiques les plus importantes pour l’Europe.

Coïncidence étonnante, le jour-même de l’attaque a eu lieu l’inauguration du nouveau gazoduc de la Baltique, qui doit acheminer le gaz des champs norvégiens et danois vers la Pologne, sous les applaudissements du Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, qui a déclaré : « Ce gazoduc marque la fin de l’ère de la dépendance à l’égard du gaz russe ».

La mer Baltique est entièrement sous surveillance des forces de l’Otan. Il s’agit de l’une des étendues d’eau les plus étroitement contrôlée au monde, tellement elle est parcourue d’activités commerciales, militaires, de parcs éoliens et autres. La surveillance est assurée par les agences de l’Otan, de la Russie, du Danemark, de la Suède et de la Norvège. Grâce aux sonars civils et militaires et à la détection connexe, il est impossible de mener une attaque aussi massive sur les pipelines sans préavis, ou plus précisément, sans complicité.

Pour de nombreux journalistes et analystes bien informés, l’opération aurait été exécutée par la marine polonaise et les forces spéciales, comme l’affirme par exemple John Helmer, journaliste correspondant à Moscou, qui ajoute que « les Polonais ont aidé par les militaires danois et suédois, et que l’opération a été planifiée et coordonnée avec le renseignement et le soutien technique des États-Unis ».

Helmer souligne que cet attentat est une répétition de l’opération Bornholm Bash d’avril 2021, où les forces polonaises avaient tenté de détruire les navires russes posant les conduites de gaz de Nord Stream 2, avant de se retirer. Il s’agissait alors d’une attaque directe contre la Russie. « Cette fois, l’attaque vise les Allemands, en particulier le lobby des entreprises et des syndicats et les électeurs est-allemands, avec un plan pour blâmer Moscou pour les problèmes qu’ils ont déjà – et leurs problèmes à venir avec l’hiver ».  

Face à la menace de grands soulèvements populaires contre l’augmentation des prix de l’énergie pendant la saison froide ; face à la crainte que les forces politiques allemandes capitulent devant l’opinion publique et se tournent une fois de plus vers la Russie pour s’approvisionner en énergie, les Etats-Unis ont préféré saboter les infrastructures énergétiques qui leur auraient permis de le faire ?

Le sabotage du gazoduc confirme, pour les Européens avertis, que dans le bras de fer engagé en Europe contre la Russie par les Américains, ces derniers ne cherchent pas uniquement à éliminer un concurrent, la Russie, mais également l’Europe !

François Mitterrand (dont nous avons toujours dénoncé le manque de combattivité), au crépuscule de son ultime mandat, avait confié à Georges-Marc Benhamou une observation que le journaliste retranscrirait dans son livre Le dernier Mitterrand :

La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort.

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