Intermarium : l’inquiétant projet impérial promu par Azov et la Pologne

lundi 18 juillet 2022

[sommaire]

De la mer Baltique à la mer Noire, voire la mer adriatique et pourquoi pas la mer Égée ?

Lorsque les Russes annoncent que parmi leurs objectifs en Ukraine figure la « dénazification » du pays, on répond chez nous qu’ils vivent dans la paranoïa et l’exagération.

Pourtant, tout indique que Londres et Washington, mais aussi Bruxelles, se sont fortement appuyés sur le type de nationalisme nauséabond qu’ils ne cessent de dénoncer dans le monde entier lorsqu’il ne va pas dans le sens de leurs intérêts.

Or, en Ukraine, il est clair que la mouvance Azov est soutenue par plusieurs pays d’Europe de l’Est, en particulier la Pologne mais aussi la Croatie, qui rêvent de détricoter l’UE en ressuscitant, y compris sur les décombres de l’Ukraine, le mirage d’un Empire s’étendant de la mer Baltique jusqu’à la mer Noire (Intermarium).

Enquête.

A propos de l’Ukraine, une nouvelle dimension, plus complexe, devient un sujet de discussion parmi les universitaires. Selon les spécialistes, il est temps de prendre conscience de la mutation profonde qu’a connu le « nationalisme » ukrainien depuis 2014.

Avant de présenter les nuances que voient les sociologues dans ces différentes formes de « nationalisme », pour notre part, sans vouloir jouer sur le mots, nous nous disons « patriote et citoyen du monde » et partageons pleinement la critique qu’en faisait le général De Gaulle lorsqu’il disait

Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres.

Ainsi, selon les universitaires, à ce jour, le bloc nationaliste apparaît plus divisé que jamais comme en témoigne deux types de discours diamétralement opposés.

  • Le premier, disent-ils, plus classique et incarné par des partis comme Svoboda dirigé par Oleh Tyahnibok et Secteur Droit dirigé par Andriy Parubiy, est qualifiable « d’historique », « d’occidental » et « d’introverti » car il ne se préoccupe que de la défense de la patrie face à ceux qui menacent de la piétiner ;
  • Le deuxième, dit « néo-nationaliste », « oriental » et « extraverti » est incarné par la mouvance Azov et Corps National, le parti politique d’Azov présidé par Andriy Biletsky. Cette mouvance a une vision plus large et pourrait-on dire, une politique étrangère. Elle s’oppose à l’impérialisme russe, rejette l’UE actuelle et caresse l’idée de ressusciter « l’Union de l’entre-mers », dite d’Intermarium.

Nationalistes

Adrien Nonjon, doctorant en histoire à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), dans un article bien documenté publié le 8 juin sur The Conversation, prend le temps de préciser la différence entre ces deux visages de l’extrême droite ukrainienne.

A propos du « nationalisme galicien », il écrit :

« Né officiellement le 13 octobre 1991 à Lviv de la fusion de différentes organisations nationalistes, ce mouvement s’inscrit, schématiquement parlant, dans les traditions nationalistes et paramilitaires de l’Ukraine occidentale, notamment galiciennes. C’est dans cette région, dominée de 1772 à 1918 par les Austro-Hongrois puis de 1918 à 1939 par les Polonais, que se sont développées à partir du XIXe siècle les premières idées défendant la spécificité de l’Ukraine, et surtout son droit d’exister en tant que nation souveraine et indépendante.

« Berceau d’une culture proto-nationaliste, la Galicie voit, au cours de l’entre-deux-guerres (l’Ukraine étant rattachée à l’URSS dès la création de celle-ci en 1922), se développer dans la clandestinité plusieurs mouvements politiques, au premier rang desquels l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) et sa branche armée, l’Armée insurrectionnelle d’Ukraine (UPA). Dirigé par des nationalistes ukrainiens d’origine galicienne comme Roman Choukhevytch et Stepan Bandera, notamment tenus pour responsables des massacres de Volhynie (1942-1944), ce mouvement-guérilla tentera de jeter les bases d’un nouvel État, indépendant du joug stalinien.

« Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’OUN et l’UPA, fortes de 200 000 hommes, privilégient une collaboration de circonstance avec l’Allemagne hitlérienne ; elles se retournent ensuite contre l’occupant nazi qui leur refuse la création d’un État indépendant, avant d’être finalement défaites par l’URSS. Par leur lutte en faveur de l’indépendance et leur idéologie radicale animée d’un désir de rupture totale avec l’URSS, ces mouvements galiciens ont évidemment eu une influence après 1991 sur l’idéologie et la posture des ultra-nationalistes ».

Tout en oubliant de préciser comment les services de renseignement nazi et ensuite occidental ont instrumentalisé ce courant Bandériste dans leur propre perspective d’une guerre finale contre le bolchevisme, Nonjon nous dépeint une mouvance nationaliste assez classique, qui adore l’autocélébration et méprise le nationalisme des autres. Certes, ils ont fait des erreurs et des mauvaises alliances, mais bon, ils défendent leur patrie contre les Soviets…

Précisons que ce courant a lamentablement échoué à l’élection présidentielle de 2014 (Oleh Tyahnibok et Dmytro Iarosh, respectivement candidats de l’Union Svoboda et du Secteur droit, n’obtiennent que 1,2 % et 0,7 % des suffrages) puis aux législatives tenues cette même année (4,7 % pour la liste de Svoboda et 1,8 % pour celle de Secteur droit).

Dans les années qui suivent, le nationalisme historique s’efface peu à peu pour laisser place à une autre mouvance, dite « néo-nationaliste », celle d’Azov.

Les « post-nationalistes » d’Azov

Les trois grands organes de la mouvance Azov : son parti Corps National, dirigé par son fondateur Andriy Biletsky, le Régiment Azov, intégré dans la Garde nationale et dirigé par Denis Prokopenko, et la Milice nationale, déployé en appui de la police et dirigée par Cherkas Mykhailenko.

Le Corps national Azov (Natsional’nyj korpus) a été fondé le 16 octobre 2014 par Andriy Biletsky [lieutenant-colonel de police], sur la base du régiment Azov. Il est désormais intégré à la Garde nationale ukrainienne. Biletsky fût le leader du groupe néonazi ukrainien Patriotes d’Ukraine, lors de la bataille pour le contrôle de la place centrale de l’Indépendance de Kiev pendant la révolution de Maïdan contre le président élu Viktor Ianoukovitch, favorable à la Russie.

En 2010, Biletsky affirmait que le rôle de l’Ukraine serait un jour de « mener les races blanches du monde dans une croisade finale… contre les Untermenschen [les sous-hommes] dirigés par des sémites ».

Aux côtés d’autres groupes d’extrême droite, comme le Secteur droit (Pravy Sektor), le mouvement Azov naissant a joué un rôle occulte dans les combats contre la police de sécurité ukrainienne, qui ont fait 121 morts et assuré le succès de la révolution. Acquérant le contrôle d’une grande propriété, juste à côté de la place de l’Indépendance, près du ministère de la Défense, Azov a transformé le bâtiment, rebaptisé Maison des Cosaques, en son quartier général et centre de recrutement de Kiev. [1]

Un journaliste de la BBC, David Stern, dans son article du 13 décembre 2014 a relaté avec précision et justesse, que l’Etat ukrainien a, depuis 2014, fourni des fonds, des armes et d’autres formes de soutien aux milices d’extrême droite, y compris les néonazis. Cela est une réalité et non pas une invention de l’imaginaire prétendument malade de Vladimir Poutine.

Entrée entre en politique

Manifestation du parti d’Azov, Corps National.

Cherchant à capitaliser sur sa participation au coup d’État pro-occidental du Maïdan, Biletsky quitte fin 2014 le commandement d’Azov au profit de la politique. Élu député au Parlement sur une liste composée de vétérans, il fonde alors, en 2015, avec des anciens du régiment Azov, l’ONG Corps Civil. Cette organisation militante formera l’ossature du parti nationaliste-révolutionnaire Corps National, parti qu’il préside depuis sa création le 14 octobre 2016.

Riche de 10,000 membres, Corps National étend son emprise sur toute la société ukrainienne à travers diverses initiatives, notamment :

  • des milices de rue (Natsional’ny druzhiny), déployées en appui à la police officielle.
  • des camps d’entraînement patriotique pour enfants (Azovets). Ces derniers y sont initiés au combats physiques, au maniement des armes à feu et apprennent à crier « Mort aux ennemis ! »

L’homme clé dans la création d’Asov en 2014, c’est Arsen Avakov, à l’époque le ministre de l’Intérieur. C’est sous ses ordres que le bataillon a été intégré à la Garde nationale ce qui a offert à Asov un statut protecteur le rendant quasiment intouchable, surtout en cas de guerre. Et vu que c’est lui qui alloue les subventions, il considère Asov comme son armée privée. Plusieurs vétérans du régiment Azov ont d’ailleurs été placés par Avakov à des postes importants de son ministère. Parmi eux, ont peut citer Vadym Troyan et Serhiy Bondarenko respectivement chef et chef adjoint de la police de la région de Kiev.

Le 26 juin 2018, en réponse à une requête détaillée demandant à son pays de mettre fin à toute forme d’aide militaire, l’avocat israélien Eitay Mack a déclaré qu’il a constaté que le statut officiel du bataillon Azov au sein des forces armées ukrainiennes signifie qu’on ne peut vérifier si « des armes et des formations d’entraînement israéliennes » ne sont pas utilisées « par des militaires antisémites ou néonazis ».

Bien vu à Washington, accord avec le FBI

Octobre 2014. Andriy Biletsky (au centre), le fondateur d’Azov et de son parti politique Corps National avec son protecteur et mécène, le ministre ukrainien de l’intérieur de l’époque, Arsen Avakov (à droite).

En 2018, Avakov, l’homme qui a permis la création d’Asov, a été reçu par des membres du Congrès américain, aussi bien par le Républicain Devin Nunes à la tête de la Commission sur le renseignement de la Chambre, que par la très naïve démocrate progressiste Marcia Kaptur.

Comme l’annonce fièrement le site du ministère de l’Intérieur ukrainien, lors de cette visite, Avakov s’est également entretenu avec le directeur du FBI Christopher Wray et signé un protocole de coopération avec l’agence pour combattre la cybercriminalité et le crime organisé.

La population ukrainienne n’est pas dupe. En 2019, lors des élections législatives ukrainiennes, la liste commune entre le Corps national et d’autres partis d’extrême droite, publiquement soutenue par Avakov, n’obtient que 2,15 % des voix...

« L’utilité » pour Washington et pour l’OTAN de la mouvance Azov dans leur lutte contre Poutine est une évidence. Le 24 février 2022, c’est-à-dire le jour même où la Russie, pour qui la guerre avait commencé en 2014, lançait son opération spéciale en Ukraine, l’Atlantic Council, porte-parole des visions atlantistes anglo-américaines, se plaignait des doutes du New York Times sur le soutien à l’Ukraine et affirmait qu’il était grand temps que le FBI cesse de considérer Azov comme une organisation terroriste étrangère... Le problème, c’est qu’une poignée de suprémacistes blancs américains, dont certains se sont illustrés lors de la manifestation Unite The Right en août 2017 à Charlottesville, ont été identifié par les agents locaux du FBI comme ayants des liens avec la mouvance Azov en Ukraine...

D’après le site suisse Renverse, les principaux point du parti politique Corps National fondé par Azov sont :

  • L’extension des pouvoirs du président pour en faire le chef du gouvernement et de l’armée ;
  • La renucléarisation de l’Ukraine ;
  • La nationalisation des entreprises appartenant à l’Ukraine lors de son indépendance en 1991 ;
  • La rupture des liens diplomatiques, commerciaux et culturels avec la Russie ;
  • La formation d’une fédération des pays (Intermarium) se trouvant entre la mer Baltique et la mer Noire (Pologne, Lituanie, Biélorussie et Ukraine) ;
  • La libéralisation du port d’arme ;
  • Le rétablissement de la peine de mort pour trahison et détournement de fonds par des hauts fonctionnaires.

Comme le précise Nonjon, « Aussi semblable qu’il puisse être en termes de radicalité et d’importance que son idéologie confère au thème national, le néo-nationalisme se distingue du nationalisme historique sur de nombreux points. (…) Il ne s’agit plus seulement de plaider pour une restauration des permanences ethno-culturelles de la nation ukrainienne en se séparant d’un empire, mais bien de repenser sa place dans son environnement géographique. Ainsi, ce ‘néo-nationalisme’ s’oppose au nationalisme historique ukrainien en se référant à une conception ‘civilisationnelle’ de l’Ukraine, qu’il rattache à l’Europe par son héritage culturel et historique ».

Du coup, l’on comprend mieux le silence assourdissant qui règne à propos des tendances nazies d’Azov. Il semble qu’il faut tout leur pardonner, puisqu’il s’agit d’européistes, et l’Europe... c’est la paix !

Azov se veut donc dépositaire d’un combat politique qui entend non pas détruire un « système » auquel est imputée la perte de la grandeur nationale, mais plutôt le remodeler de l’intérieur selon ses propres normes. Il s’agit là d’une forme de nationalisme révolutionnaire qui cherche à bâtir une communauté de destin à l’échelle de la nation.

Adrien Nonjon : « Rejetant les principes ethnicistes et centralisateurs des régimes nazis et fascistes, de même que les principes libéraux des démocraties et les principes collectivistes du communisme, il (Azov) entend recomposer l’État autour du principe de solidarité et d’une ‘Troisième voie’ où l’Ukraine ne s’inscrirait dans aucun bloc géopolitique existant ».

« (…) Si pour s’éloigner de l’orbite russe, des partis comme Svoboda se sont montrés favorables à une adhésion à l’OTAN et à une coopération accrue avec l’Occident – ce qui leur permet au passage de cultiver une certaine proximité avec des partis européens de droite dure comme le Rassemblement national au sein de l’Alliance européenne des mouvements nationaux –, les néo-nationalistes ukrainiens, eux, sont majoritairement partisans d’une ‘guerre perpétuelle’ contre la Fédération de Russie, pays perçu – tout comme l’Occident – comme le principal obstacle à la création d’un État-nation ukrainien pleinement consolidé et prédominant dans le monde slave... »

Alors qu’il y a quelques semaines encore, les Occidentaux s’efforçaient de ne pas armer directement Azov, il semble aujourd’hui qu’ils soient les premiers bénéficiaires des munitions et des entraînements des pays occidentaux : des photos sur le compte twitter de NEXTA montrent des combattants d’Azov en train d’apprendre à utiliser des munitions antichars NLAW de fabrication britannique par des formateurs flous.

Intermarium et Ligue prométhéenne

Cette stratégie régionale se déploie aujourd’hui autour de l’Union Baltique - Mer Noire (Intermarium), que la Pologne et Azov ne cessent de populariser.

Josef Pilsudski (1867-1935).

Le concept géopolitique d’une « Union de l’entre-mers » (de la Baltique jusqu’à la mer Noire) nous vient de l’homme d’État polonais Jozef Pilsudski, qui espérait la renaissance de l’État polonais sous une forme politique forte comparable à celle de la Communauté des États de Pologne et de Lituanie face aux Teutons en 1385. Cette association des deux pays fut renforcée davantage en 1569 par l’Union de Lublin, quand les deux états fusionnèrent en une fédération, la République des Deux Nations, le plus grand Etat d’Europe jusqu’à sa disparition en 1795.

Or, à la sortie de la Première guerre mondiale mais cette fois-ci face à la menace bolchévique, le maréchal Pilsudski tentera de ressusciter l’État polonais sous une forme moderne de l’ancienne République des deux Nations en travaillant au démembrement de l’Union Soviétique dans ses composantes ethniques. Les services secrets polonais établissent ainsi des contacts avec certains mouvements indépendantistes au sein des Républiques périphériques de l’URSS afin de susciter des processus d’édification et d’émancipation nationales. Le rêve du maréchal était de créer une fédération des pays indépendants, de la Finlande à la Géorgie, qu’une crainte commune inciterait à s’épauler mutuellement. Précisons que Pilsudski félicita Adolf Hitler lors de son triomphe en 1933. Et lors du décès de Pilsudski, le 12 mai 1935, Hitler, à Berlin, organisa une messe funéraire en son souvenir.

A la même période va naître la Ligue prométhéenne (Prometejska Liga), un réseau semi-clandestin qui envisageait la coopération entre un groupe de nations luttant contre l’Union soviétique. La Ligue prométhéenne avait ses racines idéologiques dans la stratégie géopolitique de longue date de Pilsudski, le « Prométhéanisme », c’est-à-dire l’idée, reprise ensuite par le milliardaire américain George Soros et ses fondations, que toute grande puissance s’effondrerait si ses minorités ethniques étaient fortement soutenues, tout comme le Prométhée grec, en contestant la dictature de Zeus, avait permis à l’humanité de sortir de l’ombre des dieux en lui donnant le feu. De nombreux exilés anti-soviétiques de plusieurs pays afflueront vers cette Ligue prométhéenne.

Dans The Intermarium : Wilson, Madison, & East Central European Federalism (2006), la thèse de doctorat du politologue et avocat membre du barreau de la Cour pénale internationale Jonathan Levy, on peut lire qu’à la fin de 1944, les renseignements occidentaux s’intéressent fortement au projet Intermarium :

Même alors que la guerre faisait encore rage et entrait dans sa phase finale, les officiers du MI6 avaient établi des contacts secrets avec des éléments profascistes parmi les groupes nationalistes d’Europe centrale et orientale. Les services de renseignement britanniques ont vu la valeur potentielle de leurs liens d’avant-guerre avec des organisations telles que la Ligue prométhéenne, Intermarium et l’OUN-B ukrainienne en montant à nouveau des opérations d’espionnage anti-soviétique. (….) C’est le MI6, le British Secret Intelligence Service, qui a redynamisé le mouvement fédéral d’Europe centrale et orientale en reconstituant les anciennes organisations clandestines d’avant-guerre parrainées par la Pologne : la Ligue prométhéenne et l’Intermarium sous la direction de ce qu’on appelait maintenant le Club fédéral européen.

Le Central European Federal Club (CEFC), qui s’est approprié le concept d’Intermarium, a été créé vers 1940 en Grande-Bretagne en tant que plate-forme pour les anticommunistes en exil et les partisans du fédéralisme d’Europe centrale et orientale, dont certains avaient des liens avec l’Intermarium d’avant-guerre. Le CEFC est devenu un réseau mondial, avec des bureaux à New York, Paris, Rome, Bruxelles, Chicago, Jérusalem et Beyrouth. Son président, l’ancien officier de l’armée tchèque collaborationniste en exil Lev Prchala (1892-1963) deviendra plus tard vice-président du Présidium du Conseil populaire du Bloc des nations anti-bolcheviques, qui succéda au CEFC.

La taille de cet Intermarium proposé va même s’étendre avec une entité n’allant pas seulement de la Baltique, à la mer Noire, mais également de l’Adriatique à la mer Égée.

Néocons américains et Polonais malin

Tout ça, me direz-vous, c’est de l’histoire ancienne. Eh ben, non, certaines idées, comme les chats, ont la vie longue… Comme le précisent les deux chercheurs Marlène Laruelle et Ellen Rivera, dans un long article publié par la revue Covert Action en 2019 :

Dans sa forme actuelle, l’Intermarium fait référence à la ‘nouvelle Europe’ centrale et orientale chère à George Bush, Donald Rumsfeld et maintenant Donald Trump, célébrée pour être plus pro-atlantiste que la ‘vieille Europe’ occidentale, jugée trop conciliante. avec la Russie. L’Intermarium est aussi devenu, progressivement, une Europe centrale et orientale conservatrice qui se considère comme ‘l’autre’ Europe, c’est-à-dire opposée à l’UE, et met en avant un agenda conservateur parfois perméable, comme on le voit dans le cas ukrainien, aux schémas idéologiques d’extrême droite.

(...) Alors que les débuts de l’histoire de l’Intermarium ont reçu peu d’attention de la part des universitaires, (...) encore moins d’attention académique a été accordée au renouveau du terme depuis les années 2000. Pourtant, il a été déployé par l’ancien commandant de l’US Army Europe (USAREUR) le général Ben Hodges pour décrire la stratégie américaine pour l’Europe centrale et orientale, avant d’être relancé à une échelle beaucoup plus large par le Parti polonais de la loi et de la justice ainsi que par les mouvements d’extrême droite ukrainiens dans le sillage de l’Euromaïdan.

L’analyste polonais Agnes Tycner.de l’Institute for World Politics (IWP) de Washington.

Le 23 décembre 2020, l’analyste polonais Agnes Tycner, sur le site du prestigieux Institute for World Politics (IWP) de Washington annonce sans ambages qu’un Intermarium du 21e siècle est à l’ordre du jour :

Le projet Intermarium, un projet géopolitique élaboré par Józef Pilsudski dans les années 1920, a refait surface et est devenu un sujet de débat en politique étrangère. Les institutions occidentales telles que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et l’Union européenne (UE) ne se sont pas révélées suffisantes pour protéger les "États intermédiaires non intégrés" tels que l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan contre les agressions russes. Recréer Intermarium au XXIe siècle pour qu’il corresponde aux besoins de sécurité d’aujourd’hui permettrait d’unir les pays d’Europe centrale et orientale pour qu’ils puissent rivaliser avec l’équilibre des forces russe et s’entraider sur le plan politique et économique. Toutefois, Intermarium n’aura aucune chance de réussir tant que tous les pays post-soviétiques ne travailleront pas ensemble et ne disposeront pas d’une menace mondiale commune qui les unira. En outre, Intermarium, en tant que front uni, aurait toujours besoin de l’aide de l’armée américaine pour faire face à Moscou. Si Intermarium au 21ème siècle devait réussir, il créerait l’union la plus forte en Europe de l’Est depuis le soulèvement national de 1989 consacré au renversement du communisme.

Or, comme nous l’avons montré, le projet Intermarium est, par hasard sans doute, au cœur des revendications d’Azov et de son parti politique Corps national, y compris avec le soutien de certains revanchards polonais qui pensent sans doute que leur heure est venue.

Comme le précise Nonjon :

Plus qu’établir un nouveau réseau d’alliances contre la Russie, les néo-nationalistes ukrainiens souhaitent, à travers l’idée d’Intermarium, raviver et réenraciner l’idée d’identité et de civilisation européennes. Autrefois périphérique à l’Europe et en marge du débat d’idées, l’extrême droite ukrainienne tente de devenir le nouveau point de convergence et de départ d’une révolution nationale paneuropéenne.

Olena Semenyaka, Paneurope et Reconquista

Olena Semenyaka, derrière ce visage angélique de la secrétaire internationale de la brigade Azov se cache une géopoliticienne endurcie et surtout une philosophe fascinée par la guerre perpétuelle et le luciférianisme aryen... Bientôt sur BFM ?

Une lecture attentive des compte-rendus des conférences Paneuropa sur le site Interregnum-Intermarium permettent de mieux saisir le référentiel mental de cette vaste nébuleuse.

Par exemple, la conférence Paneuropa, qui s’est tenue à Kiev le 15 octobre 2018, dans le cadre de la semaine paneuropéenne, au club Reconquista, sous l’égide du réseau européen Reconquista (un mot familier depuis les présidentielles françaises, non ?). [2]

La rencontre était animée par Olena Semenyaka. Née en 1987 et secrétaire internationale du parti politique crée par Azov, Corps national depuis 2018, elle est la figure de proue féminine du mouvement Azov. Gagnant en visibilité à mesure que le régiment d’Azov se transformait en un mouvement aux multiples facettes, Semenyaka est devenue une théoricienne nationaliste majeure en Ukraine et ses liens internationaux font d’elle un contributeur intellectuel majeur au nouveau paysage identitaire paneuropéen, à l’instar de « l’eurasiste » Alexandre Douguine, plus médiatisé en Russie, ou Steve Bannon aux États-Unis.

Un article très complet sur le site LaPhilosophie.fr dresse son profil :

Le géopoliticien russe Alexandre Douguine (à gauche), aujourd’hui partisan de l’intégration de l’Ukraine dans une Grande Russie, avant de tomber en désaccord avec elle, a joué un rôle majeur pour attirer l’attention sur Olena Semenyaka (à droite), aujourd’hui secrétaire internationale de la mouvance Azov. Ici une image du site de Douguine.

« Semenyaka est devenue populaire dans le mouvement traditionaliste duguinien grâce à son article ‘La révolution conservatrice en tant que modernisme mythologique’, publié dans le volume 4 de l’anthologie d’Alexandre Douguine, À la recherche du logo sombre. Elle a été invitée à prendre la parole à la conférence internationale Contre le monde post-moderne, qui a été organisée à l’Université d’État Lomonossov de Moscou (MSU) en 2011. (…) Ses fiançailles (?) ont mis définitivement fin à ses liens avec Douguine, qui s’est positionné à l’avant-garde des ambitions impériales russes en Crimée et en Novorossiya. Douguine a repris ses arguments anti-ukrainiens, qu’il a développés après la révolution orange dans sa quatrième théorie politique, où il considérait l’Ukraine comme une ‘nation inexistante’ ou un ‘accident de l’histoire’, condamnant ainsi la révolution de Maïdan et sa prétendue orientation par les forces atlantistes »

Douguine, présenté souvent, et à tort, comme la source d’inspiration des prétendus « appétits impériales » de Vladimir Poutine, pense avoir le vent en poupe avec l’opération russe en Ukraine. Le 29 mars, dans un entretien à Causeur, il expliquait sa vision géopolitique :

« Parce que ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine, c’est une guerre contre le globalisme, contre Bernard-Henri Lévy, contre George Soros, contre Joe Biden, contre l’atlantisme. Finalement, c’est Francis Fukuyama qui a vu juste, quand il a appelé son dernier article « la guerre de Poutine contre l’ordre libéral » [en anglais, ici]. C’est tout à fait juste ; c’est la guerre de Poutine et de la Russie contre l’ordre libéral mondial, contre la fin de l’histoire et contre l’Empire américain. »

Il est vrai qu’on a pu voir BHL se baladant à côté de Maxim Marchenko, commandant du bataillon Aidar, autre unité de volontaires ukrainiens (accusée de crimes de guerre par Amnesty International), quelques semaines plus tard, juste avant leur reddition à Marioupol, avec un des gradés de la 18e brigade d’Azovstal, parmi lesquels les irréductibles du régiment Azov.

Alexandre Gilbert, sur le site Times of Israël, décortique le référentiel intellectuel de Douguine :
« Douguine, théoricien du ‘grand espace’ russe plaide inlassablement pour l’annexion de l’Ukraine et pour une ‘guerre sacrée’ qui permettrait de reprendre l’ensemble des États (ex-« Républiques » d’URSS) qui ont accédé à l’indépendance après la chute de l’URSS. Douguine a synthétisé ce qu’il entend retenir de Carl Schmitt [le juriste du régime Nazi] dans un article de 1991 (…). La notion de ‘grand espace’ (Großraum) avait été élaborée par Schmitt dans ses écrits sur le droit international des années 1930 pour légitimer la reprise par voie armée de territoires germanophones, des Sudètes à l’Autriche, domaine du ‘rayonnement’ du Reich pour lequel l’invasion militaire ne saurait être qualifiée comme ‘agression’ et sur lequel régnerait un ‘interdit d’intervention extérieure’ telle que la Société des Nations avait justement commencé à en établir la possibilité en cas de ‘guerre d’agression’. Schmitt a consacré une grande énergie à dénigrer la notion même de ‘guerre d’agression’. L’arrière-plan de cette réflexion est un rejet du droit international ‘libéral-cosmopolitique’, d’inspiration kantienne, fondé sur l’idée de droit égal des peuples à l’auto-détermination et d’union (Bund) fédérale puis mondiale de Républiques s’entendant entre elles pour bannir la guerre comme moyen de règlement des conflits ».

En 2015, après avoir fait partie de Secteur Droit, Semenyaka, se réclamant d’Ernst Jünger et de la révolution conservatrice, d’après Philosophie.fr, « rejoint l’unité de la Garde nationale ukrainienne du régiment Azov afin de poursuivre ses activités. Cette décision n’était pas seulement un exemple d’opportunisme. Elle était plutôt motivée par une idéologie et des ambitions communes : la guerre est omniprésente dans le discours politique du mouvement Azov. S’appuyant sur l’idéal militaire d’auteurs conservateurs révolutionnaires allemands comme Ernst Jünger et Ernst von Salomon, la guerre est également une référence constante pour Semenyaka : la guerre justifie la nécessité de concevoir une nouvelle forme de société où les intérêts et la protection du peuple sont des priorités absolues ».

« Elle a ensuite porté l’aspect métapolitique de son engagement au niveau supérieur au sein du Plomin Club (Flame Club), fondé par quelques anciens de l’Université nationale de Kiev-Mohyla Academy. Dans cette nouvelle structure intellectuelle, elle cherche avant tout à présenter les penseurs européens d’extrême droite à la jeune garde nationaliste ukrainienne. Au sein de ce projet œcuménique, elle a joué un rôle actif de 2017 à 2019 dans la traduction et la publication en ukrainien de l’œuvre d’Ernst Jünger, Feu et sang, pour laquelle elle a écrit une préface. (…) De plus, pour le projet Reconquista-Pan Europa, elle a édité une collection de Reconquista Materials (2015-16) en anglais et a terminé une anthologie bilingue anglais-ukrainien du nationalisme européen, contenant des textes d’auteurs tels que Mircea Eliade, Hans Freyer, Julius Evola , et Arthur Moeller van den Bruck, ainsi que Dmytro Dontsov (1883-1973), le père du nationalisme autoritaire ukrainien contemporain ».

Olena adore les gros bras. Ici, en 2017, à Kiev, avec Björn Sigvald, le fondateur de la Misanthropic Division Schweiz, branche suisse du réseau néo-nazi ukrainien Misanthropic Division dans l’orbite d’Azov.

Pour y ajouter une pincée de modernisme, Semenyaka préconise une dose d’« ethno-futurisme » made in France :

« Inspiré par les théories ethniques de Lev Gumilev, Semenyaka pense que les groupes ethniques sont des organismes biosociaux qui peuvent être mutuellement symbiotiques ou exclusifs. Elle appelle à un ‘ethno-futurisme’ dans lequel les divisions nationales existantes de l’espace Baltique-mer Noire seront surmontées par des synergies ethno-régionales plus larges. En privilégiant la coopération plutôt que la compétition entre les peuples de l’Intermarium, l’ethno-futurisme cherche à éviter le piège de l’isolement géopolitique imposé à l’Europe de l’Est : une fois unifiée, la région mènerait une ‘quatrième révolution industrielle’ mêlant traditions européennes et nouvelles technologies. Cet ethno-futurisme est en fait un emprunt direct du penseur français de la Nouvelle Droite Guillaume Faye. Dans son ouvrage Archéofuturisme (1998), Faye affirme que le destin de la civilisation européenne doit passer par un retour des sociétés à des valeurs archaïques sans diaboliser la technologie, et qu’il doit coïncider avec la formation d’un grand bloc d’États indépendant paneuropéen appelé ‘Euro-Sibérie’ »

Olena Semenyaka (à gauche, en haut) faisant le salut hitlérien. Selon elle, la photo est véridique mais ce n’était qu’une fête "d’Halloween". En janvier 2021, la publication de cette photo sur les réseaux sociaux a remis en cause l’attribution initialement prévue de sa bourse à l’Institut des sciences humaines (IWM) de Vienne.

D’une photo d’elle faisant le salut hitlérien devant un drapeau nazi, elle dira que c’était une « photo d’Halloween »…

L’ancien journaliste de Vice, Alis Roussinos, qui s’est rendu à Kiev, a demandé en 2019 à Olena Semenyaka si Azov se voyait toujours comme un mouvement révolutionnaire. En réfléchissant bien, elle a répondu :

Nous sommes prêts pour différents scénarii. Si Zelensky est encore pire que [l’ex-président] Porochenko, s’il est le même type de populiste, mais sans certaines compétences, connexions et antécédents, alors, bien sûr, les Ukrainiens seraient fortement en danger. Et nous avons déjà élaboré un plan de ce qui peut être fait, comment nous pouvons développer des structures étatiques parallèles, comment nous pouvons personnaliser ces stratégies de pénétration pour sauver l’Etat ukrainien, si [Zelensky] devenait une marionnette du Kremlin, par exemple. Parce que c’est tout à fait possible.

Race supérieure et satanisme

Olena Semenyaka (à droite) se mettant en scène comme une déesse païenne dévorant de la viande crue...

Un militant nationaliste qui signe sous le pseudonyme Arkadi de Grave écrit sur son blog que suite aux échanges qu’il a pu avoir avec Olena Semenyaka et son mentor Andriy Voloshyn (qui devinrent plus tard responsables des relations internationales, la première au parti Corps National et le second à Svoboda), il s’est rendu compte « que ceux-ci considéraient les Russes comme une race métèque, de faux Slaves mêlés de sang Tatar, une sous-peuplade asiatique sans aucun intérêt. Eux, ukrainiens, se proclament seuls véritables russes (la Rous’ de Kiev), opposés aux ‘Hordes asiatiques du Kremlin’ (cf. interview de Semenyaka au Cercle Non Conforme) ».

Cette russophobie, dit-il, « est véritablement d’ordre spirituel, et même métaphysique. Il s’agit de combattre le ‘messianisme russe’ ainsi que le christianisme, religion accusée d’être ontologiquement anti-européenne de par ses origines sémites. C’est ainsi qu’au sein du plus important groupe russophobe de notre continent, c’est-à-dire le parlement ukrainien, se trouvent aujourd’hui des personnes appelant publiquement au retour du ‘satanisme’, seule ‘religion’ véritablement européenne selon elles ».

La musique Black Metal, l’autre arme de guerre d’Asov

Soirée organisée par Wotanjugend.
En 2018, Elena Semenyaka, sur son compte twitter, s’exhibe ici fièrement avec le néonazi Alexei Levkin (à droite) et Hendrik Möbus (à gauche), membre du groupe de NSBM allemand Absurd.

Au cours d’une interview du 7 janvier 2014 donnée au site internet musical Radix (aujourd’hui non-disponible), et titrée When the Gods hear the call – The conservative-revolutionary potential of Black Metal Art, Olena Semenyaka, responsable, rappelons-le des relations internationales au parti Corps National, soulignait que la musique Black Metal était le mouvement artistique européen le plus apte à illustrer les valeurs du Luciferianisme aryen et à faire revivre ‘the dark European past’.

Elle affirmait également que le christianisme est l’incarnation tangible du monde moderne, sa lutte à elle consistant à le détruire en faisant revivre les Dieux par l’intermédiaire d’une nouvelle Révolution Conservatrice basée sur la musique Black Metal.

Orientation confirmée par le site Philosophie.fr, qui affirme que Semenyaka « voit dans le ‘luciférianisme aryen’ un appel à une forme extrême de romantisme, de pouvoir et de violence marquée par des principes et un symbolisme néo-païens, même si elle préfère se référer au gnosticisme comme principe philosophique pour cette interprétation métaphysique du Black Metal. En prenant le satanisme comme norme élitiste, le concept de ‘luciférianisme aryen’ dans le black metal peut être détecté dans la philosophie de Semenyaka comme un sentiment métaphysique de l’unité de la liberté et du besoin présupposé en détail et en précision par le concept de volontarisme ethnique européen. »

Le néo-nazi russe Alexey Levkin avec Andriy Biletsky, grand patron d’Azov et de Corps National.
Affiche du groupe Heavy Metal Wotanjugend.

C’est dans cette perspective que s’explique l’enthousiasme d’Azov pour le groupe le groupe Wotanjugend, un groupe néo-nazi originaire de Russie actuellement basé à Kiev.

D’après l’enquête du site d’investigation Bellingcat, le visage du groupe ainsi qu’un de ses leaders est Alexey Levkin, un militant néo-nazi russe arrêté en 2006 pour double meurtre puis relâché quand les charges furent abandonnées. Il fut membre d’un gang néo-nazi responsable de la vandalisation de tombes musulmanes et juives, de plusieurs agressions et d’au moins quatre meurtres.

Le groupe est né de l’activité de Levkin au sein de la scène musicale néo-nazie russe comme chanteur du groupe de black metal néo-nazi M8L8TH (du russe molot pour marteau avec les “O” remplacés par deux 8 pour former Heil Hitler).

Wotanjugend est principalement actif dans l’organisation de concerts et la diffusion de propagande sur internet. Leur opposition au Kremlin les a mené à soutenir la révolution ukrainienne et, pour certains membres dont Alexey Levkin, à rejoindre différents bataillons d’extrême droite en Ukraine, dont Azov. Le mouvement quittera la Russie pour rejoindre l’Ukraine en 2014.

Wotanjugend est ouvertement néo-nazi et a organisé un évènement en mai 2019 à Kiev appelé Führernacht avec saluts nazis, drapeaux du Troisième Reich et portrait d’Adolf Hitler sur un autel.

Le site web du groupe Wotanjugend fait la promotion d’Adolf Hitler, de figures nazies, d’artistes néo-nazis et de terroristes d’extrême droite comme Timothy McVeigh et Anders Breivik qui sont appelés des « héros ».

Le groupe est également l’un des principaux promoteurs de la traduction russe du manifeste du terroriste malthusien de Christchurch [un suprémaciste blanc qui a assassiné 50 fidèles de deux mosquées de la ville de Christchurch en Nouvelle-Zélande, en mars 2019] et a partagé la vidéo de l’attentat sur sa page Telegram.

Thierry Decruzy, le 22 mai, sur le site Le Grand Soir note que

« Incapable de mobiliser sa population pour ’reconquérir’ le Donbass et la Crimée, le gouvernement ukrainien exploite les références nationales-socialistes pour recruter dans les pays occidentaux. Soutenu et financé par l’Europe, le gouvernement ukrainien subventionne un festival de musique NSBM (National Socialist Black Metal) à Kiev, sa capitale, alors que les groupes qui s’y produisent sont traqués dans le reste de l’Europe. Ce soutien public depuis bientôt sept ans ne semble pas inquiéter les gouvernements ni la Commission européenne, bien au contraire. Pourtant vigilants, ni Bernard-Henri Lévy ni Raphaël Glücksmann ne sont intervenus ; rien à l’AFP ni dans les sourcilleux médias ouest européens sur ce festival international dont la billetterie est accessible en ligne. Même Haaretz l’a dénoncé, car on y retrouve les groupes les plus extrêmes du courant NSBM. »

Levkin, auquel le site Bellingcat a consacré une longue enquête, est également proche d’Olena Semenyaka, la « secrétaire internationale » du Corps national en charge des relations d’Azov avec l’extrême droite d’autres pays et grande promotrice du projet Intermarium.

Reconquête

Réunion de Reconquista à Kiev.

Cette sataniste que l’on présente partout comme la « première dame » du nationalisme ukrainien, semble donc avoir réussi à orienter le nationalisme ukrainien vers une dimension régionale qui englobe à la fois l’Europe de l’Est et le continent au sens large, réactivant le vieux mythe géopolitique de l’Intermarium. Elle a également cherché à décloisonner le mouvement Azov, lui permettant de consolider des partenariats fructueux avec d’autres mouvements nationalistes européens grâce à des projets dont elle est le principal architecte, « Reconquista-Pan Europa » et le « Pacte d’acier ». Enfin, elle s’est attachée à tisser des liens politiques suffisamment larges pour que le mouvement Azov aille au-delà de la simple action militaire.

Le 15 octobre 2018, a la conférence internationale annuelle à Kiev, on a pu entendre des intervenants de nombreux pays, notamment d’Italie (Alberto Palladino du Casa Pound Italia - CPI), d’Allemagne (parti d’extrême droite NPD), de Norvège (Mouvement de Résistance Nordique), ainsi que des représentants des forces nationalistes ukrainiennes (Le Corps National, Svoboda, La Sitch Carpatique), rejoints par des invités de marque venus de Suède (le bodybuilder suprémaciste Marcus Follin) et des Etats-Unis (Greg Johnson, suprémaciste blanc de l’Altright américain opposé à Moscou). En outre, le Centre Russe de Kiev et les Grecs de ProPatria ont exprimé leur soutien aux initiatives et aux projets des nationalistes ukrainiens.

Pour les organisateurs, il s’agissait en premier lieu de « se réapproprier l’Europe en commençant avec le terme de Paneurope qui a été discrédité depuis des décennies par les multiculturalistes ‘paneuropéens’ dans le sillage du comte Coudenhove-Kalergi ». Précisons que Coudenhove-Kalergi fut un ami de De Gaulle qui voyait en la Paneurope un moyen de promouvoir, contre le fédéralisme promu par les Anglo-Américains, cette « Europe des Etats » qu’il entrevoyait et qu’il défendra avec le « Plan Fouchet ».

Ensuite, comme Olena Semenyaka l’a souligné, la « géostratégie de la Reconquista européenne », ce n’est pas d’intégrer l’UE actuelle, mais c’est de faire naître cet empire d’Europe centrale « Intermarium », conçu « comme une plateforme ou un tremplin en vue d’une intégration européenne alternative », c’est-à-dire purgée de ce qu’Azov juge comme une décadence culturelle et sociétale néfaste pour l’identité des peuples européens (plus précisément le multi-culturalisme, la créolisation, le métissage, le wokisme, la destruction des valeurs et de la famille classique, décadence des mœurs, mariage pour tous, etc.)

Réunion à Kiev.

Le compte-rendu de la conférence de 2018 poursuit :

« Au regard des crises en cours dans l’UE (terrorisme islamique radical, invasion migratoire, Brexit…), une telle opportunité [de réaliser l’Intermarium] est désormais prise en compte pas seulement par les participants à des événements comme Paneuropa, mais aussi par des représentants officiels de gouvernements d’Europe centrale et orientale. La nécessité objective d’une coopération dans le domaine de la défense entre les pays de la région après le déclenchement de la guerre hybride par la Russie [en Crimée] a rendu l’intégration par l’Intermarium tout à fait réaliste. D’ailleurs, la conjoncture géopolitique actuelle en Europe et dans le monde est plutôt favorable : le groupe des quatre de Visegrad (V4) et l’Initiative des trois Mers (3S), soutenue par le président américain Trump, pourraient, en tant qu’initiatives autonomes au sein de l’UE, constituer une base de départ pour le futur bloc souverain de l’Intermarium dans ses dimensions géopolitiques et militaires. A son tour, il pourrait devenir l’axe d’une intégration européenne alternative (une plateforme pour la Paneurope) ».

Dans des propos qui n’ont pas de quoi déplaire au résident de l’Elysée, les azofistes ont précisé en 2018 qu’il « est grand temps pour les forces nationalistes européennes qui considèrent sérieusement leur engagement pour les peuples de notre continent d’élaborer une stratégie pour restaurer la souveraineté de l’Europe en commençant par les capacités de défense, au lieu d’applaudir à une autre ‘victoire’ de Poutine sur l’Occident ».

Enfin, disent-ils, « dans la mesure où l’Europe a de plus grandes ambitions que de demeurer le satellite de maîtres changeants, il est grand temps de s’unir et de proclamer comme nos principes ‘L’Europe d’abord !’ et ‘Rendre à nouveau sa grandeur à l’Europe’ ».

Pologne et Vieux démons

Le très catholique gouvernement polonais semble bien déterminé à ouvrir cette boite de Pandore et à fouetter les vieux démons païens de la guerre qui en sortent.

Par exemple, le 13 décembre 2021, Semenyaka, la secrétaire internationale d’Azov, fut invité à prononcer un discours à l’Ambassade de Pologne à Kiev lors des commémorations du massacre de Katyn du printemps 1940…

Alors que la Russie est accusée de vouloir reconstruire l’empire soviétique, personne ne conteste les ambitions impériales d’une Pologne prête à prendre sa revanche.

D’ailleurs, à la lumière des ambitions géopolitiques polonaises, on peut s’interroger sur les vrais raisons de l’accueil extraordinaire dont ont pu bénéficier, contrairement aux Africains du Nord ou aux Afghans, les réfugiés ukrainiens (qui, comprenons-nous, méritent, comme tout autre réfugié, un accueil digne de ce nom)…

Stanislaw Zaryn, le porte-parole des services de sécurité polonais, a déclaré que la Russie menait depuis plusieurs jours une campagne de désinformation contre la Pologne, suggérant notamment que le pays pourrait représenter une menace pour l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Le 16 mars 2022, par la voix du vice-premier ministre polonais Jaroslaw Kaczynski, en visite à Kiev, la Pologne a proposé de déployer une mission de maintien de la paix en Ukraine. Cependant, lors d’une session spéciale de l’Alliance le 24 mars, les États membres de l’OTAN ont bien fait de ne pas soutenir cette initiative explosive.

La Pologne rêve de redessiner la carte des frontières des pays voisins, y compris, mais pas seulement, d’Ukraine.

Le gouvernement polonais, on s’en doute, a publié une déclaration qualifiant de désinformation du Kremlin les allégations selon lesquelles la Pologne aurait des revendications territoriales en Ukraine occidentale.

Pourtant, le 25 mars, la chaîne de télévision polonaise TVP1 n’a pas hésité à exhiber une étrange carte de l’Ukraine sur les écrans. On y voit une Ukraine fortement rapetissée avec tout le sud, y compris les régions d’Odessa, Mykolaïv, Kherson, Zaporozhye, Dnepropetrovsk et Kharkiv et le Donbass, attribué à la Russie ; la région de Tchernivtsi à la Roumanie, la Transcarpatie aux Hongrois et les régions de Lviv, Ivano-Frankivsk, Volyn, Rivne et Ternopil à la Pologne…

Marion Maréchal

En France, c’est à Lyon, que Marion Maréchal Le Pen a fondé en 2018 avec un conseiller régional RN, un établissement privé, l’Institut de sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP). Il s’agit de former les futurs dirigeants de « la vraie droite » et « mener la guerre des idées ». L’ISSEP a ouvert des bureaux à Madrid et conclut de nombreux partenariats à l’étranger, notamment avec l’Université d’État de Saint-Pétersbourg et l’Université Saint-Esprit de Kaslik au Liban.

En septembre 2021, Marion Maréchal (qui est en bonnes termes avec Daria, la fille d’Alexandre Douguine qui affirme que la guerre en Ukraine est un « choc de civilisations » mais qu’il est de notre devoir de l’amortir avec un dialogue des cultures...), était à Varsovie pour signer, en présence de plusieurs secrétaires d’État polonais, un partenariat international avec le Collegium Intermarium. En Pologne, cet organisme a obtenu un financement privé pour son lancement, il a derrière lui l’Institut pour la Culture du droit Ordo Iuris, une association d’avocats et juristes à sensibilité conservatrice soutenue par le gouvernement polonais.

Dans la charte de ses valeurs, le Collegium Intermarium précise : « À une époque où le sens de l’ordre, de l’objectif et du sens s’estompe, notre université a un point de référence fixe - les idées immuables de la Vérité, du Bien et de la Beauté. (…) Le Collegium rassemble les élites des pays de l’Intermarium, dont les nations ont été privées pendant des décennies de la possibilité de créer leurs propres institutions universitaires. Ce n’est pas seulement un lieu où l’on parle de la culture commune et de la diversité des traditions de notre région - mais surtout de la coopération scientifique, sociale et économique d’aujourd’hui et de demain. Notre université est également un havre pour tous ceux qui, dans leur quête de liberté et d’ordre, n’ont pas peur de se référer aux réalisations des générations précédentes, notamment aux fondements de notre civilisation - le droit romain, l’amour grec de la vérité et l’héritage vivant du christianisme ».

La Vérité, le Bien, la Beauté ! Ouf, on est sauvé ! Une étrange spiritualité, voir de spiritisme, semble donc unir, lors d’alliances de circonstance et selon les moments, des mouvances conservatrices qui n’adorent pas forcément les mêmes dieux... Pour les uns les valeurs chrétiennes sont le salut, pour les autres, l’ennemi à abattre.

En 2018, Steve Bannon, le stratège de Donald Trump, venu à l’époque rallumer la flamme du RN, avait déjà confié sans rougir qu’il voyait en Marion « une des personnes les plus impressionnantes au monde ».


[1Bien qu’Azov ait depuis atténué sa rhétorique et que nombre de ses combattants ne soient pas très ouvertement « idéologisés » et soient simplement attirés par sa réputation martiale, on peut souvent voir ses militants couverts de tatouages de Totenkopf SS [têtes de mort SS, parmi les principaux exécutants du génocide nazi] et de runes en forme d’éclairs [symboles nazis reprenant la graphie de l’alphabet dit runique], ou arborant le Sonnenrad ou le symbole du Soleil noir du nazisme ésotérique [symbole du mysticisme nazi composé de trois svastikas, créé par Karl Maria Wiligut, officier nazi d’origine autrichienne]. Dérivé d’un motif créé pour le château de Wewelsburg d’Himmler [en Westphalie], choisi comme un centre occulte pour les officiers supérieurs SS, le Sonnenrad est, comme la figure héraldique nazie Wolfsangel [crochet de loup] de la division SS Das Reich, l’un des symboles officiels d’Azov, arborés sur les écussons de leurs unités et sur les boucliers derrière lesquels leurs combattants défilent lors de cérémonies évocatrices aux flambeaux.

[2Toute blague à part, la référence d’Eric Zemmour nous semble pas la reconquête paienne prônée par Azov mais celle de la Reconquista espagnole, c’est-à-dire celle des Catholiques visant à dégager par la force militaire la présence et la culture arabo-musulmane de la peninsule ibérique.