Richard Black : l’Occident est en proie à une hystérie de guerre

mardi 31 mai 2022, par Tribune Libre

Présentation de Richard Black, ancien colonel des Marines américains, ancien chef du service pénal du Pentagone et ancien sénateur républicain d’État de la Virginie, lors de la visio-conférence de l’Institut Schiller du 26 mai 2022 réunissant des experts militaires et du renseignement, intitulée La folie des politiques menace de nous entraîner dans une guerre nucléaire.

Autres intervenants :

Source : Institut Schiller.

Tout d’abord, j’aime mon pays. J’ai combattu au Vietnam, j’ai risqué ma vie des centaines de fois ; j’ai donné mon sang pour lui. J’ai effectué 269 missions en hélicoptère sur le front, les tirs au sol ont touché quatre fois mon hélicoptère. Je me suis porté volontaire pour être contrôleur aérien avancé au sein du premier régiment de Marines, et j’ai effectué plus de 70 patrouilles de combat. J’ai été blessé, mes radiotéléphonistes ont été tués à mes cotés lors d’une mission visant à secourir un avant-poste encerclé.

J’ai servi 32 ans dans l’armée, d’abord comme pilote de marine, puis comme officier du JAG de l’armée. J’ai pris ma retraite en tant que chef de la division du droit pénal au Pentagone, où j’ai témoigné devant le Congrès, conseillé la commission sénatoriale des services armés sur des questions d’importance nationale et élaboré des décrets pour signature par le Président.

Ukraine

Cela dit, je suis catégoriquement opposé à notre guerre en Ukraine, une guerre qui a dangereusement échappé à tout contrôle. Après la chute de l’Union soviétique en 1991, l’OTAN a commencé à s’étendre agressivement vers l’Est, pour atteindre finalement l’Ukraine. En 2014, l’Ukraine avait besoin d’une aide financière, et la Russie et l’UE lui ont fait des propositions concurrentes. L’Ukraine a choisi le programme d’aide de la Russie, ce qui a déclenché une réaction immédiate. La CIA et le MI6 britannique ont organisé un violent coup d’État révolutionnaire qui a renversé le président légitimement élu d’Ukraine, Viktor Ianoukovitch. Malgré le fait que le russe soit la première langue de près d’un tiers des Ukrainiens, la junte révolutionnaire a rapidement supprimé la disposition constitutionnelle qui désignait le russe comme l’une des deux langues officielles d’Ukraine. Bien entendu, cela rendait plus difficile pour les russophones de mener leurs affaires quotidiennes.

La Crimée et le Donbass sont des régions russophones qui ont refusé de reconnaître comme gouvernement légitime d’Ukraine, la junte révolutionnaire hostile. Pendant quelque 500 ans, la Crimée a fait partie de la Russie ; seule une anomalie historique l’avait placée à l’intérieur des frontières de l’Ukraine. Les citoyens de Crimée ont déclaré leur indépendance, puis ont accueilli les troupes russes qui y sont entrées tranquillement. Les soldats ukrainiens sont ensuite partis pacifiquement, et la Russie a annexé la Crimée après que ses citoyens aient voté massivement pour reprendre leur relation avec la mère patrie. Les deux Républiques du Donbass ont déclaré leur indépendance et le gouvernement révolutionnaire d’Ukraine leur a fait la guerre en réponse. Plus de 14 000 personnes sont mortes dans cette guerre, et ce, avant les actions de la Russie en Ukraine.

Après le coup d’État de 2014, les États-Unis et l’OTAN ont inondé l’Ukraine d’armes et de conseillers, les aidant à se préparer à une guerre contre la Russie. L’OTAN a commencé à renforcer ses troupes à travers l’Europe de l’Est ; des Marines ont été stationnés en Norvège. On a commencé à parler d’armes nucléaires en Pologne. Le gouvernement allemand nouvellement élu a renouvelé son engagement à stationner des bombes nucléaires sur le sol allemand. Alors que les tensions montaient, la Russie a lancé des appels répétés à la paix, mais le piège avait été tendu par l’OTAN.

Fin 2021, l’Ukraine avait rassemblé plusieurs milliers de soldats en vue d’une attaque contre le Donbass, qui se trouve juste à la frontière russe. Le président Poutine a tenté désespérément d’éviter la guerre. En décembre 2021, il a présenté des propositions écrites spécifiques à l’OTAN, mais cette dernière était déterminée à faire la guerre et a rejeté ses propositions. Ainsi, avec des espoirs de paix anéantis, et face à une invasion imminente du Donbass, le président Poutine a ordonné une opération militaire spéciale en Ukraine.

Les troupes ukrainiennes étaient aguerries après huit ans de lutte contre le Donbass. Par contre, la Russie disposait d’une armée de temps de paix avec peu d’expérience au sol. Il est vrai que leurs équipages aériens étaient très expérimentés après avoir combattu en Syrie, mais leurs troupes au sol n’avaient joué qu’un faible rôle dans cette guerre, et peu de soldats russes avaient combattu dans la petite guerre en Géorgie ou en soutenant le Donbass. De plus, le retard occasionné par les ouvertures de paix désespérées faites par la Russie a eu pour conséquence que les attaques blindées ont été compliquées par le dégel du sol.

Pour aggraver ces inconvénients, les troupes russes ont attaqué en utilisant des règles d’engagement très strictes, conçues pour minimiser les pertes civiles et éviter les dommages matériels, en espérant que les Ukrainiens opposeraient peu de résistance et que l’opération serait très brève.

Cela s’est avéré être une erreur, et les Russes ont été surpris de se retrouver à combattre un ennemi très déterminé. S’adaptant à la réalité, la Russie a révisé sa stratégie pour faire face à la résistance acharnée de l’Ukraine avec beaucoup plus de force. Elle a recentré ses efforts sur la capture de la côte maritime et l’élimination de la menace ukrainienne dans le Donbass. La stratégie révisée a porté ses fruits ; la Russie vient de s’emparer de la ville portuaire clé de Marioupol, capturant ses 2500 défenseurs restants. Les forces ukrainiennes près du Donbass sont prises au piège, subissant des tirs d’artillerie dévastateurs qui détruisent des milliers de leurs meilleures troupes. Ces troupes ne peuvent pas facilement être remplacées.

Contrairement à la Russie, les États-Unis et l’OTAN étaient pleinement préparés à la guerre. La Russie a été submergée par un blitz médiatique mondial de propagande qui a généré beaucoup de haine contre les Russes. L’Occident est maintenant en proie à une hystérie de guerre. La haine est si intense que les handicapés russes, les personnes atteintes de paralysie cérébrale, les aveugles et les hommes en fauteuil roulant ont été interdits de participation aux Jeux paralympiques d’hiver.

Le président américain parle de parents qui donnent à leurs enfants des noms de missiles antichars Javelin. Depuis 2014, nous avons versé des milliards pour armer les soldats ukrainiens afin qu’ils tuent des Russes. Nous émettons maintenant un chèque gargantuesque de 40 milliards de dollars, assurant une escalade dramatique de cette guerre totalement inutile. Certains politiciens ont même commencé à préparer les Américains à une guerre nucléaire suicidaire.

Le sénateur américain républicain Roger Wicker a déclaré que nous pourrions envisager d’envoyer des troupes américaines en Ukraine, et qu’il n’excluait pas de lancer une attaque nucléaire surprise - une première frappe, en langage nucléaire. En d’autres termes, nous devrions envisager de lancer une attaque surprise de type Pearl Harbor, qui ferait pleuvoir des bombes nucléaires dans les rues de Moscou et de Saint-Pétersbourg, tuant des millions d’hommes, de femmes et d’enfants innocents.

L’administration Biden est devenue follement imprudente. Le DoD (le département de la Défense) a orchestré le naufrage du croiseur russe Moskva, navire amiral de la flotte de la mer Noire. L’OTAN a presque certainement contrôlé et tiré ces missiles, ce qui est évidemment un acte de guerre. Sommes-nous devenus fous ? Les États-Unis ont admis leur complicité dans le naufrage du navire, ainsi que leur conspiration dans l’assassinat d’une douzaine de généraux russes.

Que ferions-nous si la Russie exerçait des représailles ? Ils pourraient facilement couler un porte-avions américain avec des missiles hypersoniques contre lesquels il n’existe aucune défense efficace. Et s’ils commençaient à assassiner les généraux américains un par un ? On rapporte que le président Biden était furieux en apprenant les fuites qui révélaient la complicité des États-Unis dans le naufrage et l’assassinat de généraux russes. Mais peut-être devrait-il être moins préoccupé par les fuites et plus par les actes irréfléchis eux-mêmes. Même le New York Times devient inquiet ; il rapporte nerveusement que la guerre devient plus dangereuse pour l’Amérique.

C’est notre moment 1914 ; cette année fatidique où l’assassinat de l’archiduc d’Autriche-Hongrie a déclenché un enchevêtrement d’alliances militaires, plongeant le monde dans une guerre qui a tué 20 millions de personnes et préparé le terrain pour la Seconde Guerre mondiale, qui a tué 50 millions d’autres personnes par la suite.

Deux assassinats seulement ont déclenché cela. Nous avons déjà assassiné une douzaine de généraux, et coulé le navire amiral de la flotte russe. Le 13 mai 2022, Steny Hoyer, le chef de la majorité démocrate de la Chambre des représentants, a déclaré que nous étions désormais en guerre avec la Russie.

Lors de sa visite à Kiev en mai, la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi s’est engagée à faire la guerre « jusqu’à ce que la victoire soit remportée. » Le général à la retraite [Philip Mark] Breedlove [un général quatre étoiles de l’United States Air Force], ancien commandant suprême des forces alliées en Europe, et proche confident militaire de Biden, a proposé de débarquer des forces américaines et d’avancer dans les deux tiers de l’Ukraine jusqu’au fleuve Dniepr.

Le Royaume-Uni commence à envisager une action navale pour briser le blocus naval de la Russie en mer Noire. Un acte qui risque d’entraîner des représailles après le naufrage du navire amiral russe.

Le président Biden déclare que les troupes américaines ne combattront pas les Russes en Ukraine, car cela conduirait à la Troisième Guerre mondiale, mais en même temps, il signe un contrat de prêt-bail de 40 milliards de dollars qui rappelle celui que Franklin Roosevelt avait signé pour convaincre une nation réticente d’entrer dans la Deuxième Guerre mondiale.

L’apocalypse nucléaire

Il y a cependant une grande différence entre le monde de Franklin Roosevelt et le monde actuel de Biden. Car la Russie et les États-Unis sont les grandes superpuissances nucléaires du monde. À tout instant, chacune dispose de 1400 têtes nucléaires prêtes à être lancées. Même si nous lançons une attaque surprise massive contre la Russie, nous ne pourrons jamais détruire sa grande flotte de sous-marins nucléaires. Un grand nombre de ses missiles hypersoniques seraient lancés rapidement, et beaucoup d’autres bombes et missiles échapperaient aux attaques initiales. La Russie riposterait alors en transformant New York et Washington en verre radioactif. Peu de gens survivraient dans les grandes métropoles - Atlanta, Chicago, San Francisco, Detroit, Los Angeles. Oui, nous détruirions la Russie, et nous détruirions aussi la Chine. Mais ni l’Europe ni l’Asie ne seraient épargnées ; le Japon subirait un holocauste nucléaire qui ferait passer Hiroshima et Nagasaki pour des feux de brousse. Londres disparaîtrait de la Terre ; Paris, Bruxelles, Berlin et Rome périraient. Et pour quoi faire ? Pour enrichir les fils de politiciens corrompus qui s’en mettent plein les poches grâce à des délits d’initiés en bourse ? Pour la gloire d’un nouvel ordre mondial démoniaque ?

Henry Kissinger a appelé à des négociations de paix dans les deux mois, avant que la guerre ne crée des bouleversements impossibles à surmonter. Il nous met en garde de ne pas nous laisser emporter par l’humeur du moment.

L’ambassadeur [Gérald] Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis et à l’ONU, prévient : « Pour l’instant, nous sommes en train de marcher vers on ne sait où… ». Mais nous savons exactement où cela nous mène. Le déroulement de cette fantasmagorie laisse présager une guerre nucléaire et une vaste apocalypse.

Je vous remercie.