Géneral Leonardo Tricarico : l’OTAN viole sa propre charte

mardi 31 mai 2022, par Tribune Libre

Présentation du général Leonardo Tricarico (cr), ancien chef d’état-major de l’Armée de l’air italienne , lors de la visio-conférence de l’Institut Schiller du 26 mai 2022 réunissant des experts militaires et du renseignement, intitulée La folie des politiques menace de nous entraîner dans une guerre nucléaire.

Pour rappel : interrogé par la télévision nationale italienne La7, le 7 mai 2022, il avait déclaré que l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN ne feraient qu’accroître l’instabilité internationale. Le lendemain, avant l’annonce officielle de la Finlande, le général avait critiqué le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, pour sa déclaration selon laquelle ces adhésions stabiliseraient le flanc nord de l’Europe.

Autres intervenants :

Source : Institut Schiller.

Bonsoir à tous.

Permettez-moi d’avoir quelques doutes sur ce que j’ai entendu de la part de la fondatrice de l’Institut Schiller (Mme Helga Zepp-LaRouche). En particulier sur la partie concernant une confrontation nucléaire et les différentes doctrines à utiliser dans ce cas.

Je n’irai pas jusque là, mais je m’en tiendrai aux faits tels que nous les avons vus, tels que nous les vivons chaque jour, pour essayer de comprendre ce que nous pouvons faire pour arrêter cette guerre insensée.

C’est pourquoi, parmi les choses que Mme Zepp-LaRouche a évoqué, je voudrais parler d’une en particulier : les règles. Elle a parlé de certaines règles qui, selon elle, sont les piliers d’un éventuel système de sécurité mondial.

Or, je voudrais vous rappeler qu’une des caractéristiques de cette guerre est la rupture de toutes les règles, à commencer par la règle numéro 1, celle qui définit l’usage de la force.

Tous les militaires, surtout les militaires occidentaux comme moi, savent qu’il y a des règles dans la guerre. Ce sont les règles suivies par l’OTAN et dans tout dispositif militaire occidental. Ce sont les règles que la Russie a violées au cours de ces trois mois, et qu’elle avait déjà violées en Syrie, en utilisant la force de manière incontrôlée ou sans conditions. C’est la première règle, qui à mon avis, doit être rappelée et rétablie.

Et je ne sais pas quel type de pragmatisme est nécessaire pour rétablir les règles qui sauvegardent les vies humaines, surtout les innocents. Cela doit être la première ligne dans la planification d’une mission de bombardement.

La deuxième règle, et ce sont des règles que tout le monde devrait garder à l’esprit, ce sont des règles consolidées par des lois passées dans les pays qui se sont mis ensemble en 1949, et qui sont encore ensemble.

Le premier article de l’OTAN dit que les pays membres s’engagent à résoudre de manière pacifique toute controverse qui pourrait les impliquer. Je le répète, les pays membres s’engagent à résoudre de manière pacifique toute controverse qui les concerne.

Je vous demande donc à tous si un seul pays de l’OTAN a élevé la voix pour demander le respect de cette règle fondamentale ? Nous avons vu exactement le contraire. Il y a eu un élan général pour résoudre cette controverse par la force et à tout prix. C’est la première règle qui a été enfreinte et que nous devrons reprendre un jour, quand tout sera terminé. (...)

Passons à l’article 4 (de la charte de l’OTAN) qui stipule que chaque fois qu’un pays membre pense qu’il peut y avoir un danger pour sa sécurité ou celle de l’alliance, il peut solliciter une consultation entre les pays alliés. Cet article 4 n’a été invoqué par personne ; c’est même le contraire qui a été invoqué. Nous avons vu le secrétaire américain à la Défense réunir 40 pays à Ramstein (la principale base américaine en Allemagne), non pas pour consultation sur une attaque d’un pays ennemi comme la Russie, mais pour planifier une défense forte jusqu’à la dernière goutte de sang.

C’est ce qu’a fait le secrétaire américain à la Défense Austin, lorsqu’il a parlé « d’affaiblir » la Russie jusqu’à ce qu’elle ne représente plus aucun danger pour personne. C’est ce qu’il a dit. Voilà l’interprétation de l’article 4 du traité de l’OTAN par les États-Unis.

Passons ensuite à l’article 10 qui affirme que les pays membres peuvent inviter, mais par un vote unanime, d’autres pays à rejoindre l’OTAN. Si cela permet d’accroître la sécurité de la région de l’Atlantique Nord, c’est bien. Deux pays ont demandé à adhérer et il est évident pour tout le monde que cela n’apportera pas un renforcement de la sécurité, mais exactement le contraire : ce sera une plus grande déstabilisation d’une situation qui est déjà largement compromise. Et malgré cela, ils se précipitent pour accélérer cette entrée dans l’OTAN. Et ceci, pour ne citer que les principales règles.

Alors je vais conclure. Je n’utiliserai pas plus de temps de qui m’est imparti.

C’est une rupture des règles de comportement. Dans cette affaire, les États-Unis ont jeté le masque et ont abusé imprudemment de leur position majoritaire au sein de l’OTAN en donnant des ordres à tout le monde et en utilisant pour cela un mégaphone appelé Jens Stoltenberg (le secrétaire général de l’Alliance). Et ceci en contradiction directe avec les principes de l’OTAN qu’ils devraient respecter en tant que principaux acteurs.

Je conclurai donc en disant que le bon sens devrait à nouveau prévaloir.

Il n’est pas possible que les États-Unis n’aient parlé pour la première fois d’un cessez-le-feu qu’après la visite du [Premier ministre italien] Mario Draghi il y a quelques semaines. Il n’est pas possible qu’ils ne s’engagent pas à entamer une négociation. Seuls certains pays la promeuvent, certains pays dont la voix est faible, comme la Turquie, l’Italie, la France, et même Israël. Nous avons donc besoin d’un engagement sérieux, d’un engagement sérieux à retrouver la sagesse et le pragmatisme, parce qu’enfin, au lieu de jeter de l’huile sur le feu, comme tout le monde le fait dans ce battage belliciste, nous devrions retrouver la sagesse de promouvoir des négociations qui sont la seule façon de sortir de cette situation. Et je ne veux même pas penser au danger nucléaire.

Question d’un auditeur : Lors d’un entretien, vous critiquez la façon dont l’armée russe mène l’opération militaire en Ukraine, notamment la mauvaise performance de la marine et de l’armée de l’air. Cependant, j’ai également lu des analystes indépendants tels que Scott Ritter qui, tout en ne ménageant pas ses critiques à l’égard de la phase initiale des opérations russes due à des défaillances du renseignement, a fait valoir que si nous sommes habitués depuis 30 ans à voir l’armée américaine tout raser et aller voir ensuite qui est mort et quels sont les dégâts causés, nous sommes confrontés dans le cas présent à des objectifs très différents. La stratégie et les tactiques utilisées sont donc nécessairement différentes au point de paraître parfois erronées pour un observateur occidental. La Russie n’est-elle pas en train d’atteindre ses objectifs ?

La question de l’auditeur repose sur une hypothèse erronée. Je dis cela, parce que je parle, bien sûr, non pas de ce que j’ai lu dans des livres, ou de ce que j’ai entendu dire par quelqu’un, mais je parle de mon expérience directe. Je vais dire quelque chose qui n’est pas élégant. J’étais commandant adjoint de la coalition multinationale dans les conflits des Balkans en 1999. Nous avons mené 30.000 missions de bombardement avec un nombre de victimes estimé à 370-430 morts, en 78 jours de bombardement. Cela signifie donc que le critère d’utilisation de la force n’était pas de tout détruire, et donc nous n’avons pas tout détruit. Cela a été inventé par quelqu’un, je ne sais pas qui. L’auditeur a mentionné une autre personne que je ne connais pas, mais avec mon expérience, je peux dire que ce n’était pas le cas.

Par conséquent, nous devons prendre les acteurs actuels, les ennemis actuels, je ne sais pas comment, mais nous devons inventer quelque chose. Ils doivent utiliser la force selon les critères que tout le monde connaît bien, pour lesquels la sauvegarde de la vie humaine est le premier concept dans la planification des missions de guerre. C’est le message que, sur la base de mon expérience, de ce que j’ai vu et de ce que je crois, je me sens capable de formuler avec force envers ceux qui ont le pouvoir de décision.

Je confirme que les Russes mènent une bataille à l’ancienne d’un point de vue conceptuel. D’un point de vue technique, c’est comme si 30 ans ne s’étaient pas écoulés et la technologie militaire n’avait pas fait un grand bond en avant.

Quelle est votre opinion sur le rôle du déploiement par les États-Unis de missiles Jupiter en Italie et en Turquie dans le déclenchement de la crise des missiles de Cuba ?

Nous parlons d’une époque où nous avions des équilibres. Il y avait certainement un danger de déstabiliser ces équilibres, mais nous avions un mécanisme de compensation qui a très bien fonctionné, si bien qu’il n’y a eu que cette circonstance dans laquelle nous nous sommes trouvés au bord de l’abîme.

Mais par la suite, cet « équilibre de la terreur » est devenu au contraire un instrument de déstabilisation, comme cela se produit aujourd’hui.

Par conséquent, que devons-nous faire ? Nous devons mettre fin à cette escalade. Il n’y a pas d’autre moyen que la négociation. Et il est naturel que nous devons renforcer nos défenses, c’est indiscutable. De ce point de vue, nous avons en Occident un devoir impératif, un engagement que nous devons prendre en raison de la menace des missiles, mais nous devons atteindre cet équilibre, comme d’autres pays l’ont fait, peut-être mieux que nous.

Et aussi parce que la présidente de l’Institut Schiller a évoqué cette famille missiles que nous avons vus présentés par Poutine, dont nous espérons qu’elle ne sera jamais utilisée, surtout avec des ogives létales.