Conférence au Dialogue franco-russe

Jacques Baud et Guy Mettan : le conflit en Ukraine, c’est l’arbre qui cache la forêt

mercredi 18 mai 2022, par Christine Bierre

La Guerre en Ukraine provoquera-t-elle la rupture définitive entre Russie et l’Occident ?, c’était le sujet de la passionnante conférence-débat organisée par l’association Dialogue franco-russe à Paris, le 17 mai, avec deux conférenciers suisses de premier plan : le journaliste et écrivain suisse Guy Mettan et l’ancien colonel de l’armée suisse, spécialiste du renseignement et du terrorisme, Jacques Baud, connu pour sa fine connaissance du conflit ukrainien et auteur de Poutine maître du jeu ? (voir ici son analyse du 15 mars)

En attendant une transcription plus complète d’un débat très riche, voici quelques questions évoquées par les orateurs.

Si pour Guy Mettan, qui se veut « pessimiste », la rupture sera, en effet, définitive, car elle se double d’un conflit des civilisations et des mondialisations l’une unipolaire et néolibérale, l’autre multipolaire – pour Jacques Baud, elle ne le sera pas. L’ancien colonel de l’armée suisse se déclare plutôt d’un optimisme tempéré, rappelant que « dans l’histoire, rien n’est définitif ».

Guy Mettan a mis en lumière l’émergence, dans ce conflit, d’une nouvelle forme de guerre dite « illimitée », théorisée à l’origine par des stratèges chinois.

Non seulement elle fait appel à tous les domaines, civils et militaires – cyber, économique, communication, espace – mais c’est aussi une guerre illimitée dans le temps, un conflit où il se pourrait qu’il n’y ait ni véritable gagnant, ni perdant, comme au Donbass.

Jacques Baud est revenu sur les causes historiques d’un conflit qu’il a suivi de près, éclairant des coins d’ombre pour faire apparaître un autre récit des faits.

L’Ukraine n’est que la partie visible de l’iceberg, dont la partie immergée montre que c’est une guerre, non pas de l’Occident mais des Etats-Unis contre la Russie en Europe.

Les causes sont à trouver dans la perception erronée des Américains d’avoir remporté la Guerre froide suite à la chute du Mur, alors que l’URSS s’est effondrée d’elle-même. Dopés par leur « victoire » en Irak, ils ont adopté la « doctrine Wolfowitz » selon laquelle les Etats-Unis ont pour « mission » d’imposer leur hégémonie au monde. [1]

Cette guerre a été entièrement préparée par les États-Unis, affirme Jacques Baud, revenant sur le plan d’action élaboré par la Rand corporation en 2019, dont l’objet était d’attirer la Russie dans le piège ukrainien, un plan si proche de la réalité qu’un conseiller ukrainien expliquait dans une interview en mars 2019, que le seul prix à payer pour assurer le succès d’un tel plan serait de « créer une guerre contre la Russie en 2021- 2022 ».

Il a aussi évoqué d’autres facteurs clés dans ce conflit, notamment le rôle de la « Nouvelle Europe » [2], théorisée par Rumsfeld, et de pays comme la Pologne et les pays Baltes, dont la russophobie a contribué à changer les rapports de force sur le continent en faveur de l’OTAN.

Cette russophobie s’est mise en phase avec celle des petits-fils d’immigrés d’Europe de l’Est, en charge de ces dossiers au département d’État américain, tels que l’actuel secrétaire d’Etat Anthony Blinken, dont le père et le beau-père étaient respectivement hongrois et polonais, et Victoria Nuland, dont les parents étaient d’origine ukrainienne.

Si Jacques Baud est plus optimiste, c’est aussi qu’il pense que le déclin des Etats-Unis est bien réel, et que cette réalité finira bien par s’imposer dans le monde. Plus réservé, Guy Mettan craint pour sa part que, comme avec la République romaine, ce déclin ne nous conduise à la phase impériale de cette nouvelle Rome...

Suivre l’intégrale de la soirée à paraître sur le site de l’Association Dialogue franco-russe.


[1En 2001, notre confrère Alerte Strategique expliquait : « La doctrine Wolfowitz est la composante militaro-stratégique d’une trilogie politique comprenant la doctrine Thornburgh dans le domaine du droit international, et la doctrine Webster pour ce qui concerne les opérations de renseignement. La première affirme que la loi américaine se situe au-dessus du droit international quand les intérêts vitaux, ou prétendus tels, des Etats-Unis sont en jeu, alors que la deuxième considère les alliés politiques et militaires des Etats-Unis comme des ’concurrents économiques’, et autorise des opérations de renseignement-espionnage contre le Japon, l’Allemagne, la France et d’autres pays industriels. »

[2En opposition avec la « Vieille Europe » d’alors, c’est-à-dire la France et l’Allemagne qui s’opposaient à l’invasion de l’Irak.