Dr Georges Koo : Washington et Londres veulent faire perdurer la guerre en Ukraine

jeudi 7 avril 2022

Chronique stratégique du 7 avril 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Dr George Koo

Le Dr George Koo, un consultant en affaires à la retraite, américain et d’origine chinoise, a publié le 4 avril une longue tribune dans laquelle il met en garde contre les répercussions gravissimes, économiques, monétaires et géostratégiques, que risquent d’entraîner la guerre en Ukraine et surtout les sanctions imposées par les Occidentaux à la Russie. Nous vous en apportons ici l’essentiel.

Le Dr Koo a été pendant 30 ans conseiller en affaires internationales pour des entreprises de haute technologie basées aux États-Unis, en Chine, au Japon ou à Taïwan. Il a fondé et dirigé l’International Strategic Alliances, a été membre du conseil d’administration de Las Vegas Sands et de New America Media ; il intervient fréquemment dans divers forums publics sur la Chine et les relations bilatérales entre les États-Unis et la Chine, et écrit régulièrement pour le Asia Times.

Il sera l’un des nombreux orateurs de la grande visioconférence internationale de l’Institut Schiller, qui aura lieu ce samedi 9 avril à partir de 15h, avec pour thème « Établir une nouvelle architecture de sécurité et de développement pour toutes les nations » (s’inscrire ICI).

Prolonger le conflit

Dans sa tribune, publiée dans le média en ligne Asia Times, le Dr Koo souligne l’intention manifeste des États-Unis et de la Grande-Bretagne de prolonger le plus possible le conflit, en fournissant davantage d’armes aux Ukrainiens et en imposant davantage de sanctions à la Russie.

Il est de plus en plus évident que la guerre a été provoquée par les États-Unis et que les États-Unis ont tout intérêt à maintenir le conflit, écrit-il.

En causant ainsi des souffrances parmi la population russe, les va-t-en-guerre anglais et américains se bercent de l’illusion de susciter une révolte qui conduirait, pensent-ils, au renversement du gouvernement de Vladimir Poutine. Mais, plutôt que de retourner le peuple contre ses dirigeants, « la cause extérieure de la douleur peut devenir un centre de ralliement pour son chef et tourner le ressentiment vers l’agresseur », souligne Koo.

De plus, pour que les sanctions soient réellement efficaces et dissuasives, il faudrait qu’elles aient un soutien universel ; or, de nombreux pays refusent de s’y prêter. Le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud ont choisi de ménager la Russie en tant que membres des BRICS. Au total, 140 membres des Nations Unies n’ont pas cautionné les sanctions.

En d’autres termes, plus de la moitié de la population mondiale ne se joint pas aux sanctions contre la Russie.

Des conséquences économiques désastreuses

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Cependant, les répercussions des sanctions vont devenir chaque jour plus dévastatrices pour le système économique et monétaire – en particulier pour le dollar. Car « avec le pétrole et le gaz naturel, la Russie est un important fournisseur de blé et d’autres produits agricoles et d’engrais, rappelle Koo. L’interdiction de la Russie de participer au marché mondial créera des pénuries et une forte inflation des prix . (…) L’Union européenne dépend de la Russie pour 40% de son gaz naturel et 27% de son pétrole. L’Allemagne est particulièrement dépendante de la Russie en tant que principal fournisseur d’énergie. On peut se demander combien de temps l’UE va se tortiller sous la politique étrangère unilatérale des États-Unis ».

« L’inflation galopante entraînera des troubles civils et déchirera l’alliance européenne », poursuit-il, soulignant que cet état de choses conviendrait à la conception, en vogue à Washington, selon laquelle il faut éliminer l’Union européenne en tant que rivale afin de regagner la domination mondiale.

De plus, compte tenu du lien entre la monnaie russe et les actifs réels, les sanctions vont pousser le monde à faire un choix entre le rouble et le dollar. « Apparemment, la confiance dans le rouble a été rapidement rétablie, car le taux de change par rapport au dollar a rebondi à un niveau proche de celui d’avant-guerre », écrit George Koo. L’expert cite l’exemple de l’Inde qui, doutant de plus en plus de la fiabilité des engagements américain, s’est même détournée de l’offre du Japon (en tant que mandataire des États-Unis) d’un investissement de 43 milliards de dollars sur une période de cinq ans, et a refusé de se joindre aux sanctions. « Au lieu de cela, Modi négocie un accord roupie contre roubles pour le pétrole russe ».

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Déjà, avant la guerre en Ukraine, la Russie avait conclu un accord pour fournir du gaz naturel et du pétrole à la Chine sur la base du renminbi (autre nom du yuan, la devise chinoise). L’Arabie saoudite a également couvert et accepté de vendre du pétrole à la Chine moyennant le paiement en yuan au lieu du dollar, écrit Koo.

Dans un premier temps, la valeur du rouble s’est effondrée suite au lancement des sanctions contre la Russie. Puis le président Poutine a annoncé qu’il n’accepterait les paiements qu’en roubles pour la vente de gaz naturel et de pétrole russes à des pays « hostiles », et le rouble s’est stabilisé, puis a retrouvé son niveau d’avant guerre.

Le public américain n’est peut-être pas encore pleinement conscient que le seul contrecoup consécutif est une perte de confiance mondiale dans le dollar, une monnaie qui n’est pas rattachée à l’or ou à un actif réel et la conviction que les États-Unis restent un endroit sûr pour y placer son argent.

La politique étrangère américaine en échec

Le fait est que le plan américain visant à détacher puis retourner la Chine contre la Russie a totalement échoué. Koo écrit : « [Le secrétaire d’État Antony Blinken] a dû supposer que les Chinois étaient trop stupides pour comprendre qu’après l’effondrement de la Russie, la Chine serait la prochaine cible dans le viseur de l’Oncle Sam ».

Si les États-Unis ne parviennent pas à ramener la Russie à l’âge de pierre, alors que fera Biden de la Chine ? demande-t-il. Premièrement, les États-Unis peuvent continuer à faire pression sur la Chine avec la menace de sanctions. Cependant, si les sanctions n’amènent pas la Russie à se plier à la volonté de l’Amérique, la Chine est encore moins susceptible de se sentir intimidée.

George Koo rappelle que depuis la crise financière de 2008, face à la fragilité de plus en plus manifeste du dollar, la Chine a commencé à conclure des accords d’échange de devises avec d’autres pays. Ainsi, elle a conclu des accords de swap – qui permettent à deux partenaires commerciaux de se payer mutuellement dans leur propre devise et de ne pas avoir à régler en dollars — avec une quarantaine de pays.

Les États-Unis ont tenté en vain de contrecarrer cette dynamique en imposant des sanctions à la Chine, sous le prétexte du supposé mauvais traitement infligé aux Ouïghours. L’administration Biden a interdit l’importation de coton du Xinjiang. En réponse, la Chine a exigé que tous les masques faciaux destinés à l’exportation soient fabriqués avec du coton du Xinjiang. Puis Biden a également interdit l’importation de tout produit fabriqué au Xinjiang. Ce à quoi la Chine a répondu en consolidant toutes ses sociétés minières de terres rares en une seule holding et l’a enregistrée au Xinjiang.

Les États-Unis peuvent probablement se passer des masques de la Chine, mais ils auront beaucoup plus de difficultés à se passer de ses métaux et terres rares, souligne Koo.

« Deuxièmement, le niveau de compétence de l’équipe de diplomates de Biden n’est pas à la hauteur de la Chine », poursuit-il, soulignant le manque de subtilité et d’imagination de Blinken et de ses équipes, qui ne savent user que d’arrogance et d’intimidation. « Les diplomates chinois ne menacent pas d’action militaire ou de sanctions. Ils offrent une collaboration dans l’esprit de leur initiative Ceinture et Route (Belt and Road) ».

Après l’Ukraine, Taïwan ?

Face à ces échecs de la politique étrangère américaine, l’administration Biden pourrait-elle en venir à reproduire à Taïwan le scénario ukrainien ?

De nombreux spécialistes, y compris dans les médias grand public, ont suggéré que pousser la Russie à envahir l’Ukraine était une répétition générale pour faire de même avec la Chine, à savoir amener la Chine à envahir Taïwan, écrit Koo.

Plusieurs hauts responsables américain, tel que l’ancien secrétaire d’État américain Mike Pompeo, suggèrent de reconnaître officiellement Taiwan en tant que nation indépendante et souveraine, de façon à entraîner la Chine dans la guerre. « Une telle déclaration reviendrait à ignorer le principe d’une seule Chine selon lequel Taïwan fait partie de la Chine, et donc à violer la souveraineté de la Chine ainsi que le droit international. (…) Certes, un tel soutien ouvert à l’indépendance de Taïwan augmenterait la tension entre les États-Unis et la Chine d’un ordre de grandeur. Mais pour allumer l’étincelle du conflit, Washington devrait persuader Taipei de lancer l’hostilité militaire ».

Or, comme l’ont montré de récents sondages, seul un tiers des Taïwanais fait confiance aux États-Unis pour les soutenir en cas de conflit. Soit une baisse de près de la moitié par rapport à une enquête réalisée six mois plus tôt. Une personne sur six pense que l’île sera laissée à elle-même. « Difficile d’imaginer que les Taïwanais voudraient voir leur île se transformer en une autre Ukraine ».

Le public américain doit se réveiller en réalisant pleinement que le troisième contrecoup consécutif est la volonté des dirigeants politiques de Washington de risquer une guerre nucléaire afin d’affirmer une supériorité hégémonique sur la Chine et le monde, conclut Koo. Les Chinois ont un dicton : « hui tou shi an », qui signifie ’Regarder vers le rivage’. Afin de ramener l’Amérique dans la voie de la paix, les électeurs américains doivent être attentifs au danger auquel le monde est confronté et exercer leur droit de voter contre les fripons — c’est-à-dire tous, quelle que soit leur affiliation politique, tant qu’ils aspirent à la guerre.

 
 

Nous vous encourageons, chers lecteurs, à signer et à faire circuler l’appel de l’Institut Schiller à convoquer une conférence internationale afin d’établir une nouvelle architecture de sécurité et de développement pour toutes les nations, et de participer à la visioconférence internationale qu’il tiendra samedi 9 avril avec de nombreux orateurs de qualité (cliquez sur l’image ci-contre).

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