Navalny : un excellent produit de la cuisine londonienne

jeudi 11 février 2021

Chronique stratégique du 11 février 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Alors que s’ouvre au Sénat américain le second procès pour destitution de Donald Trump, l’affaire Navalny prend des dimensions de crise diplomatique internationale. Ces deux développements, ainsi que la propagande contre la Chine, montrent que Londres et ses alliés à Washington sont déterminés à entraîner les Etats-Unis dans une logique de guerre civile à l’intérieur et de changements de régime à Moscou et Beijing.

Quelques jours après la condamnation de Navalny à près de trois ans de prison, l’Allemagne, la Suède et la Pologne ont expulsé le 8 février plusieurs diplomates russes, en représailles contre des mesures similaires prises auparavant par le Kremlin contre des diplomates européens ayant participé aux manifestations en faveur de du « dissident » russe.

Il faut dire que les dirigeants occidentaux n’ont désormais plus aucun scrupule à s’afficher ouvertement aux côtés des opposants intérieurs de Vladimir Poutine.

En effet, dans un effort sans précédent, une réunion par visioconférence s’est tenue lundi, à l’initiative de la Mission polonaise à Bruxelles, avec les pays membres de l’UE, auxquels se sont joints des représentants du Royaume-Uni, des Etats-Unis, du Canada et de l’Ukraine, avec l’ancien banquier Vladimir Ashurkov et l’informaticien Leonid Volkov, deux membres de l’équipe d’Alexey Navalny. Il s’agissait de se concerter sur une réponse conjointe à la condamnation et à l’incarcération de l’opposant et aux expulsions des diplomates européens.

Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, a dénoncé ce qui constitue selon elle une réunion des pays de l’Otan donnant des instructions à des « agents d’influence » pour conduire des activités de subversion contre le gouvernement russe. « Voilà comment agissent nos soi-disant partenaires occidentaux, poursuivant ainsi leur offensive absolument illégale, injustifiée et agressive contre nous », a-t-elle déploré.

Navalny, agent d’influence britannique

Il est intéressant de savoir que Vladimir Ashurkov, qui dénonce le pouvoir autocratique de Vladimir Poutine est en contact avec l’oligarque russe installé à Londres, Mikhail Khodorkovsky, d’après le quotidien allemand NZZ. Comme Navalny, Khodorkovsky se prépare à prendre la place de Poutine, dès que son régime « s’effondrera », précise le journal.

Cependant, quand une histoire d’opposant russe tourne à la crise diplomatique internationale, menaçant d’entraîner le monde à la guerre, c’est que les services secrets britanniques rodent dans les parages.

Cela n’est plus un secret pour personne. La semaine dernière, la télévision russe RT a diffusé une vidéo datant de 2012, dans laquelle le même Ashurkov, aujourd’hui à la tête de l’organisation « anti-corruption » de Navalny (FBK), apparaît en pleine discussion, dans un café moscovite, avec un responsable de l’ambassade britannique à Moscou, le dénommé James William Thomas Ford. Ashurkov y supplie Ford de sortir le chéquier : « Si nous avions plus d’argent, nous pourrions élargir notre équipe, bien sûr. (…) 10 ou 20 millions de dollars feraient toute la différence ; et ce n’est pas beaucoup pour des gens qui ont des milliards en jeu ». Selon les services de renseignement russes (FSB), Ford serait un agent du Mi6, ce qui semble tout à fait plausible, étant donné sa promiscuité avec Richard Moore, l’actuel chef du service secret britannique — de 2015 à 2019, Ford travaillait en effet à l’ambassade d’Ankara, où Moore occupait le poste d’ambassadeur.

On nous dit souvent qu’il s’agit exclusivement d’une histoire interne [à la Russie] et qu’aucune force étrangère ne la dirige, mais nous pouvons voir désormais qu’il s’agit d’un nouveau mensonge, a déclaré Maria Zakharova dans une interview à l’agence de presse Tass.

Le plus grave est que dans son échange avec Ford, Ashurkov explique que la FBK pourrait utiliser les informations fournies par le gouvernement britannique, en particulier le Serious Fraud Office (SFO), afin de mener ses opérations de propagande. Il évoque notamment la publication d’un rapport sur la banque russe VTB, écrit en collaboration avec la Henry Jackson Society (HJS) de Londres. Rappelons que la HJS, un think tank néoconservateur anglo-américain co-fondé par l’ancien chef du Mi6 Lord Richard Dearlove, a été au cœur de la campagne du « Russiagate » menée pendant quatre ans contre la présidence Trump…

Ce qui est le plus déconcertant, abominable, et même impossible du point de vue de la mentalité occidentale, c’est que [Ashurkov et Ford] parlaient d’une agression directe contre les banques russes, a déclaré Zakharova. Imaginez ce que cela signifie de diffuser des documents diffamatoires sur les banques russes ? Au profit des banques britanniques et du système britanniques ?

L’affaire Navalny est une fabrication sur toute la ligne. Le documentaire « Un palais pour Poutine », qui visait à monter la population russe contre un président vivant dans l’opulence, a bénéficié d’une diffusion médiatique internationale, au mépris de tout discernement journalistique. Il a en effet été facilement démontré que le véritable propriétaire de la villa en question était en réalité l’homme d’affaire russe Arkady Rotenberg, que les lieux étaient en travaux depuis des années si bien que personne n’y habite, et que Poutine n’y a jamais mis les pieds.

Cette opération de renseignement typique vise à créer un environnement dans lequel une opposition interne émerge contre Poutine. Et le fait qu’elle accélère aujourd’hui, en parallèle des velléités de « changement de régime » à Beijing récemment exprimées par l’Atlantic Council (lire notre chronique du 9 février), et du procès en destitution contre Trump, en dit long sur la détermination des forces politiques et financières au pouvoir à maintenir à tout prix leur système – quitte à prendre le risque de s’exposer en pleine lumière…

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