Affaire Navalny : Cui bono ?

mardi 8 septembre 2020

Chronique stratégique du 8 septembre 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Énième scénario d’empoisonnement par les méchants russes, l’affaire Navalny est jouée par les milieux atlantistes pour envenimer davantage les relations Est-Ouest, dans le contexte des négociations entre la Russie et les États-Unis pour un nouveau traité de contrôle des armements nucléaires.

Deux ans et demi après l’affaire Skripal, l’histoire de l’empoisonnement russe se répète, aidée de nouveau par les politiciens européens opportunistes, qui mettent plus de zèle à voler au secours d’un « dissident russe » que d’un résistant à l’impérialisme anglo-américain tel que Julian Assange, et par des scribouillards de la presse atlantiste, pour qui le « journalisme d’investigation » n’est plus qu’un lointain souvenir.

Le 20 août, suite à un malaise survenu dans l’avion qui le conduisait de Tomsk, en Sibérie, à Moscou, l’opposant russe Alexeï Navalny a été hospitalisé à Omsk. Plongé dans le coma et mis sous respiration artificielle, il a été soumis à des tests, et les médecins de l’hôpital ont affirmé qu’il souffrait d’un déséquilibre métabolique provoqué par une forte carence en sucre.

Deux jours plus tard, à la demande de sa famille, Navalny a été transféré de Omsk en Allemagne, où il a été admis à l’hôpital de la Charité de Berlin. Contredisant les analyses de leurs homologues russes, les médecins allemands ont affirmé avoir détecté la présence d’inhibiteurs de cholinestérase. Immédiatement, les médias américains en ont conclu que l’opposant russe avait été empoisonné, et la machine médiatique s’est mise en branle dans le monde entier pour désigner Vladimir Poutine comme le coupable évident.

Enfin, le 3 septembre, une couche supplémentaire a été ajoutée lorsqu’un laboratoire spécial de la Bundeswehr (l’armée allemande), après consultation avec le laboratoire britannique de Porton Down – qui avait joué un rôle suspicieux dans l’affaire Skripal –, a déclaré que des « preuves sans équivoque » suggèrent que Navalny avait été empoisonné au moyen de l’agent neurotoxique Novitchok.

Présence d’agents géopolito-toxiques

Pour Leonid Rink, l’un des créateurs du Novitchok, l’affirmation des Allemands sur l’empoisonnement par cette substance est « une absurdité politique totale ». Les symptômes présentés par Alexeï Navalny n’ont selon lui rien à voir avec le poison, et si tel était le cas, « il serait depuis longtemps au cimetière », a-t-il affirmé à Sputniknews.

Cependant, si l’on peut légitimement douter de la présence de l’agent neurotoxique, celle d’agents géopolitico-toxiques est avérée. En effet, le transfert de Navalny de Omsk à Berlin a été organisé et financé par une ONG allemande, la Cinema for Peace Foundation, qui a réussi en quelques heures à mobiliser des fonds privés pour affréter un avion médicalisé de Nuremberg vers Omsk, comme le rapporte Le Parisien. Fondée et dirigée par Jaka Bizilj, un producteur d’origine slovène, cette ONG compte parmi les membres de son Comité international des personnalités telles que Gary Kasparov, les frères ukrainiens Klitschko (dont Vitali fut l’un des leaders du coup d’État de 2014 à Kiev), ou encore l’ancien ministre allemand Joschka Fischer, connu pour son allégeance au parti atlantiste.

De son côté, la chancelière Angela Merkel, qui a bien compris l’enjeu géopolitique de l’affaire, a immédiatement porté le sujet au niveau de l’UE et de l’OTAN ; et plusieurs personnes autour d’elle, comme le faucon de la CDU Norbert Röttgen, appellent à geler le projet Nord Stream 2 de gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique.

Alors, Cui bono ?

Lors d’un entretien avec le sous-secrétaire d’État américain Stephen Biegen, les Russes ont attiré l’attention sur la hâte avec laquelle les Occidentaux ont adhéré à la thèse de l’empoisonnement délibéré. « Qui y a intérêt ? Ce n’est certainement pas le gouvernement russe », a déclaré le ministère des Affaires étrangères, selon l’agence de presse Tass.

Penser que Vladimir Poutine puisse avoir commandité l’assassinat, outre le caractère conspirationniste d’une telle accusation, est totalement absurde. Il faudrait qu’il soit parfaitement stupide pour avoir décidé de se tirer ainsi une balle dans le pied. Et, après tout, si le président russe avait vraiment voulu se débarrasser de Navalny, pourquoi n’a-t-il pas profité de son séjour à l’hôpital de Omsk pour le faire tuer ? Pourquoi ne pas l’avoir empêché d’être transféré en Allemagne ?

La réalité, c’est que l’Empire militaro-financier anglo-américain chancelle du haut de sa banqueroute systémique ; et, dans la continuité des efforts des Kissinger, Brzezinski et autres Huntington, il tente désespérément de substituer l’oligarchie financière de Wall Street et de la City de Londres aux États-nations, en cassant les deux pays qui ont le culot d’affirmer leur souveraineté aujourd’hui : la Russie, qui ose espérer redevenir une puissance mondiale, au lieu de se contenter du statut de simple « puissance régionale », comme le disait Obama, auquel on l’avait ramenée durant l’ère Eltsine — c’est-à-dire un pays du tiers-monde se contentant de vivre de l’exportation de ses matières premières ; et la Chine, qui émerge irrésistiblement comme la seconde puissance mondiale, et qui promeut une politique de développement économique mutuel à travers les Nouvelles Routes de la soie – un affront insupportable pour les dignes héritiers de l’Empire britannique !

Heureusement, pour l’instant, le président américain ne s’est pas précipité dans le piège tendu. « Trump refuse de condamner la Russie pour l’empoisonnement », se plaint en effet la BBC, suite à la conférence de presse du 4 septembre à la Maison-Blanche, dont le contenu a eu le don d’enrager les Britanniques. Car, face aux questions insistantes des journalistes sur l’empoisonnement de Navalny, Trump a souligné l’importance du traité de non-prolifération des armes nucléaires, qu’il négocie actuellement avec Poutine.

« Pour moi, c’est la chose la plus importante, a-t-il déclaré. Certains disent que c’est le ‘réchauffement climatique’. Je ne le pense pas. J’affirme que c’est beaucoup plus important ». Et, reprenant le thème privilégié de ses meetings électoraux : « Je m’entends avec presque tous les pays. Je m’entends avec la Corée du Nord. Si Hillary avait été élue, nous serions engagés dans une très mauvaise guerre ».

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