EDF, barrages : NON aux diktats de Bruxelles, NON à la casse !

jeudi 10 décembre 2020, par Karel Vereycken

Les enfants au fond de l’autocar hurlent, sautent sur leurs sièges et pleurent. Après avoir couvert les vitres de graffitis, coupé les freins, bloqué le volant et égorgé le chauffeur, ils se rendent compte que le car dévale la pente à 180km/h et fonce vers le bord du précipice.

Voilà l’image qui me vient en tête lorsque je lis dans la presse les réactions indignées des uns et des autres devant la mort annoncée (et programmée de longue date) d’un grand service public, EDF, qu’on assassine devant nos yeux.

Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes.

affirme un vieux dicton attribué à Bossuet. En effet, parmi ceux qui pleurent aujourd’hui, nombreux sont ceux qui ont tout fait pour créer les conditions du désastre actuel.

  • Lorsqu’en 1984, Michel Camdessus et Jacques Delors ont abrogé la séparation entre banques d’affaires et banques de dépôts, livrant nos banques commerciales aux vautours de la spéculation boursière, ils ont regardé ailleurs ;
  • Lorsqu’en 1973 et en 1993, il fallait sanctuariser une Banque nationale capable d’émettre du crédit souverain pour investir dans le long terme, et garder nos Etats hors des griffes des banques privées pour pouvoir se financer, ils ont fait semblant de ne pas comprendre ;
  • Lorsqu’en 2004, au nom d’une Europe qui est tout sauf ce qu’elle prétend être, on a inscrit dans les traités européens (article 106 du TFUE) que tous nos choix économiques se soumettront à une philosophie néfaste, étrange mixture d’un ordo-libéralisme allemand, (l’obsession régulatrice) et l’ultra-libéralisme anglo-américain (le zéro Etat de Von Hayek) exigeant une « concurrence libre et non-faussée », ils étaient bien souvent les premiers à applaudir !
  • Lorsque Jacques Cheminade, lors de ses trois campagnes présidentielles (1995, 2012, 2017), a pointé du doigt le fait qu’une « finance folle » risquait de s’emparer de nos vies, ils ont ricané !

Or, aujourd’hui, pénalisée dans sa mission de service public, dépouillée de ses prérogatives, privée de ses ressources financières, EDF, devenue « vache à lait » pour financer tout et n’importe quoi, notamment l’éolien et le solaire, n’a pu que creuser une dette qui est passé de 40 à 60 milliards d’euros, preuve supposée de son inefficacité !

A cela s’ajoute la crise sanitaire. Contrairement à une idée reçue, la consommation d’électricité s’est effondrée de 15 à 20% pendant le confinement. Beaucoup d’entreprises qui n’étaient pas à l’arrêt ont tout de même vu leur production baisser, la SNCF qui à elle seule représente 3% de la consommation totale française, soit celle d’un réacteur 800 MW, a vu son activité réduite de 50%. La pandémie de Covid-19 a amputé les revenus d’EDF de 2 milliards d’euros entre janvier et septembre. Sur ces neuf mois, le chiffre d’affaires du groupe est en repli de 4%, à 48,8 milliards d’euros.

Pire que le Plan Hercule

Les personnels d’EDF refusent le plan Hercule !

Ainsi, aujourd’hui, si personne ne s’y oppose, un plan de démantèlement complet d’EDF, cuisiné entre Bruxelles et le gouvernement français et pire que le Plan Hercule, sera acté dans les jours et semaines à venir.

Dans un document daté du 6 mai, l’Agence des participations de l’État (APE) détaille les demandes de la Direction générale compétitivité de la Commission européenne, la fameuse DG COMP..

Etant donné l’ampleur de l’aide qui serait octroyée à EDF, y compris dans le cadre du plan de relance européen, Bruxelles réclame la désintégration juridique, financière, comptable et opérationnelle d’EDF afin d’éviter que le soutien au nucléaire régulé ne profite d’une quelconque manière aux autres entités, lesquelles sont soumises aux règles de la concurrence.

Cassée en morceaux

D’après Les Echos, « deux schémas tiennent la corde. Le premier, favorisé par EDF, consisterait à filialiser ses activités commerciales et hydrauliques, en dessous d’une tête de groupe qui porterait les activités nucléaires, ‘EDF Bleu’ ».

Mais un autre schéma propose d’aller beaucoup plus loin dans la séparation des activités régulées et non régulées : il s’agit de séparer le groupe, non pas en deux mais en trois piliers, sous un holding de tête :

  • un « EDF Bleu » regroupant le nucléaire et RTE (transport de l’énergie), à 100 % public ;
  • les barrages dans un « EDF Azur », à 100 % public ;
  • un « EDF Vert » regroupant les énergies renouvelables, Enedis et les activités commerciales de vente d’électricité, ouvert à 35 % pour les investisseurs privés.

Comme le dénonce une tribune signée par plusieurs députés et sénateurs, c’est avant tout le secteur vert, qui profite de prix juteux et à long terme, qui tirera les marrons du feu :

« Dans EDF Vert seront en effet logées les sociétés dont le modèle économique gère des contrats à long terme : EDF renouvelable avec les contrats de rachat a ? 20 ans, Dalkia avec la gestion des réseaux de chaleur à 20 ans, et plus incongrue la présence d’ENEDIS, activité régulée et non concurrentielle qui gère les concessions de longue durée du réseau de distribution publique entre les collectivités locales propriétaires du réseau et ENEDIS. Ces trois activités, débarrassées de la présence de l’État, deviendront très attractives pour les marchés financiers ! Sans parler d’EDF commerce qui sera soumis aux mêmes règles que ses concurrents car 100 % de l’ARENH [l’électricité d’origine nucléaire produite par EDF] seront mis sur le marché. Privatiser ENEDIS c’est le couper de RTE pour lequel il existe une logique de complémentarité industrielle. Cela remettrait en question surtout la péréquation tarifaire, le service public et les tarifs régulés ».

Dans les deux scénari de morcellement, cela reviendra à garder dans le giron public ce qui « coûte » très cher (le nucléaire implique des investissements colossaux, qui rebutent le secteur privé) et à laisser au marché ce qui rapporte gros, c’est-à-dire les 2 800 barrages qui seront privatisés et les autres énergies renouvelables qui, à cause de leur caractère intermittent et de leur faible densité sont ruineux, mais rapportent gros car dopées par la vague verte du Green New Deal et la finance verte. En effet, rien que le pôle Vert d’EDF dégage pas moins de 6,5 milliards d’euros d’excédent brut d’exploitation. Un joli pactole pour les futurs entrants au capital, que ce soit les concurrents d’EDF ou des fonds d’investissements en quête de rentabilité.

Ce qui a tellement déshumanisé notre société actuelle, c’est que depuis trente ans, ce n’est plus le travail qui est source de richesses, mais une spéculation boursière effrénée sur tout, y compris sur ce qui constitue la base même de notre existence (énergie, santé, eau, alimentation, etc.) !

Les syndicats, dans leur pétition, ont donc bien raison de dénoncer les conséquences pour les usagers : « Concrètement, et cela est une certitude, les risques majeurs de ce projet sont bel et bien de voir :

  • les tarifs de l’électricité augmenter, se différencier selon les régions, selon les usagers, au détriment des ruraux (avec la fin de la péréquation tarifaire),
  • une baisse importante des investissements dans les réseaux et de leur maintenance, augmentant les risques de coupures, un affaiblissement de la sécurité en particulier dans le secteur de la production et une remise en cause de l’indépendance énergétique en France ».

La leçon de Romanche Gavet

La centrale hydro-électrique souterraine de Romanche Gavet (38)..
Céline Barbiero, chef de projet Romanche Gavet chez EDF depuis le belvédère de Gavet.

Au centre du bras de fer entre Paris et Bruxelles, l’avenir des barrages. Resteront-ils aux mains de l’État pour financer nos grands projets ou seront-ils bradés sur l’autel des privatisations ? Le français Total et tous les grands énergéticiens européens sont depuis longtemps en embuscade pour récupérer des dizaines de gros barrages EDF, déjà amortis et bien rentables. Bruxelles a déjà envoyé deux mises en demeure à Paris, en 2015 et 2019. Mais le gouvernement français, qui protège son électricien, fait la sourde oreille, du moins pour l’instant.

Or, l’hydro-électrique représente des atouts majeurs. Précisons que le 9 octobre, EDF, après 10 ans de travaux et un investissement de 400 millions d’euros, vient de mettre en service la nouvelle centrale hydroélectrique de Romanche Gavet (Isère, près de Grenoble) de 97 mégawatts qui doit augmenter de 42 % la production hydroélectrique sur ce tronçon de la Romanche. Elle doit produire 560 GWh par an en fonctionnant environ 5 000 heures, soit la consommation de 230 000 foyers, l’équivalent des habitants de Grenoble et Chambéry réunis.

Plan du site du barrage souterrain de Romanche Gavet (38). Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

Le barrage et la centrale sont reliés par une galerie souterraine de 10 km, sous le massif de Belledonne, moyennant l’extraction de 600 000 tonnes de roche. Un véritable tour de maître démontrant un savoir-faire technique et scientifique mondialement reconnu. Entièrement souterrain (!), ce complexe, qui abrite une salle souterraine aussi vaste que la nef de Notre Dame de Paris, remplace à lui seul six centrales et cinq barrages du passé.

Un article du Monde Diplomatique retrace l’historique du rouleau compresseur visant à tout privatiser et de quelques résistances héroïques mais furtives :

« Née en 1946 de la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, EDF n’a cessé d’être désarmée depuis les années 1990 par un arsenal législatif imaginé à Bruxelles et échafaudé à Paris. Dès 1993, le gouvernement socialiste de Pierre Bérégovoy fait adopter la loi Sapin, qui réduit la durée des contrats de délégation de service public en imposant de plus larges modalités de publicité et de mise en concurrence. Transformé en société anonyme sous le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, en 2004, l’ancien établissement public ne peut plus — en principe — échapper à la mise en concurrence lorsqu’une concession hydroélectrique vient à échéance. Mais des stratagèmes ont permis jusqu’à présent de bloquer la vague de délégation au privé.
« Le 22 avril 2010, le ministre de l’écologie et de l’énergie Jean-Louis Borloo annonce le renouvellement par appel d’offres de cinquante et une concessions représentant 20 % du parc français en matière de puissance. Mais le gouvernement de M. François Fillon ne passe pas à l’acte ; il louvoie entre les impatiences bruxelloises et la fermeté de l’intersyndicale d’EDF. « Nicolas Sarkozy et François Fillon n’ont pas respecté la promesse faite à la Commission d’ouvrir les barrages à la concurrence en échange du maintien des tarifs réglementés de l’électricité », fulmine M. Marc Boudier, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (Afieg), le principal groupe de pression industriel regroupant des filiales françaises de grands groupes européens.
« Ministre de l’écologie de 2012 à 2013, Mme Delphine Batho s’oppose à la mise en concurrence des barrages et milite même pour la création d’un établissement public de l’hydroélectricité. La patrouille libérale la rattrape illico. Dûment chapitrée par le ministre de l’économie Pierre Moscovici — désormais commissaire européen aux affaires économiques —, elle abandonne son projet hérétique de renationalisation partielle ».

C’est ce problème entre la Commission européenne et la France sur la mise en concurrence des concessions hydroélectriques qui risque donc d’aboutir à la création du pôle « EDF Azur », séparée du nucléaire et ouvert aux acteurs privés.

Hydro-électrique, un fort potentiel bloqué

Et alors que l’électricien français annonce développer 4 GW supplémentaires d’hydraulique dans le monde d’ici à 2030 dont 1,5 GW net (part du groupe), en France, la situation reste bloquée. Pourtant, la nouvelle feuille de route énergie, la PPE adoptée par décret en avril 2020, prévoit l’ajout de 0,7 à 1 GW supplémentaire de capacité hydroélectrique en France d’ici à 2028 et de 1,5 GW de station de transfert d’énergie par pompage (STEP) à l’horizon 2030-2035. Pire, comme le relève l’Usine Nouvelle, ce contentieux crée une incertitude juridique telle que cela empêche EDF d’investir dans le vaste potentiel hydroélectrique.

Barrage de Romanche Gavet.

Aux incertitudes juridiques s’ajoutent des problèmes de financement récurrents chez EDF. Jean-Bernard Levy a dû préciser que 75 % des 400 millions d’euros du projet Romanche Gavet avaient été financés par des « obligations vertes », alors que le groupe vient encore d’emprunter 4 milliards d’euros sur les marchés. Il a d’ailleurs fait remarquer dans son discours d’inauguration de la centrale que le soutien au développement de l’hydraulique ne soit pas prévu dans le plan de relance de 100 milliards d’euros présenté par le gouvernement début septembre, assurant qu’EDF allait tout faire pour réparer « ce qui était sûrement un oubli ». Présent, le secrétaire d’État à la Ruralité, Joël Giraud, a néanmoins assuré qu’il irait défendre sa cause à Bercy.

À côté des grands barrages d’EDF, la France compte 2 270 petites centrales (moins de 10 MW) qui produisent ensemble l’équivalent d’un réacteur nucléaire par an, soit environ 7 TWh. Selon France Hydro-Electricité, qui rassemble les professionnels, il y aurait moyen de faire plus. Le syndicat estime au minimum à 6 TWh, la production supplémentaire d’électricité qui pourrait être obtenue, en partie grâce aux réaménagements des petits ouvrages existants. Rien que dans la Vallée de la Truyère (l’Aveyron), EDF a un projet qui pourrait générer « jusqu’à 1 GW avec des investissements de près d’un milliard d’euros ».

Mais il y a un gros hic : le classement des rivières (dans les listes 1 et 2) entrepris ces dernières années et qui interdit ou encadre très fortement les installations hydroélectriques, au nom de la « continuité écologique » et qui a réduit des deux tiers le potentiel français du secteur. « Dans certains cas, les subventions pour la destruction des petits barrages sont plus importantes que les aides à la rénovation, avec la construction, par exemple, de passe à poisson », explique Jean-Marc Lévy, le délégué général de France Hydro Electricité, qui dénonce le « dogmatisme d’une poignée de fonctionnaires de la direction de l’eau », dont dépend l’hydroélectricité. Depuis des années, le secteur réclame que la direction de l’énergie puisse avoir son mot à dire. En vain. « Il y aurait pourtant moyen de trouver des compromis en respectant la migration des poissons. Mais à part les pécheurs, plus personne ne peut mettre un pied dans les rivières », regrette Jean-Marc Lévy.

Pour EDF, il est important de débloquer la situation. À l’exception de cinq (petits) projets gagnés en 2017 par sa filiale Shema, la centrale de Romanche Gavet sera son dernier chantier d’EDF en hydroélectrique...

EDF aurait pourtant dans ses cartons 250 MW de projets sur des concessions existantes. Et « le potentiel inexploité est de plusieurs gigawatts », avance le PDG d’EDF, sans plus de précisions. Mais pour financer de nouveaux projets, dans un contexte de marché déprimé où les prix de l’électricité stagnent autour de 45 euros le MWh sur la place européenne et que « plus aucune capacité de production n’est construite sans garantie de prix comme pour l’éolien ou le solaire », Jean-Bernard Levy demande un nouveau cadre réglementaire pour l’hydroélectrique. Elle doit bénéficier « de mécanismes de ce type ».

« Alors que le soutien aux renouvelables va encore coûter près de 7 milliards d’euros au budget de l’État en 2021, il y a peu de chances qu’il soit entendu », conclut l’Usine Nouvelle.

Conclusion

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Après la fermeture prématurée de la centrale de Fessenheim (victime non pas d’un choix industriel ou scientifique mais d’un accord politique de petite cuisine entre Hollande, Martine Aubry et Cécile Duflot), certains ministères dressent déjà la liste des suivantes.

Et, la crise sanitaire freinant la maintenance des réacteurs, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a du admettre que des coupures d’électricité pouvaient être envisagées cet hiver en cas de grosses vagues de froid...

Pour sa part, Emmanuel Macron continue à affirmer que le nucléaire reste une source d’énergie incontournable. Cependant, il la promeut avant tout dans le cadre d’une dé-carbonisation dont les bienfaits restent à démontrer et d’un Green New Deal planétaire organisé par une finance folle qui a décidé de peindre en vert sa nouvelle bulle financière. Le nucléaire de Macron ne servira donc que très partiellement la réindustrialisation dont le monde et, avant tout la France, ont tant besoin.

Qu’un front de refus contre le dépeçage d’EDF se fasse jour est une très bonne nouvelle. A nous de lui donner l’horizon positif dont il a besoin.