Aménagement du territoire

Spacetrain : le transport du futur menacé par la surdité administrative

vendredi 14 février 2020, par Karel Vereycken

Emeuric Gleizes, directeur général de Spacetrain et Thomas Bernin, directeur stratégie & développement.
Spacetrain.

Le 29 janvier, sur son compte twitter, Bruno Le Maire rappelait cette implacable vérité :

Si demain nous ne finançons pas davantage les innovations de rupture, si nous ne gagnons pas la bataille de l’innovation face à la Chine et aux États-Unis, ce sont les salariés français qui, au final, seront touchés.

Une façon de reprendre le plaidoyer d’Emmanuel Macron, lorsqu’en octobre 2018, il était venu se ressourcer à Station F, l’incubateur parisien de start-up créé par Xavier Niel.

Celui qui se présenta alors comme le « Président de la start-up nation » y annonçait que, grâce aux réformes consenties pour attirer les investisseurs dans notre pays, la France, d’ici quelques années, serait la championne du monde de l’intelligence artificielle. J’ai fait ma part, leur dit-il, « à vous de prendre des risques désormais ».

Parmi ces start-up françaises engagées à fond sur des « innovations de rupture », la société Spacetrain, filiale de Jacques Vaucanson installée à Cercottes, près d’Orléans, est active dans le domaine de la recherche industrielle.

Depuis 2016, en mobilisant une petite douzaine d’ingénieurs et en faisant appel aux technologies les plus avancées, Spacetrain, avec sa navette révolutionnaire évoluant sur coussins d’air et pour un coût peu onéreux en termes d’infrastructure fixe, a inventé le transport en commun à grande vitesse idéal pour le XXIe siècle (voir encadré ci-dessous). Et tout récemment, en octobre 2019, l’Etat a reconnu l’intérêt du projet en accordant à Spacetrain le statut de Jeune Entreprise innovante comportant un certain nombre d’avantages.

Aménagement du territoire

Une série de trajets courts et moyens où le Spacetrain s’avèrera plus performant que le TGV.
Spacetrain

Ce projet suscite un très grand intérêt. Au niveau local, trois élus du conseil régional, dont deux issus de la métropole orléanaise, Florent Montillot, maire-adjoint d’Orléans, et Marie-Agnès Linguet, maire de Fleury-les-Aubrais, ainsi que Philippe Fournié, vice-président du conseil régional, chargé des transports, ont créé une association pour soutenir un projet de transport en commun.

Permettre aux habitants d’Orléans de se rendre à Paris en moins de vingt minutes, cela changerait carrément la carte du territoire !

Interrogé par France Bleue, Florent Montillot précise : « Aujourd’hui, nous avons 7000 personnes, 7000 navetteurs qui habitent sur Orléans et qui vont travailler quotidiennement sur Paris, 4000 dans le sens inverse. Dans les années à venir, ce flux sera plus important. Leur permettre de voyager en moins d’un quart d’heure et à des prix attractifs (environ 10 euros l’aller avec Spacetrain) est pour nous très important. Diviser le temps de parcours par quatre avec de tels tarifs, vous comprenez bien qu’il s’agit d’un atout considérable pour les Orléanais. »

Pourtant, à ce jour, le conseil régional n’a accordé aucune subvention à un projet qui permettrait à la France et à son savoir-faire dans le domaine de la haute technologie de retrouver son rang.

Rien à voir avec la Nouvelle Aquitaine qui, elle, tout en restant très prudente sur la technologie Hyperloop, a orienté deux millions d’euros des fonds européens (FEDER) vers un partenariat unissant la société canadienne Transpod et l’Université de Limoges, dans un partenariat de recherche sur cette technologie promue par le milliardaire américain fantasque Elon Musk.

Le conseil régional de Normandie, après quelques hésitations, se montre également très intéressé par Spacetrain, du moins sur le papier.

Relier Le Havre à Paris, via Rouen, en moins de vingt minutes, tout en libérant le réseau ferré classique pour une meilleure desserte pour le fret marchandises, ne peut qu’intéresser au plus haut point aussi bien cette région que ses ports, ainsi que l’Île-de-France.

Tout ceci dans un contexte où le gouvernement envisage officiellement le développement de trains interrégionaux à hydrogène entre 2024 et 2028.

Projet 100 % made in France, Spacetrain pourrait être opérationnel d’ici 2025, pourvu qu’il soit financé. Sinon, comme tant d’autres inventions françaises, cette technologie révolutionnaire risque fort de partir à l’étranger.

Agissez en faveur de l’aménagement du territoire, en faisant signer à vos élus le manifeste "Pour un vrai aménagement du territoire, la République doit gouverner la finance !

Spacetrain devant un mur

Photomontage montrant la navette Spacetrain sur l’ancienne voie de l’aérotrain près d’Orléans dans le Loiret.
Spacetrain

Dès le début, pour pouvoir valider son prototype (condition préalable pour convaincre de gros investisseurs étrangers d’investir en France), Spacetrain a cherché à pouvoir mettre à profit un segment de l’ancienne voie d’essais de l’aérotrain d’Orléans, située entre Saran et Ruan.

Sa modernisation aurait bien entendu un coût mais, bien que cela puisse surprendre, la qualité irréprochable du béton a été amplement démontrée lors de deux expertises techniques menées par des sociétés externes. « Les experts du centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) l’ont analysée en détail. Elle peut reprendre du service sans aucun problème », confirme un ingénieur cité par l’Express.

Ainsi, en février 2019, après avoir examiné le dossier, Jean-Marc Falcone, le préfet du Loiret de l’époque, rencontre les responsables de Spacetrain et précise les conditions à remplir. Il émet alors un avis favorable tout en soulignant qu’en dernière analyse, la décision concernant l’utilisation de la voie d’essais incombe à la Direction de l’immobilier de l’État (anciennement France Domaine), qui est rattachée aux services de Bercy.

Selon nos sources, alors que cette voie d’essais datant de l’époque de l’aérotrain n’a jamais rapporté le moindre kopeck depuis des décennies et qu’aucune autre société ne postule à l’utiliser, Bercy étudie la possibilité d’obtenir un « loyer » de la part de son futur utilisateur, c’est-à-dire la start-up française Spacetrain !

Surdité administrative ?

Bien que Spacetrain ait rempli toutes les formalités d’usage auprès des services de l’État, à ce jour, aucune réponse n’est venue éclaircir la situation. Le départ à la retraite du préfet Jean-Marc Falcone, en août 2019, a également privé l’entreprise d’un interlocuteur majeur.

Soulignons que depuis des semaines, la société Spacetrain a demandé à s’entretenir avec son successeur, Pierre Pouëssel. Ancien directeur adjoint du cabinet Pierre Joxe et ancien responsable de la DGSE, il est le dixième préfet du Loiret en quinze ans. Or, bien qu’il occupe ce poste depuis août 2019 et se déclare intéressé à créer de l’emploi et du développement dans la région, M. Pouëssel semble prendre plaisir à jouer la montre.

Pire, interrogé pour Le Parisien le 12 février par Christine Berkovicius, journaliste orléanaise indépendante travaillant pour Les Echos et l’AFP, le nouveau préfet, avant même d’avoir rencontré les responsables de Spacetrain, aurait mis en doute (dixit Mme Berkovicius) « la solidité financière de l’entreprise », en se basant sur des rumeurs selon lesquelles elle « pourrait être déclarée en situation de cessation des paiements ».

Que dans sa phase de démarrage, Spacetrain ait à surmonter des problèmes financiers à court terme, y compris pour rémunérer son personnel, sa direction n’en fait pas mystère.

Cependant, dans un contexte où le président de la République et son ministre Bruno Le Maire demandent aux Français de se mobiliser pour financer davantage l’innovation de rupture, il paraît étrange que Bercy refuse à une start-up l’utilisation d’une voie d’essai désaffectée ou envisage de lui réclamer un loyer, et qu’un préfet tarde à répondre à ses sollicitations.

Qu’une équipe de jeunes ingénieurs et de jeunes techniciens, entourant un dirigeant ayant engagé ses propres capitaux, ne soit pas soutenue, semble relever du suicide industriel.

A vos claviers donc, chères lectrices et chers lecteurs. Exprimez-vous partout, surtout auprès de nos ministres, de nos députés et sénateurs, et auprès de tous ceux qui sont susceptibles de débloquer la situation !

Une navette révolutionnaire

La faible emprise au sol rend l’infrastructure fixe du Spacetrain peu onéreuse.
Spacetrain

En repensant le projet d’aérotrain de feu l’ingénieur Jean Bertin, projet mis en sommeil en 1974 au profit du TGV, Spacetrain travaille sur un véhicule sans roues, capable de circuler à une vitesse moyenne de 540 km/heure.

Utilisant le principe d’« effet de sol », il s’agit d’une navette guidée, sustentée par des coussins d’air sur une voie en T inversé, large de 3,40 m et haute de 90 cm. De forme aérodynamique, cette navette est entièrement conçue en fibre de carbone. Elle sera propulsée par des moteurs électriques linéaires à induction, alimentés par des turbines à hydrogène et des batteries enrichies au graphène.

Spacetrain, qui n’émet pas de CO2, est conçu pour compléter le grand réseau du TGV et relier entre elles les villes de taille moyenne. Force est de constater que sur les trajets courts et moyens, la technologie TGV, très lourde et donc exigeant des temps d’accélération et de décélération conséquents, s’avère inadéquate.

La start-up, exclusivement financée avec les deniers de son fondateur, le jeune entrepreneur Emeuric Gleizes, a présenté lors du Salon du Bourget de 2019 le premier modèle à taille réduite de sa navette révolutionnaire (voir notre entretien vidéo ci-dessous).

Depuis deux ans, elle n’a cessé de valider et de breveter une à une les différentes « briques technologiques » de son invention.

Les partenaires de Spacetrain.
Spacetrain