Martin Hirsch : à la tête de l’AP-HP, un marquis d’un autre temps

lundi 16 décembre 2019, par Agnès Farkas

Par Agnès Farkas

Le patron de l’AP-HP [1], Martin Hirsch se fait discret – autant qu’il le puisse – depuis la grève organisée au sein de l’hôpital public par le Collectif Inter-Hôpitaux (CIH). Pourtant, le 10 octobre, les membres du CIH ont lancé un appel solennel à la « grève du codage » des soins et des actes médicaux hospitaliers. Ce qui bouleverse l’administration comptable des hôpitaux et devrait le faire réagir.

Pour donner le ton brièvement à cet article : à partir du XIIIe siècle, le « marquis » possédait ce titre de courtoisie et avait les honneurs du roi. Il entrait alors en possession d’un domaine au profit de la couronne. Dans une comparaison pas si osée que cela au vue du système de féodalités financières actuel, Martin Hirsch, comme tous les individus que le système place à la tête des entreprises publiques aujourd’hui, joue le rôle de « marquis ».

Alors, pourquoi cet individu, qui a fréquenté très tôt le monde politique – engagé au PS dès l’âge de 17 ans mais nommé plus tard « haut-commissaire » dans le gouvernement Sarkozy – un homme si dévoué à la cause sociale et baignant dans l’action humanitaire – « ancien président d’Emmaüs France » – ne soutient-il pas son personnel dans cette occasion unique ? Ou plutôt : qui est vraiment Martin Hirsch ?

Le marquisat de l’hôpital public

Depuis 2013, Martin Hirsch est directeur général de l’AP-HP. Cette institution regroupe 39 hôpitaux, 100 000 employés (hors médecins) et son nouveau directeur a pour mission de la « réformer ». Il est soutenu par une presse de connivence qui martèle le côté ruineux de ces entreprises publiques et publie des classements des spécialités des hôpitaux qui, insidieusement, discréditent le personnel médical aux yeux du grand public. Une propagande affûtée pour faire accepter aux Français le fait de trancher dans le vif les budgets hospitaliers.

Mi-mars 2015, Martin Hirsch annonce « si on ne changeait rien à notre organisation, (...) il faudrait supprimer plusieurs milliers d’emplois » [2], et souhaite modifier l’organisation du travail sans toucher aux 35 heures imposées au personnel hospitalier depuis 2002 et, jure-t-il, « sans diminuer la masse salariale qui représente 60% du budget. » La réponse est immédiate : les hospitaliers entament grèves et manifestations pour protester.

Bon tacticien, il lâche un peu de lest et donne de menues contreparties aux syndicats sans changer de cap. Le personnel est toujours soumis à la contrainte des 35 heures et cumule les heures si ce n’est les jours de RRT (Réduction du Temps de Travail), mais qu’il ne peut bien souvent pas prendre tant la surcharge de travail est oppressante.

Depuis la mise en place du plan Hôpital 2007, les administrateurs comptaient beaucoup sur la démultiplication des actes médicaux (la T2a créée par Roselyne Bachelot) au sein des hôpitaux pour compenser la diminution de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) hospitalier. Cependant, cela n’a pas empêché les réductions de budget, de lits, de personnels, année après année, et les hôpitaux ont continué à verser chaque année 840 millions d’euros d’intérêts sur leur dette de 30 milliards – une dette inchangée depuis 2014.

Ainsi à la fin de l’année 2017, après une aggravation de son déficit, l’AP-HP a dû inscrire la suppression de 180 postes supplémentaires (en équivalent temps plein, ETP) pour l’année 2018, afin de limiter la progression de la masse salariale à 0,7 %, et se doter d’un « plan d’efficience » visant le retour à l’équilibre en 2022. Finalement, l’année 2018 verra 405 postes (ETP) supprimés.

En 2019 ce sont 779 postes qui doivent disparaître. Bien sûr, qui dit suppression de postes, dit fermeture de lits dans un temps où les urgences sont engorgées faute de place pour leurs malades. Et c’est sans compter les 900 lits gelés au sein de l’AP-HP faute de personnel : et oui, car toute cette réduction de moyens, le non-remplacement des collègues, la difficulté à pouvoir prendre ses RTT, la faible rémunération, etc., ont fini par rendre les conditions de travail tellement pénibles dans de nombreux services de l’AP-HP que de moins en moins de professionnels sont prêts à y travailler !

« La réduction des effectifs soignants rend irréaliste l’objectif d’un accroissement permanent de l’activité et dégrade la qualité de vie au travail. Cela fait courir un risque réel pour la sécurité et la qualité des soins dont nous sommes les garants » [3] précisent les médecins en colère qui vont appeler à la mobilisation générale des hôpitaux publics en septembre 2019 et rejoignent les urgentistes, en grève depuis le printemps.

Imperturbable, Martin Hirsch répond les « efforts ont été efficaces, car ils vont conduire à une première marche significative dans la réduction du déficit  » [4].

Une grève historique

Dans l’histoire de l’hôpital public, l’année 2019 marquera un tournant historique. Le personnel hospitalier a toujours marqué son désaccord en collant sur leur blouse blanche « infirmière, médecin… en grève », tout en assurant quotidiennement leur service. Mais, ici, le ton monte et suite à l’appel à la grève du CIH (Collectif Inter-Hôpitaux) mené par les médecins et soutenu par tout le personnel, Edouard Philippe et Agnès Buzyn tentent vainement des négociations.

Le gouvernement promet une augmentation de 1,5 milliards du budget des hôpitaux – oui mais répartis comme suit : 300 millions en 2020 et le reste en 2022. « Une goutte d’eau ! Le budget des hôpitaux c’est 84 milliards, vous voyez le ratio ! » [5] précise Anne Gervais, porte parole du CIH. Malgré tout, les hôpitaux devront réaliser 800 millions d’économie en 2020... Selon la tribune publiée le 15 décembre dans le Journal du Dimanche par 660 médecins hospitaliers pour alerter sur le fait que « L’hôpital public se meurt » et exiger plus de moyens, pour 2020, « de l’avis général il manque 1,3 milliard d’euros pour répondre à la seule augmentation programmée des charges ».

En réponse à la mobilisation de grève du Collectif Inter-Hôpitaux, Martin Hirsch vitupère contre les « conséquences pratiques » d’un arrêt « total ou partiel » du codage (Tarification à l’acte, T2a). « C’est l’ensemble des activités de l’AP-HP qui auront à en supporter les effets qui n’auront pas de conséquences sur d’autres acteurs mais sur notre capacité de financement des projets » [6]précise le directeur de l’AP-HP, tout en évoquant le coût de recours à des prestataires privés et à une baisse du taux de recouvrement. C’est le manager de l’hôpital qui se moque des services publics. Depuis il est muet, car le temps se gâte et il attend la fin de l’averse...

Curriculum vitae d’un marquis

Il faut regarder de plus près le parcours politique et « associatif » de Martin Hirsch, et le voir comme un exemple de ces individus « construits » dans le monde du commerce financier qui sont placés à la tête des entreprises du service public en vue de leur lent démantèlement.

Diplômé de l’Ecole normale supérieur en biologie, de l’Ecole Nationale d’Administration (promotion Jean Monnet), il entre au Conseil d’Etat en 1988. Il passe ensuite du Conseil juridique à la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (1990-92) au Ministère de la Santé et de l’action humanitaire (1992-93). Les premiers barreaux de l’échelle de la « notoriété » qu’il ne cessera de gravir :

Un coup à gauche !

Martin Hirsch ne s’économise pas et fait feux de tous bois pour la cause sociale, sautant comme un cabri aux côtés des personnalités reconnues du monde politique et financier. En 1997, il fait son entrée en politique en tant que directeur du cabinet de Bernard Kouchner (secrétaire d’Etat à la Santé et à l’action sociale), et d’un même allant, il obtient la fonction de conseiller en charge de la santé au cabinet de Martine Aubry au Ministère de l’Emploi de la Solidarité.

Un coup de promo !

On le retrouve ensuite à la direction de la Pharmacie centrale des Hôpitaux de Paris en 1995 et, par un tour de passe-passe après le décès de l’Abbé Pierre, il gonfle son CV en s’installant à la présidence d’Emmaüs France en mai 2002. Il annoncera sa démission cinq ans après, en pleine AG de l’association, après avoir reçu un coup de fil : « Je suis invité à aller au gouvernement » dit-il, prenant à témoin la salle, stupéfaite et scandalisée. Christiane, militante d’Emmaüs enrage encore : « Pour moi, il a vendu son âme… C’est sûr, président d’Emmaüs France, ça fait bien sur une carte de visite » [7]. Un véritable bienfaiteur !

Un coup à droite !

Il s’engage en effet fortement, le 6 juin 2005, dans un soutien à la Constitution qui ferait de l’Europe « une terre d’accueil, prête à partager et à échanger ses richesses ». Ce sera donc un « oui subversif » au traité européen. Le même jour, il fait la promotion des JO de 2012 à Paris avec ses amis Lagardère, Bouygues, LVMH... pour des raisons humanitaires qui ont dû aller droit au cœur des plus démunis : Les gens qui ne sont pas privilégiés » d’Emmaüs pourront donner « une deuxième vie aux chiffons, aux papiers, aux métaux lourds » ce qui « bousculerait les stéréotypes sur la pauvreté » (Fakir, 1er juin 2015). N’en jetez plus !

Un coup à gauche et... à droite !

En 2007, il fait campagne aux côtés de Ségolène Royal, appelant à « conjuguer travail et solidarité ». Sitôt l’élection passée, il glisse solidairement vers Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy. Il désire « sortir de la dichotomie entre une gauche qui défendait l’assistanat et une droite qui s’est arrogé le monopole de l’effort »  [8]. Il est alors nommé haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté dans le gouvernement Fillon le 18 mai 2007 après avoir quitté brusquement Emmaüs France dans les conditions décrites plus haut.

Il est à l’origine du Revenu de Solidarité Active (RSA) inscrit dans le programme électoral de Nicolas Sarkozy. Pour le tout nouveau RSA, il réclamait 6 milliards, il n’en obtient que 1,5 milliards, c’est un échec. Malgré tout, il pérore : « Sarkozy me voulait comme ces figurines au fond des paquets de corn-flakes, il lui a fallu acheter le paquet entier. Il coûtait très cher le prix du RSA » [9]. Dans le fameux paquet, la fameuse loi TEPA du 21 août 2007 (en faveur du Travail, de l’Emploi et du Pouvoir d’Achat ), surnommée « paquet fiscal », où le gouvernement exonérait de taxation les plus-values lors des cessions d’actions. Coût : 7,5 milliards d’euros par an. Peut-être pas donnés les corn-flakes, mais ils incluaient une niche fiscale supplémentaire à haut profit !

Hautes fonctions et basses œuvres

En 2010, il quitte le gouvernement pour co-fonder avec Claire de Mazancourt, en 2012, l’Agence du service civique (Un engagement au service de l’intérêt général, https://www.service-civique.gouv.fr/ ) une association qu’il a créée en 2012 devenue en 2015 l’Institut de l’Engagement, « pour aider des volontaires sélectionnés à développer et consolider les qualités révélées pendant le service civique ». Son exemplarité et sa probité seront très certainement contaminantes...

Fort d’un budget annuel de 3 millions d’euros de ressources, l’Institut perçoit des dons d’entreprises et du public éligibles à une « défiscalisation grand format  (60 %) de 2,2 millions d’euros. « La fondation est abritée par la Face, que nous avons fondée en 2017, et qui finance marginalement notre institut » précise sa directrice générale Claire de Mazancourt. L’Institut pour l’engagement fait en effet partie des 73 fondations abritées par la Fondation pour Agir contre l’Exclusion (Face) et profite de dons généreux des industries du CAC40. Un revenu qui semblait bien assuré jusqu’à ce jour.

Petit bémol : sur les 2,6 millions d’euros de dépenses de l’Institut, 80 % représente les frais de fonctionnement et les salaires des 24 salariés et, seulement 283 998 euros financent les bourses des lauréats. Dans la foulée, le 13 novembre 2013, Hirsch est nommé directeur de l’AP-HP, tout en gardant le poste de président de l’Institut de l’engagement.

Car il faut le dire, Martin Hirsch cumule les fonctions. Il fût, entre autres, coprésident de l’Action Tank Entreprise et pauvreté et professeur à la Chaire Social Business à HEC depuis 2011... Et c’est sans compter sa participation au « Groupe d’éminentes personnalités » auprès du Conseil de l’Europe (2011-2012) et sa présence à la commission Bachelet sur le socle de protection sociale (2010-2012). Charité bien ordonnée…

Appel à un plan d’urgence pour l’hôpital public

L’AP-HP est en déficit à hauteur de 200 millions d’euros, et aujourd’hui le Collectif Inter-Hôpitaux demande « un plan d’urgence pour l’hôpital public avec un financement à la hauteur des besoins de santé de la population »(voir encadré ci-dessous). Un financement qui devra passer par « des budgets supplémentaires et non se limiter à des redéploiements de financements existants ». Ce qui est bien au-delà des miettes promises par le gouvernement.

En réponse au plan gouvernemental, le CIH appelle à une nouvelle grève nationale des hôpitaux publics le 17 décembre 2019 : « Nous appelons à un mouvement d’ensemble de tous les professionnels de santé, dans tous les territoires pour sauver l’hôpital public afin qu’il puisse jouer pleinement son rôle de recours sur lequel peut s’appuyer la médecine de ville. »

Les hôpitaux et la santé publics, c’est l’affaire de tous, alors signez donc leur pétition, et agissez à la cause, en rejoignant notre lobby citoyen pour remettre la finance au service de la population !

Stop ! on ne les laisse plus faire à notre place !

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Ce qu’exige le Collectif Inter-Hôpitaux

Extraits (texte complet : https://collectifinterhopitaux.wordpress.com/ )

« Nous réclamons, en plus des plans annoncés par la ministre pour mieux organiser la médecine de proximité et améliorer la coordination entre les établissements de santé et la médecine de ville, un plan d’urgence pour l’ensemble des hôpitaux avec les mesures fortes suivantes :

  1. La réévaluation des filières de soins, nécessitant l’ouverture de lits pour l’aval des urgences et pour l’aval des soins aigus pour les patients qui ne peuvent pas poursuivre leurs soins au domicile. Il faut mettre fin au chaos actuel. L’objectif d’un taux d’occupation des lits à quasi 100% et l’assimilation d’un parcours de soins à une chaîne de production industrielle sont adaptés aux « usines à soins » mais sont incompatibles avec la mission d’accueil de tous par l’hôpital. Les soins urgents et non programmés supposent d’avoir en permanence des lits disponibles, si on ne veut plus que les patients continuent à passer des heures sur des brancards.
  2. L’embauche en nombre suffisant de personnels soignants, de travailleurs sociaux et de secrétaires, en fixant des quotas minimaux de sécurité pour chaque unité de soins, après une évaluation précise actualisée de la charge de travail.
  3. La revalorisation des salaires des personnels hospitaliers. Des mesures doivent être prises pour mettre fin à la distorsion non justifiée des revenus entre les rémunérations de ville et les salaires hospitaliers.
  4. L’instauration d’une enquête annuelle dans chaque établissement sur le bien-être au travail dont les résultats doivent être rendus publics et être suivis d’actions concrètes.
  5. La révision du mode de financement pour que chaque service dispose d’un budget annuel cogéré avec l’administration, permettant de répondre aux besoins et de s’adapter à l’évolution de l’activité et des thérapeutiques.

La règle doit être le juste soin pour le patient au moindre coût pour la collectivité et non la recherche du tarif rentable pour l’établissement.

Ce plan doit être élaboré dans chaque hôpital par l’ensemble des soignants

Nous demandons l’organisation d’Etats généraux hospitaliers visant à rassembler les propositions concrètes en lien avec chaque territoire et à chiffrer leur financement en plus de la programmation du financement annoncée de la Sécurité sociale et pas par simple redéploiement consistant à déshabiller Pierre pour habiller Paul. »


[1Assistance publique – Hôpitaux de Paris

[5Le Canard enchaîné 27/11/2019