Urgences : écoutons les propositions du Samu !

mercredi 12 juin 2019, par Agnès Farkas

La crise actuelle qui frappe les services d’urgence n’est pas une fatalité. Cependant, pour connaître les solutions, il ne faut pas s’adresser aux économistes financiers, mais à ceux qui se dévouent au quotidien pour leurs patients. Les propositions formulées par le Samu dès 2014 dans son Livre blanc complètent très utilement notre trac et notre projet.

par Agnès Farkas, responsable santé de S&P

La vague de grève et de contestation qui a gagné les services d’urgences de nombreux hôpitaux est sans précédent. C’est vrai, l’organisation actuelle de la médecine d’urgence ne permet plus de faire face à la demande de patients qui « engorgent » les hôpitaux. Il ne s’agit pas, pour les autorités de santé, de nier cette réalité, ni d’essayer de la contourner, mais d’y faire face.

Or, pour connaître les solutions, il ne faut surtout pas s’adresser aux économistes financiers dont les programmes sont dictés par la restriction budgétaire du public imposée par la loi de l’offre et de la demande des marchés financiers, mais à ceux qui se dévouent au quotidien pour leurs patients.

A ce propos, dès 2014, le Samu-Urgences de France a publié un Livre blanc pour une Organisation de la médecine d’urgence en France : un défi pour l’avenir, où il souligne « et si, plutôt que de voir la fréquentation des structures de médecine d’urgence comme un problème, nous l’envisagions comme une solution à la légitime demande de soins urgents de la population ».

Le fonctionnement actuel des services d’urgence

L’image qui vient à tout à chacun est un service d’urgence hospitalier débordant de patients impatients et de personnels médicaux au bord de la dépression nerveuse, du moins c’est l’image renvoyée quasi quotidiennement par nos médias. Elle est malheureusement d’une réalité oppressante pour tous. Il faut en sortir et le Livre Blanc du Samu nous donne un panorama des moyens d’action actuels avant de présenter un plan pour le futur.

Aussi un point succin et non exhaustif sur les différentes structures qui organisent les urgences est nécessaire à ce stade. Précisons d’abord que ces dernières assurent un service public et comportent les Samu-centre 15, qui centralise les appels et oriente les personnes en détresse, les Services mobiles d’urgences et de réanimation (Smur) et les Services – ou structures – des urgences en tant que tels. Ces services travaillent de concert et ont pour mission de réduire le délai entre l’appel au 15, l’accès par le Smur au patient en détresse et les soins spécialisés qui lui seront délivrés par les services hospitaliers.

Il faut oser le dire : c’est un service qui fonctionne au mieux actuellement. Seule la privatisation de notre système de santé devient un frein à son bon fonctionnement. Les lois de la privatisation ne sont pas celles du bien commun, car vouloir rentabiliser les secteurs hospitaliers en les vendant à un privé, peu intéressé par les services d’urgences, c’est contraindre le secteur public à poursuivre, avec des moyens réduits, son rôle d’accueil.

De plus, reporter la faute sur les médecins généralistes ou les accuser d’effectuer trop peu de garde revient à faire fausse route. Depuis la mise en place du numerus clausus des années 1970, et une valorisation des spécialités au détriment des généralistes, il y a un manque réel dans cette discipline qui se traduit par la désertification médicale que nous connaissons aujourd’hui.

Les nouvelles priorités des urgences

Dans les années 1970, le concept des urgences était centré sur les accidents de la route. La route tuait alors 10 000 personnes/an et en blessait environ le double. La nécessité d’une intervention rapide de secouristes et d’une réanimation pré-hospitalière guidait l’organisation des services d’urgences. En 2014, les décès dus à route ont diminué de 2/3. En revanche, hormis les accidents cardio-vasculaires (60 000 décès/an) la traumatologie non routière représente 50 % des patients adressés aux urgences et elle tend à augmenter (accidents domestiques, suicide, violence…). C’est un changement qui n’a pas assez été pris en compte.

Le vieillissement de la population et les complications aiguës des cancers et des maladies chroniques des hospitalisés à domicile, fréquentes avec l’âge, amènent également de plus en plus de patients aux urgences.

Contrairement aux sirènes alarmistes des bien-pensants, ce serait une erreur de penser que la fréquentation des urgences est un aspect du consumérisme. Bien au contraire, la prise en charge précoce que permettent les urgences fait partie d’une bonne régulation sanitaire : « Le principe même de l’accueil des urgences dans les établissements de santé, sans distinction, garanti à tout patient, quel que soient ses revenus, son statut social, sa détresse… constitue la meilleure réponse possible : c’est un élément essentiel de l’égalité entre nos concitoyens ».

Deux évolutions majeures du système de santé impactent les services médicaux des urgences :

 la volonté des patients d’être acteurs de leur propre santé : « Si une partie de la population a accès à une culture médicale « de masse » et développe des exigences croissantes en terme de soins, une autre partie se débat dans des difficultés socio-économiques, et a besoin de repères simples et pratiques pour s’orienter dans le système de soins, au risque d’en être rapidement exclue. La notion de perte de chance est bien intégrée par la population »  ;

 les aspirations professionnelles des personnels de santé et leur légitime attachement à une vie plus équilibrée doivent être entendues : «  L’organisation du temps de travail est un élément essentiel de l’avenir de la médecine d’urgence qui doit permettre “de devenir et rester un urgentiste”… Penser que la seule solution à l’augmentation des recours est le recrutement de toujours plus d’urgentistes est une erreur » selon le Samu-urgences de France.

L’organisation de la médecine d’urgence du XXIe siècle doit évoluer

Dans ce contexte le Samu-urgences de France est l’actuel chef d’orchestre de l’aide médicale urgente, le plus souvent en complémentarité avec les médecins généralistes. Tout comme le généraliste, le médecin urgentiste est le premier recours du patient : il peut répondre à ses problèmes de santé et l’« orienter » vers les services médicaux adéquats.

Parmi les nouveaux outils pour faire une première évaluation médicale, la télémédecine permettra de garantir des soins d’urgence en tout endroit du territoire et permettra une égalité de traitement : les Samu-centres 15 assurent déjà cette mission et l’implantation de réseaux de télémédecine doit absolument se faire avec la plate-forme Samu-santé ; son expérience est une garantie de bonne gestion des urgences et évite les parcours de soins longs et inadaptés.

Pour cela, le regroupement des différents « signaux » des réseaux de télémédecine en un même lieu, est une garantie d’efficacité. Aussi cette plateforme doit s’intégrer clairement dans l’établissement de santé référent du territoire, connu du public et avec un numéro d’appel d’urgence unique (le Samu-santé 113) pour éviter toute confusion et retard dans les soins. Tout éloignement du Samu-centre 15 de son hôpital de rattachement doit être proscrit.

Régulés par le Samu-santé, les Service Mobile d’Urgence et de Réanimation (Smur) apportent la médicalisation pré-hospitalière personnalisée grâce à leur service hospitalier mobile qui organise le traitement des urgences en dehors de l’hôpital (dans la rue, à domicile, etc.). Adaptée à l’évolution des besoins de santé en urgence, ils permettent d’envisager sereinement une réforme de l’organisation territoriale des urgences et des établissements hospitaliers. Aussi, il faut dès à présent « définir, à l’échelle nationale, des territoires de santé d’urgences au sein desquels la réponse à ‘l’urgence santé’ est organisée et cohérente » selon le Livre blanc du Samu.

La formation des médecins urgentistes de demain

Pour réussir à associer « proximité » et « compétence », il faudra organiser des équipes d’urgentistes à l’échelle d’un territoire de santé d’urgence. Dans ce contexte futur apparaît clairement la nécessité d’une spécialité du métier de médecin urgentiste. L’actuelle pénurie d’urgentistes est due bien sûr à un défaut d’attractivité, mais surtout à un manque de médecins suffisamment formés. La fermeture des urgences est en partie liée à ce facteur. Contrairement à la France, la médecine d’urgence est reconnue en tant que spécialité médicale dans de nombreux pays européens (l’impossibilité pour les services français de recruter des spécialistes étrangers aggrave cette pénurie).

Pour répondre aux besoins du futur, sans dépendre d’une autre spécialité (actuellement, essentiellement la médecine générale), il devient donc nécessaire de former des spécialistes urgentistes et de créer un diplôme d’études spécialisé. Il faudra aussi développer la recherche médicale en médecine d’urgence. Les étudiants y verront un véritable choix de carrière, et non un choix par défaut. On ne choisit pas la médecine d’urgence par hasard !

« De part son mode d’exercice, les situations cliniques et les responsabilités prises, la médecine d’urgence nécessite un engagement particulier à une échelle plus vaste qu’un établissement de santé. C’est une médecine de proximité, mais aussi une médecine qui exige des compétences larges, très spécialisées, et qui doivent être régulièrement entretenues. D’autres spécialités, tout aussi complexes, peuvent s’organiser au sein de services de référence, dans de grands établissements, souvent universitaires, mais loin des besoins immédiats de la population ; mais la médecine d’urgence doit rester proche des patients » souligne le Livre blanc du Samu.

Conclusion

« Aujourd’hui, 655 établissements de santé assurent la prise en charge 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 (24/7) de soins urgents et non programmés au sein d’une Structure des Urgences [SU, ndlr]. La grande majorité (80%) appartient au service hospitalier. Leur activité va de moins de 10 000 à plus de 75 000 passages. Il n’y a pas lieu de distinguer une gradation des services d’urgences hospitaliers, la gradation nécessaire est celle de l’établissement siège de la SU : elle répond à une logique de distribution territoriale de plateaux techniques » Livre blanc du Samu [1].

Aussi, pour garantir un véritable maillage des réseaux de santé, il faut formaliser et pérenniser des filières de soins au sein d’un réseau de soins complémentaire et coopérant. En aucun cas, les modèles de financement qui poussent les hôpitaux à développer la concurrence pour gagner des parts de marchés ne permettront de garantir un futur à la santé publique.

Pour aller plus loin : voir notre projet pour la Santé publique

[1Le livre blanc du Samu urgences de France aborde également bien d’autres branches des services d’urgences