Lutter contre les déserts médicaux

lundi 5 mars 2018, par Agnès Farkas

Garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible.

Loi de 2002 sur les droits des usagers.

Aujourd’hui une partie de la population peine à accéder aux soins médicaux. Ce n’est pas une fatalité ! Cependant il faudra oser faire le point sur la situation et prendre des mesures actives qui ne soient pas un simple saupoudrage sur des cas d’urgences locaux, ou essayer de résoudre les problèmes un par un, mais par une véritable politique dynamique d’ensemble sur tout le territoire.

Les faits

En 2015, le Centre interassociatif sur la santé (CISS) a publié un sondage effectué auprès des usagers : 63 % d’entre eux ont déjà été dans l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous médical dans un délai raisonnable (généraliste et/ou spécialiste). De plus, entre 2012 et 2016, l’accès à un médecin généraliste est devenu de plus en plus difficile pour plus d’un quart de la population. Selon une étude d’UFC-Que choisir, 14,6 millions de personnes vivaient en 2016 dans un territoire où l’offre de soins libérale est insuffisante. Cela concerne, bien sûr, les zones rurales, mais pas seulement : les zones périurbaines, notamment celles autour des grandes capitales régionales. Ces zones géographiques comptent 10 % de plus de personnes âgées qui se déplacent difficilement et souvent ne peuvent patienter pour un rendez-vous fixé à quelques semaines, si ce n’est à quelques mois. La conséquence semble évidente : 20 % d’entre eux se sont adressés aux urgences hospitalières.

En effet, plus de 45 % des usagers sont confrontés à la désertification médicale. Pour exemple, Paris compte 798 médecins pour 100 000 habitants, alors qu’à moins de 200 km de la capitale, l’Eure doit s’accommoder de 180. Sans vouloir fâcher la corporation (certains médecins ne me contrediront pas), le praticien cherche parfois un « patient/client rentable » et s’installe, de préférence, au centre des grandes métropoles pour y trouver une clientèle suffisante et de proximité. A ce sujet, le Dr Antoine Vial, qui a effectué plusieurs missions auprès de Médecins sans frontières, interpelle les étudiants en médecine en leur demandant « d’aller faire un tour dans des pays pas si lointains où le médecin, voyant sa salle d’attente pleine le matin, ne sait pas combien il aura gagné d’argent le soir, faute d’une population majoritairement assurée ». Alors, Paris serait-elle confrontée à une surpopulation médicale ? Pas si simple !

Dépopulation médicale en milieu rural et périurbain

Bien sûr, les derniers gouvernements ont pris des mesures pour tenter de convaincre les jeunes médecins généralistes de s’établir en milieu rural ou en zones périurbaines, elles aussi déficitaires. L’Etat a pris plusieurs mesures incitatives dont celle, proposée par l’Assurance maladie, d’une prime de 50 000 euros pour le médecin qui s’engage à rester au moins trois ans dans la zone « déficitaire ». Cette mesure s’est avérée aussi inefficace que les précédentes, d’autant plus que les médecins ne voient pas l’avantage de toucher 25 000 euros par an, alors qu’ils peuvent gagner la même somme en six semaines de travail. Ce qui avait fait l’objet d’un rapport de la Cour des comptes de 2005, qui a conclu que, non seulement, ces mesures coûtent cher à la collectivité mais qu’elles sont souvent sans effet.

On ne peut cependant pas faire abstraction de la réalité. Outre le fait que la population médicale se féminise (58 % des médecins qui entrent en activité), une praticienne ou un jeune couple qui s’installent en milieu rural doivent être assurés de trouver un minimum d’infrastructures et de soutien, par exemple une école pour accueillir leurs enfants dans un environnement proche de leur lieu de travail. Surtout si les différentes réformes du ministère de l’Education ont appauvri et sous doté le milieu rural en établissements scolaires de proximité. Ce qui décourage les bonnes volontés de jeunes médecins.

L’ouverture de maisons de santé est une bonne solution (voir plus loin). Cependant, elles ne doivent pas rester un simple projet immobilier mais être accompagnées de réels soutiens locaux et nationaux. Pour cela, il faut tout d’abord définir les besoins de soins réels du territoire et aussi intéresser les jeunes médecins diplômés au parcours de soins. Un exemple dans l’Aveyron : des médecins généralistes enseignants ont accueilli de jeunes étudiants pour les intégrer au territoire. Ce qui fut une réussite, ces jeunes médecins se sont familiarisés avec le milieu local et se sont installés.

Autre exemple, à St-Amand-en-Puisaye, en Bourgogne. Après concertation sur les besoins du territoire, élus locaux et professionnels de santé, soutenus par leurs patients, ont créé une maison de santé avec succès et ceci n’a pas nécessité de prime ou subvention. Cette expérience a vu sa réussite grâce à la pugnacité du médecin généraliste Michel Serin. Depuis 2005, deux jeunes médecins et six paramédicaux s’y sont installés avec une fréquentation suffisante.

« Entre la médecine de ville et la médecine de campagne, il y a un fossé énorme qui est en passe de devenir un gouffre. Les jeunes médecins ne savent ou ne veulent pas faire de la médecine omnipraticienne. D’où l’importance des stages en médecine rurale », précise le Dr Jean-Jacques Courte, de Walwisse en Moselle. Ce médecin part à la retraite le 1er mars sans avoir trouvé de remplaçant.

Eviter la surpopulation médicale dans les métropoles

Une des solutions proposées par Antoine Vial, membre de la commission « Qualité et diffusion de l’information médicale » à la Haute autorité de santé, serait de prévoir un conventionnement sélectif des médecins libéraux qui envisagent de s’installer en zone « sur-dotée », comme pour les infirmiers libéraux, organisé par l’Assurance maladie. Le médecin libéral ne pourra s’installer en milieu sur-représenté qu’à la condition qu’un médecin cesse son activité (sauf cas dérogatoire). Ce qui permettra un rééquilibrage de la répartition de l’offre de soin sur le territoire. « Comme pour les enseignants en début de carrière, les médecins devraient être affectés là où il en manque », selon le Dr Vial.

La plupart des médecins verront cette solution comme une contrainte, aussi ne pourra-t-elle être envisagée sans l’assentiment du corps médical. Il faudrait ouvrir une concertation nationale entre décisionnaires de l’Assurance maladie, patients, élus locaux et corps médical. Les généralistes auront une part importante dans ce débat.

Au 1er janvier 2016, 88 886 généralistes exerçaient une activité régulière sur un total de 285 000 médecins en exercice, dont 23 % sont retraités. Le nombre de généralistes a diminué de 8,4 % entre 2007 et 2016 alors que le nombre de médecins remplaçants a pour sa part augmenté de manière significative de 17,1 %. Malheureusement, la plupart des étudiants choisissent une spécialité plus rémunératrice.

Pourtant, le généraliste est une des réponses aux déserts médicaux. Il y a trente ans, le généraliste était omnipraticien (il faisait un peu de tout). Aujourd’hui, il est cantonné au renouvellement d’ordonnances des spécialistes. La médecine générale est une des plus exigeantes qui soient et gagnerait à être valorisée auprès des étudiants. Elle doit devenir une spécialité et le médecin généraliste être payé à sa juste valeur.

Les doyens des facultés de médecine, réunis en conférence le 20 février, ont dévoilé leurs propositions aux candidats à la présidence de la République, dont celle de « sortir du numerus clausus, qui a montré ses limites en termes de gestion de la démographie médicale et des déserts
Médicaux. (…) Le nombre de places à pourvoir serait alors déterminé en fonction des besoins du territoire, en liaison avec les régions, le Conseil de l’ordre des médecins et les acteurs de terrain. »

Le Dr Courte propose : « Une densité médicale standard doit être fixée par une commission compétente (syndicats médicaux, Sécurité sociale, Ordre des médecins…) en fonction de la topographie. Si cette densité médicale est dépassée, il y aura automatiquement déconventionnement en cas d’installation intempestive. »

Les maisons de santé et de garde de nuit

Les maisons de santé donneront toute sa place au généraliste qui y fera la prévention, le suivi des malades chroniques et le traitement des malades de tous les jours. Ces maisons de santé pourront offrir l’accueil des petites urgences en devenant la nuit des maisons de garde. La population pourra s’y adresser soit en s’y déplaçant, soit en téléphonant au médecin de garde ou au 15. Le généraliste jugera rapidement s’il faut faire une visite à domicile ou, pour les cas plus graves, appeler le SAMU et les emmener aux urgences hospitalières pour une prise en charge ou une hospitalisation. Ce qui soulagera le service des urgences hospitalières mais aussi rapprochera le généraliste de ses patients et en fera à nouveau un médecin de famille.

Ainsi, le généraliste devient responsable d’équipe de soins primaires et véritable acteur de santé de son territoire. Pour l’aider, il faut aussi permettre le transfert des tâches et former les infirmiers à l’état d’urgence. En France, selon l’ONDPS (Observatoire national des professions de santé), « la réalisation d’actes médicaux par les professionnels paramédicaux préalablement formés est faisable dans des conditions de sécurité satisfaisantes pour les patients ». Après une formation et protocolisation spécifique, les infirmiers seront autorisés à exercer une surveillance clinique sur des pathologies chroniques (diabète, HTA) et de la prévention sous la tutelle du médecin.

La télémédecine

L’Etat doit soutenir le développement de la télémédecine qui est une autre réponse à la désertification médicale. La médecine numérisée semble impersonnelle. Pourtant le numérique ne supprime pas l’acte médical et ne remplace pas la relation de confiance et de confidence avec le médecin, mais il peut se substituer à bon nombre de consultations ne nécessitant pas un déplacement à domicile.

Entre autres, H4D, une société française spécialisée créée en 2008 par le Dr Franck Baudino, a mis sur le marché une cabine spécialisée dans la télémédecine. Déjà commune en Australie et au Canada, cette cabine a été testée avec succès dans plusieurs villes en Alsace et Rhône-Alpes. Elle peut être installée dans un cabinet infirmier ou une maison de santé. Son objectif est de « permettre de façon simple l’accès de la population à un médecin et de contribuer ainsi à la prévention, au traitement et au suivi des pathologies aiguës et chroniques ».

Elle est équipée pour collecter les données médicales (tension, pouls, vision, audition, etc.). En fonction des résultats obtenus, le corps médical décide en direct si un rendez-vous s’impose ou non. Les vérifications et observations de base étant déjà faites, c’est un gain de temps. Ce diagnostic peut se faire au sein d’une maison de retraite ou d’un cabinet infirmier en milieu rural, avec l’aide d’un patient impliqué et des soignants en lien direct interconnecté avec divers membres du corps médical comme le généraliste, les spécialistes, le radiologue et l’hôpital si besoin. Ce qui accélère l’ordonnance médicale et les soins attenants.

Dans ce contexte, l’Etat ne doit pas laisser la santé dans les mains des big data – le GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazone), qui explore le monde de la santé et ses implications du futur comme une source de contrôle et de revenus financiers, mais faire du numérique une entreprise publique au même titre que l’Assurance maladie. L’Etat doit assurer la protection du patient/citoyen.

Conclusion

Nous devons organiser urgemment un référendum, impliquant tous les acteurs de la société, sur un plan d’urgence pour garantir une couverture médicale accessible à tous sur l’ensemble du territoire français, DOM-TOM compris.