Mission d’étude au pays des Nouvelles Routes de la soie

lundi 25 mars 2019, par Christine Bierre

Alors que la propagande antichinoise bat son plein dans les pays occidentaux, j’ai eu l’opportunité de regarder de près ce grand projet en participant à la deuxième mission d’étude sur les Nouvelles Routes de la soie, un voyage officiel organisé en octobre dernier par le gouvernement chinois pour une délégation française composée de journalistes, analystes de grands cercles de réflexion, juristes, entrepreneurs et responsables politiques.

Un programme remarquable, dans l’esprit des missions d’information qui avaient amené des responsables français aux Etats-Unis, après la Deuxième Guerre mondiale, afin qu’ils s’inspirent des grands progrès réalisés au cours du New Deal, faisant des Etats-Unis la première puissance mondiale. C’est en effet le même type de miracle économique que la Chine a réalisé ces dernières années !

Beijing

Première étape : la capitale chinoise, où nous parcourons les grandes avenues bordées d’immeubles cossus et modernes pour aller à la rencontre de certains directeurs de fonds qui investissent en Afrique ou ailleurs dans le contexte des Nouvelles Routes de la soie, ainsi que de dirigeants des centres de recherche économique de l’Etat et de hauts-responsables des Affaires étrangères.

China-Africa Development Fund (Cadfund)
China-Africa Development Fund (Cadfund)

Notre premier interlocuteur, M. Shi Jiyang, le président du China-Africa Development Fund (Cadfund), nous confirme l’importance que la Chine accorde à sa coopération économique avec l’Afrique. Le besoin du continent en matière d’infrastructures est estimé à 100 milliards par an, dont seuls 50 milliards sont pourvus. Lors du dernier Forum de la coopération sino-africaine à Beijing, le président Xi Jinping a doublé le capital de Cadfund, pour atteindre 10 milliards de dollars.

Des succursales de ce fonds opèrent déjà en Zambie, Ghana, Kenya, Ethiopie et Afrique du Sud. Elles financent 92 projets dans 36 pays, dans le secteur des transports, de l’énergie, des mines, des télécommunications, de l’industrie manufacturière et de la protection sociale.

Après s’être investi en Afrique anglophone, la Chine se tourne désormais vers les pays francophones, notamment le Maroc et le Sénégal. Nos interlocuteurs nous font part de leur désir de réaliser des projets conjoints avec la France en Afrique, où elle a une forte influence dans une vingtaine des pays. Pour établir des parcs industriels par exemple. Quelques coopérations modestes sont en cours, que la Chine espère voir grandir. Depuis le voyage d’Emmanuel Macron en Chine, en janvier 2018, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, y est retourné trois fois pour établir une liste de projets prioritaires entre les deux pays, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Nos interlocuteurs évoquent aussi des coopérations en cours avec EDF, Air France et BNP Paribas.

A ces fonds s’ajoutent ceux de l’ICBC (Industrial and Commercial Bank of China) dont nous avons rencontré plusieurs dirigeants. Avec un capital de 4100 milliards de dollars, l’ICBC finance 200 projets dans les domaines de l’électricité, du transport, des manufactures et des hydrocarbures en Afrique et ailleurs.

Egalement dans le secteur des obligations vertes, où elle a quelques partenariats avec le Crédit agricole, qui participe à une table ronde sur les Nouvelles Routes de la soie.

Le courroux de la Chine contre l’unilatéralisme de Trump

Ministère des affaires étrangères de la Chine
Christine Bierre

Du point de vue politique, lors des déjeuners informels, les hauts responsables des Affaires étrangères expriment librement leur agacement contre les « tendances unilatéralistes » en politique internationale, sans pour autant citer personne. La guerre commerciale lancée par Trump est dans tous les esprits, de même que la menace de représailles contre ceux qui refuseraient d’appliquer les sanctions américaines contre l’Iran. Trump aurait même mis en garde Macron contre les transferts de technologie nucléaire (civile) à la Chine !

A contrario, les responsables chinois donnent volontiers en exemple les bonnes relations qu’ils entretiennent avec la France : si les Etats-Unis et le Royaume-Uni se permettent des intrusions dans la zone de 12 miles nautiques appartenant à la Chine en Mer de Chine méridionale, la France, elle, navigue uniquement dans les eaux internationales. Ils se déclarent aussi prêts à examiner avec l’Europe la création de mécanismes de « clearing », qui permettraient aux deux parties d’échapper aux sanctions américaines et de poursuivre leur coopération avec l’Iran.

Enfin, ces mêmes responsables se disent ouverts au « projet de connectivité entre l’Europe et l’Asie » de l’UE, présenté pourtant comme « concurrent » à l’initiative chinoise, estimant que plus on investira dans les infrastructures de transports, mieux ce sera pour tout le monde.

Le modèle économique chinois

Place ensuite à des entretiens avec les chercheurs du Centre de recherche sur le développement au sein du Conseil d’Etat, qui nous apprennent tout sur le modèle économique chinois actuel. En France, nous pouvons établir un parallèle entre leur modèle et notre « planification indicative ».

Le gouvernement central, nous explique l’un des responsables, fixe les orientations générales ; les provinces les mettent en pratique, selon leurs besoins propres et avec la liberté d’aller chercher elles-mêmes des capitaux, y compris à l’étranger. Mais les principaux acteurs sont les entreprises qui, elles, doivent obéir à la loi du marché. Ces entreprises sont privées ou publiques, et le gouvernement veille à ce qu’il y ait une saine concurrence et qu’elles soient toutes traitées de la même manière.

Comment le gouvernement choisit-il ses priorités nationales ? Nous apprenons ainsi que les « capitaux nationaux » sont orientés par la Commission nationale des capitaux selon deux grands critères :

  1. la sécurité nationale et
  2. le bien-être de la population. Par exemple, en 2030, 25 % de la population chinoise aura 60 ans et plus, un handicap que la Chine veut transformer en atout, grâce au développement des services au Grand Age.

Pour donner un coup de fouet à ce secteur de l’économie qui n’avance pas assez vite, le gouvernement peut décider d’investir ses capitaux nationaux pour acheter telle ou telle entreprise privée, qui devient alors une entreprise mixte.

Une société plus écologique ?

Deuxième grand volet de la discussion dans cette enceinte, notamment, l’engagement de la Chine à adopter un modèle écologique de croissance pour faire face à son très grave problème de pollution.

La Chine a suivi la voie des pays industrialisés, nous explique le responsable du secteur écologie. Les modèles américain et européen produisent beaucoup de croissance et de consommation, mais aussi de déchets, c’est pourquoi la Chine a choisi désormais de développer une civilisation écologique.

Bien sûr, elle garde l’objectif de rendre le pays modérément prospère d’ici 2030, ce qui exige une croissance toujours plus élevée, problème qu’elle résout en faisant appel aux technologies toujours plus innovantes et propres.

Cap sur Zhengzhou, porte d’entrée vers les Nouvelles Routes de la soie

Canal de Dongfeng
Zhendong New Area, province de Zhenzhou (Henan)

Nous nous dirigeons enfin vers la province du Henan, au centre-est de la Chine, et vers sa capitale Zhengzhou, ancienne capitale de 4 des 8 dynasties les plus anciennes de la Chine, depuis la dynastie Shia (2200 av.- J.C.) jusqu’aux Song du Nord (960 à 1127 apr.-J.C.).

Carte des durées en temps réels des trajets Zhengzhou-Europe
Christine Bierre

Traditionnellement considéré comme le grenier à blé de la Chine, le Henan a connu un développement industriel fulgurant depuis quelques années, profitant de sa position avantageuse pour devenir un hub logistique des Nouvelles Routes de la soie vers l’Europe.

Centre logistique Trans-Eurasia

Peinture
Centre logistique Eurasia, départ des trains de la Nouvelle Route de la soie vers l’Europe
Christine Bierre

Transportés par un TGV beaucoup plus confortable que les nôtres, nous visitons d’abord le centre logistique Trans-Eurasia d’où partent des trains vers l’Europe, ainsi que la zone industrielle et le centre de E-commerce et des magasins sans employés. Au total, 8 trains de marchandises font chaque semaine l’aller-retour vers Munich et Hambourg, alors que 18 vols assurent une liaison vers le Luxembourg.
 
 

Magasin entièrement en self-service
Christine Bierre

 
 
 
 
 
Un centre de E-commerce opérant dans la zone franche permet d’acheminer très rapidement des produits bon marché vers d’autres localités. Ainsi, depuis quelques années, la croissance au Henan représente un cinquième de celle de l’économie chinoise.
 
 
 
 
 
 

Visites des usines Yutong et Yto

Usine des bus Yutong
Terrain pour tester l’équilibre des bus.

Nous visitons ensuite l’usine ultra-moderne, entièrement robotisée, des bus Yutong, l’une des plus grosses entreprises du monde, utilisant les méthodes industrielles les plus éprouvées, c’est-à-dire allemandes. Plus tard, nous découvrirons aussi l’usine de tracteurs de YTO Corporation, également à la pointe de la technologie.

Au menu des discussions avec les hauts responsables de cette ville, ainsi que ceux de Luoyang que nous visiterons le lendemain, les richesses agricoles, industrielles, scientifiques mais aussi culturelles, en vue d’une coopération bien plus grande avec la France, dont cette province se sent déjà proche.

Assemblage d’un tracteur
Yto Group Corporation (première compagnie chinoise de fabrication de tracteurs).
Christine Bierre

 
 
Visite enfin du YTO Group Corporation (First tractor company Ltd) un des leaders mondiaux dans les domaines des tracteurs agricoles, des engins de travaux publics et du matériel de construction, production d’énergie mobile, et véhicules spéciaux de chantier. L’occasion aussi d’apprendre que la Chine avait devancé les Occident de quelques 1000 ans dans la découverte de la charrue !
 
 
 
 

Une ancienne charrue
Invention de la charrue par la Chine au VIe siècle av.J.-C.
Christine Bierre

En échangeant avec nos différents interlocuteurs, nous constatons à quel point le citoyen chinois aime l’histoire ancienne de son pays, qu’il voit comme la base même de la projection de sa nation vers le futur. Ici, les traces d’une civilisation très ancienne se mêlent aux gratte-ciels qui constituent l’essentiel des bâtiments de ces deux villes, où vivent aujourd’hui 9,5 millions d’habitants pour Zhengzhou et 6 pour Luoyang. Les premiers vestiges d’une société agricole remontent à 10 000 ou 5000 ans vers les débuts de la civilisation. Le Henan compte 340 musées et 47 millions de pièces archéologiques, un patrimoine culturel coûteux à entretenir, qui pourrait faire l’objet de coopérations avec d’autres pays.

Nous aurons aussi le privilège de visiter quelques lieux prestigieux de cette région, comme le temple bouddhiste de Shaolin, où nous assisterons à l’une des célèbres présentations de Kung-fu par les moines du temple, ou encore les grottes de Longmen, de plus de 1000 ans, qui abritent une très belle statue de Bouddha de plus de 30 mètres de haut.

Grottes de Longmen
Les Grottes de Longmen remontent aux dynasties des Wei du Nord et Tang (316 - 907). Au sud de l’ancienne capitale de Luoyang, dans la province de Henan, elles rassemblent plus de 2.300 grottes et niches sculptées dans d’abruptes falaises calcaires.
Christine Bierre
Grottes de Longmen, détail.
Christine Bierre
Grande statue de Bouddha à Longmen
Christine Bierre
Temple de Shaolin
Le Temple de Shaolin est un temple bouddhiste dans la province du Henan fondé au Vè siècle. Il est célèbre pour ses pratiques des arts martiaux, et en particulier du kung-fu.
Christine Bierre
Jeunes moines bouddhistes s’entraînant à la danse et aux arts martiaux à Shaolin.
Christine Bierre
Remarquable démonstration de Kungfu à Shaolin.
Christine Bierre
L’auteure devant la grande muraille de Chine
Devant la grande muraille de Chine construite entre le IIIe siècle av. J.-C. et le XVIIe siècle pour défendre la frontière nord de la Chine.
Christine Bierre
Cité interdite
Christine Bierre
Cité interdite
Cité interdite
Cité interdite
Christine Bierre
De nombreux visiteurs à la Cité interdite
Christine Bierre