Davos : George Soros en guerre contre la Nouvelle Route de la soie

mercredi 30 janvier 2019

L’increvable spéculateur milliardaire américain George Soros est apparu la semaine dernière à la tribune du Forum de Davos, afin de donner le la aux élites mondialistes. Comparé au refrain frontal et vulgaire des néocons contre la Chine, que l’on a récemment pu entendre dans la bouche du vice-président Mike Pence ou du conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, Soros a pris soin de jouer de façon plus subtile et plus malicieuse la musique de la « dérive totalitaire » de la Chine et de son Président Xi Jinping.

Selon celui qui fut notamment le mécène des néo-nazis ukrainiens, la principale menace pour la « société ouverte » et les « valeurs libérales occidentales » est représentée par l’alliance entre des États autoritaires et des monopoles du « big data », qui peuvent aboutir à « un système totalitaire que même George Orwell n’aurait pu imaginer ».

Sans surprise, Soros ne s’inquiète pas du MI-6, de la CIA, de la NSA ou du GCHQ (les « grandes oreilles » britanniques) et du programme de surveillance de masse le plus vaste de l’histoire humaine – Edward Snowden n’a jamais existé –, mais de la Chine et la Russie, et en particulier de la mise en place en Chine du « Système de crédit social », un système de notation du comportement civique de la population chinoise qui deviendra opérationnel à partir de 2021.

« La Chine n’est pas le seul régime autoritaire du monde, mais c’est sans aucun doute le plus riche, le plus fort et le plus développé en matière d’intelligence artificielle », a-t-il dit au cours du dîner qu’il organise chaque année en marge du Forum économique mondial. « Cela fait de Xi Jinping le plus dangereux ennemi de ceux qui croient en des sociétés libres ».

Ainsi, le spécialiste des « révolutions de couleur » – ces changements de régime provoqués « démocratiquement » par les services de renseignement anglo-américains – encourage explicitement les membres du premier cercle du Parti communiste chinois à se retourner contre le « dictateur Xi Jinping », en se payant même le culot d’invoquer « une tradition confucéenne » voulant que les conseillers de l’empereur expriment publiquement leur désaccord, « même s’ils risquent l’exil ou la mort ». Ses équipes ont rapidement diffusé des copies de son discours en chinois par email, discours dans lequel il place dans le peuple chinois « son plus grand espoir ».

Levant le voile sur qui cherche des ennuis aux géants chinois des télécoms, Soros a précisé : « Si ces entreprises en venaient à dominer le marché de la 5G », la cinquième génération des technologies mobiles (5G), indispensable à l’essor des voitures autonomes et autres objets connectés, « elles représenteraient un risque inacceptable pour la sécurité du monde ». Devant une assemblée de journalistes, économistes et autres invités, George Soros a donc appelé les États-Unis à « sévir » contre les groupes technologiques chinois Huawei et ZTE.

« L’an dernier, je pensais encore que la Chine devait être davantage intégrée aux institutions de gouvernance mondiale, mais, depuis, le comportement de Xi m’a fait changer d’avis », a-t-il expliqué. Adversaire déclaré du président Donald Trump, Soros estime que le gouvernement américain avait certes reconnu que la Chine était un « adversaire stratégique », tout en jugeant que c’était là un constat « simpliste ». Selon lui, une réponse politique efficace face à la Chine doit être « bien plus sophistiquée, détaillée et pragmatique » et doit également comporter une réponse à l’ambitieux programme d’investissements à l’étranger de Beijing, les « Nouvelles Routes de la soie ».

Soros a reproché au président américain, qui a engagé des discussions commerciales avec Beijing, de vouloir « faire des concessions à la Chine et crier victoire tout en réitérant ses attaques contre les alliés des États-Unis ».

Dans sa conclusion, tout en mettant sur le même plan les présidents chinois et américains, Soros s’est voulu dramatique : « La réalité est que nous sommes dans une guerre froide menaçant de devenir chaude. D’un autre côté, si Xi et Trump n’étaient plus au pouvoir, l’opportunité se présenterait pour développer une plus grande coopération entre les deux cyber-superpuissances ».

Ainsi, celui qui s’est fait l’un des parrains les plus zélés de la stratégie d’encerclement de la Russie et de la Chine, déployée en particulier sous la présidence Obama, se découvre sur le tard une passion pour une coopération sino-américaine !

George Soros a toutefois aussi décoché une flèche à Moscou : « Je me suis concentré sur la Chine mais les sociétés libres ont bien d’autres ennemis, au premier rang desquels la Russie de Poutine. Le plus dangereux scénario serait que ces ennemis conspirent entre eux et apprennent des choses les uns des autres pour opprimer encore davantage leurs peuples. » On sait de longue date qu’une telle coopération s’appelle le « cauchemar de Kissinger ».

Ne nous y trompons pas : Soros est un serviteur de longue date de l’Empire britannique – ou de la forme financière offshore anglo-américaine que celui-ci a revêtu après la Seconde Guerre mondiale –, dont l’objectif essentiel a toujours été d’empêcher par tous les moyens une entente transcontinentale entre des États-nations souverains, et avant tout entre les États-Unis, la Russie et la Chine.

Le blanc est noir, et le noir est blanc

Lors de sa conférence de presse à Davos, le ministre russe de Développement économique Maksim Oreshkin n’a pas manqué de pointer du doigt cette tendance à systématiquement blâmer les autres, en l’occurrence la Russie et la Chine, pour tous les maux de la terre, tout en se montrant incapable de résoudre ses propres problèmes domestiques. Car après tout, qu’est-ce que cette « société ouverte » si chère à George Soros a su apporter aux populations américaines et européennes, à part la chute des niveaux de vie, le chômage de masse, le précariat, la désintégration sociale et la régression culturelle ?

De leur côté, les Chinois se sont contentés d’un commentaire laconique sur cette façon de « dépeindre le noir en blanc et de déformer les faits, qui ne mérite même pas une réfutation ».

L’ironie du sort est que le jour-même du discours de Soros à Davos, le directeur exécutif du World Food Program des Nations unies, David Beasley, reconnaissait publiquement le succès de la politique anti-pauvreté chinoise, réfutant implicitement les ardeurs belliqueuses du milliardaire. « La Chine a réduit de 800 millions le nombre de personnes en situation de pauvreté extrême dans les 40 dernières années, a-t-il déclaré sur CCTV. (…) Nous avons besoin de votre expertise et de votre engagement pour lutter contre la faim dans de nombreux pays du monde. La Chine peut ainsi passer du statut de bénéficiaire à celui de donateur. (…) [Elle] a un rôle à jouer pour contribuer à mettre le monde sur une voie plus pacifique et plus stable. Et je pense que plus vite l’Occident et la Chine parviendront à travailler ensemble, plus vite le monde en bénéficiera ».

La réalité est qu’une part croissante du monde – y compris au sein des populations occidentales, comme nous le voyons depuis le vote Brexit en Grande-Bretagne jusqu’au Gilets jaunes en France – comprend que la « société ouverte » est sans doute la plus grande fake news de ces dernières décennies ; et les stratégies de changements de régime voire de guerre directe, à l’extérieur, et de répression à coup de LBD 40 et autres grenades de désencerclement, à l’intérieur, s’avéreront impuissantes à arrêter ce processus, sauf à créer le chaos et à faire dériver nos sociétés vers le totalitarisme.