Le Brexit sera-t-il l’allumette qui fera exploser le baril de poudre ?

vendredi 11 janvier 2019

Si l’on lève la tête au-dessus du chaudron à haute température politique qu’est devenue la France aujourd’hui, on s’aperçoit rapidement qu’en plusieurs points du monde l’année 2019 nous promet bien des surprises.

À l’approche du vote historique du 15 janvier, où les parlementaires britanniques devront approuver ou rejeter l’accord de Brexit conclu avec l’UE, Theresa May a essuyé mercredi une nouvelle défaite lorsque la Chambre des communes a voté un amendement qui briderait les marges de manœuvres budgétaires du gouvernement en cas de « no deal ». De mauvais augure pour le 15 janvier.

Un article de CNN souligne que « si May ne parvient pas à faire passer l’accord, la probabilité d’une sortie du pays de l’UE sans accord deviendra très forte. La Banque d’Angleterre a affirmé que les conséquences d’un tel scénario pourraient bien être pires que la crise financière de 2008. Pour les institutions financières, un Brexit sans accord serait un cauchemar ».

Le 7 janvier, le Financial Times rapporte qu’en raison du Brexit, les banques et autres compagnies financières ont d’ors et déjà commencé à « déplacer leurs actifs du Royaume-Uni vers l’Europe à hauteur de 1000 milliards d’euros », d’après une étude du cabinet de conseil et d’expertise comptable EY. Ces chiffres représentent environ 10 % de l’ensemble des actifs du secteur bancaire britannique, et il s’agirait même d’une évaluation prudente, car certaines banques n’ont pas encore révélé leurs intentions. « Nos chiffres ne reflètent que les déplacements ayant été rendus publics, explique Omar Ali, chef du service financier de EY. Nous savons qu’en coulisse les acteurs financiers se préparent au scénario d’un non-accord ».

« Londres est la capitale financière incontestée de l’Europe, et elle héberge les sièges internationaux de dizaines de banques globales », ajoute CNN, sans pour autant évoquer l’éléphant au milieu de la pièce, c’est-à-dire la bulle des 1,5 quadrillions de dollars de produits dérivés financiers dont la grande majorité est centrée sur la place financière londonienne. En cas de « Brexit dur », une grande partie de ces produits financiers dérivés, dont la valeur dépend d’une chambre de compensation installée sur le territoire d’un pays membre de l’UE, perdront leur valeur du jour au lendemain.

Une crise majeure en 2019 ?

De nombreux articles de presse ont fleuri au passage de la nouvelle année alarmant sur une potentielle crise financière en 2019. Le Parisien, le 1er janvier : « Marchés financiers : dix ans après, le spectre d’un nouveau krach » ; Le Figaro , le 4 janvier : « Craignez-vous une nouvelle crise financière en 2019 ? »  ; France Info, le 6 janvier : « Faut-il s’inquiéter d’une crise économique majeur en 2019 ? » , etc.

En effet, l’année 2018 fut catastrophique pour les bourses. Le CAC40 a chuté de près de 11 %, le DAX allemand de 18,3 % et le London Stock Exchange de 12,4 %. À Wall Street, 2018 fut la pire année depuis dix ans. Le S&P 500, l’indice le plus large de la bourse new-yorkaise, a dégringolé de près de 20 % depuis son plus-haut du 22 septembre. Contrairement aux précédents effets de yo-yo, dont Wall Street a été coutumière ces dernières années, cette baisse est plus sévère et plus longue, et la volatilité est extrême.

L’effet Trump d’une croissance dopée par les baisses massives d’impôts sur les entreprises n’agit plus comme auparavant, et laisse place aux désillusions : selon le Wall Street Journal (WSJ), un panel d’économistes estime qu’il existe 22 % de chances que les États-Unis entrent en récession dans les douze prochains mois, contre 14 % il y a un an.

Aujourd’hui, à la différence de 2007-2008, les marchés financiers sont en grande partie « automatisés ». Le WSJ rapporte que 28,7 % des échanges boursiers sont effectués sur la base de modèles informatiques et d’algorithmes. En ajoutant le trading à haute fréquence (HFT) et la gestion « passive » de portefeuilles (spécialité du mariage BlackRock avec Google), les opérations automatisées atteignent 85 %. Ce qui ne pose pas tant un risque de déclencheur d’une nouvelle crise que d’accélérateur.

Les grands médias, qui pointent systématiquement du doigt, comme par un réflexe de Pavlov, la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis et le ralentissement de l’économie chinoise, passent sous silence les nombreux détonateurs potentiels se situant au cœur du système financier transatlantique : bulle des crédits étudiants et des prêts automobile aux États-Unis, bulle de la dette des entreprises, fragilité du secteur bancaire, notamment en Europe où la Deutsche Bank, l’une des dix plus grosses banques du monde, a perdu 37 % de sa valeur boursière depuis l’été 2018 et qui se trouve à son plus bas historique…

L’étincelle pourrait également venir du système bancaire italien, avec plus de 300 milliards d’euros de créances « douteuses », ce qui frapperait immédiatement la France. Les marchés sont très fébriles car, si un compromis a bien été trouvé entre Rome et Bruxelles sur le déficit public, la dette publique italienne reste de 130 % du PIB. « Si les investisseurs finissaient par prendre peur et que le taux de ses emprunts explosait, explique le magazine Capital, la troisième puissance économique de la zone euro pourrait très bien faire défaut, entraînant l’Europe dans la dépression. ‘Ce serait dix fois Lehman Brothers’, prévient Marc Touati ».

Mercredi, le gouvernement italien a annoncé un plan de 4 milliards d’euros pour sauver la banque génoise Carige, consistant à apporter sa garantie sur les émissions futures de la banque, pour 3 milliards, et jusqu’à 1 milliard de fonds propres. Cette intervention gouvernementale vise à empêcher le déclenchement du mécanisme de bail-in (saisie des dépôts pour renflouer la banque) prévue par la loi européenne, ou encore un rachat de Banca Carige par une banque italienne plus grosse.

Seule une mise en faillite ordonnée du système, visant à libérer l’économie réelle de la partie gangrenée du système financier par une procédure de séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires et une annulation ciblée des dettes illégitimes, permettra d’éviter un nouveau carnage social et économique.

Enfin, l’issue des négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine sera décisive. Car un accord entre les deux premières puissances mondiales, non seulement couperait l’herbe sous le pied des réseaux financiers et des milieux va-t-en-guerre, mais surtout ouvrirait la voie pour une coopération internationale, y compris sur la nécessaire refonte de l’architecture monétaire et financière mondiale.