A propos du livre Finance, Climat, Réveillez-vous !

jeudi 20 décembre 2018, par Pierre Bonnefoy

A propos du livre Finance, Climat, Réveillez-vous ! Anne Hessel, Jean Jouzel, Pierre Larrouturou, Editions Indigène, Octobre 2018.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas l’avenir de la planète, mais l’avenir de notre humanité.

Tel est le ton donné dès les premières pages de l’ouvrage coécrit par Anne Hessel, fille de l’ancien résistant Stéphane Hessel, Jean Jouzel, le climatologue ancien vice-président du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), et l’économiste Pierre Larrouturou.

Malgré ce que laisseraient supposer son titre et son contenu, ce n’est apparemment pas une publication des Témoins de Jéhovah.

Cependant, au vu de la crise économique et de la confusion d’idées dans laquelle se trouve notre société, les fausses solutions qu’il présente risquent pareillement de désorienter ceux qui s’interrogent honnêtement sur l’évolution de celle-ci depuis qu’a commencé en France la révolte des Gilets jaunes.

Quelques jours avant la sortie de ce livre, le GIEC publiait un rapport annonçant que si l’humanité ne réduisait pas tout de suite ses émissions de gaz carbonique (CO2) nous aurions un réchauffement climatique qui pourrait nous propulser, dès 2030, à 1,5 °C de plus que la température moyenne de 1850. Insinuant qu’il est peut-être déjà trop tard pour empêcher cela, le rapport énonce toute une série de catastrophes qui ne manqueront pas de s’ensuivre.

Selon notre trio qui partage les conclusions du GIEC, cette crise climatique constituerait un aspect d’une crise globale, dont l’autre expression serait une crise économique et financière pire que celle de 2008 et pouvant éclater à tout moment. Ils en concluent que cette double crise ne peut être résolue qu’en investissant massivement dans les énergies renouvelables (ENR) intermittentes, c’est-à-dire essentiellement des panneaux solaires et des éoliennes, ainsi que dans les économies d’énergie.

A cette fin, ils envisagent un vaste « Pacte européen écologie-emploi », lequel, s’inspirant du New Deal de Franklin Roosevelt et du programme Apollo de John Kennedy, mobiliserait 1000 milliards d’euros par an (création d’une banque dédiée à l’environnement, budget européen financé par un impôt fédéral écologique de 5 % sur les bénéfices des sociétés, taxe carbone inscrite dans un traité européen, etc.) pour créer des millions d’emplois « verts » en Europe ainsi qu’en Afrique.

Comme beaucoup de plumitifs français, Larrouturou a non seulement du mal à présenter des idées nouvelles sans les copier sur d’autres, mais la copie est bien souvent une caricature incompétente de l’original. Il se présente dans ce livre comme l’un des cinq économistes cités par Marianne qui avaient annoncé la crise financière de 2008. A cette époque, tout le monde semblait cependant frappé d’amnésie : lors de la présidentielle de 1995, Jacques Cheminade avait été le seul candidat à faire le bon diagnostic de la crise qui allait se produire, mais personne, à part Jean-François Kahn dans certains moments de distraction, ne se permettait de citer ouvertement Cheminade...

A partir de 2008, Larrouturou s’empara de l’image de Franklin Roosevelt mettant Wall Street au pas. Sans doute avait-il lu l’ouvrage publié par Cheminade en 2000, Roosevelt, Monnet, de Gaulle, reprendre leur combat.

Il serait toutefois exagéré de dire que Larrouturou reprit leur combat. Tout d’abord parce qu’il considère que la spéculation financière pose un problème simplement parce qu’elle détourne le crédit de l’économie réelle et qu’il croit pouvoir en limiter les effets en taxant 5 % des bénéfices des entreprises qu’on réinjecterait dans l’économie « verte ».

Roosevelt savait que pour faire le New Deal, il fallait une séparation nette entre le crédit et la spéculation pour briser cette dernière. D’où la loi Glass-Steagall sans laquelle rien n’aurait été possible. De même qu’aujourd’hui, toute politique pour résoudre la crise mondiale devra passer impérativement par des accords entre nations pour rétablir une véritable séparation bancaire (voir le projet de proposition de loi de S&P).

Loin de là, Larrouturou semble avoir pris le parti de ne pas trop importuner les milieux financiers et de jouer la dame patronnesse auprès de leurs victimes. La preuve ? Même Laurence Parisot, ancienne présidente du MEDEF, et Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC, soutiennent son plan.

Par ailleurs, le New Deal de Roosevelt reposait sur les moyens techniques et scientifiques les plus avancés de son époque pour produire une énergie abondante et bon marché, condition sine qua non pour répondre aux besoins colossaux des grands projets d’équipement de la nation. C’est de là qu’est venu le programme des grands barrages de la vallée du Tennessee (TVA), emblématiques de cette approche.

A l’opposé, Larrouturou et ses associés rejettent l’énergie la plus avancée de notre époque, l’énergie nucléaire, au moment où l’Afrique, aidée de la Chine, accélère son développement.

Les ENR, quant à elles, constituent un gigantesque retour en arrière car elles nécessitent une très grande quantité de matière (donc de grandes activités minières) pour produire relativement peu d’énergie.

Lancer un grand programme de panneaux photovoltaïques pour le Sahel, comme le proposent Hessel, Jouzel et Larrouturou, ne pourrait produire qu’un immense gaspillage en terme de ressources naturelles et de grands dégâts environnementaux dans les régions minières, comme Guillaume Pitron l’a méthodiquement démontré dans son livre, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique.

Si Larrouturou était réellement préoccupé par le sort des Africains, il soutiendrait, tout comme Cheminade, le projet Transaqua pour remettre en eau le lac Tchad en détournant 5 % des eaux du fleuve Congo, ce qui permettrait de reverdir le désert. Ne serait-il pas plus écologique de remplacer les déserts par des forêts, plutôt que d’y planter des panneaux de silicium à courte durée de vie ?

A vrai dire, les trois auteurs ont une vision assez étonnante de la situation en Afrique et du problème des migrants. A les lire, on pourrait croire que si les Africains sont obligés de migrer, c’est essentiellement à cause du réchauffement climatique. Ah bon ? Ont-ils oublié que la misère a été imposée sur ce continent depuis des décennies par les politiques d’ajustement structurels du FMI ? Par la mise sous tutelle financière de 14 pays africains par un pays étranger, la France, à travers une monnaie qu’elle contrôle, le franc CFA ? Ont-il également oublié le rôle auquel a participé leur propre pays pour renverser des gouvernements souverains et entretenir ainsi le terrorisme facteur de migrations ? L’assassinat de Kadhafi n’est pourtant pas si lointain dans les mémoires, et ses conséquences encore moins...
Oui, me direz-vous, mais que devient le climat dans toutes ces considérations économiques et politiques ?

Il semblerait que Jouzel soit aussi rigoureux en climatologie que Larrouturou en économie. L’un des points forts de sa démonstration, repose sur l’affirmation sans cesse rappelée dans les médias, que le débat scientifique serait tranché depuis longtemps, et que la quasi-unanimité des experts reconnaîtraient que les activités humaines émettrices de gaz à effet de serre réchaufferaient le climat. Pour Jouzel, cette culpabilité humaine serait connue depuis les années 1970, mais le poids des lobbies nous aurait fait perdre des décennies. Comme ceux de plus de 60 ans devraient s’en souvenir, à cette époque les médias occidentaux nous disaient pourtant que l’industrie humaine allait produire un refroidissement climatique, en donnant la parole à de nombreux experts de l’époque aussi convaincus de leur fait que ceux d’aujourd’hui du leur. Jouzel serait-il si âgé qu’il ait perdu la mémoire à ce point ?

Ecoutons-le :

(…) les premiers messages d’alerte (…) datent du début des années 1970. "Les dirigeants du monde entier ont exprimé leurs préoccupations face aux indications d’un possible changement climatique à long terme. Le secrétaire d’Etat Kissinger propose que ce problème fasse immédiatement l’objet d’investigations." Ce télégramme daté du 8 mai 1974 fait référence à la 6° session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies, au cours de laquelle Henry Kissinger s’est officiellement emparé du problème.

On notera au passage que l’expression « changement climatique » mentionnée ci-dessus permet à Jouzel de suggérer que c’est de réchauffement dont il était question à l’époque. Mais intéressons-nous plutôt à l’année en question et au personnage mentionné.

C’est précisément en 1974 qu’Henry Kissinger écrivit son tristement célèbre National Security Study Memorandum 200 (NSSM-200) à l’attention de l’Administration américaine. Selon ce document confidentiel mais déclassifié depuis 1991, la croissance démographique dans les pays en voie de développement constituerait une « menace » stratégique pour les Etats-Unis et tout l’Occident, dans la mesure où ces pays pourraient décider d’utiliser leurs ressources, notamment le pétrole et le gaz naturel, pour leur propre développement économique. Kissinger y recommandait toute une série d’opérations politiques et économiques, allant du changement de régime au chantage à la dette, pour empêcher ce développement économique. Ces recommandations furent suivies.

Il suggérait aussi d’utiliser l’ONU pour promouvoir l’idée d’une explosion démographique dans ces pays, car un tel message, venant ouvertement des pays occidentaux, aurait pu – à juste titre – passer pour colonialiste.

C’est également à cette époque que le Club de Rome lança son manifeste Halte à la croissance. Pour ces milieux, tous les prétextes sont bons pour justifier « scientifiquement » des politiques de sous-développement sur les anciennes colonies. L’idée de présenter le développement comme une menace pour le climat pouvait sembler séduisante...

Dans les 40 années suivantes, ces politiques fonctionnèrent à merveille. Cependant, en 2013 le président chinois Xi Jinping lança son Initiative une Ceinture une Route (les Nouvelles Routes de la soie) qui propose de vastes projets d’infrastructures et d’interconnexions entre pays pour permettre un développement mutuel à l’échelle planétaire. Une centaine de nations l’ont déjà rejointe. Depuis quelques années, des projets spectaculaires ont déjà changé la face de l’Afrique, comme la ligne de chemin de fer Mombasa – Nairobi ou celle entre Djibouti et Addis-Abeba. C’est dans ce contexte que l’étude de faisabilité du projet Transaqua a enfin trouvé un financement.

L’ancien monde de l’austérité financière et écologique pourrait bientôt disparaître.