Terres rares : l’enfer géopolitique est pavé d’écologisme

mercredi 18 avril 2018, par Pierre Bonnefoy

La guerre des métaux rares
La face cachée de la transition énergétique et numérique

Revue de livre :

Guillaume Pitron
Editions Les Liens qui Libèrent
Janvier 2018.
Préface d’Hubert Védrine

Introduction

Dans son livre remarquable pour notre époque, Guillaume Pitron montre, brillamment mais quelque peu malgré lui, que la culture ambiante occidentale dans laquelle géopolitique et écologisme se conjuguent, conduit l’espèce humaine à la catastrophe. Cet ouvrage écrit manifestement par un écologiste convaincu, a le mérite de montrer que « l’économie verte » est un leurre pour la protection de l’environnement et pour la paix entre nations.

Cependant, pour éviter toute confusion, précisons tout de suite que lorsque nous parlons d’écologisme, nous ne parlons pas d’une science qui s’intéresse aux relations qui concernent la biosphère, mais d’une vision qui considère que l’action de l’homme sur la nature est intrinsèquement destructrice car déterminée par des intérêts égoïstes et prédateurs de ressources naturelles rares. Nous sommes ici à l’opposé d’une écologie humaine, et il conviendrait sans doute mieux de parler d’écologie malthusienne, tellement l’idéologie pollue aujourd’hui la science légitime.

De même, par « géopolitique » nous désignons une idéologie qui considère que les relations entre nations ou blocs de nations sont intrinsèquement conflictuelles car déterminées par des intérêts contradictoires pour le contrôle de territoires et de ressources rares.

Commençons donc par voir pourquoi Pitron a raison de mettre le fer là où ça fait mal.

Métaux rares

Le sujet de son livre concerne ce qu’on appelle les métaux rares et les terres rares. Ce sont des éléments chimiques de la table de Mendeleïev qui sont nommés « rares » pour la simple raison qu’ils sont moins abondants dans la croûte terrestre que d’autres utilisés depuis longtemps par l’industrie humaine. Ils ne sont pas rares dans l’absolu, mais plus difficiles d’accès dans l’état actuel de nos techniques.

Ainsi :

Exemple : le sol recèle en moyenne 1200 fois moins de néodyme et jusqu’à 2650 fois moins de gallium que de fer. (…) Les métaux rares représentent de toutes petites productions annuelles, ignorées des grands médias : 130 000 tonnes de terres rares par an contre 2 milliards de tonnes de fer – soit quinze mille fois moins.

Du fait de leurs propriétés physiques très intéressantes, les métaux rares vont jouer un rôle de plus en plus grand dans l’industrie du futur ainsi que pour ce que l’on appelle aujourd’hui « la transition énergétique et numérique ».

Soutenir le changement de notre modèle économique exige déjà un doublement de la production de métaux rares tous les quinze ans environ, et nécessitera au cours des trente prochaines années d’extraire davantage de minerais que ce que l’humanité a prélevé depuis 70 000 ans.

Cependant, une remarque est significative du manque de prévoyance de nos dirigeants politiques :
« L’accord de Paris sur le changement climatique ne mentionne pas une seule fois les mots ‘métaux’, ‘minerais’ et ‘matières premières’. »

Une absence de taille compte tenu de l’importance accordée par cet accord au développement des énergies dites « renouvelables » !

Par exemple, Pitron cite certaines terres rares indispensables pour la construction d’éoliennes et de moteurs électriques :

Ces aimants ultra puissants sont en particulier produits avec des terres rares appelées néodyme et samarium, alliés à d’autres métaux tels que le fer, le bore et le cobalt.

Leur rareté toute relative a pour conséquence que le simple minage de ces éléments coûte cher car il demande, pour les séparer du reste, de faire subir aux matériaux bruts extraits du sol de nombreux processus chimiques assez compliqués qui consomment beaucoup d’énergie et qui produisent de grosses quantités de « déchets ».

Cela est vrai en réalité pour toute industrie minière, mais les quantités d’énergie consommée et de produits rejetés sont beaucoup plus importantes par quantité de matière obtenue lorsqu’il s’agit d’extraire des éléments relativement rares.

Ceci conduit Pitron à jeter un pavé dans la mare écologiste : les technologies « vertes » : panneaux solaires, éoliennes, voitures électriques… sont extrêmement « sales ».

Ayant mené son enquête jusqu’en Chine, premier producteur de métaux rares au monde, il dresse un tableau très éloigné des phantasmes écologistes occidentaux :

(…) dans l’empire du Milieu, on ne compte plus les cas de contamination. En 2006, une soixantaine d’entreprises de production d’indium, un métal rare qui entre dans la fabrication des panneaux solaires, déversaient des tonnes de produits chimiques dans le fleuve Xiang, dans la province méridionale du Hunan, compromettant l’approvisionnement en eau potable des populations riveraines. En 2011, des journalistes ont rapporté les dégâts causés aux écosystèmes du fleuve Ting, dans la province côtière du Fujian, par l’exploitation d’une mine riche en gallium, un métal prometteur pour la fabrication d’ampoules de basse consommation. Et, à Ganzhou, où nous avons atterri, la presse locale a récemment indiqué que des montagnes de déchets toxiques empilés par une usine de production de tungstène, un métal indispensable aux pales des éoliennes, avaient obstrué plusieurs effluents du fleuve Bleu.

Les énergies dites renouvelables ont une très faible densité de flux d’énergie par quantité de matière utilisée, c’est-à-dire qu’il faut davantage de matière dans ces technologies pour produire la même quantité d’énergie que dans les autres procédés. Autrement dit, l’impact environnemental des activités de minage qui leurs sont associées est d’autant plus important…

Pitron aborde également la question du recyclage envisagé par certains pays comme le Japon. Le matériel électronique hors d’usage regorge de métaux rares. Aujourd’hui, les pays occidentaux jettent ces déchets dans de gigantesques décharges en Afrique ou en Chine. Ne pourrait-on pas limiter les opérations de minage en considérant ces déchets comme des ressources ? Compte tenu des technologies mises en œuvre actuellement, cette piste s’avère également être une impasse :

Par conséquent, à l’heure actuelle, aucun industriel n’a intérêt à recycler le premier gramme de métaux rares. Il est infiniment moins cher de s’en procurer à la mine que de se lancer à l’assaut des poubelles électroniques. Ainsi, 18 des 60 métaux les plus utilisés dans l’industrie sont recyclés à plus de 50%. Trois de plus le sont à plus de 25%, et trois autres au-delà de 10%. Pour les 36 métaux restants, le taux de recyclage est inférieur à 10%. Et pour des métaux rares tels que l’indium, le germanium, le tantale, le gallium et certaines terres rares, il varie de zéro à 3% (…)

Energies vertes et révolution numérique

Mais ces problèmes ne s’arrêtent pas au minage : les écologistes vantent les énergies dites renouvelables parce qu’il ne tiennent absolument pas compte des ressources qu’il faut également mobiliser pour les mettre en œuvre. Comme chacun le sait, ou devrait le savoir, ces sources d’énergie produisent de l’électricité de manière intermittente, ce qui signifie qu’en dehors de la très grande quantité de matière et d’énergie (par rapport au résultat produit) qu’il faut consommer pour construire des panneaux solaires et des éoliennes ainsi que pour assurer leur maintenance, il faut surtout déployer d’énormes moyens en infrastructure pour les faire fonctionner dans le réseau national (multiplication des lignes électriques et des connections, vieillissement plus rapide des équipements, stockage de l’électricité…).

Cela implique, en particulier, de très gros moyens dans le numérique pour piloter tout cela. Or contrairement à ce que l’on croyait dans les années 1970 lorsqu’on pensait que le futur serait une société postindustrielle basée sur l’information et la faible consommation d’énergie, il s’avère que le numérique est très consommateur en matière et en énergie.

Or le digital nécessite l’exploitation de quantités considérables de métaux : chaque année, l’industrie de l’électronique consomme 320 tonnes d’or et 7 500 tonnes d’argent, accapare 22% de la consommation mondiale de mercure (soit 514 tonnes) et jusqu’à 2,5% de la consommation de plomb. La fabrication des seuls ordinateurs et téléphones portables engloutit 19% de la production globale de métaux rares tels que le palladium et 23% du cobalt. Sans compter la quarantaine d’autres métaux en moyenne contenus dans les téléphones mobiles (…) le produit dont dispose le consommateur ne représente que 2% de la masse totale des déchets générés tout au long du cycle de vie (…) La seule fabrication d’une puce de deux grammes implique le rejet de deux kilogrammes de matériaux environ (…)

Dans la même veine, Pitron ajoute sur un ton apocalyptique :

(…) un mail avec une pièce jointe utilise l’électricité d’une ampoule à basse consommation de forte puissance pendant une heure (…) Or, chaque heure, ce sont dix milliards d’e-mails qui sont envoyés à travers le monde (…) l’équivalent de la production électrique de quinze centrales nucléaires pendant une heure (…). (…) pour gérer les données qui transitent et faire fonctionner les systèmes de refroidissement, un seul data center consomme chaque jour autant d’énergie qu’une ville de 30 000 habitants… De manière plus générale, une étude américaine a estimé que le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) consommait 10% de l’électricité mondiale et produisait chaque année 50% de plus de gaz à effet de serre que le transport aérien (…) Et ce n’est bien entendu qu’un début : la transition énergétique et numérique va encore nécessiter la mise en service de constellations de satellites (…) une armada d’ordinateurs pour identifier la bonne orbite (…) des légions de supercalculateurs pour analyser le déluge de données, et, pour acheminer l’information en temps réel, une toile planétaire de câbles sous-marins, un dédale de réseaux électriques aériens et souterrains, des millions de terminaux informatiques, quantité de centre de stockage de données, des milliards de tablettes, smartphones et autres objets connectés dont il faudra recharger les batteries (…) Et, pour ce Léviathan numérique, nous aurons besoin de centrales à charbon, à pétrole, à gaz et nucléaires, de champs éoliens, de fermes solaires et de réseaux intelligents – autant d’infrastructures pour lesquelles il nous faudra des métaux rares.

La question du CO2

Nous sommes d’accord avec Pitron quand il parle de pollution à propos de processus qui conduisent au rejet dans l’environnement de produits pour lesquels on n’a trouvé aucune utilisation. Par contre nous ne pensons pas que la production de CO2 par l’activité humaine soit un problème.

Tout d’abord parce que le CO2 est un aliment indispensable pour les végétaux verts qui produisent l’oxygène que nous respirons et les matières organiques que nous mangeons, et ensuite parce que son impact sur le climat n’est pas établi scientifiquement, et ne fait donc pas l’objet d’un consensus scientifique, comme le montre notamment l’ouvrage de François Gervais, membre du GIEC, L’innocence du carbone.

De plus, les travaux du chercheur danois Henrik Svensmark montrent que les rayonnements cosmiques jouent un rôle majeur sur notre climat non pris en compte par les modèles informatiques actuels du climat. Tout ce qu’on peut dire, c’est que la science du climat n’existe pas encore.

Sur ce point, nous divergeons donc d’avec Pitron. Cependant, si l’on admet avec lui les arguments écologistes sur le CO2, alors on ne peut que constater que ceux qui défendent l’actuelle transition énergétique et numérique au nom de la protection du climat, pataugent en pleine contradiction interne.

Ainsi, le silicium des cellules photovoltaïques et de l’électronique en général, qui n’est pas un métal rare (bien qu’il nécessite d’être « dopé » avec des métaux rares), subit un traitement qui demande de très grandes quantités d’énergie, donc produit beaucoup de CO2 avec les sources d’énergie actuelles.

La seule production d’un panneau solaire, compte tenu du silicium qu’il contient, génère (…) plus de 70 kilos de CO2. Or, avec un nombre de panneaux photovoltaïques qui va augmenter de 23% par an dans les années à venir, cela signifie que les installations solaires produiront chaque année dix gigawatts d’électricité supplémentaire. Cela représente 2,7 milliards de tonnes de charbon rejetées dans l’atmosphère, soit l’équivalent de la pollution générée pendant un an par l’activité de près de 600 000 automobiles.

Un peu plus loin, il ajoute qu’une voiture électrique produirait en gros autant de CO2 qu’une voiture au diesel équivalent pendant tout son cycle de vie (incluant donc la production et la fin de vie, et pas seulement l’utilisation). Augmenter l’autonomie d’une voiture électrique demande d’augmenter la quantité de matière dans sa batterie : le lithium n’est pas rare, mais sa prospection minière est très polluante (comme toute activité minière) et consommatrice d’énergie.

(…) la fabrication d’une voiture électrique, censée consommer moins d’énergie, requiert beaucoup plus d’énergie que l’usinage d’une voiture classique. Cela s’explique notamment par leur batterie, généralement une batterie lithium-ion, qui est lourde, très lourde… (…)
Une batterie suffisamment puissante pour faire rouler une voiture durant 300 kilomètres correspond (…) à un doublement des émissions de carbone générées au cours de la phase d’usinage du véhicule. Et, dans le cas d’une batterie affichant une autonomie de 500 kilomètres, il faudrait même les tripler ! Résultat : une voiture électrique générerait, durant l’ensemble de son cycle de vie, trois quart des émissions carbone d’une voiture roulant au pétrole (…) Or le groupe Tesla (…) promet pour bientôt des batteries dotées d’une autonomie de 800 kilomètres.

De tels arguments ont mis en fureur Cédric Philibert, spécialiste des énergies renouvelables à l’Agence internationale de l’énergie, qui s’efforce de réfuter Pitron dans l’OBS du 15 mars 2018 en signant un article intitulé « Non, la transition énergétique n’est pas un leurre ».

Il fait notamment remarquer que les chiffres sur le CO2 avancés par Pitron supposent que l’électricité consommée pour produire les véhicules vient du charbon, mais qu’à « mesure que l’on introduit plus d’énergies renouvelables dans l’électricité, la pollution indirecte de la voiture (électrique) s’efface. »

Il y aurait ici matière à une infinité d’arguties, mais Philibert croit manifestement qu’on pourrait remplacer le charbon par les renouvelables de manière massive et durable, ce que Pitron réfute, notamment par son argument selon lequel une telle transition demanderait une énorme consommation de matière pour construire les infrastructures nécessaires.

L’impasse géopolitique

Bien que Pitron fasse preuve d’un certain courage intellectuel pour pointer sur certaines contradictions internes de l’écologisme, il se laisse cependant polluer par une autre mode dominante dans la culture occidentale, la pensée géopolitique, et c’est à travers cette grille de lecture qu’il analyse l’évolution en cours de la politique chinoise.

Cette grille de lecture est malheureusement très répandue au Quai d’Orsay, et ceci n’est probablement pas sans lien avec le fait que la préface de son livre soit signée par un ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine.

Selon cette grille de lecture, la Chine aurait compris avant tout le monde l’intérêt de contrôler la production des terres rares qui vont devenir la ressource économique et stratégique la plus importante des décennies à venir. La Chine chercherait en somme à devenir l’Arabie saoudite du XXIe siècle, dans le but de dominer le monde.

Sans vouloir faire d’angélisme vis-à-vis de la politique chinoise, nous dirons qu’au vu des pratiques de guerres et de changements de régimes appliquées ces dernières décennies dans le monde, accuser la Chine de vouloir établir un empire mondial, revient à désigner la proverbiale paille dans l’œil du voisin, sans voir la poutre dans l’œil occidental…

Comme le montre Pitron, la montée en puissance de l’économie chinoise s’est effectuée en plusieurs étapes, et a été facilitée par les pressions des mouvements écologistes sur les gouvernements occidentaux.

Il mentionne dans son livre le cas d’un certain nombre d’exploitations minières de métaux rares aux Etats-Unis et en France qui ont été fermées dans ce contexte, et où nos gouvernements ont été trop heureux de sous-traiter ce sale boulot à la Chine « moins regardante que nous sur les conditions sociales et environnementale » qui est ainsi devenue la mine (et l’atelier) du monde. La Chine a donc acquis une position dominante dans la production et le marché de nombreuses ressources minérales, et pas seulement des métaux rares :

L’Empire du milieu est aujourd’hui le premier producteur de 28 ressources minérales indispensables à nos économies, avec souvent une part supérieure à 50% de la production mondiale. Et il produit au moins 15% de toutes les ressources minérales, sauf pour le platine et le nickel.

Notre volonté occidentale d’avoir une « économie verte » sans être en mesure d’en produire les ressources nécessaires, nous mettrait donc à la merci de l’ogre chinois. Comment pourrions-nous honnêtement reprocher aux Chinois cet état de fait ?

Après tout, ce processus est en parfaite cohérence avec les principes économiques imposés par l’occident à la planète depuis la chute de l’empire soviétique, et notamment les fameux « avantages comparatifs » de Ricardo enseignés par nos économistes libéraux.

Cependant, la politique chinoise qui a l’avantage de se projeter sur le long terme, n’en est pas restée à la production de matières premières. S’appuyant sur son contrôle accru des ressources nécessaires à son propre développement, le pays s’est mis à produire des biens de plus en plus sophistiqués et qui exigent donc une main d’œuvre de plus en plus qualifiée et mieux payée. Le fait est que depuis une quarantaine d’année, quoi que l’on puisse penser des dirigeants chinois, ils ont constamment travaillé à améliorer les conditions de vie de leur population qui partaient d’un niveau très bas au sortir de la Révolution culturelle.

Comme Pitron le fait justement remarquer, ceci est cohérent car la plupart d’entre eux sont ingénieurs de formation. Lorsque l’on s’intéresse à un géant de 1,4 milliard d’habitants comme la Chine, il ne faut donc pas voir simplement les conditions de vie de sa population à un moment donné de l’histoire, mais considérer la manière dont elles évoluent dans le temps.

Cependant, Pitron note qu’aujourd’hui la Chine produit des composants électroniques tellement sophistiqués qu’ils sont incorporés dans certaines armes stratégiques américaines – ce qui serait pour lui un signe évident du nouveau péril jaune. Avec le même type d’argument, il aurait pourtant pu parler du péril anglo-américain à l’heure où les GAFAM équipent la défense, la justice et l’éducation en France. Ne vaudrait-il pas mieux reprocher à nos gouvernements de céder du terrain sur leurs missions régaliennes plutôt que de reprocher aux Chinois d’assurer leur propre sécurité ?

Ce qui choque le plus les occidentaux, comme le note Pitron non sans ironie, c’est qu’après avoir copié nos technologies, la Chine mise sur la créativité scientifique de sa propre population.

Ainsi :

Pour Pékin, il s’agit donc bien de se placer du côté non plus seulement de la demande de nouvelles technologies, mais de l’offre, et d’échanger son statut de consommateur de savoirs contre celui de fournisseur de connaissances. Cette politique se lit à travers un chiffre ahurissant : en 2015, la Chine est le pays qui a déposé le plus de brevets au monde, avec plus de 1,1 millions de dépôts.

Politique chinoise en Afrique

Cependant, notre auteur constate avec une certaine horreur, que les pratiques chinoises semblent faire école dans nos anciennes colonies :

En engageant l’humanité entière dans la quête de métaux rares, la transition énergétique et numérique va assurément aggraver les tensions et les discordes. Loin de mettre un terme à la géopolitique de l’énergie, elle va au contraire l’exacerber. Et la Chine entend façonner ce nouveau monde à sa main. (…) L’Afrique, notamment, est l’objet de toutes les convoitises, en particulier, l’Afrique du Sud, le Burundi, Madagascar et l’Angola. Tout à sa diplomatie chinoise, l’ancien président angolais, José Eduardo dos Santos, a fait des terres rares une priorité de son développement minier afin de satisfaire les besoins de Pékin. La Chine entreprend également la construction d’une ligne de chemin de fer en République démocratique du Congo afin de désenclaver la région méridionale du Katanga.

Pitron dit que la Chine veut dominer le monde et l’Afrique, mais il refuse de voir que des pays africains sont au contraire encouragés à se développer par son exemple… Il ne voit pas, en particulier, que ces dernières années, la Chine a reproduit en Afrique ce qu’elle avait fait chez elle : former des emplois de plus en plus qualifiés et bâtir des infrastructures pour relier les pays du continent entre eux. Ce n’est que de cette manière qu’on peut sortir de la logique du pillage colonial. Un projet vecteur dans cette nouvelle politique, est la coopération chinoise pour la construction de la nouvelle ligne ferroviaire moderne entre Mombasa et Nairobi au Kenya qui a été inaugurée en mai 2017.

Il est malheureux que pour beaucoup « d’experts » français en géopolitique, l’initiative des Nouvelles Routes de la soie du président Xi Jinping soit ainsi vue non pas comme une opportunité de développer les pays pauvres, mais plutôt comme une menace. Le fait qu’Emmanuel Macron ait fait l’éloge des Nouvelles Routes de la soie lors de son voyage de début janvier 2018 en Chine, montre que le débat sur le sujet fait rage dans nos institutions, mais les discours de notre président resteront, ici aussi, des paroles creuses si les vieilles mentalités ne changent pas.

Après avoir montré de manière exhaustive l’impasse dans laquelle nous conduit la pensée écologiste, il est triste de constater que Pitron tente malgré tout de s’y cramponner, n’ayant sans doute rien trouvé de mieux. Il conclut donc son livre par un lieu commun archi-rebattu, mis de l’avant par les écologistes pour promouvoir les énergies dites renouvelables, et dont il a finalement lui-même montré toute l’absurdité :

Sans vouloir faire rimer sobriété avec décroissance, la meilleure énergie reste assurément celle que nous ne consommons pas.

Il reprend à son compte la vision du Club de Rome qui, dans son manifeste, Halte à la croissance, nous annonçait déjà la fin du monde dans les années 1970 en prédisant que la croissance de l’humanité épuiserait tôt ou tard les ressources naturelles.

La grande « trouvaille » de Pitron pour résoudre ce problème serait donc… de rouvrir des mines pour produire des métaux rares en France. Son argument repose sur le fait que dans nos pays « démocratiques », l’opinion publique animée par les mouvements écologistes se révolterait si nos gouvernements n’imposaient pas à ces activités des normes extrêmement contraignantes.

Il s’agit donc ici de ne plus sous-traiter le sale boulot à des « dictatures » comme la Chine « qui n’ont aucun scrupule à maltraiter la population ». Bien entendu, il reconnaît lui-même que cela ne serait possible que dans la mesure où l’ensemble de l’humanité accepterait pour toujours de réduire sa consommation d’énergie et de voir stagner ses conditions de vies à un niveau plus bas que celui de la population occidentale d’aujourd’hui.

Encouragés par l’initiative des Nouvelles Routes de la soie, les pays pauvres aspirent de plus en plus ouvertement à se développer. On l’a vu par exemple au sommet d’Abuja au Nigeria fin février 2018 quand les chefs d’Etat africains présents ont décidé de soutenir le projet la remise en eau du Lac Tchad contre l’avis de nos experts de l’UNESCO et de l’IRD. De ce fait, on voit mal comment la vision de « sobriété énergétique » de Pitron pourrait être mise en œuvre, à moins de déclencher de nouvelles guerres contre le Sud. Ceci n’est certainement pas son intention, bien qu’il pense en termes géopolitiques…

La fin d’une démonstration par l’absurde

L’erreur fondamentale de Pitron, et de ses détracteurs écologistes qui le rejoignent là-dessus, c’est de partir du postulat que la croissance de l’humanité est intrinsèquement contre nature. C’est pour cela vraisemblablement, qu’il ne s’intéresse absolument pas à un phénomène présent partout dans la nature : l’énergie nucléaire. Il manque entrevoir, dans une remarque au passage, que le nucléaire nécessite beaucoup moins de quantité de matière que tous les autres procédés connus (2 grammes d’uranium produisent plus d’énergie que 30 barils de pétrole et 6 tonnes de charbon), et permettrait donc de faire face aux problèmes qu’il soulève pour de nombreuses décennies. Mais il ne s’y arrête pas pour des raisons idéologiques et préfère décréter arbitrairement que la croissance devrait s’arrêter :

En 1931, Paul Valéry nous avait pourtant avertis que ‘le temps du monde fini commence’.

Il est piquant de remarquer ici que le pays au monde qui construit actuellement le plus de centrales nucléaires et qui étudie toutes les filières nucléaires du futur, c’est… la Chine, mais notre auteur ne dit rien à ce sujet.

Certes, par la fission aujourd’hui, et par la fusion demain, le nucléaire produit une plus grande densité de flux d’énergie par unité de masse de matière, mais il y a plus important encore. Il faut voir dans le nucléaire pas seulement une manière de produire de l’énergie selon l’ancienne manière de penser, mais il faut voir aussi tous les nouveaux degrés de liberté d’action que nous procurera la compréhension et la maîtrise de la physique nucléaire.

Ainsi, collé à l’ancienne manière de penser, Pitron croit que l’humanité se procurera indéfiniment ses ressources par la prospection minière. Il oublie que la physique nucléaire a été découverte il y a environ un siècle lorsque Marie Curie a constaté que certains éléments chimiques se transformaient en d’autres éléments chimiques. La transmutation est un phénomène connu depuis ce moment-là bien que l’on ne soit encore qu’au début d’en comprendre les causes et de le maîtriser. Il n’y a pourtant rien d’extraordinaire à comprendre que si l’on ne bloque pas idéologiquement la recherche scientifique, ce phénomène fera partie de notre panoplie d’instruments pour produire les matériaux dont nous aurons besoin à l’avenir.

De ce point de vue opposé à l’écologisme, la guerre des métaux rares n’a donc plus de raison d’être.

On peut également citer le principe de la torche à fusion qu’on pourra appliquer quand on maîtrisera la fusion thermonucléaire. Il s’agit ici d’obtenir des plasmas à des températures tellement élevées, que tous les corps physiques qui s’y trouvent voient leurs atomes dissociés les uns des autres.

Avec de telles techniques, tout déchet pourrait devenir une source de matière première, et le recyclage des terres rares, quasi impossible avec les technologies actuelles, deviendrait une réalité.

Ah oui, nous direz-vous, mais il est question ici de techniques qui n’existent pas encore et qui peut-être n’existeront jamais. Pourquoi baser l’avenir de l’humanité sur un pari aussi incertain ? Pour la simple raison, dirait Blaise Pascal, que c’est le seul pari raisonnable.

Contrairement à Pitron, nous pensons que l’humanité n’a exploré qu’une part infime de notre univers, que le monde n’est pas fini, et que l’être humain est capable d’en découvrir et d’en maîtriser les lois, s’il accepte de jeter à la poubelle sa vieille manière de penser sans chercher à la recycler.