Cheminade-Corvez : débranchons le logiciel néoconservateur d’Emmanuel Macron !

dimanche 10 juin 2018, par Christine Bierre

Dans une vidéo rendue publique le 9 mai, Jacques Cheminade et Alain Corvez, consultant en stratégie internationale, ont dénoncé le logiciel néoconservateur qui détermine la politique étrangère d’Emmanuel Macron et les risques que cela comporte, dans un monde où les tensions sont déjà telles qu’il pourrait, comme lors de la Première Guerre mondiale, basculer dans un nouveau conflit global. Jacques Cheminade a profité de l’occasion pour indiquer au chef de l’Etat ce qu’il doit proposer à Vladimir Poutine lorsqu’il le rencontrera le 22 mai à Saint-Pétersbourg, une politique inspirée, non de la géopolitique mais d’une vision d’un monde futur où nos enfants n’auront pas à regretter d’être nés.

C’est pour répondre aux propos de M. Macron au Journal du Dimanche du 6 mai que ces deux gaullistes ont tenu à clarifier la différence entre gaullisme et néo-conservatisme. « Vladimir Poutine a compris que je ne suis pas un néoconservateur », avait prétendu Macron au JDD, ajoutant :

Je ne suis pas interventionniste, je ne veux pas faire la guerre au régime syrien, je ne serais jamais intervenu en Irak ou même en Libye, sans avoir dans ce dernier cas, un plan politique de sortie de crise.

Pourtant, deux semaines plus tôt, le 14 avril, il faisait partie du trio occidental qui lançait 103 missiles contre la Syrie, sans attendre les preuves de l’usage d’armes chimiques par Bachar al-Assad.

Pire encore, il s’est vanté d’avoir été, avec Theresa May, celui qui a convaincu Donald Trump de participer et de maintenir sa présence en Syrie, alors que le président américain, las de voir son pays avili par tant de guerres néoconservatrices à l’étranger, avait eu le bon réflexe de vouloir faire rentrer les « boys » à la maison !

Comme le rappelle Alain Corvez dans la vidéo, « Emmanuel Macron avait laissé entendre lors de sa campagne présidentielle qu’il voulait changer la politique de la France en Syrie, mais il n’a strictement rien fait ».

Une fois élu, il avait même déclaré ne pas vouloir faire du départ de Bachar el-Assad la condition préalable à toute participation de la France dans une négociation de sortie de crise en Syrie. Or, au fur et à mesure que le dirigeant syrien assurait sa victoire contre Daech, la France faisait tout pour en retarder le succès. Au lieu d’aider la Russie à en finir au plus vite avec cette guerre pour passer à la phase de reconstruction, elle agissait au sein du « petit groupe » sur la Syrie (USA, Royaume-Uni, Arabie saoudite et Jordanie), pour forcer Poutine à accepter les Occidentaux à la table de négociations afin de peser contre Assad.

La déclaration de notre ministre des Affaires étrangères Le Drian au JDD, au lendemain des frappes, montre qu’elles visaient effectivement à forcer la main au dirigeant du Kremlin : « Il faut espérer maintenant que la Russie comprenne qu’après la riposte militaire (...), nous devons joindre nos efforts pour promouvoir un processus politique en Syrie qui permette une sortie de crise. La France est disponible pour y parvenir. (...) Sauf qu’aujourd’hui, celui qui bloque ce processus, c’est Bachar el-Assad lui-même. A la Russie de faire pression sur lui. » Cela illustre bien le double langage odieux du gouvernement.

Contenir la Chine dans le Pacifique

Même double langage dans le Pacifique, où le président Macron semble avoir épousé totalement le nouveau logiciel du Pentagone dans sa Stratégie de défense nationale pour 2018. « Le défi central à la prospérité et à la sécurité américaine est la réémergence, à long terme, d’une compétition stratégique [avec] des puissances révisionnistes », et non plus la lutte contre le terrorisme, dit ce texte. La Chine et la Russie sont ensuite désignées nommément et accusées de vouloir « forger un ordre du monde cohérent avec leur propre modèle autoritaire ».

La première pour chercher à imposer « son hégémonie dans la région indo-pacifique » et la seconde, pour tenter de « faire voler en éclat l’OTAN », aussi bien en Europe qu’au Moyen-Orient.

Depuis 2013, et à nouveau en mai 2017, le président Xi Jinping a présenté au monde, sous la forme de son projet de Nouvelles Routes de la soie, une stratégie gagnant-gagnant pour retrouver la croissance et créer les conditions d’un retour au plein emploi à l’échelle mondiale.

Mais au lieu de négocier une coopération avec cet immense plan Marshall, et alors que la Chine entretient les meilleures relations avec la France, M. Macron a préféré faire appel à son logiciel néoconservateur : voir ce projet chinois comme une menace et chercher des alliances avec d’autres puissances pour le contenir ! Pourtant, en janvier, lors d’un voyage en Chine, marqué par des discours empreints d’une symbolique forte, M. Macron s’était déclaré prêt à coopérer avec ce projet. Comme avec la Russie et la Syrie : double langage !

Le 12 mars, lors de sa visite officielle en Inde, Emmanuel Macron annonçait dans un discours à Bénarès que la France allait ouvrir à l’Inde ses bases navales dans l’océan Indien (Djibouti, La Réunion et les Emirats arabes unis) : une grande première. Pour quelles raisons ? « L’Inde, affirmait-il, est aujourd’hui notre alliée stratégique dans la sous-région et la France en tant que puissance de l’océan Indien et du Pacifique a tout intérêt à assurer la stabilité de cet espace et d’éviter toute forme d’hégémonie qui viendrait le déséquilibrer. » Voilà le vilain mot lâché : « l’hégémonie » de la Chine, dont le nom n’est pas prononcé mais que les médias français, en boucle, se sont alors délectés à préciser.

En Australie, le 6 mai, Emmanuel Macron est allé beaucoup plus loin. La France étant une puissance asiatique, en vertu de la vaste zone économique marine que lui confèrent ses îles du Pacifique, il a appelé à créer un « axe indo-pacifique Paris-New-Delhi-Canberra, capable de répondre à trois défis : assurer la liberté de navigation, combattre le terrorisme et lutter contre le changement climatique ».

Un axe dont l’objectif est très géopolitique, car il consiste à faire contrepoids à une « Chine qui a décidé de devenir un acteur global » et qui, « avec sa stratégie de Nouvelle Route de la soie, est en train de façonner beaucoup de régions de notre monde ». « Mon objectif n’est pas de réagir ou de m’opposer à cette initiative », a dit Macron, en révélant toutefois le fond de sa pensée : « Nous ne sommes pas naïfs. Si nous voulons être vus et respectés par la Chine comme des partenaires égaux, nous devons nous organiser. » « La croissance de la Chine, a-t-il dit encore, [est] une très bonne nouvelle pour tout le monde », mais la République populaire se doit de « respecter les règles » en matière de développement et d’éviter « une hégémonie » qui inquiète l’Australie.

La chose la plus dangereuse serait de jouer l’Inde contre la Chine, s’est exclamé Jacques Cheminade. Le président Modi a rencontré récemment le président Xi Jinping à Wuhan et ils ont dit que par-delà leurs problèmes, qu’ils ne cachent pas, un développement mutuel s’imposait, notamment vis-à-vis de l’équilibre et de la paix en Afghanistan et dans le corridor Chine-Népal-Inde. Il y a matière à coopérer, bien que le corridor pakistanais (Chine-Gwadar) soit un problème qui reste à régler. (…) On a donc un mouvement vers une paix par le développement mutuel qui surmonte la géopolitique dans la région, et c’est cela que la France devrait encourager. Parler d’un axe Paris-New-Delhi-Canberra, qui ne soit pas intégré dans ce contexte d’ensemble, me paraît dangereux (...) avec un élément géopolitique et de rapport de forces.

Quelle politique envers la Russie ?

Dernière question essentielle dans cette vidéo : que doit dire Emmanuel Macron à Vladimir Poutine pour détruire ce logiciel néoconservateur qui étreint le monde occidental et nous conduit à la guerre ?

Pour Cheminade, voici ce qu’il devrait lui dire :

Nous devons parvenir ensemble à la paix dans le monde. Pour cela, il faut qu’ensemble nous établissions les fondements d’une stabilité par le développement mutuel, avec la Chine et avec le président Trump, la France jouant un rôle de médiateur essentiel. Cela, nous pouvons vous l’apporter, à vous Russie, qui avez réussi une reprise après l’époque d’Eltsine, et à vous, M. Poutine, qui avez réussi militairement à vous doter d’un instrument de guerre, bien défini le 1er avril dans votre discours sur les armes nouvelles élaborées à partir de principes physiques nouveaux. Maintenant il vous reste à bâtir une économie et une industrie. Vous êtes dépendant des exportations de pétrole ? La France est disposée à vous aider à en sortir. Nous devons établir un plan de développement mutuel avec (...) la Chine, une politique à trois, et si possible, avec d’autres Européens, d’autres pays du monde et avec le président Trump. Nous aurons une politique qui changera l’ordre du monde en passant de la géopolitique, où les gagnants cherchent toujours à rafler la mise, à un ordre de développement mutuel fondé sur une perspective gagnant-gagnant.

Alain Corvez, quant à lui, dit n’avoir

aucune espérance d’un changement de la politique d’Emmanuel Macron, tant que nous resterons dans une alliance atlantique qui est dirigée par Washington. Le seul changement que j’espère, ce serait qu’à Washington même ça change, que Trump arrive à sortir de la situation de prisonnier des néoconservateurs dans laquelle il se trouve actuellement pour adopter une politique d’ouverture dans le monde. Sans pour autant s’abaisser devant la Chine, la Russie ou d’autres puissances, simplement en les respectant en tant que puissances et en discutant avec elles des conflits d’intérêts qui peuvent exister, au lieu de recourir à la guerre.

En conclusion, tous deux ont exprimé leur conviction d’un possible sursaut en France, inspiré, selon Corvez, par ces pays européens qui veulent s’affranchir de plus en plus de la dictature américaine, et, selon Cheminade, par cette âme française profonde qui, au moment décisif, peut se manifester. « Nous allons tout droit vers ce moment, a-t-il déclaré, et je suis convaincu qu’ensemble nous pourrons faire bien plus que nous ne le pensons aujourd’hui. »