La géopolitique à la petite semaine de Macron

mardi 12 juin 2018, par Christine Bierre

SIPA

Lorsqu’il s’agit d’affirmer une politique étrangère qu’il veut indépendante, Emmanuel Macron ne se gène pas pour invoquer la mémoire de De Gaulle et lorsqu’il engage les négociations, il le fait, il est vrai, avec une certaine hauteur historique. On l’a vu lors de sa rencontre avec Poutine à Versailles en 2017 et de son voyage en Chine, début 2018.

La réalité est-elle cependant à la hauteur du discours ? Un an après son arrivée au pouvoir, on voit plutôt dans son action une géopolitique à la petite semaine, destinée à soutenir les intérêts de la France de la façon la plus étroite, et ceux de l’Alliance occidentale. Et ce, alors que l’Occident s’enfonce dans une crise généralisée et que les succès de la Chine, le retour de la Russie, les progrès de l’Inde et d’autres pays, ouvrent la possibilité à l’Occident de se remettre en cause et de retrouver les modèles qui lui ont permis autrefois de contribuer au progrès du monde.

Ainsi, les voyages de M. Macron en Inde et en Australie en mars et en mai, tout comme le discours de Florence Parly, ministre de la Défense, au Dialogue de Shangri-La à Singapour, le 3 juin dernier, confirment que la France a choisi l’Inde et l’Australie comme partenaires stratégiques dans l’Indo-Pacifique, un axe dont l’un des principaux objectifs affiché est de contenir la Chine ! Et ce, alors que la Chine a engagé une politique de négociations bilatérales avec l’Inde, le Japon, et le Vietnam qui aujourd’hui porte bien ses fruits !

Notons aussi combien la politique de Macron suit, comme par hasard, les pays qui nous achètent nos armes : l’Inde, les Rafale, l’Australie, nos sous-marins… et s’aligne bien avec la volonté du Pentagone d’encercler la Chine.

A Singapour, Florence Parly a tenu un discours de parfaite néoconservatrice, révélant que dans le Pacifique, on verrait bientôt

un groupe maritime français avec des hélicoptères britanniques, et des bateaux britanniques en son sein, naviguer à travers certaines zones où l’on entend des voix sévères intervenir dans les transpondeurs et vous dire de quitter leurs supposées eaux territoriales ; et où notre commandant réplique alors calmement que nous allons poursuivre la navigation, parce que, sous la loi internationale, ces eaux sont effectivement des eaux internationales.

Qu’en est-il de nos relations envers la Russie ? Emmanuel Macron a rencontré Vladimir Poutine le 24 mai dernier à Saint-Pétersbourg. A peine un mois après les frappes occidentales contre la Syrie, les domaines d’accords possibles n’étaient pas nombreux. Les deux hommes ne se sont retrouvés réellement que dans la défense de l’accord nucléaire iranien. On aurait presque l’impression que c’est l’imprévisibilité de Trump, la crainte qu’il allume un nouveau conflit au Moyen-Orient et la peur de sa guerre commerciale contre l’Europe, qui ont convaincu Macron de remettre les compteurs à zéro avec Poutine.

Les deux dirigeants se sont donc rabattus sur les excellentes relations commerciales entre les deux pays, en y ajoutant quelques contrats importants.

Notamment entre Total et Novatek qui, après le succès de leur premier partenariat dans le projet de gaz liquéfié à Yamal, repartent ensemble dans Arctic LNG2, sur la péninsule de Gydan dans le Nord de la Sibérie. Accord aussi entre EDF et Tenex, filiale de Rosatom, pour recycler et enrichir de l’uranium issu du retraitement des combustibles usés d’EDF, un contrat qui court de 2022 à 2032, évalué à 1 milliard de dollars.

Depuis, la déclaration finale du G7 a encore démontré les points de vue irréconciliables entre cette instance et la Russie.

Le communiqué dont M. Macron a vanté tous les mérites, appelle la Russie a « cesser son comportement déstabilisateur qui fragilise les systèmes démocratiques, ainsi que son soutien au régime syrien » ; condamne une fois de plus l’attentat « commis à Salisbury » et réitère qu’il est « très probable que la Fédération de Russie porte la responsabilité » ; réaffirme leur « condamnation de l’annexion illégale de la Crimée » et « l’incapacité de la Russie à mettre en œuvre les accords de Minsk »… Parmi les membres du G7, il ne s’est d’ailleurs trouvé qu’un seul pour soutenir la proposition de Trump de réinviter la Russie pour en faire un G8, Giuseppe Conte. La proposition a été rejetée catégoriquement par l’Élysée…

Emmanuel Macron a beau accepter de discuter avec tout le monde, mais qu’est-ce que ça change s’il n’accepte pas de revoir son logiciel atlantiste ? Trop jeune pour avoir connu De Gaulle, est-il capable de comprendre en quoi « la détente, l’entente et la coopération » est un art de gouverner bien supérieur à la géopolitique anglo-américaine, qui n’est autre que la loi du plus fort ?