Corée, Chine, Inde, Russie : le retour des non alignés

lundi 30 avril 2018

Notre époque donne raison à la célèbre formule du poète Hölderlin : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». En effet, tandis que la situation stratégique mondiale est pleine de dangers, avec le vieil empire militaro-financier de la City et de Wall Street qui pousse à la guerre, des progrès inattendus et cruciaux sont accomplis, comme autant de germes d’un nouveau monde de paix par le développement qui vient frapper à la porte de l’histoire.

Vendredi 27 avril, le troisième sommet entre la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et la République de Corée s’est tenu à la Maison de la paix, dans le village de Panmunjom. Cette rencontre entre les présidents Kim Jong-un et Moon Jae-in représente une étape historique dans le processus visant à clore une période de 65 ans de « non paix » depuis la guerre de Corée ; elle prend complètement de revers la faction géopolitique anglo-américaine.

Kim Jong-un a ainsi été le premier dirigeant nord-coréen à poser le pied sur le sol sud-coréen depuis 1953. Par un geste d’une symbolique très forte, il a pris son homologue sud-coréen par la main, et ils ont franchi ensemble la frontière, du Nord vers le Sud et vice versa.

La « Déclaration pour la paix, la prospérité et l’unification de la Corée », publiée suite à la rencontre, affirme dans son introduction qu’« il n’y aura plus de guerre sur la péninsule coréenne et ainsi une nouvelle ère de paix a commencé ». Les deux dirigeants se sont engagés à « éliminer tout danger de guerre sur la péninsule coréenne », en transformant la zone démilitarisée en « zone de paix », et en établissant des contacts fréquents entre les responsables militaires et les ministres de la Défense, qui commenceront en mai.

Des pourparlers vont s’ouvrir sur le désarmement, en vue de réduire les énormes forces militaires déployées des deux côtés et d’avancer vers l’ « objectif commun » de « la dénucléarisation complète, pour une péninsule coréenne exempte d’armes nucléaires ». Le New York Times précise que, si les États-Unis lui « promettent de ne jamais vouloir envahir son pays », Kim pourrait envisager le démantèlement complet de son programme nucléaire, perspective pour l’instant assez improbable vue le fait que le dernier ayant pris cet engagement s’appelait Kadhafi…. Enfin, et c’est sans doute l’essentiel, une date a été fixée à la fin de l’année pour signer un traité de paix entre les deux pays, une paix fondée sur une coopération économique renforcée.

Le document annonce également que des efforts vont être réalisés pour renouer les liens entre populations, réunir les familles divisées, « afin de préparer un avenir de prospérité mutuelle et d’unification construit par les Coréens eux-mêmes, en mettant en œuvre un progrès global et novateur dans les relations inter-coréennes ». Plus important encore, une politique va être engagée afin de « promouvoir une croissance économique équilibrée et la prospérité mutuelle de la nation », grâce notamment au développement et à la modernisation des voies ferrées et des routes se situant sur les corridors de transport est et ouest, faisant la connexion entre le Nord et le Sud, et ainsi avec la Russie et la Chine. La Russie jouera également un rôle positif dans les accords. Ces connexions apporteront la touche finale au Pont terrestre eurasiatique « de Pusan à Rotterdam » proposé par l’économiste américain Lyndon LaRouche dès les années 1990.

Le président américain Donald Trump a tweeté : « Après une année de lancements de missiles et d’essais nucléaires, une rencontre historique entre la Corée du Nord et la Corée du Sud a lieu. De bonnes choses se produisent, mais seul le temps le dira ! La fin de la guerre de Corée ! Les États-Unis, et l’ensemble de son grand peuple, devraient être très fiers de ce qui se passe actuellement en Corée ».

Rencontre historique entre Modi et Xi 

Le même jour que le sommet historique entre les dirigeants nord et sud-coréens, le Premier ministre indien Narendra Modi et le président chinois Xi Jinping se sont rencontrés à Wuhan, en Chine, pour une « réunion informelle » de deux jours. Sagement, les deux dirigeants ont décidé qu’il n’y aurait pas de communiqué ou de conférence de presse, évitant ainsi les interprétations hasardeuses. Tout aussi historique, cette rencontre pourrait bien être emblématique du « siècle asiatique » qui s’ouvre.

Cette rencontre, qui n’était pas prévue, est la première rencontre informelle entre les dirigeants indiens et chinois depuis 1954, et elle montre la volonté de part et d’autre d’apaiser les tensions autour de la frontière du Doklam et du corridor économique Chine-Pakistan (qui traverse une zone disputée entre le Pakistan et l’Inde).

Ces tensions ont empêché jusqu’alors le dirigeant indien de participer à l’initiative chinoise de la ceinture et la route (les Nouvelles Routes de la soie). Mais les rumeurs selon lesquelles Narendra Modi comptait faire campagne lors des prochaines élections avec une rhétorique anti-chinoise (sans doute encouragée par les néoconservateurs britanniques et américains) sont désormais caduques.

Au cours de la rencontre, Modi a confié combien il avait été impressionné, alors qu’il était ministre en chef du Gujarat, par la construction du barrage des Trois Gorges ; il s’était d’ailleurs rendu à Wuhan et avait passé toute une journée au barrage. « La vitesse avec laquelle vous l’avez construit, et sa taille, m’ont inspirées », a-t-il déclaré, ajoutant que « l’Inde et la Chine ont été les moteurs de la croissance économique mondiale pendant 1600 ans sur les 2000 dernières années », exprimant le vif souhait de poursuivre et d’étendre cette relation fructueuse. Le président Xi a accepté l’invitation pour une rencontre informelle similaire en Inde l’année prochaine.

Beaucoup ont en mémoire ce que Deng Xiaoping avait dit à Rajiv Gandhi en 1988, lorsque celui-ci lui avait rendu visite en Chine : s’il devait y avoir un siècle asiatique, cela nécessiterait une coopération étroite et soutenue entre la Chine et l’Inde, qui sont les deux plus anciennes civilisations de la planète. Il semble bien que ce temps soit venu.

Nous avons, Occidentaux, toutes les raisons de nous réjouir de voir les nations d’Asie se rassembler pour un développement mutuel, rejetant ainsi les vieilles divisions entre « blocs » de l’Est et de l’Ouest, que des nostalgiques dérangés veulent raviver depuis Londres, Paris et Washington.

Le nouveau paradigme défendu par Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade depuis plus d’un demi-siècle est bel et bien en marche. [1] Pour eux, le « non-alignement », cela commence dans la tête. Il est de notre responsabilité de créer un « mouvement de masse pour le développement », afin d’inciter nos dirigeants à cesser de se soumettre à la règle du jeu de l’oligarchie financière, et à rejoindre ce nouveau paradigme.


[1Lire à ce sujet notre article : Les BRICS font renaître "l’esprit de Bandung"