Le FBI, un ennemi qui vous veut du mal

samedi 24 février 2018

Jay Edgar Hoover, le patron du FBI de 1924 jusqu’à sa mort en 1972.

Par Auguste Dupin

Un gouffre béant se creuse entre le scandale qui fait sensation dans la presse américaine, impliquant les plus hautes instances du FBI, et les médias français et européens qui gardent soigneusement le silence à ce sujet et persistent dans leur mode anti-Trump.

A leurs yeux, Robert Mueller, le procureur spécial menant « l’enquête russe », demeure le « moine soldat », le chevalier blanc livrant un combat héroïque pour libérer le monde de ce fou, raciste, agent russe et misogyne de Donald Trump.

Le FBI, de mèche avec le Department of Justice (DOJ), la direction du Parti démocrate, les réseaux Obama-Clinton et des services secrets étrangers – en l’occurrence britanniques – sont accusés d’avoir fabriqué de toutes pièces le Russiagate, dans le but d’abord de faire élire Hillary Clinton, puis de provoquer la chute de la présidence Trump. Etonnant ? Pour comprendre, voici quelques éléments historiques.

Charles Bonaparte

Charles Joseph Bonaparte.

C’est le 26 juillet 1908 que Charles Joseph Bonaparte, petit-neveu de Napoléon, crée le service qui deviendra par la suite le FBI. Fils d’une richissime américaine et diplômé d’Harvard, Charles Bonaparte ne fait pas dans la charité.

En 1884, il estime que « pour l’Etat, assurer l’instruction publique serait aussi ridicule que d’ouvrir des soupes populaires. » La modernité, il déteste. Il refuse d’ailleurs d’installer l’électricité chez lui et même de se déplacer en voiture automobile.

En 1906, il bénéficie d’une promotion du très impérialiste président américain Théodore Roosevelt qui le nomme Attorney général, c’est-à-dire ministre de la Justice. Chargé d’enquêter sur le crime organisé, il fait appel aux enquêteurs d’autres ministères, notamment au Trésor, souvent sans succès.

Après un lobbying incessant, Bonaparte obtient l’autorisation d’embaucher ses propres enquêteurs. Dans un premier temps, il recrute un corps de 25 agents spéciaux, les « G-Men », au sein du Bureau of Investigation (BOI), qui devient, en 1935, le Federal Bureau of Investigation (FBI).

Immédiatement, s’inspirant des méthodes de Joseph Fouché, ministre de la Police sous Napoléon, au nom de la lutte « contre la traite des blanches », le BOI s’intéresse aux maisons closes. Il y recrute des informatrices et surtout y recueille les noms des politiciens qui les fréquentent…

Dès le début, autant pour de bonnes que de mauvaises raisons, les élus éprouvent une certaine réticence. En 1908, un député déclare devant la chambre :

Dans ma lecture de l’histoire, je n’ai pas souvenir d’un gouvernement qui ait péri faute de service secret. Par contre, nombreux sont ceux qui ont péri comme résultat d’un système d’espionnage. Si la civilisation anglo-saxonne chérit une valeur, c’est celle de protéger les plus humbles contre les activités secrètes de l’exécutif. Le quatrième amendement ne déclare-t-il pas qu’on doit protéger la vie privée des individus contre des enquêtes irraisonnables ?

Edgar Hoover

Jay Edgar Hoover

C’est en 1924, c’est-à-dire trois ans après la mort de Charles Bonaparte, qu’est nommé le sulfureux J. Edgar Hoover à la tête du FBI. Il y restera jusqu’à sa mort en 1972. Reprenant les méthodes salaces de Bonaparte et de l’Inquisition, il inspira une terreur telle qu’aucun président n’osa lever contre lui le petit doigt.

  • en parlant du FBI, le président Truman disait : « Nous ne voulons pas de gestapo ou de police secrète. Le FBI évolue dans cette direction. Elle touille dans la vie sexuelle des gens et fait du chantage. J. Edgar Hoover se sacrifierait un œil pour prendre le pouvoir et tous les députés et sénateurs le craignent. »
  • Le sénateur Joseph Kennedy avait mis en garde ses deux fils JFK et Robert : si vous devenez un jour président des Etats-Unis, « il y a deux personnalités auxquelles il ne faut jamais toucher : Hoover au FBI et Allan Dulles à la CIA ».

C’est après avoir limogé Allen Dulles suite à la tentative ratée d’invasion de Cuba, que Kennedy fut assassiné.

  • Des enregistrements audio témoignent que la raison pour laquelle Nixon gardait Hoover, c’est qu’il craignait des représailles.

Le flicage du FBI ne se limitait pas à la simple surveillance d’agissements potentiellement nuisibles ou criminels, mais à des actions, aussi bien physiques que psychologiques, intrusives, agressives et illégales contre tous ceux que Hoover considérait comme une « menace » pour son système et celui de ses maîtres.

Dès sa prime enfance, Hoover était contre le droit de vote des femmes, pour la peine de mort, contre les Noirs, les communistes, les opposants à la guerre du Vietnam, le Mouvement des droits civiques, ainsi que contre leurs avocats.

Un ami d’Hoover disait que son patron « n’avait pas une once d’affection pour un être humain quelconque ». Pervers sexuel flamboyant dans sa vie privée, Hoover faisait traquer impitoyablement les homosexuels.

Pour le Dr John Money, cité dans The Guardian, Hoover « avait constamment besoin de détruire les autres pour tenir lui-même ». Pour le Dr Harold Lief, professeur émérite à l’Université de Pennsylvanie, le narcissisme et la paranoïa qui animaient Hoover en faisait l’archétype d’une « personnalité autoritaire » : « Hoover aurait pu être le parfait haut dignitaire nazi. »

Quelques exemples :

1. Contre Einstein, le communiste

Un article de l’hebdomadaire français Le Point d’août 2016 raconte l’incroyable traque du FBI contre Albert Einstein :

Pendant vingt-deux ans, le FBI s’est démené pour prouver qu’Einstein était un espion de Staline, en espérant le faire arrêter ou déporter. Et ce, dans le plus grand secret, le savant allemand réfugié aux Etats-Unis étant très populaire.

Pourquoi le redoutable Edgar Hoover s’est-il juré d’avoir sa peau ? Jusqu’en 1939, le patron du FBI entretient des relations amicales avec les dirigeants nazis, mais, surtout, Einstein est très engagé en politique. Jusqu’à la fin de sa vie, il milite pour le désarmement, adhère à des organisations pacifistes – certaines liées à l’URSS, même s’il n’est pas communiste –, se bat contre les arrestations de communistes en plein maccarthysme, appelle à la clémence pour les Rosenberg, condamnés à mort pour espionnage... Hoover, qui considère le savant comme un ‘rouge’ dangereux, constitue sur lui un dossier qui atteindra 1800 pages.

Selon Fred Jérôme, auteur d’Einstein, un traître pour le FBI (Frison-Roche), beaucoup de documents proviendraient de groupes d’extrême droite américains récoltés auprès de sources nazies. Quand, en 1941, les Américains lancent le Projet Manhattan afin de développer la bombe atomique – à l’instigation d’Einstein, qui a envoyé une lettre au président Roosevelt -, l’armée s’oppose à la participation du savant. Ironie de l’histoire, pendant qu’il surveille Einstein, le FBI ‘rate’ les vrais espions qui transmettent les secrets de la bombe aux Russes...

A partir de 1950, la guerre froide et les critiques d’Einstein sur la course à l’armement poussent Hoover à approfondir son enquête. Il interroge les réfugiés allemands, fait fouiller les poubelles de la maison du physicien à Princeton, place ses communications sur écoute. Les accusations sont multiples, mais, chaque fois, les sources – une malade psychiatrique, des agents doubles douteux... – se révèlent peu fiables. Le dossier est truffé d’erreurs : le FBI se trompe sur le nom de son fils, croit qu’Einstein est allé en URSS alors qu’il n’y a jamais mis les pieds, ignore qu’il a eu pour maîtresse une Russe pourtant soupçonnée d’être une espionne, ne prend pas en compte sa détestation pour l’antisémitisme de Staline. Et, surtout, méconnaît sa nature de franc-tireur. Finalement, Hoover n’a rien trouvé. Quelques jours après la mort du savant, le 18 avril 1955, le dossier Einstein est classé.

2. Contre les Noirs

Face à la montée en puissance du Mouvement des droits civiques, le FBI et le ministère de la Justice lancent dès la fin des années 1950 des centaines d’opérations de pots-de-vin visant de façon totalement illégale des élus et des responsables issus de minorités ethniques. Entre eux, les agents du FBI parlent de l’« Operation Frühmenschen » (en français : « Opération Homme Primitif »).

C’est le 27 janvier 1988 que cette stratégie raciste est dénoncée pour la première fois publiquement par Mervyn Dymally, un député démocrate de Californie. Alors président du groupe des Afro-américains à la Chambre (Black Caucus), il fait insérer dans le Journal officiel du Congrès une déclaration sous serment, déposée devant une Cour fédérale d’Atlanta par l’ancien agent spécial du FBI Hirsch Friedman, dont voici un extrait :

Cette politique consistait à lancer des enquêtes routinières sans motifs apparents contre d’importants représentants noirs, élus ou nommés à leur poste, dans de grandes zones métropolitaines des Etats-Unis. Au cours de conversations avec des agents spéciaux du FBI, j’appris que cette politique reposait sur l’hypothèse selon laquelle les responsables noirs étaient intellectuellement et socialement incapables d’assumer des postes à responsabilité au sein d’organisations et d’institutions gouvernementales.

Un petit contrôle d’identité sympathique imposé aux membres du parti des Black Panthers.

3. Contre des groupes d’opposition

Entre 1956 et 1971, le FBI a piloté le programme Cointelpro (Counter Intelligence Program) contre des groupes jugés « subversifs » afin de « les exposer, les désorganiser, interrompre ou encore neutraliser leurs activités ».

Dans ce but, les agents locaux du FBI étaient sommés par la hiérarchie :

  1. de créer une image négative des groupes ciblés (notamment en divulguant des informations sensibles sur leur vie privée) ;
  2. de créer, par voie d’infiltration et d’autres moyens, de la dissension en leur sein afin de favoriser leur éclatement ou dissolution ;
  3. de restreindre autant que possible leur accès aux ressources publiques ;
  4. de réduire leur capacité, en tant que groupe ou individus, d’organiser de la contestation.

Les cibles étaient les organisations qui comportaient des éléments politiquement radicaux, allant de groupes révolutionnaires (Weathermen, Black Panther Party, Parti communiste des Etats-Unis) aux militants non-violents des droits civiques (Southern Christian Leadership Conference, les Amérindiens de l’American Indian Movement, le mouvement de Lyndon LaRouche, le New Left, Leonard Peltier, Jean Seberg ou encore Martin Luther King), en passant par les groupes violents et racistes comme le Ku Klux Klan ou le Parti nazi américain que le FBI a continuellement infiltré.

Révélé par la Commission citoyenne d’enquête sur le FBI, un groupe de gauche qui avait cambriolé des bâtiments du FBI pour récupérer des documents officiels prouvant ce qui se passait, le programme Cointelpro fut sévèrement critiqué par la Commission Church d’enquête parlementaire de 1975. Si l’opération Cointelpro fut suspendue formellement, il est à craindre que les opérations illégales du FBI n’ont jamais pris fin.

4. Contre Martin Luther King

La rencontre entre Martin Luther King (à gauche) et le Président Kennedy énervait fortement Hoover.

En 2014, on découvrit par hasard la version non censurée d’une lettre envoyée au leader du Mouvement des droits civiques Martin Luther King, soupçonné de sympathies communistes, l’incitant à mettre fin à ses jours.

En novembre 1964, inquiet du rôle de l’avocat juif Stanley Levison, une des « plumes » de King, ami proche et ancien membre du Parti communiste américain, le FBI envoya au pasteur une lettre d’intimidation, accompagnée d’une cassette audio l’accusant d’avoir eu des liaisons extraconjugales. Ces enregistrements étaient le fruit de neuf mois de surveillance opérée par l’agent du FBI William C. Sullivan.

Lorsque King reçut cette lettre anonyme que sa femme avait réceptionnée, il en informa tranquillement ces amis en disant que quelqu’un voulait qu’il mette fin à ses jours. En dépit du style bâclé, King était certain que la lettre venait du FBI, dont le patron Edgar Hoover ne cachait pas son désir de le discréditer. Dix ans plus tard, la Commission Church [d’enquête parlementaire] sur les abus des agences de renseignement confirma ses soupçons.

Extrait de la lettre :

King, regarde dans ton cœur. Tu sais que tu es une fraude complète et un gros handicap pour nous tous, les nègres. Les Blancs de ce pays ont suffisamment de fraudes par eux-mêmes, mais je suis sûr qu’à ce jour, ils n’en ont aucune qui puisse t’égaler. Tu n’es pas un homme d’église et tu le sais. Je répète que tu es une fraude gigantesque, vicieusement maléfique. Tu ne peux pas croire en Dieu et agir comme tu le fais. Il est clair que tu ne crois en aucun principe moral personnel. (…) King, il ne te reste qu’une chose à faire. Tu sais laquelle. Tu as exactement 34 jours pour le faire. Tu es cuit. Tu n’as qu’un moyen de t’en sortir. Tu ferais mieux de saisir l’occasion avant que ton moi anormal, dégueulasse et frauduleux ne soit révélé à la nation.

Contre l’économiste et homme politique américain Lyndon LaRouche et son ami Jacques Cheminade en France

Lyndon LaRouche (à droite) et Jacques Cheminade (à gauche), lors d’une conférence de presse organisée par l’Union internationale des journalistes africains (UIJA) à Paris.

En octobre 1986, 400 agents du FBI, de l’Etat de Virginie et de la police locale, avec le soutien d’unités de l’armée, y compris un char et un hélicoptère, déclenchent une perquisition dans les bureaux du mouvement politique de Lyndon LaRouche à Leesburg.

Hormis des analyses prémonitoires sur la décomposition du système financier et les alternatives qui pourraient y remédier, LaRouche anime alors un courant puissant au sein du Parti démocrate et vient de remporter ses premières victoires électorales significatives.

A l’époque, les militants larouchistes, pour libérer des Américains tétanisés par la terreur du FBI, faisaient circuler cet autocollant drolatique : « Si votre poubelle est tombée enceinte, faites un procès au FBI ! »

En vérité, la razzia contre LaRouche n’était que le prélude, à l’issu d’un procès reconnu comme truqué, à son incarcération pour des motifs purement politiques. La présence d’un nombre inhabituel d’hommes en armes, lors du raid du FBI, s’explique par le fait que les ennemis de LaRouche, ayant fait circuler l’affirmation fausse qu’il disposait du « plus grand stock d’armes du monde », espéraient créer ainsi les conditions de son élimination physique.

La perquisition fut stoppée net suite à une intervention directe de la présidence américaine, informée de l’opération en cours.

Après un premier procès à Boston qui fut annulé, mais où le jury aurait unanimement voté « non coupable » selon le Boston Herald du 5 mai 1988 et les déclarations ultérieures de plusieurs membres du jury, Lyndon LaRouche et certains de ses collaborateurs furent finalement incarcérés à la suite d’un second procès plus expéditif à Langley, le siège de la CIA en Virginie, dans lequel les membres du jury rendirent leur décision sous la coupe d’un président membre de la FEMA, l’agence fédérale de gestion des situations d’urgence.

« Il s’agit pour M. Bush et ses amis anglais et américains de faire taire la seule voix américaine qui dénonce la folie de leur politique financière d’usure et défend la cause de la survie de l’Afrique, de l’Amérique latine et de tous les alliés - notamment européens et asiatiques - des Etats-Unis », avait déclaré Jacques Cheminade à l’époque.

Lyndon LaRouche fut « libéré sur parole » en 1994, après la défaite électorale de George Bush. A ce jour le gouvernement américain n’a toujours pas reconnu officiellement le caractère politique de son incarcération.

En 1992, la procédure américaine (FOIA), qui permet d’obtenir des documents officiels de l’Etat américain « classés », révèle que le nom de Jacques Cheminade, à l’époque attaché commercial auprès du Consulat de France à New-York, figure dans pas moins de 150 documents du FBI. Les quelques rares feuilles déclassifiées et fortement raturées documentent incontestablement que le FBI s’est intéressé à Cheminade à plusieurs reprises :

  • en 1972-73, où l’agence le confond apparemment, sur la base d’une simple photo, avec un individu recherché aux Etats-Unis pour espionnage. L’affaire est classée sans suite ;
  • en 1974, lorsque le FBI note la présence de Cheminade, le 28 décembre, à la convention du NCLC, le mouvement politique fondé par Lyndon LaRouche, une forte voix contestataire qui dénonce les dérives des banques et des élites américaines. Constatant rapidement que Cheminade ne présente « aucun potentiel d’informateur », le bureau du FBI de New York clôt l’enquête.
  • en 1983, lorsque, pour juguler l’influence de LaRouche qui ne cesse de s’accroître, les milieux financiers décident de le faire emprisonner. Bien que, de façon officieuse dès 1978, puis plus officielle à partir de 1981, LaRouche ait conseillé la présidence américaine sur la mise en place, en coopération avec l’URSS, d’un bouclier antimissile (Initiative de défense stratégique), projet adopté par Reagan en mars 1983, le FBI persiste, en janvier 1984, à affirmer que le mouvement de LaRouche « vise à remplacer la démocratie aux Etats-Unis par une forme communiste de gouvernement ».

Le FBI ordonne alors à ses agents dans les ambassades américaines de Bonn, Rome et Paris, d’enquêter et de réunir des informations complémentaires sur Jacques Cheminade, considéré comme une simple émanation de LaRouche, mais dont les agissements pourraient offrir des occasions permettant de « ternir » la réputation de LaRouche, et donc faciliter son incarcération. Dès lors, Cheminade restera sous surveillance.