Conférence de Paris du 8 et 9 novembre 2025

Odile Mojon : Israël-Palestine, le jour d’après

jeudi 27 novembre 2025, par Odile Mojon

Odile Mojon.
S&P.

Intervention d’Odile Mojon, responsable de l’Institut Schiller France, lors de la conférence organisée par S&P et l’Institut Schiller à Paris, les 8 et 9 novembre 2025.

I. Stopper la contamination

La preuve n’est plus à faire du génocide commis par Israël à Gaza.

Outre les milliers de témoignages - récits, enregistrements vidéos, audios, photos, etc. - qui le documentent sans la moindre ambiguïté, les faits ont par ailleurs été confirmés par la Cour pénale internationale, qui a émis des mandats d’arrêt contre Netanyahou et Gallant pour crimes contre l’humanité, ainsi que par la Cour internationale de justice et la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU, celle-ci ayant conclu que les actes d’Israël contre la population palestinienne de Gaza répondaient à la définition juridique du génocide.

Si cela n’a pas déjà été pris en compte par ces instances juridiques, la complicité et le soutien actif des pays occidentaux, tant au niveau politique, par leur inaction, que financier et technologique, devront à un moment ou l’autre être examinés car, à l’exception de certains pays comme l’Irlande ou l’Espagne, le monde occidental (et ses alliés dans le monde arabe) est retourné à son vice colonial, reposant sur la tradition des calculs géopolitiques sordides et la loi du plus fort dont le corollaire inévitable est la guerre perpétuelle.

Or, comme l’a dit il y a quelques jours Celsio Amorim, le conseiller du président brésilien Lula da Silva dans une interview au quotidien O Globo : « La paix est indivisible. »

Il parlait du danger de guerre qui menace le Venezuela en disant que l’on

« ne peut pas imaginer qu’il y ait la paix en Ukraine et, en même temps, une guerre ou une attaque quelconque en Amérique du Sud. Tout cela est lié, tout cela se contamine mutuellement. »

C’est bien le mot « contaminer », comme la contamination des esprits actuelle dans une société envahie par la culture de la guerre et qui n’arrive plus à concevoir l’autre que comme ami ou ennemi.

Il suffit de voir la dégradation du débat public, sous l’influence des médias et plus largement d’une culture de la violence, jusque dans les rapports entre les gens. C’est le symptôme de la division en des communautés étrangères l’une à l’autre et de la désagrégation du « vouloir vivre en commun ». Poussé à son extrême, ce rejet peut prendre la forme clinique de l’apartheid, ou l’illusion que « je ne peut exister qu’à travers l’élimination de l’autre », ou les deux à la fois, comme à Gaza.

Le fait que la Cour internationale de justice (CIJ) ait été saisie, fin décembre 2023, par l’Afrique du sud, parmi tous les Etats qui auraient pu le faire, est particulièrement important. Israël était appelé à prévenir tout acte relevant du « génocide », mis en garde contre un « risque réel et imminent » de « préjudice irréparable » pour les Palestiniens de Gaza et prié d’assurer l’acheminement de l’aide humanitaire.

Or, dans sa réponse, le 19 juillet 2024, la CIJ jugeait non seulement que l’occupation de la Palestine par Israël était illégale, mais que l’État israélien y menait une politique d’apartheid. La CIJ ajoutait qu’il devait cesser ses activités de colonisation, retirer ses colons et accorder des réparations complètes aux Palestiniens. L’avis de la CIJ fut confirmé le 18 septembre 2024, par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies exigeant d’Israël qu’il mette fin sans délai à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé.

II. De l’Afrique du Sud à Gaza

En prenant l’initiative de cette saisine, sous l’impulsion de Naledi Pandor, alors ministre des Relations internationales et de la Coopération, l’Afrique du Sud renouait avec l’élan historique qui lui avait permis de se libérer du fléau de l’apartheid.

Brièvement, ce processus avait démarré avec la résistance menée par des mouvements anti-apartheid dont le plus connu est l’ANC (African National Congress) de Nelson Mandela.

Puis, vers 1985, alors que le régime de Pieter Botha se trouvait confronté à une crise économique et à une contestation croissante, des contacts secrets entre le gouvernement et l’ANC en exil (notamment Nelson Mandela, encore emprisonné) ont été engagés.

En 1989, une politique de réformes qui a amené à une abolition progressive de l’apartheid a été amorcée par le nouveau président, Frederik de Klerk.

Le 11 février 1990, Nelson Mandela était libéré après 27 ans de prison.

Quelques jours auparavant, les mouvements anti-apartheid ainsi que le Parti communiste sud-africain, interdit depuis les années 60, avaient été légalisés et les principales lois de l’apartheid supprimées. Ensuite, une Convention pour une Afrique du Sud démocratique a été instituée pour engager des négociations entre le gouvernement et les partis politiques.

En avril 1994, les premières élections libres et multiraciales en Afrique du Sud consacraient la victoire de l’ANC, avec Nelson Mandela élu président. Une nouvelle constitution a été adoptée et une commission de réconciliation mise en place.

Entretemps, en 1993, Nelson Mandela et Frederick de Klerk s’étaient vu décerner conjointement le prix Nobel de la paix pour leur rôle dans la transition pacifique.

III. Sortir de l’impasse

Dans l’état actuel des choses, le processus de transition envisagé pour Gaza, à la suite du cessez-le-feu du 10 octobre, prend une direction diamétralement opposée à celle ayant permis la fin de l’apartheid en Afrique du Sud car, pour faire la paix, encore faudrait-il la désirer et, surtout, il faut être deux.

Il revenait à Donald Trump, Israël étant dans le déni absolu de la réalité palestinienne, d’ouvrir le jeu en intégrant les Palestiniens dans les négociations de cessez-le-feu. Il ne l’a pas fait.

Pire, dans son plan en vingt points, il propose que Gaza soit placé sous « l’autorité transitoire temporaire d’un comité palestinien technocratique et apolitique » au sein d’une institution dénommée la Gaza International Transitional Authority (GITA).

Celle-ci pourrait être présidée par l’infâme Tony Blair, bien qu’à ce stade, son nom ne figure pas dans l’ébauche du plan confidentiel fuité par Haaretz.

En revanche, on connaît le nom de certains des milliardaires pressentis pour piloter le conseil d’administration :

  • Marc Rowan, qui possède l’une des plus grandes sociétés de capital-investissement américaines,
  • Naguib Sawiris, un milliardaire égyptien du secteur des télécommunications et des technologies, et
  • Aryeh Lightstone, directeur général de l’Abraham Accords Peace Institute. On ne s’étonnera pas que tous soient alignés sur les objectifs du gouvernement israélien, mais Lightstone se distingue pour avoir également été impliqué dans la création de la très controversée Gaza Humanitarian Foundation.

A cela s’ajoute que même la cessation des bombardements contre Gaza, suite à l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, qui donnait un semblant de crédibilité au plan de Trump, risque de n’être qu’un souvenir si les violations répétées du cessez-le-feu par Israël continuent. En ayant provoqué la mort de quelque 200 Palestiniens depuis le 10 octobre, Israël a montré qu’il n’avait aucune intention d’arrêter le génocide.

Alors, que reste-il ?

La réalité est que, aujourd’hui, la paix est directement conditionnée à la libération du « Mandela palestinien », Marwan Barghouti, détenu depuis 23 ans dans les prisons israéliennes.

Pour reprendre Le Monde du 2 novembre :

« Emprisonné par Israël depuis 2002, il est ainsi épargné par le discrédit qui frappe les dirigeants palestiniens de tous bords, au point d’être surnommé le ‘Mandela palestinien’. Partisan de longue date de la solution à deux Etats, il est capable, du fait de son aura militante, de l’imposer aussi bien aux islamistes du Hamas qu’aux autres factions.
« Pilier du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine, mais incarcéré lorsque Yasser Arafat en était encore le chef, il pourrait restaurer la crédibilité de ces deux mouvements, vidés de leur substance par Mahmoud Abbas, leur actuel président nonagénaire. Et c’est bel et bien pour cela que Netanyahou a refusé de libérer Barghouti dans le cadre des échanges avec le Hamas, fermant ainsi cet ‘horizon politique’ que le plan Trump appelle pourtant de ses vœux. »

IV. Réfléchir au jour d’après, « soul searching »

Lors d’un récent événement auquel j’assistai à Paris, au milieu d’un public de plusieurs milliers de personnes, deux femmes journalistes, l’une palestinienne, l’autre israélienne, ont été invitées à s’exprimer.

Lorsque la journaliste israélienne a pris la parole, elle a immédiatement posé la question du « jour d’après », de ce qui se passera une fois que le génocide sera terminé, puisqu’il s’achèvera nécessairement un jour.

Elle a notamment évoqué l’inévitable, tout autant qu’indispensable, travail de « soul searching », d’introspection, qui se posera pour ceux ayant participé à ce génocide, comme, ajouterai-je, à ceux qui s’en sont faits les complices.

Or, plusieurs éléments m’amènent à penser que nous sommes aujourd’hui à l’aube de ce « jour d’après », qui très légitimement semble se lever dans le pays où le soutien historique à la politique israélienne a été le plus fort : les Etats-Unis.

Récemment, plusieurs sondages ont montré que, pour 60 % des Américains, Israël commet un génocide à Gaza. Un autre sondage ciblant la population juive, réalisé par le Washington Post, a montré que 61 % des juifs pensent qu’Israël commet des crimes de guerre et 40 % qu’il commet un génocide. En d’autres termes le soutien à la politique pro-israélienne des Etats-Unis s’effondre.

L’autre élément est l’élection de Zohran Mandani à New York, notamment grâce au vote des jeunes dans une ville à forte population juive, ce qui signifie bien sûr que de nombreux jeunes juifs ont voté pour lui.

Les implications à long terme pour Israël et pour le monde en sont des plus évidentes. Combiné à l’importance des mobilisations contre le génocide aux quatre coins du monde, nous assistons à un « game changer », un facteur de changement radical dans ce qui pourrait s’apparenter à une forme mondiale d’introspection politique débouchant sur une volonté réfléchie d’action.

C’est dans ce contexte que la libération d’un Marwan Barghouti pourra se produire, la solution à deux Etats être mise en place, avec, pour donner corps à ce processus, le Plan Oasis de Lyndon LaRouche, qui, rappelons-le, l’avait proposé au cours d’un dialogue avec des représentants irakiens et israéliens.

Et, excellente nouvelle, c’est notre engagement, l’engagement réfléchi et dûment informé des citoyens, qui jouera le premier rôle pour concrétiser la paix.