Ce lundi 29 septembre, Donald Trump et Benjamin Netanyahou ont annoncé un plan de paix en 20 points pour Gaza. Le spectacle fut grandiose, le feu d’artifice mortifère qui en résultera le sera beaucoup moins. Aucun journaliste n’a été autorisé à poser la moindre question lors de la conférence de presse.
Un doigt d’honneur
Le « plan Trump » est d’abord un doigt d’honneur éhonté à la résolution endossant la « Déclaration de New York sur la solution à deux Etats », feuille de route en 42 points préparée par la France et l’Arabie saoudite et adoptée le 12 septembre à l’Assemblée générale des Nations unies, à une très large majorité de 142 États.
Espérant sans doute pouvoir améliorer la copie par la suite, et y voyant la promesse de quelques avancées (pas d’annexion de la Cisjordanie, pas de déportations et une vague promesse d’État palestinien), les gouvernements d’Arabie saoudite, de Jordanie, des Émirats arabes unis, du Qatar, d’Égypte, de Turquie, du Pakistan et d’Indonésie ont publié une déclaration commune saluant ce plan. Le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Union européenne et la Russie, craignant tous des sanctions et des droits de douanes toujours plus durs, ont également exprimé leur soutien.
Pourtant, tous les manuels de relations internationales soulignent que la diplomatie, c’est parler « aux autres ». Le fondement d’une paix durable consiste à prendre en compte les intérêts et préoccupations légitimes de ses « ennemis » en vue d’en faire, à terme, des alliés. « Seul un peuple fort peut faire la paix avec ses ennemis » avait dit Yitzhak Rabin, avant d’être assassiné par des extrémistes dont plusieurs membres du cabinet israélien se déclarent aujourd’hui les héritiers spirituels.
Le plan Trump est d’abord un magnifique cadeau à Netanyahou et au lobby israélien aux États-Unis auquel Trump est si redevable.
Pour n’en citer que quelques figures emblématiques :
- Miriam Adelson, veuve israélo-américaine du milliardaire Sheldon Adelson, le « roi des casinos » de Las Vegas, reste la plus importante donatrice des campagnes de Donald Trump.
• Feu Charley Kirk et son mouvement ont amplement bénéficié des largesses des amis de Netanyahou pour galvaniser des millions de jeunes en faveur de Trump.
• Brad Pascale, ancien directeur de campagne de Trump, vient de s’enregistrer comme agent d’une puissance étrangère (Israël), ainsi que l’exige la loi américaine. L’État hébreu lui a versé 6 millions de dollars pour mener sur les réseaux sociaux des campagnes pour combattre l’antisémitisme.
Grâce au plan Trump, Netanyahou a bon espoir de se faire réélire par les électeurs israéliens qui vivent dans une bulle idéologique, car il obtiendrait par la voie d’un accord de paix tout ce qu’il s’efforçait d’obtenir par la guerre et le génocide :
- Pas d’État palestinien, un sujet renvoyé au monde conditionnel comme l’indique le point 19, mais évoqué pour avoir le soutien des pays arabes : « A mesure que le redéveloppement de Gaza progresse et quand le programme de réforme de l’Autorité palestinienne sera fidèlement mis en œuvre, les conditions pourraient enfin être réunies pour ouvrir une voie crédible vers l’autodétermination et la création d’un Etat palestinien, que nous reconnaissons comme étant l’aspiration du peuple palestinien. »
• Défaite du Hamas (point 1) et destruction de ses infrastructures (point 13). Le point 3 s’ouvre sur une imparable tautologie : « Si les deux parties [Israël et le Hamas] acceptent ce plan, la guerre s’achèvera immédiatement. Les forces israéliennes se retireront jusqu’à une ligne convenue pour préparer la libération des otages. Pendant ce temps, toutes les opérations militaires, y compris les bombardements aériens et d’artillerie, seront suspendues, et les lignes de front resteront figées jusqu’à ce que les conditions soient réunies pour un retrait par étapes. » Si l’on décide de faire la paix, il y aura la paix. C’est logique, mais comme le dit le vieux dicton français, « avec des si, on mettrait Paris en bouteille ». C’est aux partenaires régionaux de convaincre le Hamas (point 14).
• Libération des otages. Si le Hamas libère les otages, accepte de se désarmer et de capituler, et que ses dirigeants acceptent de trahir leur peuple en partant en exil (points 3 et 6), alors, et alors seulement, « [La bande de] Gaza sera réaménagée dans l’intérêt de la population de l’enclave, qui a déjà suffisamment souffert » (point 2). Comme le commente Le Monde, « souffrance » est un euphémisme. « Plus de 65 000 d’entre eux ont été tués, près de 170 000 blessés, selon des chiffres du ministère de la santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, qui sont jugés crédibles par les organisations internationales. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), 92 % des logements ont été détruits ou endommagés. L’ONU a déclaré l’état de famine au mois d’août pour 500 000 Gazaouis. Une crise créée de toutes pièces, Israël ayant restreint drastiquement les livraisons de nourriture, confiées à un organisme opaque, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), qui ne dispose que de quatre centres de distribution dans toute l’enclave. L’ensemble de ces actes a amené nombre de chercheurs, juristes et organisations de défense des droits humains, aussi bien israéliennes qu’internationales, à conclure qu’un génocide était en cours à Gaza ».
• Libération de prisonniers palestiniens (point 5) et distribution d’aide humanitaire (point 7) conditionnée à l’acceptation de cet ultimatum. « Dès l’acceptation de cet accord, une aide [humanitaire] complète sera immédiatement acheminée dans la bande de Gaza. (…) comprenant la réhabilitation des infrastructures (eau, électricité, assainissement), la réhabilitation des hôpitaux et des boulangeries, et l’envoi des équipements nécessaires pour enlever les décombres et ouvrir les routes. » La distribution de l’aide sera effectuée « par les Nations unies et ses agences » (alors que les Etats-Unis ont chassé l’UNRWA, accusé d’être noyauté par le Hamas) et « d’autres institutions internationales », c’est-à-dire qu’il est prévu de maintenir la Gaza Humanitarian Foundation (GHF). Dirigée par des « sionistes chrétiens », la GHF fait appel à des prestataires privés, semblables aux mercenaires de Blackwater, qui ont massacré des Gazaouis affamés venus chercher de l’aide.
• Enfin, sans doute le pire, la privatisation de Gaza, qui, séparé en droit du reste de la Palestine, ne subira qu’une colonisation supplémentaire qui ne dit pas son nom.
En écartant l’Autorité palestinienne de la plupart des instances de consultation et de direction, le plan Trump passe à la broyeuse les accords d’Oslo, signés le 13 septembre 1993 entre l’État d’Israël, qui occupe les Territoires palestiniens depuis la guerre des Six Jours en 1967, et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dont la Déclaration de principes sur les arrangements intérimaires d’« autogouvernement » prévoyait le retrait progressif des troupes israéliennes de la bande de Gaza et de Cisjordanie, ainsi que l’établissement d’une autorité et d’une autonomie palestiniennes limitées. Les prérogatives respectives de l’Autorité nationale palestinienne et de l’État d’Israël quant à l’administration de ces territoires, également déterminées par les accords d’Oslo I, ont été confirmés à l’occasion des accords d’Oslo II (1995).
Le point 9 du plan Trump stipule que
Selon le point 10, il s’agit d’un
Tout cela, affirme Le Monde,
Pourtant, reconstruire Gaza promet d’être une tâche dantesque. Il faudra plus de vingt ans pour évacuer les 50 millions de tonnes de débris.
Sur le plan juridique et surtout humain, arrêter, juger et condamner les auteurs des crimes de guerre et de génocide est le préalable absolu pour amorcer le long processus d’une éventuelle réconciliation. Alors que chez lui, aux États-Unis, Trump prétend vouloir réprimer durement ceux qui commettent (ou en expriment ne serait-ce que l’intention) des actes contraires aux « valeurs chrétiennes » et à celles de la famille, son plan de paix, non seulement blanchit et amnistie les pires criminels, mais invite les vautours à venir se gaver sur le dos des victimes !
Privatisation et GITA
La vision de Trump pour Gaza, précise Le Monde, « consiste en une zone franche, démilitarisée, voire dépolitisée – le modèle d’un ‘Singapour méditerranéen’, rêvé dès les années 1990 par les Israéliens ». Gaza, sous tutelle, aura sa propre juridiction et donc ses propres lois. Dans les faits, Gaza sera amputé et coupé du reste de la Palestine (Cisjordanie et donc Jérusalem).
Le projet pour l’autorité qui en prendra la charge effective, la Gaza International Transitional Authority (Autorité internationale de transition pour Gaza, ou GITA), est résumé dans un document confidentiel de 21 pages que des journalistes de Haaretz en Israël et le quotidien britannique The Guardian ont pu consulter. Le document précise que la gouvernance et la reconstruction de la bande de Gaza d’après-guerre seront dirigées par des responsables internationaux, les Palestiniens étant relégués à des rôles subalternes.
Il propose également la création d’une autorité de promotion des investissements et de développement économique à Gaza, impliquant des « partenariats public-privé et des instruments de financement mixte » visant à générer des « rendements commercialement viables » pour les investisseurs.
Opérant initialement à partir d’El-Arish en Egypte, près de la frontière sud de Gaza, la GITA serait dirigée par un conseil de sept à dix membres approuvés par le Conseil de sécurité de l’ONU. Il prendrait des « décisions contraignantes », approuverait les lois et les nominations importantes et ferait rapport au Conseil de sécurité de l’ONU.
Un seul Palestinien en ferait partie, un homme « issu du secteur des affaires ou de la sécurité », indique le document divulgué, tandis qu’il énumère des « personnalités internationales de premier plan ayant une expérience exécutive ou financière », avec « une forte représentation de membres musulmans pour garantir la légitimité régionale et la crédibilité culturelle ». Sur la liste, les noms du milliardaire égyptien Naguib Sawiris, de Marc Rowan (Apollo Global Management) et d’Aryeh Lightstone de l’Abraham Peace Accords Institute et principal conseiller de David Friedman, l’ambassadeur américain en Israël de 2017 à 2021.
Tony Blair
Si Trump, bien que se disant très occupé, prétend vouloir être le président (d’honneur) de la GITA, son président effectif (et il n’est pas exclu que malgré les contestations, ce soit Tony Blair) en définira « l’orientation politique et stratégique », en lien avec l’Autorité palestinienne, une promesse de Blair, mais qui ne figure pas dans le plan Trump. L’ancien Premier ministre britannique dirigerait également la diplomatie et la sécurité stratégique avec des acteurs extérieurs, notamment Israël, l’Égypte et les États-Unis. L’Autorité palestinienne n’est pas mentionnée dans ce dernier contexte.
En 2002, suite à la conférence de Madrid, Blair fut l’envoyé au Moyen-Orient pour le Quatuor de puissances internationales, États-Unis, UE, Russie et ONU, après avoir démissionné de son poste de Premier ministre. Il se concentra sur le développement économique dans les territoires palestiniens et la préparation des bases d’une solution à deux États. La même année, c’est lui qui vendit aux Américains le mensonge de la détention d’armes de destruction massive par l’Irak, provoquant une guerre avec des millions de morts, pour la simple raison qu’Israël le voulait.
En récompense, la banque d’affaires JP Morgan l’embaucha en 2008 comme conseiller à mi-temps, pour la coquette somme d’un million de dollars par an (blood money), contrepartie plutôt modeste par rapport aux profits qu’elle avait pu tirer de cette guerre. La banque était également à la tête du consortium chargé de la reconstruction.
Grâce à son carnet d’adresses bien garni, Blair a permis au gendre de Trump, Jared Kushner, de lancer en 2020 le processus des « Accords d’Abraham » en vue d’une normalisation des relations entre pays arabes et Israël. C’est encore Kushner qui a convaincu Steve Witkoff, en quête d’un « plan de paix », de présenter Blair à Trump.
Larry Ellison
Comme le révèle un profil du journal britannique The New Statesman, l’Institut Tony Blair (TBI) est devenu le réceptacle de gros financement de la part du milliardaire transhumaniste Larry Ellison, le fondateur d’Oracle, entreprise américaine spécialisée dans les bases de données, créée pour et avec l’aide de la CIA.
Les journalistes d’investigation de Lighthouse Reports et Democracy for Sale ont interrogé 29 employés actuels et anciens du TBI, la plupart sous couvert d’anonymat. S’appuyant sur des documents publics et des documents obtenus en vertu des lois sur la liberté d’information (FoI), les témoignages décrivent « une organisation exceptionnellement proche du gouvernement britannique », capable de faire directement pression sur les ministres, qui organise des retraites conjointes avec Oracle et qui est disposée à s’engager dans des « ventes de technologies » avec les gouvernements du reste du monde. Bien qu’il n’y ait aucune suggestion d’illégalité, des inquiétudes croissantes se font jour quant à la mesure dans laquelle les intérêts d’un milliardaire américain du secteur technologique sont représentés par l’ancien Premier ministre. Les autorités de Londres ont fait appel à Oracle pour gérer les données de pleins de secteurs, y compris la santé.
La fortune personnelle d’Ellison est estimé à 400 milliards de dollars, un peu moins que les 500 milliards de dollars de son ami Elon Musk. La fortune d’Ellison a nettement augmenté depuis l’arrivée de Trump. Le 10 septembre, après la publication par Oracle de résultats trimestriels plus qu’encourageants pour les perspectives de l’entreprise, la fortune d’Ellison a bondi de 100 milliards de dollars en une journée, dépassant brièvement Elon Musk. Outre ses bons résultats, Oracle a signé avec OpenAI un contrat de 300 milliards de dollars destiné à fournir 4,5 GW de capacité de centres de données ainsi que des infrastructures de stockage pour entraîner ses modèles d’intelligence artificielle. C’est également Oracle qui va récupérer, grâce à Trump, les activités américaines de TikTok.
Notons au passage une étrange coïncidence du calendrier : Kushner et ses partenaires du Fonds souverain saoudien (SIF) viennent de réussir le plus grand leverage buy-out (rachat avec effet de levier) de l’histoire.Pour la modeste somme de 55 milliards de dollars (l’équivalent du coût de reconstruction de Gaza…) et grâce à un crédit de 20 milliards de dollars avancé par JP Morgan, ils ont pris le contrôle du premier producteur mondial de jeux vidéos, Electronic Arts (EA), une société que le prince MBS rêvait acquérir, la jugeant essentielle pour l’avenir du Royaume. Ses 7 milliards de dollars de profit annuel permettront de rembourser la dette.
Régissant à une possible gouvernance de Tony Blair, le secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne, Mustafa Barghouti, a déclaré lundi au Washington Post :
Bien que Blair ait récemment rencontré le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, ainsi que Trump plus tôt cet été, on ne sait pas dans quelle mesure les Palestiniens ont été informés de cette proposition.
En février, Trump avait déclaré que les États-Unis devraient prendre le contrôle de la bande de Gaza pour y construire la « Riviera du Moyen-Orient ». En privatisant Gaza, qui deviendra « une zone économique spéciale » (point 11), le projet deviendra réalité par transactions commerciales interposées.
La seule différence, c’est que « personne ne sera forcé de quitter, et ceux qui souhaitent partir seront libres de le faire et de revenir. Nous encouragerons les gens à rester et leur offrirons l’occasion de construire un Gaza meilleur. »
Ce n’est rien d’autre que le plan Global Trust, surnommé Trump Riviéra, développé par l’Institut Tony Blair (TBI) et le Boston Consulting Group (BCG) évoqué par le Financial Times le 26 juin 2025.
Force internationale de stabilisation
Enfin, les points 15 et 16, qui brillent par leur flou :
Nul ne connaît encore la composition de cette force. Plusieurs pays avaient proposé leur aide, de la France à l’Indonésie, un pays membre des BRICS. Comme le précise encore Le Monde :
A mesure que l’ISF instaurera le contrôle et la stabilité, l’armée israélienne se retirera, en fonction de normes, d’étapes et d’échéances liées à la démilitarisation qui seront convenues entre l’armée israélienne, l’ISF, les garants et les Etats-Unis, dans l’objectif d’un Gaza sécurisé qui ne représenterait plus une menace pour Israël. Si cette position de principe paraît forte, elle laisse une grande latitude à l’interprétation. Quand Israël jugera-t-il Gaza « correctement sécurisée » ?
Après tout ce que nous venons de voir, on a bien du mal à croire au point 20, qui prétend que les Etats-Unis veulent « établir un dialogue entre Israël et les Palestiniens pour convenir d’un horizon politique pour une coexistence pacifique et prospère ». Pire encore, en proposant un « dialogue interreligieux sur la base des valeurs de tolérance et de coexistence pacifique », on laisse entendre que le Hamas n’est qu’un simple mouvement religieux radical et non une faction islamo-nationaliste. Ce point ne remet pas en cause – et ne mentionne même pas – la colonisation et l’occupation israélienne, principaux obstacles à une solution de paix à deux Etats.
La mention d’un Etat palestinien était essentielle pour que les pays arabes de premier plan – Arabie saoudite, Egypte, Jordanie, Qatar – acceptent le plan proposé par Donald Trump.
Mais l’emploi du conditionnel, l’absence de toute allusion à la Cisjordanie occupée et le fait qu’elle n’apparaisse qu’à la fin du texte démontrent que tout sera mis en œuvre pour priver le peuple palestinien de sa dignité, condition absolue pour conclure une paix durable.
Intervention de Jacques Cheminade sur le même thème :


