Chronique stratégique du 22 mai 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)
Mike Pompeo suivra-t-il le même chemin que John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité nationale, viré en septembre 2019, et dont le président Trump a dit en janvier que s’il l’avait écouté on en serait déjà à la sixième guerre mondiale ? La question est cruciale, au moment où Trump, sous l’emprise de la propagande anti-chinoise menée par son secrétaire d’État, vient de signer consécutivement deux déclarations très belliqueuses à l’encontre de la Chine et de l’OMS, colportant des mensonges fabriqués par les services secrets anglo-américains sur l’origine du virus Covid-19.
Pompeo représente à merveille les milieux du « Deep State », qu’il faudrait mieux nommer « le complexe militaro-financier », et qui, via de puissants réseaux infiltrés dans l’appareil d’État américain, et en particulier des services de renseignement, tente de maintenir le monde dans la division « amis-ennemis » – le « Divide and rule » si cher à l’Empire britannique. Depuis le départ de Bolton, Pompeo est devenu leur agent s’influence numéro un, chargé de jeter de l’huile sur toutes les braises laissées par l’ancien conseiller à la sécurité nationale. La liste de ses exploits est longue, du sabotage du dialogue avec la Corée du Nord en 2018, en passant par les tentatives de coup d’État au Venezuela et en Bolivie, les provocations contre l’Iran, jusqu’à l’escalade très dangereuse contre la Chine aujourd’hui.
Comme nous allons le voir, Pompeo est impliqué également dans l’affaire dite du « Russiagate ». Nous avions rapporté sur ce site qu’en tant que directeur de la CIA, il avait empêché la vérité de sortir sur le mensonge du « hacking russe », en ne donnant aucune suite à son entrevue en octobre 2017 avec le lanceur d’alerte William Binney, l’ancien directeur technique de la NSA, qui avait prouvé l’impossibilité technique de ce hacking. Plus grave encore, le journaliste d’investigation Max Blumenthal démontre aujourd’hui que Pompeo a organisé l’espionnage illégal – et même une tentative d’assassinat – contre le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, qui a toujours réfuté l’accusation contre la Russie.
Pompeo dans le viseur
Cependant, c’est à propos d’une affaire beaucoup plus bénigne que le secrétaire d’État vient d’être publiquement mis en cause. Vendredi 15 mai, la Maison-Blanche a annoncé avoir limogé l’inspecteur général du Département d’État, Steve Linick, à la demande de Mike Pompeo. Selon l’opposition démocrate, Linick avait ouvert une enquête sur le fait que Pompeo employait un agent du ministère pour faire des tâches domestiques telles que sortir le chien, aller chercher des vêtements au pressing ou encore faire des réservations au restaurant pour des repas privés. Malgré son démenti, c’est bien l’image scrupuleusement entretenue par le secrétaire d’État auprès du public qui en prend un sérieux coup ; celle d’un Américain moyen, issu du monde rural du Midwest, au patrimoine plutôt modeste au milieu des nombreux millionnaires de l’administration Trump.
Le député Elliot Engel, qui dirige la Commission des Affaires étrangères de la Chambre, a affirmé que les services de l’inspecteur général enquêtaient par ailleurs, à sa demande, sur le fait que Pompeo avait eu recours en 2019 à une obscure procédure « d’urgence », déclenchée face à une supposée agression iranienne, afin de débloquer 22 contrats d’armement de 8 milliards de dollars destinés à l’Arabie Saoudite.
Notons que le limogeage de Linick intervient quelques jours après que Trump a demandé à Mike Pompeo d’aller faire campagne pour le Sénat dans son État du Kansas, ce qui implique, dans le cas de son élection, son départ de l’administration.
L’opération contre Assange
C’est dans ce contexte que le journaliste Max Blumenthal a publié son article sur le site GrayZone, jetant une lumière crue sur le rôle malsain joué par Mike Pompeo contre Julian Assange et, implicitement, contre la présidence Trump. Selon Blumenthal, c’est la CIA de Pompeo qui, en 2017, aurait recruté UC Global, la société de sécurité espagnole employée par le gouvernement équatorien pour son ambassade à Londres, afin de mener une opération d’espionnage contre Julian Assange, qui avait obtenu l’asile auprès de l’ancien président Rafael Correa.
La CIA a opéré à travers la société Las Vegas Sands du milliardaire Sheldon Adelson, le magnat de l’immobilier et des casinos, qui a soutenu la campagne de Donald Trump en 2016. Selon Blumenthal, le président de UC Global David Morales, qui a été condamné en octobre 2019 par la Haute cour espagnole pour avoir violé la vie privée d’Assange, a été recruté par l’Israélo-américain Zohar Lahav, le principal garde du corps d’Adelson.
Las Vegas Sands est soupçonnée de travailler depuis plusieurs années pour le compte de la CIA. En 2015, le gouvernement chinois a accusé le casino d’Adelson à Macau de servir de couverture pour les opérations contre la Chine.
A son arrivée à la tête de la CIA en avril 2017, Mike Pompeo avait prononcé un discours hystérique contre les « Philip Agees du monde » – faisant référence au lanceur d’alerte de la CIA qui avait, à la fin des années 1960, communiqué à des militants de gauche des milliers de documents classifiés révélant en détails les opérations de changement de régime, de coup d’État et d’assassinats menées par les agences des États-Unis dans le monde. Dans ce discours, Pompeo avait désigné Assange et Wikileaks comme « un service de renseignement hostile non étatique souvent soutenu par des acteurs étatiques comme la Russie ».
L’opération de la CIA contre Assange a atteint un point crucial en décembre 2017, lorsque le fondateur de Wikileaks et ses avocats ont envisagé un plan pour le faire sortir de l’ambassade sous la protection de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Blumenthal cite le témoignage d’un ancien employé de UC Global, qui a affirmé que les Américains voulaient à tout prix en finir avec Assange, et qu’ils ont saboté ce plan et même envisagé de le supprimer physiquement ; ils parlaient « d’activer les mesures les plus extrêmes contre lui », y compris « la possibilité de laisser la mission diplomatique ouverte, en prétextant ensuite une erreur accidentelle, pour permettre l’enlèvement du demandeur d’asile, et même la possibilité d’empoisonner M. Assange ».
Au cœur du « Russiagate »
L’article de Max Blumenthal fait la lumière sur les raisons pour lesquelles Pompeo n’a donné aucune suite à son entretien en octobre 2017 avec l’ancien directeur technique de la NSA, Bill Binney – un entretien fait à la demande du président Trump lui-même. Binney avait prouvé, avec d’autres lanceurs d’alertes des agences de renseignement américain, que les documents du Comité national démocrate publiés en 2016 par WikiLeaks ne pouvaient techniquement pas être le résultat d’un piratage russe via Internet, mais qu’ils correspondaient plutôt à une fuite interne.
En mars 2017, quelques semaines avant le discours de Mike Pompeo évoqué plus haut, Wikileaks avait publié des documents de la CIA sur l’instrument cybernétique baptisé « Vault 7 », permettant à l’agence américaine de mener des opérations de piratage ou de cyberguerre « sous faux drapeau ». De nombreux analystes, dont William Binney, pensent que la CIA a utilisé Vault 7 pour fabriquer les « traces » russes glissées dans les opérations prétendument réalisées par le hacker Guccifer 2.0 sur les ordinateurs de la direction du Parti démocrate (DNC). Des éléments qui ont servi ensuite pour accuser la Russie d’avoir attaqué la campagne d’Hillary Clinton et faire élire Donald Trump.
Pompeo se fait donc le protecteur de la cabale qui a monté le plus grand mensonge de l’histoire moderne, dit le « Russiagate », dans l’objectif de saboter la potentielle politique de détente avec la Russie exprimée par Trump pendant sa campagne ; et qui tente aujourd’hui de créer une nouvelle guerre froide contre la Chine.
Le crime de la Russie et de la Chine ? Remettre en cause le consensus de Washington, autrement dit « l’ordre défini par les règles » (« ruled based order »), comme le qualifient pudiquement les néocons anglo-américains. Un ordre impérialiste à l’agonie, en faillite, et dont l’éviction urgente de Mike Pompeo devrait signaler la fin définitive.
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