Intervention de Chérine Sultan, militante de Solidarité & Progrès, France, lors de la conférence organisée par S&P et l’Institut Schiller à Paris, les 8 et 9 novembre 2025.
Le barrage de la Renaissance vient d’être inauguré en Éthiopie, et cela vient prouver que l’on peut lever les obstacles à la réalisation de grands projets d’infrastructure.
Nos moyens d’actions pour faire cette révolution, c’est de redonner de l’enthousiasme aux citoyens et susciter une nouvelle impulsion aux milieux industriels pour la coopération internationale.
Nous aurons dans les jours qui viennent des opérations militantes sur le terrain, et avec nos documents et tracts, nous pourrons questionner les citoyens sur leur vision de l’avenir. Je vous pose à vous aussi cette question :
Dans votre réponse, votre imagination est-elle en train de se concentrer sur l’accès à l’eau potable et à la nourriture ? Sur l’accès à la santé et l’éducation ? Sur le système électoral et le fonctionnement des médias ?
Êtes-vous en train de lister tout cela par ordre de priorité ? Pensez-vous qu’il faille suivre des étapes les unes après les autres ? Les besoins à satisfaire auxquels vous pensez, les avez-vous évalués pour une démographie mondiale croissante ou décroissante ?
Toutes ces questions ont pour but de vous faire entrer un peu en introspection. Une démarche philosophique résumée par l’impérieuse formule socratique « Connais-toi toi-même », usurpée par un président Nicolas Sarkozy tombé depuis dans la déchéance… mais n’est pas philosophe qui veut et l’on voit où cela l’a mené.
L’année dernière, lorsque nous avons produit notre brochure sur les initiatives et plans de paix proposés pour mettre fin à la guerre en Ukraine, nous avons voulu mettre de l’avant le concept de « paix par le développement ».
mes recherches, je suis tombée sur la notion de « droit au développement » évoquée par Jean Ziegler dans son livre Les nouveaux maîtres du monde (2002).
La non-reconnaissance du droit au développement comme faisant partie intégrante des droits de l’homme est un des obstacles persistants à la réalisation de grands projets d’infrastructure. L’histoire de ce droit, et des droits de l’homme, illustre les difficultés de l’humanité à atteindre l’unité dans le multiple. Un langage commun au service de tous qui n’est encore qu’au stade du balbutiement.
Un document écrit par Azzouz Kerdoun, vice-président du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, dresse un bref historique du droit au développement en tant que droit de l’homme. Il situe l’énoncé des principes dans la Déclaration de Philadelphie de 1944, qui définit les buts de l’Organisation internationale du travail.
Les premiers textes de références sont la Charte de l’ONU de 1945 (articles 55 et 56), la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (article 22). Ces documents listent bien sûr par ailleurs les droits de l’homme de façon exhaustive en les qualifiant d’« égaux et inaliénables ».
Malheureusement, la Guerre froide, période de division, n’a pu établir ces droits pour tous. Dès 1966, nous avions deux catégories de droits de l’homme. D’un côté, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels que les États-Unis d’Amérique ont signé en 1977, mais pas ratifié, et de l’autre, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques que la Chine a signé en 1998, mais pas ratifié. Les droits de l’homme… déclarés universellement « égaux et inaliénables », disions-nous ? Jusque-là, une lecture rapide des termes « droits égaux et inaliénables » n’empêchait visiblement pas certains Etats de prendre certaines libertés dans l’interprétation.
Plus tard, en 1968, année internationale des droits de l’homme, la Conférence de Téhéran est organisée à l’occasion des 20 ans de la Déclaration universelle de 1948. Elle a pour objectif d’évaluer la progression de l’application des droits de l’homme et de « permettre notamment l’élimination de l’apartheid ».
A noter que lors de sa première séance, « sur la proposition de la délégation ougandaise, la Conférence a observé une minute de silence en hommage à la mémoire du pasteur Martin Luther King ».
Pour atteindre ses objectifs, le vocabulaire onusien s’est progressivement enrichi de nouveaux qualificatifs. Les droits de l’homme deviennent explicitement « indivisibles ».
L’ancien président du Costa Rica, José Figueres, avait été mandaté pour produire une étude intitulée « Les fondements économiques des droits de l’homme » afin de nourrir la conférence de Téhéran. Son étude donne un peu de relief à la pensée en tissant des liens entre les processus. Voici sa conclusion :
Enrichir le champ sémantique des droits de l’homme a été une tentative de réconcilier un monde fracturé. La XXIe résolution de la Conférence de Téhéran, qui priait « tous les Etats de signer et ratifier dans les délais les plus brefs le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son protocole facultatif », avait même attaché aux droits et libertés fondamentales l’épithète « interdépendants » pour étayer son argumentaire. Cela n’a, semble-t-il, pas été persuasif.
La créativité lexicale avait alors peut-être atteint ses limites, et l’ONU est alors passée à une autre étape en cherchant à formaliser une unité.
Elle a donc programmé la rédaction d’une Déclaration sur le droit au développement. Cela fut fait en 1986 en alertant sur l’« égale urgence » de réaliser les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Quel pays a voté contre ? Les Etats-Unis. Kerdoun attribue la paternité du concept de droit au développement à Keba Mbay, président de la Cour suprême du Sénégal et membre de la Cour internationale de Justice, dans son allocution inaugurale d’un séminaire organisé en 1972 à Strasbourg.
J’en profite pour demander en particulier aux représentants du continent africain présents aujourd’hui de partager les connaissances qu’ils auraient éventuellement à ce sujet.
Nous sommes donc à l’aube de la chute du Mur, et cet évènement a ravivé les idéaux onusiens qui ont vu en la convocation d’une nouvelle conférence des Nations unies pour les droits de l’homme un espoir.
Et c’est à celle-ci que se réfère Jean Ziegler dans le livre que j’ai mentionné. La Déclaration sur le droit au développement a été une référence fondamentale pour la Déclaration et le programme d’action de la conférence de Vienne de 1993. Elle synthétise les étapes que je vous ai présentées dans son article 5 : « Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. »
A noter, l’article 12 appelle à « alléger le fardeau de la dette extérieure des pays en développement ». Quel pays ne l’a pas adoptée ? Les Etats-Unis. J’en profite pour demander aux représentants de cette nation ici présents de témoigner de l’héritage encore vivant de l’esprit de la Déclaration de Philadelphie de 1944.
Voici donc les grandes lignes de cette histoire du droit au développement comme droit de l’homme.
Eloquence et rhétorique ne sont que les petites sœurs de la raison.
La meilleure manière de comprendre l’autre est encore d’aller sur le terrain, dans l’adversité d’une campagne électorale, ou d’une simple distribution de tracts, comme nous allons le faire dans les prochains jours. Manifestez votre intention d’y participer en vous signalant auprès des militants de Solidarité & Progrès à la table d’« équipement de la pensée » avant de partir.


